Cancer (21 juin - 22 juillet)

Cancer. Suis-je un cancer ?

Cette maladie Moldue qui infiltre les cellules, se répand, les tue. Aujourd'hui, je ne sais pas si c'est moi le cancer, ou si je suis celui qui en souffre.

Je n'aime pas me plaindre. Dans mon esprit, ça ne se fait pas. Je ne saurais trop expliquer pourquoi, mais je vois cela comme un manque d'éducation. Et pourtant, je crois... Je crois que je mériterais de me plaindre.

Mais à quoi ça m'avancerait ?

Je ne veux pas me sentir plus pathétique que je ne le suis déjà.

Il est tard, dans la salle de bain des préfets. Je contemple les bulles de mousse qui s'envolent et éclatent dans l'air, irisées de cette beauté parfaite, éphémère, auréolées de lumière et des reflets délicats des chandelles. J'ai fait couler l'eau pour le simple plaisir de ce spectacle. L'odeur des onguents, l'odeur de la cire qui brûle doucement. Le murmure de l'eau qui ruisselle sur le carrelage froid. Qui sait quand je pourrai à nouveau les contempler ? Au calme. Avec sérénité. Loin du monde et de tout le mal qui m'y attend.

Tout au long de cette année, mes nuits à la salle de bain des préfets sont devenues mon seul refuge. Le seul lieu où le temps semblait enfin s'arrêter. Où la vie semblait se mettre sur pause, pour un très court instant. Juste le temps de reprendre ma respiration... avant de replonger à nouveau.

La porte s'ouvre avec un grincement, me faisant sursauter. Je savais qu'elle viendrait.

- Drago, fait Hermione en s'approchant, les mains timidement croisées devant elle.

Cette simple vision me fait sourire. Depuis le début de l'année, elle n'a pas changé. Elle reste... innocente. Pour combien de temps encore ?

- Salut, je lui réponds, et je l'invite à s'asseoir sur le bord de la baignoire, en face de moi.

Elle reste debout cependant. Ses doigts se tordent, elle semble chercher des mots qu'elle n'est pas sûre de vouloir prononcer. Je pressens ce qu'elle va dire. Je m'y suis préparé.

- Drago, c'est bientôt la fin de l'année..., dit-elle.

- Oui.

Je la regarde dans les yeux, jusqu'à ce qu'elle s'agenouille devant moi.

Non, Hermione, je ne te rendrai pas la tâche facile. Je ne prononcerai pas les mots que tu brûles de me dire. Désolé, mais cette fois je ne t'aiderai pas. Tout est déjà trop dur pour moi.

- Quand l'été arrivera..., commence-t-elle, avant de s'interrompre.

Je lui fais signe de continuer. Elle soupire :

- On savait tous les deux qu'on en arriverait là, toi et moi, n'est-ce pas ? Cette année a été... une bulle. Un monde clos. Comme le calme avant la tempête. Mais toi et moi, nous savons... que la bulle est sur le point d'éclater. Le monde va se rappeler à nous, il va se déchirer en deux... Et je crois que nous ne serons pas sur le même bord toi et moi.

D'une main, je lui caresse la joue, alors que ses lèvres tremblent :

- Hermione Granger..., je murmure. T'aurai-je appris à devenir réaliste ? A accepter l'inévitable ?

Elle ne répond pas, comme un aveu de son échec. Hermione ne peut pas me sauver. Personne ne le peut. Des larmes coulent sur son visage, je les écrase doucement. Elle semble prise d'un brusque retour de flammes :

- Je n'abandonne pas, Drago ! Je ne veux surtout pas que tu crois ça ! Je souhaite de tout mon cœur que tu trouves un meilleur chemin pour toi...

Les pleurs teintaient ses paroles à présent, mais elle ne s'arrêta pas :

- Seulement... Ron a quitté Lavande. Il reste peut-être le dernier des imbéciles, mais... Je l'aime. Et je sais que je suis une imbécile de l'aimer. Mais voilà. Je n'y peux rien. Je me dis... que je dois au moins essayer, tu comprends ? Avant que tout ne soit fini...

Je l'écoute mettre des mots sur ce que j'ai toujours su. Ouvrir des cicatrices dont j'avais tracé le dessin. Hermione, ma petite Hermione, j'ai toujours su lire en toi. J'ai toujours su que tu l'aimais, tout comme tu m'aimes moi. Mais...

- ... tu comprends, il est le premier amour de ma vie, déclare-t-elle en écho à mes pensées. Je dois rester avec lui maintenant que tout est sur le point de basculer... Je dois essayer de comprendre ce qu'il ressent...

Son débit s'emballe, tout comme sa respiration. Je me redresse et enserre son visage de mes deux mains, caresse ses cheveux. Je capture son regard, comme je sais si bien le faire :

- Ce n'est pas grave, j'articule. Je comprends. Ça a toujours été clair entre nous. Ça ne pouvait pas durer. Ce n'était qu'un rêve, un très beau rêve. Mais c'était impossible. A présent, la réalité nous rattrape. Et elle ne nous laisse pas le choix.

