Bélier (21 mars - 19 avril)

Bélier. Je voudrais tellement être Bélier.

Avoir cette force en moi, ce caractère sauvage, indomptable. Sentir bouillonner le feu dans mes entrailles, donner vie à cette rage, cette intensité, ce désir, les laisser m'emporter, me posséder, se concrétiser, avant même que mon esprit ne les conçoive...

J'aimerais être un vrai Gryffondor. J'aimerais être capable de foncer dans le tas sans me poser de questions. J'aimerais ne plus avoir peur. Au lieu de cela, j'hésite.

Je ne sais plus qui a écrit ces mots : « entre l'idée et la réalité, entre l'esquisse du geste et l'acte, se glisse l'ombre ». Peu importe qui a écrit ces mots, je l'emmerde. Pour avoir su lire aussi profondément en moi. Pour m'avoir percé à jour, forcé à contempler ma véritable nature...

Je ne suis pas un bélier. Je rumine mes pensées, je les laisse me consumer, tourner en rond dans mon esprit jusqu'à me rendre fou. Je les laisse se glisser en moi, jusqu'à me mener au bord du gouffre... Et alors, je recule. Ma vie n'est qu'une succession de « presque », de « pas encore », et finalement, de « pas du tout ». Je ronge mon frein, je brûle, jusqu'à ne plus pouvoir le supporter, et puis... La flamme s'éteint. Je retourne à mon état premier. Je me dégonfle. Le cycle infernal.

Aujourd'hui en est un parfait exemple.

Je contemple mon ami de toujours dans la Grande Salle, au petit-déjeuner. Dean a passé un bras possessif autour des épaules de sa petite-amie, Ginny Weasley.

Ginny est une jolie fille. Gentille, et triste. Réservée malgré ce que les gens en disent. Elle a quelque chose de beau dans son désespoir, d'étincelant dans ses brisures, qui lui donne l'air d'un ange déchu. Des cheveux de feu, et des yeux en larmes. Pourquoi ne puis-je pas tomber amoureux d'une fille comme elle ?

Pourquoi ne puis-je pas tomber amoureux d'une fille ?

Au lieu de cela, je contemple mon ami Dean, et mon esprit but sur ce simple mot : « ami ».

Je m'approche. Comment pourrais-je faire autrement ? Je sais déjà comment il va réagir. Il va lever ses yeux vers moi, ses yeux rieurs qui ne dissimulent qu'un abyme noir, et il va me détruire, encore une fois. Il le sait. Et il adore ça. Et moi, pauvre imbécile, je ne peux que revenir boire à sa source, en plaquant sur mon visage ce sourire qui trompe tout le monde, sauf lui, en foutant « accidentellement » le feu à mon verre pour défouler toute ma rage, en déclenchant l'hilarité générale, le rire de toute une société qui se moque de l'ironie de ma pitoyable vie...

J'ai parfois l'impression d'être moins qu'un chien, et que c'est ce que Dean recherche. Ça m'est égal, je l'aime quand même. Qui a dit que l'amour apportait le bonheur ?

J'aime plus fort que tout, plus fort que mon cœur ne peut le supporter, et depuis six ans maintenant. J'aime, et cela me tue.

Dean m'aperçoit, il lève sa main vers moi et s'exclame :

- Seamus !

Je claque ma main dans la sienne, comme je le fais chaque matin. Dean ouvre la bouche pour dire quelque chose, mais Harry me prend aussitôt à partie et je me rue vers cette possibilité de fuite.

Je suis un lâche. Je ne supporte plus ce paradoxe en moi. Mourir d'envie de le voir. Et en même temps, mourir d'envie de le fuir. Comment peut-on aimer quelqu'un et le craindre autant ? L'amour et la peur, condensés, envers une seule personne...

Je laisse Harry me distraire de mes pensées. C'est à propos du prochain examen de DCFM, je ne l'écoute pas vraiment. Cela fait partie de mon personnage. Je suis l'élève distrait qui ne s'intéresse pas vraiment à l'école, un peu maladroit, un peu toujours à côté de la plaque, qui ne comprend pas très bien ce qu'il se passe autour de lui ni ce qu'il fait, mais qu'on apprécie quand même... Je suis l'insouciant, l'immature, celui qui est drôle sans le faire exprès. Je suis un imposteur.

A côté d'Harry, Ron balance une vanne, et j'éclate de rire. Je le fais très naturellement. Je suis rompu à ce genre d'exercice. Tout faire pour que l'on ne lise pas mes pensées. Tout faire pour préserver cet espace inviolé en moi, où je suis à l'abri de tout, car personne ne peut entrer, personne ne peut m'atteindre... sauf lui.

