38.1-Alex: Les archives
Lorsque je déboule en trombe, dans l'infirmerie; l'unique patient relève sa tête, dans ma direction. En le reconnaissant; je suis soulagé de constater qu'il ait repris connaissance.
La dernière fois que je l'ai vu; il se faisait massacrer par l'autre espèce de «Goliath» et n'était pas en état de répondre à mes questions.
Mais maintenant, il va y passer, à l'interrogatoire! Je veux savoir qui sont ces trois prisonniers tatoués. Et qui de mieux que celui qui s'est bastonné contre l'un d'eux, pour me renseigner?!
En parcourant subrepticement la salle, du regard, je constate qu'il doit y avoir beaucoup de passage, en voyant toute la neige boueuse répandue par terre.
Après l'avoir remarqué, cela me donne l'idée de génie de recouvrir mon matricule, à l'aide de cette boue, de manière à ne pas me faire démasquer, comme la dernière fois où je me suis improvisé enquêteur dans cette prison.
Une fois cela fait (sous le regard interrogateur de ma cible), je traverse la pièce, puis me place à proximité de son chevet. Le Réprouvé me darde un regard dédaigneux, avant de cracher:
-Qu'est-ce que tu me veux; le Déshonoré?!
-J'ai quelques questions à te poser.
En guise de réponse, il me fait un geste obscène, de la main.
Décidant de l'ignorer, je demande:
-Quel était le motif de ton altercation, l'autre jour?
Le réprouvé se gratte sa barbe de trois jours, avant de rétorquer crûment:
-Euh, attends, laisse-moi réfléchir... ah, oui, c'est ça! On voulait savoir lequel de nous deux allait épouser ta sœur; connard!
Je me doute bien qu'il me répond ça, par pur provocation; sans connaître quoi que ce soit de ma vie. Cependant, ma sœur étant morte dans un incendie criminel, j'accueille très mal cette remarque.
D'un coup sec; je le saisis fermement à la gorge, en le plaquant contre le sommier. Il tente vainement de se débattre, mais je le maîtrise aisément.
-Arrête! -Me supplie t-il, le souffle coupé.-
-Alors; ça te revient, maintenant?! Pourquoi vous êtes-vous battu?
Au moment où il allait me répondre; je suis interrompu par un Déshonoré, chargé de l'infirmerie, intervenant au secours du Réprouvé.
-Mais; que faites-vous?! Vous êtes fou! -Me sermonne t-il.-
Je me fige, essayant de reprendre mon calme; puis réponds au nouveau venu:
-Tout va très bien; ne vous en faites pas. J'allais partir, de toute façon.
Après être sorti de l'infirmerie; je déambule dans les couloirs, agacé de ne pas avoir eu les réponses que j'étais venu chercher.
Ma frustration, d'avoir été si près du but, colonise tellement mon esprit; que j'en oublie tout le reste: la réunion avec le chef; Bruno sanctionné... Néanmoins, je suis très vite rattrapé par la réalité, lorsque j'approche d'une intersection, au bout d'un couloir.
Obnubilé par mes pensées et essayant d'enlever la boue de mon matricule (histoire de ne pas paraître plus suspect que je ne le suis déjà, lorsque je retrouverai les autres); je ne vois pas arriver un Déshonoré. De plein fouet; je lui rendre dedans, cognant mon casque contre le sien tout en envoyant valser, le pauvre gars, quelques mètres plus loin.
Aussitôt, ne voulant pas admettre ma faute; je m'exclame:
-Tu ne pourrais pas faire attention, abruti?!
-Il n'y a vraiment qu'Alex, pour être d'aussi mauvaise foi! -Rétorque, alors, une voix familière.-
Ne m'attendant pas à la trouver ici, je reste cloué sur place, en reconnaissant la voix mélodieuse de Rosalie.
-Rose... Mais, qu'est-ce que tu fous là? -Je balbutie.-
D'une voix mal assurée, elle renchérit:
-Je te retourne la question.
À son intonation; je remarque que mon amie n'est pas comme d'habitude et qu'elle essaie de me dissimuler quelque chose. S'apercevant que sa manœuvre n'a pas l'effet escompté; Rosalie détourne le regard, trahissant ainsi sa culpabilité.
