V. Gueule d'ange


 Le visage d'Aslan trahissait sa surprise de voir Agathe à cette soirée. Il semblait qu'il allait dire quelque chose, ses yeux toujours rivés sur la blonde, mais la sangsue aux cheveux roses vint recapturer ses lèvres ainsi que son attention. Agathe leva les yeux au ciel. Une gueule d'ange certes, mais il avait vendu son âme au Diable celui-là !

Mélyn était revenue sur ses pas pour attraper le bras d'Agathe.

- Allez viens, il fait trop froid pour se baigner, on va danser !

La Sagittaire se laissa convaincre par son amie. Les deux jeunes femmes dansèrent ensemble de retour à l'intérieur de la maison, attirant sans surprise quelques regards aussi bien masculins que féminins. Mélyn avait choisi un corset en dentelle noire pour mettre en valeur sa petite poitrine avec un pantalon évasé taille haute de la même couleur et des escarpins. Ayant quitté sa veste, elle dévoilait pour la première fois à Agathe ses petits tatouages disséminés un peu partout sur ses bras. Agathe avait un préféré. Derrière l'un de ses coudes étaient écrit « Be brave ». Mélyn lui expliqua que c'était le premier qu'elle avait fait à seize ans, avec une fausse carte d'identité. C'était ce qu'elle se répétait le matin devant le miroir. Elle avait eu besoin que ces mots soient littéralement gravés sur sa peau. Ses années collège et lycée ayant été difficiles, elle s'était promis de ne plus jamais se laisser terroriser. Le début d'année à l'Académie avait failli être tout aussi traumatisant pour la Capricorne mais l'intervention d'Agathe ainsi que son combat face au Taureau lui avait rappelée la raison même de l'existence de ce tatouage sur son corps. Mélyn n'avait pas encore bu d'alcool mais lâcha tout de même cette phrase à Agathe que tous ont dit au moins une fois le sang imbibé :

- Franchement, je suis tellement contente de t'avoir rencontrée.

Agathe profita encore une bonne heure de la soirée mais tous ces gens qui perdaient le contrôle d'eux-mêmes, toute cette débauche, cela ne plaisait pas du tout à la jeune femme.

Agathe avait remarqué le regard d'une rousse aux yeux verts sur la Capricorne. Elle en avait tout de suite averti son amie et l'avait poussée à aller lui parler. Au moins une qui s'amuserait ce soir ! Enfin deux, marmonnait-elle intérieurement en repensant à l'autre blond au corps de dieu grec. Elle remercia son amie pour l'invitation avant qu'elle parte en chasse et l'encouragea d'un clin d'œil. Ensemble, elles avaient quand même bien rigolé, Agathe devait l'admettre.


Elle s'échappa de la Maison des Capricornes. Le froid de la nuit vint épouser sa peau nue à peine eut-elle posé le pied dehors. Elle eut un frisson et enfila son manteau. Elle entama sa route vers chez elle à pieds, pensive.

Elle réfléchissait aux hommes et à leurs vices. Agathe s'en méfiait. Personne ne lui avait appris d'ailleurs, sa mère étant décédée si jeune qu'elle ne s'en souvenait pas. Son père, lui, elle l'avait si longtemps admiré. C'était un grand homme Balance, très important dans le monde des affaires. Elle l'avait cru toujours droit et toujours juste. Elle lui avait toujours si bien obéi. Elle avait toujours cherché à être si parfaite pour qu'il daigne lui accorder un peu d'attention. Jusqu'à ce fameux jour où elle découvrit enfin son vrai visage d'une laideur qui la dégoûta au point de prendre la fuite. Il lui avait fait tellement de mal...Elle avait ainsi atterri à Xyph. Tout cela était encore trop récent pour Agathe qui préféra taire toutes ces pensées et toutes ces questions qui restaient en suspend. Une chose était sûre, elle ne ferait plus confiance aux hommes si facilement.


Les rues de Xyph étaient éclairées par de hauts lampadaires qui renfermaient à leur tête des plantes phosphorescentes qui emmagasinaient la lumière d'Ilios le jour et qui la relâchaient la nuit. Elles étaient aussi lumineuses que de simples ampoules mais leurs lumières étaient bien plus douces et plus chaleureuses. Les nuances de couleur de chaque plante variaient d'un lampadaire à l'autre, certaines tendant vers un bleu très clair d'autres vers un orange aussi caressant que celui de l'aube. Le silence n'était perturbé que par le bruit des rares voitures qui erraient sur le bitume.