J'ai parfois l'impression d'avoir construit des murs autour de mon esprit. Ensuite, j'y ai ajouté des remparts. Des fossés. Des barbelés. Des explosifs. Mes armes sont mes sourires, ma prétendue stupidité d'ado, mon air j'm'en-foutiste. Je suis arrivé à un point où quelques fois, en de rares occasions, enfin, je peux me sentir en sécurité. A l'abri de tout, de la moindre blessure. Et pourtant, je ne me suis jamais senti aussi seul. Cela me donne envie de hurler, de démolir les murs avec mes ongles, mais il est trop tard. Je n'y arrive pas. J'ai appris à construire les murs, pas à les détruire.

En général, c'est à cet instant que surgit Dean. Il me dévisage de son regard ravageur qui comprend tout, qui voit tout, et par une seule remarque, une seule allusion qu'il sait que je serai le seul à comprendre, il fait trembler mes murs, il dégage une brèche, à peine plus large qu'une pièce, et il me transperce jusqu'à me jeter plus bas que terre. Alors seulement, quand il me relâche, je suis obligé d'ajouter un nouveau niveau à mon mur. Il est de plus en plus haut. Bientôt, je ne verrai plus la lumière. Bientôt, je ne serai plus rien.

Harry et Ron se lèvent, m'éjectant de mes pensées.

- A tout à l'heure, Seamus ! me lance Ron tandis qu'Harry semble avoir oublié ma présence.

Ne partez pas... Non, pitié, s'il vous plait, ne me laissez pas ! Je vous en prie ! Ne me laissez pas seul avec lui...

Dean se tourne vers moi, et je n'ai d'autre choix que de me tourner vers lui moi aussi. Ginny m'adresse un petit sourire, un joli sourire. Un sourire triste. Seigneur, Dean, qu'est-ce que tu es en train de lui faire ? Cette fille a perdu au moins dix kilos depuis que tu sors avec elle. Que veux-tu d'elle, Dean ? Est-ce que tu veux la tuer ? L'écraser, extraire tout ce qu'il y a de bon et de vivant en elle, jusqu'à ce qu'elle ne soit plus capable de respirer ?

C'est ce que tu me fais à moi. Pourtant, tu ne m'as jamais touché, autrement qu'avec ton regard... Qu'est-ce que ça doit être pour elle ?

- Tu m'as l'air bien songeur ce matin, Seamus..., lance Dean avec son air de ne pas y toucher.

Dieu que je le hais à cet instant. Moi aussi, Dean, je vois clair en toi. J'espère que tu le sais. Oui, tu le sais, forcément. Là où tout le monde ne voit que fossettes et sourires, moi je vois la vérité. Je sais que tu es quelqu'un de froid, de calculateur et cruel. Tu aimes manipuler les gens autour de toi, les contrôler, les humilier, leur donner le sentiment qu'ils t'appartiennent, qu'ils ne valent rien, qu'ils ne vivent qu'à l'ombre de ton éclat... Cela te donne un sentiment de puissance. Est-ce que cela fait de toi un monstre ? Tu ne ressens rien pour personne, pas même pour toi-même. Tu es un loup tombé au milieu des agneaux. Comme tu dois nous trouver stupide... Comme tu dois t'ennuyer...

C'est pour cela que tu tortures Ginny, n'est-ce pas ? Tu cherches désespérément un moyen de te distraire... De t'amuser... Moi aussi, je t'amuse. Mais nous ne sommes pas des jouets. Ta conscience te l'a-t-elle dit ? Bien sûr que non. Tu n'en as pas.

- Harry m'a parlé de l'exam de DCFM, je réponds, parce qu'il faut bien répondre quelque chose.

Il hausse les épaules :

- Tu copieras sur moi. Comme d'habitude.

Et voilà. Il l'a fait, encore. C'est subtil, n'est-ce pas ? La façon qu'il a de rabaisser les gens. Ça n'a l'air de rien, comme ça. Mais multipliez-le par dix, par toutes les petites phrases anodines qu'il sort tous les jours, toutes les semaines, tous les mois, et très vite, vous vous apercevrez que vous ne valez rien. Il n'aura pas besoin de vous convaincre. Vous le saurez, c'est tout. Dean est très doué pour ça. Il zigzague, il passe entre les défenses. Il vous voit tel que vous êtes, avec tout ce que vous ne voulez pas lui montrer.

D'un certain côté, il me fait penser à Luna. Je serais curieux de connaître son opinion sur elle. Et l'opinion de Luna à son sujet. Quelque chose me dit qu'un affrontement entre eux deux serait... comme un duel mythique de western. La lutte éternelle. Le Bien contre le Mal. Le Blanc contre le Noir. Il émane de Luna une bienveillance naturelle. Il y a de la chaleur dans sa clairvoyance. Elle ne pose pas de jugement sur ce qu'elle voit. Elle essaye tant bien que mal d'en faire bon usage, à sa façon.

