Agathe détaillait l'homme qui apparaissait souvent dans ses rêves. Elle pensait que son imagination l'avait créé de toutes pièces. L'avait-elle déjà vu, à la télé peut-être ?

Alors que le visage de la blonde affichait clairement son incompréhension, celui du Directeur restait impassible. Certainement avait-il l'habitude de faire cet effet sur beaucoup de ces élèves d'un côté car il était impressionnant, de l'autre parce qu'il était vraiment bien entretenu pour un quarantenaire. Il la sortit de ses pensées en parlant de sa voix grave :

- Dites-moi. Qu'êtes-vous venue faire dans mon Académie ?

Agathe eut un petit sursaut. Elle ramassa sa mallette ce qui lui permit de décrocher son regard du Directeur et reprendre ses esprits. Elle commença, sans pour autant le regarder :

-Je... J'ai fait une promesse à une personne chère. Je lui ai promis que quoi qu'il arrive, j'intégrerai cette école.

Pendant une seconde, une étincelle de curiosité sembla s'illuminer dans le regard du Lion mais disparut très vite derrière son calme glaçant. Il réfléchit un instant avant de dire d'un petit hochement de tête :

- Il faut toujours tenir ses promesses.

Il quitta son fauteuil pour se replacer à la fenêtre, encore une fois les mains dans le dos. Il n'ajouta rien. Cela signifiait donc qu'il en avait fini avec Agathe. Son secrétaire réapparut. Il fut assez surpris de ne pas voir la jeune femme en pleurs. Cela devait donc dire qu'il ne l'avait pas virée ? Il fit signe à Agathe de sortir avant que le Lion montre sa vraie nature. Agathe lui obéit, elle-même encore sous le choc. Quel homme mystérieux ! Le secrétaire se risqua à demander au Directeur, une fois seul avec lui :

- Pourquoi la garder ?

- ... Un simple instinct de vieux Lion, lui répondit-il après un bout de silence.

Le jeune homme ne fut pas convaincu par sa réponse mais il s'en alla à la suite d'Agathe qui l'attendait dans le couloir.

Après qu'Arthur - c'était le nom du secrétaire du Directeur – lui ait donné son emploi du temps et lui ait indiqué son chemin, la Sagittaire put enfin rejoindre sa première classe.

Étant en retard, Agathe se fit directement remarquer au cours nommé Planètes du système d'Ilios. Elle se fit toute petite en s'installant puis put enfin contempler cette salle de cours assez particulière. Il s'agissait d'un planétarium. Les élèves étaient tous assis sur des sièges inclinés. Leurs regards se portaient sur le plafond où apparaissaient des millions d'étoiles. Alors que le professeur donnait son cours, le plafond changeait, faisant voyager la classe à travers le système solaire auquel appartenait Astra. La blonde était éblouie. La tête dans la lune, elle ne suivait pas vraiment le cours en lui-même mais se contentait d'observer le ciel étoilé qui s'offrait à elle.

Le reste de la journée se déroula à peu près de même : Agathe allait de découvertes en découvertes, toujours aussi abasourdie par la beauté et la magie qui trônaient dans cette Académie. La Sagittaire resta dans son coin, ayant beaucoup de mal à sociabiliser avec ses camarades. Là où elle résidait avant, elle n'avait pas vraiment d'amis, ayant eu droit à des cours à domicile tout le long de sa scolarité. Son enfance a été marquée par la solitude. Cela avait fait d'elle une femme indépendante et plutôt solitaire. Mais elle pensait en arrivant ici qu'il était enfin temps de sortir de sa zone de confort.

Une semaine de cours passa. Alors que des groupes commençaient à se former chez les premières années, Agathe, elle, resta seule. Elle avait cédé à la facilité. Ses camarades la trouvaient un peu étrange mais ils ne lui prêtaient pas plus d'attention.

Durant la semaine, Agathe avait fait quelques achats par-ci par-là pour son appartement. Elle réalisa que la vie était plutôt chère à Xyph et qu'elle devait donc trouver un emploi, et vite. Dès mercredi, elle commença ses recherches après les cours. Elle déposait son CV un peu partout, ne cherchant pas un domaine en particulier mais seulement un job étudiant. Mais avec tous ces étudiants venant d'Astra toute entière, les jobs étudiants étaient vite pris.

Vendredi, une fois les cours terminés, Agathe repartit en chasse à l'emploi. Mais après trois fast foods et quatre magasins en tout genre, elle eut besoin d'une pause. Elle trouva un banc dans un parc sur lequel elle s'affala.

Soudain, un courant électrique traversa son crâne. Elle ferma les yeux un instant. Elle vit alors la façade d'un café-restaurant, le O'Bulle puis une femme à la trentaine qui courait de table en table et de table en cuisine pour servir les nombreux clients à l'heure pour dîner. La Sagittaire revint à elle. Elle avait lu vingt heures sur l'horloge du restaurant et il était dix-neuf heures trente. La blonde sourit instantanément. Il était l'heure d'aller donner un coup de main.

La jeune femme tapa O'Bulle dans la barre de recherche de son navigateur. Le café-restaurant se trouvait à quelques rues du parc et à quelques rues de chez Agathe. C'était une chance inespérée. Elle pressa alors le pas pour s'y rendre.

Elle arriva devant le restaurant. En observant un peu plus, elle remarqua que la cuisine faite ici était la même que celle faite là où elle avait grandi. Elle s'y sentit déjà bien. Quand elle entra, la femme qu'elle avait vu était déjà au four et au moulin. C'était une femme d'une trentaine d'années mais qui en faisait plutôt vingt. Elle était brune aux cheveux lisses, plutôt petite. Plus petite qu'Agathe en fait. Elle avait des yeux bridés et une carrure plutôt sportive. Agathe put aussi entrapercevoir le cuistot, ressemblant traits pour traits à la trentenaire, mais avec le double de son âge. Elle en déduisit que c'était probablement son père.