Soudain, un nouveau bruit vint troubler les oreilles d'Agathe. Un sifflement venu de derrière elle se fit entendre. Ce n'était pas un simple sifflement vulgaire non, mais un sifflement long, comme si quelqu'un sifflotait une mélodie devenant d'ailleurs de plus en plus angoissante. Agathe accéléra le pas, sentant une menace imminente peser sur elle. Le sifflement ne semblait pas s'éloigner, au contraire. Elle le sentait se rapprocher. Elle se retourna une fois après avoir rassemblé son courage. Personne. Plus de sifflement. A peine se retourna-t-elle que la mélodie cauchemardesque reprit. Plus le choix, Agathe se mit à courir. Pas courir comme si elle participait à un marathon mais courir comme si sa vie en dépendait. Parce qu'au fond, sa vie en dépendait peut-être.

Elle changea de direction. Le O'Bulle était à mi-chemin entre son appartement et la maison des Capricornes. Elle n'en était plus très loin alors elle opta pour cette option-là. Koei lui avait fourni un double des clés pour que la blonde puisse faire les ouvertures et les fermetures du café-restaurant. Apercevoir la façade du café la soulagea, alors que le sifflement était encore là. Elle s'y précipita mais fut étonnée de trouver la porte non-verrouillée. Elle entra, à bout de souffle après sa course qui lui avait semblé interminable. Elle referma à clé derrière elle et s'enfonça dans le restaurant, trop effrayée pour rester près de l'entrée. C'est à ce moment-là qu'elle remarqua une lumière tamisée dans le café. Derrière le comptoir, Agathe reconnut la silhouette de Koei puis put l'identifier clairement une fois habituée à la faible luminosité. En face d'elle, accoudé sur le bar, une autre carrure qu'Agathe reconnaîtrait désormais entre mille était présente : le Directeur de l'Académie.

- Agathe ? Tout va bien ? S'inquiéta Koei en s'approchant rapidement d'elle. Tu es toute essoufflée ! Tu as des ennuis ?

- Je... Soirée... Puis partie... Sifflement..., haletait Agathe qui reprenait son souffle difficilement, encore apeurée.

- Ok ok, viens t'asseoir et explique moi ça tranquillement.

Agathe s'assit à un siège d'écart du Directeur, silencieux et impassible comme à son habitude. Elle respira profondément à plusieurs reprises.

- Quelqu'un me suivait en sifflant.

Le Directeur leva un sourcil. C'était peut-être la première fois qu'Agathe voyait une expression s'afficher sur son visage. Néanmoins elle n'arrivait pas à en déterminer la signification. Koei fronça les sourcils. Elle se baissa pour attraper quelque chose derrière le comptoir et en ressortit avec une batte de baseball.

- Il doit encore roder pas loin, je vais jeter un coup d'œil. Si je l'attrape, je vais lui apprendre moi à suivre des filles la nuit ! S'offusqua-t-elle.

Le Directeur posa sa main sur le bout de sa batte.

- Depuis quand tu as besoin de ça pour te battre ?

- Oh ça ? C'est plus pour donner un style délinquant. Pourquoi ? T'aimes pas ? Je trouve que ça me rajeunit moi !

La Sagittaire se détendit un peu. Elle n'avait pas grand-chose à craindre avec ces deux-là. Koei arrêta aussitôt de plaisanter pour reprendre son air offusqué. Elle commençait déjà à marcher d'un pas décidé vers la sortie pour aller botter le cul du stalker. Mais Mirsad l'arrêta.

- Il doit déjà être loin.

Koei soutint son regard. La Poisson en aurait fait qu'à sa tête dix ans plus tôt et n'aurait pas fermé l'oeil avant d'avoir mis la main sur ce taré. Mais il faut croire qu'elle s'était un poil assagie avec les années.

- Bien. Mais, dit-elle en se retournant vers Agathe, si cela se reproduit, tu m'appelles sur le champ.