Un frisson me prend soudain, à l'idée de ce que Dean pourrait lui faire, s'il pénétrait ses défenses...

Mais non, aucun risque que cela arrive. Il se méfie trop d'elle. Elle soupçonne déjà quelque chose, il le sait, alors il la fuit comme la peste.

Je suis le seul à qui il a laissé entrevoir sa vraie nature. Dean le monstre. Dean le Scorpion, comme il aime se nommer.

Je me souviens encore de cet instant, lorsque j'ai vu clair en lui. Nous avions onze ans. Nous venions d'arriver à Poudlard. Déjà à cette époque, je le regardais comme je n'aurais pas dû le regarder. Il m'a entraîné dans un placard vide, et là, il a posé un doigt sur ma bouche. Il m'a embrassé. Doucement, sans prévenir, sachant que je ne bougerais pas. Un baiser d'enfant. Il m'a dit...

- Tu es un type formidable, Seamus Finnigan.

Et j'ai dit...

- Je crois que c'est la plus belle chose qu'on m'ait jamais dite.

Je le pensais.

Il a souri. Et il a répondu :

- Dommage que je me foute de ta gueule.

Son sourire s'est agrandi :

- La vie n'est qu'un jeu, Seamus. Sois de la partie.

Et à cet instant, j'ai compris. Mais il était trop tard. J'étais déjà amoureux. Je n'oublierai jamais la pression de ses lèvres sur les miennes. Même si ce n'était pas sincère, même si ce n'était que pour se jouer de moi... Ce baiser me hante. Il a fait naître un espoir que je ne veux pas voir mourir. Dean le savait. Il a bien calculé son coup.

En DCFM, je fais comme il me l'a dit. Je copie.

Le soir au dîner, je le regarde peloter Ginny sous la table, sans se soucier qu'on le remarque. Peut-être l'espère-t-il, au contraire. Blesser Harry. Me blesser moi.

Harry se lève de table avant même que l'entrée ne soit finie. Je décide d'en faire de même. Entre cœurs brisés, on pourra peut-être se tenir compagnie.

Dans la salle commune, je tente de lui arracher quelques mots, mais c'est peine perdue. Il faut dire que je n'insiste pas beaucoup. Je sens la douleur d'Harry. Elle transpire par tous les pores de sa peau. Je ne veux pas m'en approcher : j'ai déjà trop de douleur à porter.

A mesure que les autres reviennent du dîner, la fête s'installe. Ron me propose des cachets que ses frères lui ont refilés. J'accepte la drogue aussitôt. La drogue me permet de m'évader. Je ne sais plus qui a dit : « Ce n'est pas la drogue qui fait les drogués, c'est le besoin d'échapper à la réalité ».

Décidemment, je ne me savais pas si philosophe. Tout ça c'est de ta faute, Dean. Tu m'as ouvert à certaines parties de moi-même que j'aurais préféré ignorer. Moi, l'Irlandais pure souche, costaud, fier, tapageur, avec mon accent et mes taches de rousseur, moi l'Irlandais... J'aime les hommes. J'aime Dean Thomas. Je suis une putain de tapette. Et un lâche.

Je regarde mon amour danser lascivement tout contre le corps de Ginny Weasley. Harry regarde sans rien dire. Pourquoi regardes-tu, Harry ? Pourquoi sommes-nous condamner à aimer les mauvaises personnes ? Pourquoi aimer ceux qui ne veulent pas de nous ? Cela fait-il de nous des masochistes, cette attraction, en dépit de tant de douleur ?

Je n'aime pas souffrir. Mais je ne peux pas me passer de lui. L'enfant enfui en moi conserve l'espoir d'une lueur tout au fond des ténèbres. Après tout, personne ne peut être totalement mauvais. La lumière ne peut briller qu'en présence de l'obscurité.

Putain, je commence vraiment à planer.

Je m'échappe de la fête, avant que les choses ne tournent à l'orgie. Je ne veux pas remplir mon esprit de ces images, cette nuit. Je me réfugie dans mon lit, je tire les rideaux. Le sol tourne sous mon poids. Je me sens partir. Voler. Je fantasme, je rêve d'un monde meilleur, un monde où Dean porterait un regard bienveillant sur moi.

Quelque chose s'enfonce dans le matelas juste à côté de moi, et j'ouvre les yeux.

- Qui a dit que tu pouvais t'enfuir, Seamus ? fait Dean en laissant les rideaux entrouverts derrière lui.

- Fiche-moi la paix, je murmure en rabattant un bras sur mes yeux.

- Pourquoi ?

Il soulève mon bras comme s'il s'agissait d'une couverture :

- Tu es jaloux ?