En la voyant plantée au beau milieu du restaurant, la serveuse vint vers elle en courant presque.

- Une table pour combien ?

- Ah non non, s'empressa de dire Agathe, je suis là pour vous aider.

La serveuse la regardait incrédule et semblait déjà perdre patience. Agathe ajouta en s'inclinant respectueusement comme elle le faisait là où elle vivait:

- Je suis étudiante, je cherche un emploi. Vous avez l'air un peu dépassée par la charge de travail, laissez-moi travailler ici s'il vous plaît, vous ne serez pas déçue.

La femme aux yeux bridés allait répliquer. Elle n'était pas du genre à accepter l'aide de qui que ce soit. Mais la marque de respect qu'avait montrée la Sagittaire lui fit comprendre que la jeune femme devant elle avait compris le code de conduite du restaurant. Elle dit alors :

- Va te changer, on parlera de tout ça plus tard.

Agathe ne se le fit pas dire deux fois. Elle obéit, souriant à pleine dent une fois que sa nouvelle collègue et responsable ne la voyait plus.

Le service d'Agathe prit fin vers vingt-trois heures. La blonde était exténuée mais heureuse. Elle avait déjà adopté cet emploi et s'était très bien débrouillée. Les bonnes odeurs qui émanaient de la cuisine lui rappelaient en plus son ancien chez-elle. Elle ne pouvait pas être plus à l'aise.

Une fois le ménage fait, la Sagittaire et sa manager s'assirent à une table. Le cuistot était déjà parti. Maintenant que le service était terminée, la trentenaire était beaucoup plus sympathique. Contrairement à l'étudiante, elle débordait encore d'énergie.

- Bon, il est temps de faire les présentations, tu ne penses pas ? Je m'appelle Koei. Je suis la fille des propriétaires de ce restaurant. Ce sont mes parents que tu verras en cuisine.

- Verras ? Répliqua immédiatement Agathe. Donc je suis prise ?

Cela fit rire Koei.

- Bien sûr. Mais doucement, commence par te présenter.

-Ah oui pardon. Je suis Agathe Green, étudiante de première année à l'Académie des Signes. Je viens d'arriver à Xyph.

- A l'Académie ? Koei sembla pensive un instant. Tu dois être une bonne élève.

Agathe avait du mal avec les compliments. Elle se contenta de sourire, mal à l'aise. Koei continua :

- Eh bien Agathe, tu tombes bien. Je ne travaille habituellement pas ici mais quand mes parents ont besoin d'aide je viens leur prêter main forte. Ils ont bien besoin d'embaucher quelqu'un en tant que serveur. Tu feras parfaitement l'affaire !

Les deux femmes se mirent d'accord sur les horaires ainsi que sur le salaire. À l'instant où elles eurent terminé, la petite cloche de l'entrée du restaurant tinta. Agathe, de dos à la porte vitrée se retourna mais ne vit personne, seulement la porte qui se refermait doucement. À ses chevilles, elle sentit alors quelque chose se frotter. Elle fut parcouru d'un frisson. Cela fit rire Koei qui se baissa pour attraper quelque chose qu'elle mit sur ses genoux.

Une petite tête apparue. Celle d'un Poochie. Les Poochies étaient des animaux de compagnie aux oreilles de lapin, aux corps de chiots et à la queue de poisson ressemblant à celle d'un poisson combattant mais à l'horizontale. Ils ne grandissaient pas beaucoup au cours de leur vie et vivaient entre quarante et cinquante ans. Celui qu'elle avait devant elle avait le corps d'un chiot de la race des Husky de notre Terre.

- Agathe. Je te présente mon Poochie. J'ai oublié de te dire que je suis Poisson. Je ne sais pas si tu sais, mais les Poissons ont tendance à lier des relations très profondes avec certaines créatures. Nous, les Poissons, avons une certaine facilité pour communiquer avec elles. Cela doit être lié à notre pouvoir de soin. Bulle et moi sommes inséparables. Et même si il n'en a pas l'air, il est très intelligent.

En entendant cela, Bulle fit mine de se vexer en lançant un regard accusateur à Koei. La Sagittaire les observait. Koei et Bulle. Quel drôle de duo. Bulle posa son regard sur elle puis approcha son museau, par dessus la table. Agathe put alors le caresser doucement. Koei masqua son étonnement. Bulle n'était pas aussi docile avec les inconnus d'habitude.

Alors que sa main frôla le pelage du petit animal, la blonde sentit des larmes lui venir au bord des yeux. Bulle la regardait toujours, avec une certaine tendresse. Koei, elle, ne comprenait pas. Elle posa doucement sa main sur celle de l'étudiante.

- De quel signe es-tu ma belle ? Demanda-t-elle.

- Sagittaire.

- Oh. Les Sagittaires ont une sensibilité différente du commun des Signes. Votre pouvoir est difficile à maîtriser. Puis il vous fait voir des choses qu'il vaudrait mieux parfois ne jamais avoir vues... Aurais-tu vu Bulle ?

- Non... Je suis désolée, je sais pas ce qui me prend. Je n'ai eu aucune vision de Bulle..., dit Agathe en essuyant ses yeux. Cela doit être un coup de fatigue et le soulagement d'avoir enfin trouvé un travail.

Koei hocha la tête et la regarda de façon compréhensive.

- Rentre chez toi. Demain, tu fais l'ouverture avec moi.

Sur ces mots et après l'avoir remerciée de tout son cœur, Agathe s'en alla, trop exténuée pour penser à tout ça.