Elle acquiesce doucement, cherchant à dissimuler son visage et sa honte :

- Je t'ai aimé, Drago, murmure-t-elle. Je t'aime toujours. J'espère qu'on se reverra... après.

Je souris :

- On a toujours le droit d'espérer.

Elle s'apprête à se relever, mais je la retiens par le poignet :

- Attends, s'il te plait. Un dernier baiser...

Je lis l'acceptation dans ses yeux, mais elle ne bouge pas. C'est à moi de m'approcher. Pour la dernière fois, je contemple son visage, comme s'il n'appartenait qu'à moi. J'aperçois le reflet des bougies dans ses grands yeux sombres. Je devine le grain de sa peau si douce. Je pose mes lèvres sur les siennes, et je goûte leur texture satinée, sublimée par l'éclat de l'instant : la toute dernière fois... Je l'embrasse comme s'il n'y avait pas de lendemain, comme si nous allions mourir demain. En un sens, cela pourrait être vrai. Nous sommes le 29 juin 1997. Demain, les Mangemorts envahiront le château. Demain, j'aurai accompli ma mission. Je serai officiellement devenu un salaud.

Demain, le voile qui recouvre le bien et le mal se déchirera. Il y aura officiellement deux camps bien nets. Nous baignerons tous en pleine lumière. Dévoilés. Nus.

J'embrasse Hermione, avec tout ce qu'il me reste d'humanité, toute ma dignité, mes espoirs, mes rêves. Tout ce que j'ai cru être bon, et voué à mourir. Je lui abandonne l'homme que je suis, l'homme que j'aurais aimé être. Je lui donne mon âme, avant qu'on ne me la prenne.

Lorsque je la lâche enfin, elle essuie une nouvelle larme, et elle s'en va, sans une dernière parole. Moi non plus, je ne dis rien. Je ne lui ai jamais dit. Mais à cet instant, j'ai pensé très fort :

« Moi aussi je t'aime, Hermione Granger. »

XXX

Au petit matin, j'ai repris le chemin de mon dortoir sans avoir dormi. En chemin, je m'arrête aux toilettes du deuxième étage, pour passer de l'eau sur mes yeux injectés de sang.

Je ne suis pas seul. Je m'en rends compte à l'instant où je passe la porte. J'aperçois Potter, debout contre le mur face à la rangée de lavabos.

- Qu'est-ce que tu fais là ? je lui demande.

Lui non plus n'a pas l'air d'avoir dormi. Ses cernes lui dévorent le visage. Et pourtant, il me contemple, sans rien dire. Comme s'il n'était pas même étonné de ma présence. Ses yeux cherchent à lire en moi, à déceler je ne sais quelle réponse. Qu'est-ce que tu veux que je te dise, Potter ? Que demain, je vais nous trahir tous ? Que je vais peut-être causer la mort de dizaines de personnes ? Que j'avais le choix, que j'aurais pu tout dire à Hermione, ou tout te dire à toi, là, maintenant, et accepter ma mort ?

Mais il y a un problème, Potter. Je ne veux pas mourir. Dieu sait que je déteste cette vie. Après tout ce que j'ai subi, elle ne m'a apporté que terreur, dégoût et colère. J'ai été abusé en esprit, dans mon corps et dans mon âme. Mais je ne veux pas mourir. Quel est l'adage, déjà ?

« La vie ne vaut rien, mais rien ne vaut la vie. »

Je doute que tu aies envie que je te sorte ce genre de conneries, Potter.

Allons, qu'est-ce que tu attends ? Je sais que tu meurs d'envie de me frapper. Cela fait des mois que tu me harcèles, que tu me soupçonnes – à juste titre, d'ailleurs – que tu me tournes autour. Défoule-toi, et peut-être que demain n'aura jamais lieu. Ou attends demain, et tu auras enfin un bon prétexte pour me démolir.

Qu'est-ce qui se passe, Potter ? Toi aussi, tu as l'air tendu. Toi aussi, tu redoutes cette journée qui approche. Qu'est-ce que Dumbledore t'a encore dit ? Ce n'est pas un secret, vos petits rendez-vous nocturnes. Est-ce qu'il prévoit de te confier une mission, c'est ça ? Est-ce que c'est dangereux ?

Inconsciemment, je laisse un sourire s'afficher sur mon visage : ce n'est rien comparé à la mission qui m'attend demain.

Brusquement, l'expression change sur le visage de Potter. Il semble déchiré, en proie à un profond dilemme intérieur, sur le point de fondre en larmes. Sans prévenir, les dents serrées, le visage contracté, il se jette sur moi et me plaque contre le mur carrelé. J'anticipe le choc : ça ne manque pas, l'impact me taillade le dos. Qu'est-ce que tu cherches à faire, Potter, rappeler les cicatrices dont tu m'as gratifié ?