Elle alla reposer sa batte derrière le comptoir et servit une tasse de thé à Agathe. La tasse vint rejoindre sur le bar deux verres de whisky glacés. Les deux semblaient discuter de quelque chose de sérieux avant que la jeune femme ne les interrompe. On aurait cru que Koei avait lu dans ses pensées quand elle lui expliqua :

- J'étais en train de raconter ma dernière mission à Mirsad, tu veux écouter ?

Agathe fut soudainement mal à l'aise, comme invitée à la table des grands. Elle sentit le regard du Directeur sur elle. A côté de son regard, le sifflement c'était vraiment du pipi de chat finalement ! Boucle d'or hocha doucement la tête en guise de réponse. La curiosité la piquait.

- Mon équipe a été avertie que des documents concernant les dernières découvertes de la Station spatiale avaient été dérobés. Comme il s'agissait que d'un individu agissant seul, on s'est mis d'accord et j'ai été envoyée pour le capturer, commença Koei.

Mirsad porta son verre à ses lèvres tout en écoutant attentivement la Poisson. Agathe buvait ses paroles, admirative comme une enfant lors d'une histoire avant le dodo.

- On ne savait rien de son identité, mais un indic nous a dévoilé sa planque. Alors je m'y suis rendue. J'avais l'avantage de l'effet de surprise. Mais lui aussi m'a surprise. Il s'agissait de Thomas Longborn, le Verseau qui était à la Station avec toi Mirsad.

Mirsad fronça les sourcils. Cela lui donnait un air encore plus sévère. Il posa son verre.

- Tom ? Il doit y avoir une erreur.

- Non... Il était... Différent. Enfin, je le connaissais pas personnellement mais j'avais déjà entendu parlé de ses exploits. Là, j'avais devant moi un parfait taré. Il a perdu la boule ! Il a essayé de m'endormir mais je lui ai injecté l'Antidote juste à temps!

- L'antidote ? Demanda cette fois Boucle d'or.

- Oui. C'est un liquide qui neutralise temporairement les pouvoirs d'un Signe. Je l'ai ensuite maîtrisé.

Koei souleva son t-shirt. Un énorme œdème couvrait ses côtes gauches. Elle gloussa.

- Ça m'a coûté une côte. J'ai fouillé les lieux et je suis justement tombée sur les fameux documents dérobés. Il n'a pas cherché à nier. On l'a placé en détention pour l'interroger. Mais je m'attends pas à ce qu'on lui soutire des infos... Comme je t'ai dit, il a pété un câble.

Mirsad devint songeur, gardant ses sourcils plissés. Après quelques instants, il finit par prendre la parole.

- On est arrivés à la Station en même temps Tom et moi. Mais lui est resté bien plus longtemps là-haut. Si longtemps que quand il en est redescendu, il avait tout perdu. Sa femme était décédée. Son fils lui en a tellement voulu qu'il a complètement coupé les ponts...

Mirsad secoua la tête, comme si il voulait chasser une pensée douloureuse. La Sagittaire allait de surprise en surprise. Cette histoire était vraiment triste... Et le Directeur avait enchaîné deux phrases !

- A sa place aussi je serai devenu complètement fou. Je suis redescendu de la Station parce qu'Addi était enceinte et qu'elle allait accoucher. Au final, elle a eu Aslan toute seule et elle m'en a énormément voulu. Mais si je n'étais pas redescendu, je crois que je l'aurais regretté. Je devais être là pour ma famille. C'était un moment important.

Agathe faillit avaler son thé de travers. Elle toussa en essayant d'être discrète. Cependant cela attira tout de même l'attention du Directeur. Aslan ? Comme Aslan la gueule d'ange et le corps d'Apollon ? Le physique s'explique mieux ! Ils ont quoi dans les gènes dans cette famille ? Cette « Addi » devait être magnifique !

Mirsad l'interrogea du regard. Allez vite, trouve quelque chose...

- Vous êtes retourné à la Station ?

- Non... Finalement je n'ai pas passé beaucoup de temps là-haut. En réalité, très vite après mon retour de la Station, l'Ancien Directeur de l'Académie fut assassiné. Dans une lettre, il m'avait apparemment désigné comme son successeur... J'ai donc dû reprendre ses fonctions.