-Bon; et si tu me disais ce que tu me caches?! -Je finis par lui dire.-
-Excuse-moi; mais je suis un peu pressée, là! Alors si tu n'as pas d'autres questions à me poser, je retourne vaquer à mes occupations!
Sans me laisser le temps de répliquer quoi que ce soit; je vois mon amie s'éclipser d'un pas vif.
Après deux secondes de réflexion; je ne peux résister à l'envie de la suivre. En un rien de temps, je parviens à la rattraper.
Sachant pertinemment qu'elle n'apprécierait pas ma curiosité; je me dissimule discrètement derrière les colonnes en pierre, disposée en deux rangées parallèles, tout au long du couloir.
À de multiples reprises, je la vois se retourner. Je devine qu'elle me soupçonne (à juste titre) de la suivre. Elle est ma meilleure amie, ce qui signifie qu'elle me connaît mieux que personne. Je dois redoubler d'ingéniosité et de discrétion pour ne pas me faire repérer.
Au bout de plusieurs minutes de marche; je la vois s'arrêter devant une grande porte en bois, à double battant. Je remarque la présence d'une pancarte, indiquant «cantine des officiers supérieurs».
Mon incompréhension et ma surprise me laissent stoïque.
En posant sa main sur la poignée de la porte; Rosalie jette un dernier regard en arrière. Rapidement, j'essaie de retirer ma tête, de son champ de vision; mais, malencontreusement, mon casque se heurte à la colonne en pierre. Le bruit de la collision se répercute en écho, dans le couloir.
Je sais, de suite, que ma couverture est mise à nue.
-Alex; je te jure que si tu m'as suivi, tu vas amèrement le regretter!
L'intonation, prise par Rosalie, se voulant être menaçante; n'étant pas crédible une seconde; je ne peut me retenir d'éclater de rire. Tout en sortant de ma cachette; je lui lance d'un ton taquin, en lui désignant, d'un signe de tête, la porte qu'elle s'apprêtait à ouvrir:
-Tu t'embêtes pas, dis-moi!
Je l'entends pousser un profond soupir d'exaspération; ce qui m'encourage à poursuivre mes sarcasmes.
-La cantine des officiers supérieurs; carrément! T'as l'intention de faire carrière ici?! T'aurais pu nous mettre au courant!
-Ferme-la, Alex! Tu ne comprends rien!
-Justement, c'est pour ça que je suis là! Afin d'avoir quelques explications!
Rosalie ouvre à peine la bouche; que la porte de la cantine s'ouvre à la volée, révélant la silhouette élancée du Commandant-en-Chef (également reconnaissable par les galons qui décorent son plastron, autour de son matricule).
-Matricule 64210; quel plaisir de vous compter dans nos rangs! Nous n'attendions plus que vous!
J'ai l'impression de recevoir une gifle, lorsque j'entends cette phrase. J'aperçois mon amie me jeter un rapide coup d'œil, essayant d'évaluer ma réaction (même si mon casque l'en empêche).
Le regard de notre supérieur hiérarchique se pose alors sur moi. D'un ton, mêlant curiosité et condescendance, il me demande:
-Que faites-vous ici, matricule 26422?
À la hâte, je cherche une réponse adéquate; mais, l'effluve nauséabonde du tofu fermenté, se dégageant de leur cuisine, ne parvient qu'à me faire trouver celle-ci:
-Moi?! Oh, euh... rien. Je cherchais juste les chiottes! Je me suis laissé guider par l'odeur, mais visiblement, ça n'a pas l'air d'être ici!
Je vois, par les deux fentes du casque, le regard outré du chef.
Ce dernier, néanmoins, s'empresse de reprendre contenance et me répond sèchement:
-Non, effectivement, ce n'est pas ici! Je vous conseillerai de consulter un spécialiste, pour guérir vos problèmes olfactifs.
-Et moi; je vous recommanderais fortement de réaliser un contrôle sanitaire, au sein de vos cuisines!
Comprenant que ma présence n'est pas désirée; je lance un dernier regard désapprobateur à Rose, avant de m'engouffrer dans le long couloir ténébreux par lequel je suis arrivé.
Sur le chemin du retour, je ne peux m'empêcher de ressasser cet épisode. D'innombrables questions tournent en boucle dans mon esprit: «Qu'a donc fait Rosalie, pour être ainsi promue?» «Pourquoi a t-elle fait cela?» «Qu'a t'elle, donc, derrière la tête?»