Je lève mes poings en guise de défense, sans y croire vraiment, mais il se jette à nouveau sur moi et soudain, je réalise ce qu'il est en train de faire. Il m'embrasse. Potter est en train de me donner un putain de baiser.

Instinctivement, je le repousse, mais il m'a vidé de mon oxygène et de mes forces. Il se presse un peu plus contre moi et emprisonne mes poignets. Son baiser a quelque chose de brutal, désespéré. Il s'interrompt soudain, et je sens ses larmes rouler sur mes joues. Il me dévisage, libère une de mes mains et m'adresse un regard perdu, comme si lui-même ne savait pas ce qu'il faisait, comme s'il se cherchait lui-même et qu'il attendait de moi une réponse, grâce à laquelle tout prendrait sens.

Tout prend sens pour moi, justement. Pour la première fois de ma vie, je ressens cette sensation stupéfiante : celle de comprendre la personne en face de moi jusqu'aux tréfonds de son âme. Celle de savoir exactement ce que l'autre ressent, ce qu'il craint, ce qu'il désire, et je sais pourquoi : lui et moi, nous avons vécu la même chose. Nous sommes les mêmes. Deux facettes d'un même destin qui se brise. Seul l'un d'entre nous s'échouera sur la rive. Il n'en sera pas moins brisé.

Je comprends cela, et à cet instant, alors que Potter se résout à nouveau à m'embrasser, je le laisse faire. Parce que je partage son désespoir. Parce que moi aussi je rêve d'un monde où nous n'aurions pas à être ennemis. Ou nous n'aurions pas à nous affronter dans un combat à mort sous les ordres de fous tout puissants qui n'en ont jamais rien eu à foutre de nous. Je le laisse faire, et même, je lui rends son baiser.

Je ressens une chaleur intérieure, quelque chose que je n'ai encore jamais ressenti. La sensation de défier l'ordre établi. De faire quelque chose qui emmerde le monde, juste pour lui rendre la monnaie de sa pièce, pour lui montrer que je ne lui appartiens pas encore totalement. Que quoi qu'il me fasse, quoi qu'il arrive à l'avenir, il ne pourra pas me changer. Il me reste cette voix en moi qui se bat pour garder un semblant d'existence.

Potter m'embrasse passionnément à présent, c'est une union et un combat, une rage contre tout ce qui nous force à nous diviser. Toutes les souffrances que nous avons subies, les injustices, tout ce qu'on nous a pris. Aujourd'hui, rien qu'aujourd'hui, nous réclamons le droit d'être ce que nous aurions dû être : des adolescents sans haine.

Potter déboucle ma ceinture et fait de même avec la sienne. Il nous débarrasse de nos vêtements, sans que je me soucie comment. Aucun de nous ne se préoccupe de si la porte risque de s'ouvrir ou non. Il doit être cinq heures du matin, et Potter presse son corps nu tout contre le mien.

Fébrilement, chacun nous découvrons le corps de notre ennemi, avec une sorte de fascination morbide, comme si l'on cherchait déjà à voir les séquelles que la guerre apporterait. Lequel de nous deux deviendrait un cadavre ? Un seul ? Les deux ? Cette peau chaude que nous caressons se retournera-t-elle contre nous le lendemain ?

Potter me retourne et sans me lâcher, il me prend, là contre le carrelage froid. Il agit toujours sous le coup du désespoir. Peut-être que dans quelques instants, il retrouvera ses esprits, mais d'ici là, je serre ses doigts entre les miens, et moi aussi je savoure ce triomphe contre tout ce qui cherche à nous détruire.

Je n'ai jamais été attiré par les hommes. Je ne crois pas que Potter non plus. Mais ce que nous vivons aujourd'hui va bien au-delà du sexe. Nous ne faisons pas l'amour parce que nous nous aimons. Nous répondons seulement, le plus intensément qui soit, à la pulsion de mort que l'on a cultivée en nous : toute la haine, l'angoisse de la guerre, les responsabilités, la peur, nous lui adressons la réponse la plus puissante qui soit, son exact contraire : l'amour. L'union. La vie. Rien que pour aujourd'hui.

Potter me fait jouir malgré la douleur, et je le sens venir lui aussi. Tous les deux, nous sommes essoufflés, et nous n'osons pas nous regarder.

Je suis celui qui se reprend le premier. Je le dévisage sans rien dire, attendant sa réaction, la retombée des émotions. Il ne dit rien. Il ramasse ses vêtements sans un mot, se rhabille, et sors dans le couloir désert. En ces derniers instants cependant, notre connexion ne s'est pas rompue. J'ai eu le temps de lui dire en pensée :

« Je sais, Potter. Moi aussi, j'aurais voulu que les choses soient différentes. »

Mais demain, plus rien ne serait pareil.

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