Agathe hocha la tête, compréhensive. Cet Ancien Directeur avait fait un choix judicieux. Ce Directeur là était certes un peu dur et il faisait plutôt peur et il fallait aussi avouer qu'accepter d'accueillir un agresseur au sein de l'Académie était un pari plutôt risqué, mais il avait l'air de savoir ce qu'il faisait pour le bien de ses élèves. Personne n'avait jamais osé contesté son autorité selon Mélyn. Puis, c'était la deuxième fois qu'Agathe l'entendait parler de sa famille et à chaque fois son regard s'adoucissait. Il avait du bon en lui, c'était une certitude.

Il quitta son siège, vidant son verre d'une traite.

- Je passerai dans vos locaux voir M. Longborn, dit-il s'adressant à Koei. Peut-être que me voir déclenchera quelque chose en lui.

Koei accepta sans difficulté. Le Lion se tourna vers Boucle d'Or.

- Toi. Je te ramène chez toi. On y va.

Cela ne laissait aucune place à la négociation ou au refus. La Sagittaire se leva directement sans protestation. Elle ravala sa salive difficilement. C'était vraiment gentil de sa part mais son aura intimidante n'aidait pas du tout à mettre la blonde à l'aise. Il salua poliment Koei et sortit du O'Bulle, Agathe à sa suite. Il la conduisit à sa voiture. C'était une Ford Mustang Cabriolet rouge de 1967. Cela lui rappela Aslan et son amour des voitures. Tel père tel fils, pas vrai ?

Il lui ouvrit la portière passager tout en lui demandant son adresse. Elle la lui donna et s'installa. Il sembla hésiter à fermer la porte. Il lâcha un soupir d'agacement et retira sa veste. Il la posa sur les jambes découvertes de la Sagittaire, sans un mot. Il ferma la portière et vint se mettre derrière le volant.


Les premières minutes de trajet furent très longues... Le silence pesant était insupportable. Agathe crut même sentir que le Directeur lui-même était mal à l'aise. Cela l'amusa un tout petit peu de voir ce Lion si fier et si charismatique incapable de lancer une conversation. Néanmoins, il finit par briser le silence.

- Le jour de la rentrée... Tes cheveux étaient lisses.

Agathe posa machinalement son regard sur lui, un peu étonnée de cette affirmation.

- Euh... Oui ? Je croyais que vous...

- Tes cheveux sont bouclés naturellement ?

- O-Oui.

La jeune femme reposa ses yeux sur ses mains qu'elle commença à triturer nerveusement. D'où lui venait ces questions ? Pourquoi Agathe sentait que quelque chose d'étrange était en train de se produire ? Cet homme... Au-delà de son aura, de ses fonctions, Agathe ne pouvait s'empêcher d'éprouver un sentiment étrange à chaque fois qu'elle le voyait. Quand elle était adolescente, c'était lui qui apparaissait dans ses rêves. Elle avait chasser ce souvenir depuis qu'il lui était revenu à la rentrée pourtant il revint clairement à ce moment-là.

Elle posa ses mains sur la veste de Mirsad pour arrêter de les tripoter. Elle fut alors pris d'un vertige. Une vision la transcenda.


Agathe était dans le salon d'une belle maison. Elle remarqua sur une étagère un calendrier. « Année 2009 ». Comment ça 2009 ? Ce n'était pas possible. Les visions ne portaient que sur le futur. Que se passait-il ? Elle entendit un bruit dans la pièce d'à côté. Agathe marcha à pas de loup, comme si quelqu'un pouvait l'entendre. La cuisine était sombre. Une silhouette toute recroquevillée sur une des chaises tremblait, secouée par des pleurs sourds. Elle reconnut le Directeur, malgré son air détruit qui le changeait complètement. Il était effondré. C'était une vision choquante pour la Sagittaire. Cet homme si fort, si imperturbable devant elle si faible. Que lui était-il arrivé ? Elle sentit son cœur compressé par la pitié dans sa poitrine.

Elle revint à elle. Des larmes avaient roulé sur ses joues sans qu'elle ne s'en rende compte. Le Directeur la regardait, la voiture garée sur le bas côté.

- Tout va bien ?

L'oxygène parut lui manquer dans le véhicule. Elle étouffait. Elle sortit sur le champ. Paniquée, elle n'avait pas envie de faire face au Directeur après ce qu'elle venait de voir. Toutes ces informations qui se bousculaient dans sa tête... Cette vision, du passé en plus ! Elle n'eut qu'une seule réaction : prendre ses jambes à son cou. 

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