Je suis tellement troublé par ce mystère, que je ne vois pas le trajet passer. Je me retrouve devant la cafétéria, de nous autres; les «simples» Déshonorés; sans avoir pu apaiser mon indignation.
Directement; je retrouve Clara (que je reconnais grâce à son matricule: 12428); installée négligemment, à une table, dans un coin. Se balançant sur sa chaise les jambes étendues sur la table, la tête reposant contre le mur. Il ne lui manque plus que le cigare à la main pour qu'elle ressemble, à s'y méprendre, au parrain de la mafia.
C'est à ce moment que je me rends compte du résultat déplorable de mon influence, à son égard. Elle qui ne manque pas d'élégance et de charme; tous ces atouts sont généralement vite négligés en raison de l'attitude nonchalante que je lui ai transmis.
Ce n'est pas pour me déplaire, même si je dois reconnaître que c'est dommage. Si Rosalie était là...
En repensant à elle; toute ma rancœur remonte; oubliant à ce que je pensais juste avant. Je prends le premier siège, qui me vient sous la main et m'affale dessus. Clara retire ses jambes de la table et me lance:
-T'as l'air aussi crevé que moi! Vas-y, raconte! Qu'est-ce que t'as découvert?!
D'une traite, je lui relate mon passage à l'infirmerie, suivi de ma rencontre inattendue avec Rosalie, son attitude étrange qui m'a poussé à la suivre et ma découverte sur sa promotion. À la fin de mon récit; Clara pousse un soupir blasé et laisse tomber sa tête en arrière, contre le dossier de la chaise.
-J'espère qu'elle ne nous prépare pas un coup foireux! -Je me surprends à dire.-
Clara se redresse instantanément, en s'indignant:
-Comment tu peux penser un truc pareil?! Rose à des méthodes plus circonspect que les nôtres; ça ne veut pas dire qu'elle va nous tourner le dos! C'est notre amie et je sais que jamais elle ne ferait un truc pareil!
Je regrette immédiatement d'avoir dit ça, ainsi que d'avoir eu ce doute. Je suis entièrement de l'avis de Clara. Alors que je m'apprête à m'excuser, Clara me plaque une main sur la bouche, croyant (à tort que j'allais défendre mon hypothèse.
-Non, Alex! Je ne veux pas discuter d'avantage de ce sujet! J'ai une confiance totale en Rosalie et je ne reviendrai pas dessus!
Soudain; Bruno déboule tel un bolide, dans la cafétéria; faisant, au passage, voler en éclat une pile d'assiettes, dans sa précipitation.
-Je les ai trouvées! Je les ai trouvées! -Hurle t-il, ignorant complètement les dégâts occasionnés.-
Tout le monde se retourne sur lui, mais je ne suis même pas sûr qu'il s'en rende compte.
Le catcheur, dans son euphorie, s'empresse de prendre la première chaise qui lui tombe sous la main. Trop excité; il ne s'aperçoit pas que l'un des pieds de la chaise est littéralement chancelant, et se vautre dessus, ne tenant pas compte de nos tentatives pour l'avertir.
Comme il fallait s'y attendre, dans un fracas rocambolesque, Bruno se retrouve par terre, provoquant l'hilarité générale.
Il se relève, en se frottant le coude, maugréant contre tous ces rires dédaigneux. Après s'être procuré une nouvelle chaise (en s'étant assuré, cette fois-ci, de sa solidité), Bruno prend place à notre table, essayant de faire abstraction des derniers regards railleurs dans sa direction.
Quelques instants plus tard, les conversations reprennent peu à peu, dans la pièce; faisant oublier l'incident burlesque qui vient d'avoir lieu.
-Alors; qu'as-tu déniché? -Je lui murmure, suffisamment fort pour qu'il entende, au milieu de ce brouhaha.-
Bruno se penche en avant en me chuchotant:
-J'ai trouvé les infos qu'on cherchait! On va bientôt pouvoir se tirer de cet endroit pourri!
Je le regarde, stupéfait.
-Désolé, mais va falloir que tu sois plus précis! Quelles infos as-tu trouvé?