- Va te faire foutre.

Il sourit. Pitié, pardonnez-moi... Je me damnerais pour ce sourire.

- Je t'ai un peu négligé ces derniers temps, Seamus, dit-il sans me demander mon avis. J'ai envie de faire quelque chose pour toi.

- Va dormir...

- Tout ce que tu veux. C'est une proposition intéressante, non ?

Il s'appuie sur mon torse et me regarde dans les yeux, sans plus me laisser m'échapper :

- Qu'est-ce que tu veux, Seamus ? Qu'est-ce qui pourrait bien te faire envie ?

- Non...

J'ai vu l'étincelle dans ses yeux. Je ne la connais que trop bien. Il s'amuse.

- Je ne sais pas, je réponds précipitamment.

- Tu ne sais pas ? Vraiment ? Moi je le sais. Et quelque chose en toi le sait aussi.

Il plaque sa main sur mon entrejambe, et je ne peux que me trahir, évidemment. Avant que j'aie pu réagir, il a glissé ses doigts sous mon pyjama et il me prend fermement.

- Dean ! je m'exclame aussi doucement que je le peux. Qu'est-ce que tu fous ?

Il me fait taire d'un baiser :

- Allons... Détends-toi un peu. Ça te fera du bien. Reconnais que tu en meurs d'envie. Et moi, je m'exécute. Que demander de plus ?

- Je t'en prie, Dean...

- Ferme-la.

Il sait y faire, le salaud. Je dois fermer les yeux sous la pression de ses doigts. Il recommence, encore et encore. Il a les mains douces, et chaudes. Je crois que je vais m'évanouir...

Je ne regarde pas ce qu'il fait, mais je me sens soudain libéré de son poids. Il le reporte sur mes jambes : il retire mon pantalon, et sans me laisser réagir, il me prend dans sa bouche.

Le choc me fait rejeter la tête en arrière. Seigneur, sa langue... Est-ce que je suis en train de rêver ?

Sa bouche est encore plus douce, et plus chaude. Ses lèvres me caressent, m'embrassent, puis sa langue joue avec moi, s'enroule, fait naître des frissons au rythme de son souffle rauque...

C'est un pur plaisir, et une pure torture. Il prolonge l'attente, il me tue.

Quand enfin il me reprend, c'est l'extase, l'extase à l'état pur. Je pourrais me baigner à vie dans cette volupté. Je n'ai plus la force de penser, je ne veux plus voir les pièges, je ne veux plus rien voir. Je voudrais que cet instant ne s'arrête jamais. J'agrippe les draps pour ne pas gémir.

Quelque chose monte en moi, par vagues, un désir qui se concrétise, un désir mûri et réfréné depuis des années...

- Je ne vais plus tenir..., j'articule.

A l'instant où je prononce ces mots, j'ouvre les yeux, je me redresse pour le regarder. Qu'il me rende mon regard, et j'atteindrai le paradis...

Au lieu de cela, je perçois un mouvement sur ma gauche, dans le lit voisin. Le lit de Dean. Mes rideaux sont ouverts, les siens aussi. Et par l'ouverture, j'aperçois Ginny Weasley, allongée sur le côté, dénudée sous les draps. Elle me regarde fixement. Il n'y a pas de mot pour décrire l'expression sur son visage. J'attrape les cheveux de Dean :

- Arrête ! Arrête... !

Mais il est trop tard. Tout s'est passé trop vite : une fraction de seconde... Le plaisir me terrasse, et je retombe sur le dos, rouge de honte, ravagé par ce qui me dévaste. Je jouis entre les lèvres de Dean. Je peux sentir sa langue me titiller une dernière fois, comme une aiguille cruelle.

Dean s'assoit pour dévisager Ginny. Il la regarde elle, pas moi. Et alors, je sais. Je sais que la vie n'est qu'un jeu, et que dans ce jeu, je suis le pion de Dean Thomas. Je sais que tout ce que je viens de vivre n'a aucune valeur. Je sais qu'en l'espace d'une nuit, Dean a brisé deux cœurs.

Ginny essuie une larme qui coule sur son visage. Un grand frisson la saisit : elle fouille les draps, à la recherche de sa robe qu'elle passe précipitamment. Elle ne dit pas un mot. Elle se lève, et elle part en courant.

- Nom de Dieu..., je murmure, de longues secondes plus tard. Mais qu'est-ce que t'as foutu, Dean ?

Mon vieil ami hausse les épaules :

- Elle reviendra.

Je contemple la porte du dortoir laissée béante. Je me perds dans le désastre. Dire que tout ce que je voulais, c'était rêver...

Mais la vie n'a rien d'un rêve. J'ai tendance à l'oublier. Heureusement, ou malheureusement...

Dean est toujours là pour me le rappeler.

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