-BAROX, VOYONS! -S'emporte t-il, comme s'il s'adressait à un enfant complètement à l'ouest.-
Surpris par cette exclamation; certains Déshonorés se tournent dans notre direction.
-Moins fort! -Lui intime Clara.- À force de crier son nom sur tous les toits; on va finir par se faire repérer! Dorénavant on a qu'à l'appeler autrement!
-Ah ouais; et tu veux qu'on le surnomme comment? «Le frère de l'autre raclure de Kerskor»!
-En fait, j'avais plutôt pensé à quelque chose qui ressemblerait à son prénom, sans que qui que ce soit puisse faire le rapprochement. Un truc du style... «Balou» ou un nom de ce genre.
-Balou... -Répète Bruno, d'un air ahuri.-
Le cœur battant, par l'excitation; je m'empresse de lui demander des détails sur ses découvertes; mettant fin à leur chamaillerie ridicule:
-Où ça? Quand? Comment? Et Quelles infos?!
Apparemment ravi, des questions que je viens de lui poser; Bruno se hâte de raconter son récit:
-Alors, voilà; après avoir fini mes corvées de cuisine, le contremaître m'a envoyé faire le ménage aux archives!
-Aux archives? -Questionne Clara, intriguée.-
-C'est ça! Il s'agit d'une pièce secrète essentiellement réservée aux officiers supérieurs!
-Mais si elle est secrète et réservée aux officiers supérieurs; pourquoi le contremaître t'a envoyé là-bas?!
Bruno pousse un énorme soupire, démoralisé, puis bougonne:
-Parce qu'il y avait du rangement à faire, dans cette maudite pièce! Le contremaître m'a alors chargé de cette tâche, sous son étroite surveillance! J'ai cru que ça n'en finirait jamais!
Clara lâche un petit rire amusé. Pour ma part, je préfère rester concentré sur l'objectif principal:
-OK; pour en revenir à Barox... (J'aperçois le regard empli de remontrance, de mon amie), Désolée, Clara; mais il est hors de question que je l'appelle par ce surnom ridicule!
-Comme tu voudras. Mais je vous aurai prévenu. -Maugrée celle-ci, insatisfaite.-
-En clair, -reprend Bruno-, cette salle contient des dossiers sur chaque prisonniers, coffrés à Fengrad! Le contremaître étant sur mon dos; je n'ai pas pu m'y attarder. Cependant, de ce que j'ai pu constater, ces dossier contiennent, en général, le motif des incarcération, la biographie des détenus, le numéro de leur cellule...
Tel un déshydraté qui est parvenu à trouver une oasis, au milieu du désert; je reste figé, la bouche entrouverte; tant je n'en crois pas mes oreilles.
-Attends deux minutes?! Tu as bien précisé «le numéro de leur cellule»...
Je retiens mon souffle, espérant avoir bien entendu; alors, quand je vois Bruno opiner du chef, mon cœur explose de joie! Nous allons, enfin, pouvoir trouver Barox et mener à bien notre mission!
-Où se trouve cette salle? -Je demande, surexcité.-
-Dans l'une des tours, dans la cour. Il s'agit de la tour nord.
-Rose est devenue une officier supérieure; on pourrait peut-être lui demander de...
D'un geste de la main, je coupe Clara, dans sa suggestion et renchéris d'un sourire malicieux, qu'elle ne peut malheureusement pas voir:
-Au contraire. On va se passer de ses services. Elle a ses petits secrets; nous allons avoir les nôtres.
Bruno nous regarde tour à tour; n'étant pas au courant pour la promotion de Rosalie. Ni Clara, ni moi, ne daignons lui donner la moindre explication.
-D'accord, j'adhère à ton idée. -Répond Clara.- Mais uniquement parce que ce que l'on s'apprête à faire va à l'encontre du règlement et que j'adore braver l'interdit. En revanche, avoir des secrets pour ma meilleure amie, ne me convient pas du tout!
-Alors tu le lui révéleras, une fois que nous aurons accomplis notre projet; pas avant.
Satisfaite de ma réponse, elle acquiesce. Puis, comptant les dernières heures, avant le coucher du soleil, nous discutons du stratagème que nous allons mettre en place, mais également de la joie indescriptible que nous ressentons unanimement de voir enfin l'épilogue de cette maudite mission.
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