35.1-Alex: Fengrad, la prison des Gardiens
Au préambule de l'aurore; mes yeux fixent intensément la couleur ambrée du ciel matinal. Étonnamment, le vert sombre des sapins qui caressent les nuages, à l'horizon; se fondent à merveille, au milieu de ce paysage idyllique.
J'en suis sûr; un décor aussi esthétiquement parfait, parviendrait, par son infini splendeur, à inspirer bon nombre d'artistes.
Raison de plus, qui me pousse à me sentir privilégié, d'en être l'unique témoin. Cela me permet de positiver un peu, sur l'interminable nuit blanche que je viens d'endurer. D'innombrables heures, pendant lesquelles je n'ai eu de cesse de tourner en rond, à l'intérieur de mon sac de couchage incommensurablement étriquant . (L'inconvénient d'être trop musclé, je suppose!)
Détachant mon regard du ciel, afin d'éviter d'être aveuglé par les premiers rayons du soleil; je me retourne vers mes amis, toujours profondément endormis. En ce qui concerne Rosalie et Clara; je me demande, d'ailleurs, comment elles font? Les ronflements pharamineux, de Bruno et Gunnar, sont aussi tapageurs qu'un bataillon d'éléphants faisant la course avec une locomotive à vapeur.
Bruno, tellement agité dans son sommeil, se dépêtre de son duvet et inconsciemment, finit même par administrer, à Gunnar, un coup-de-poing en pleine figure. Ce dernier, après s'être réveillé tout de go; fait un saut carpé magistral, en brandissant sa corne de brume. Sans hésiter, il souffle dedans, produisant un bourdonnement épouvantable, m'intimant de me boucher les oreilles. Les filles se réveillent en sursaut. Bruno, lui, ne semble même pas se rendre compte du vacarme.
-L'ennemi attaque! -S'époumone Gunnar, totalement en transe.- On m'a lâchement frappé, pendant que je dormais! Dégainez vos armes, recrues! Mon agresseur ne doit pas être loin!
Rosalie, encore endormie, demande à Clara, d'un air somnolent:
-Qu'est-ce qui se passe?
-T'inquiète pas, tu peux te rendormir! C'est juste le général Maboul, qui nous pique l'une de ses crises!
J'esquisse un sourire amusé.
Après lui avoir expliqué ce qu'il s'est passé; le viking calme ses ardeurs. J'ai même l'impression de déceler une pointe de déception, dans son regard.
D'un air aigri, il observe Bruno, toujours dans les bras de Morphée. Brusquement, Gunnar lui délivre un fulgurant coup-de-pied, à l'estomac, en beuglant:
-Allez; lève-toi, espèce de benêt!
Malgré ses lunettes de soleil, je devine la totale incompréhension que doit afficher le regard de Bruno.
Après quelques secondes, à tenter d'intégrer ce qu'il vient de ce passer; Bruno se lève lentement et toise, de toute sa hauteur, le viking.
-TU M'AS FAIT QUOI, LÀ?! -Lui hurle t-il, en le saisissant par les épaulières et en le décollant du sol.-
Sans réfléchir, Rosalie et Clara interviennent, avant que les choses ne s'enveniment. Personnellement, une petite bagarre matinale ne m'aurait pas dérangé; mais bon, apparemment je vais devoir m'en passer. J'entends Rosalie énoncer l'une de ses innombrables remontrances, dont elle a le secret et qui a toujours eu le don de m'amuser:
-Sérieusement, vous n'avez pas honte?! Si l'on commence à se battre entre nous, autant retourner voir les Divinités, pour qu'elles nous liquident; ce sera plus vite fait! Gardez toujours à l'esprit que la cohésion est la clé du succès, pour n'importe quel groupe!
Gunnar la regarde, bouche bée; avant de demander dédaigneusement à Bruno, qui le repose au sol:
-Vous me l'avez déniché où, cette prédicatrice?!
-Eh, personne ne parle de ma copine, avec autant de désinvolture! -S'indigne Clara, excédée.-
Lorsque, nonchalamment, j'ose m'approcher; comme je m'y attendais, Rosalie m'apostrophe:
-Merci beaucoup pour ton soutien!
-Il n'y a pas de quoi!
Après cette brève altercation; nous remballons nos affaires et poursuivons notre trajet. Des heures durant, pareillement à la veille, nous marchons sans marquer de pause. Gunnar, catégorique sur ce point, n'accepte aucune doléance.
Derrière moi, j'entends Clara, à bout de souffle, se plaindre qu'elle n'a plus d'eau dans sa gourde et récrimine les manières de faire du viking. Celui-ci n'en a que faire. Cependant, en me retournant vers elle, je m'aperçois que Bruno lui a remis sa propre gourde; puis, comme lors de l'épisode du désert, il décide de la porter sur son dos.
-Ça devient une habitude, dit-moi! -Je lance, pour le tanner.-
Il ne m'accorde pas un regard, préférant se concentrer sur la côte gigantesque qui se dresse devant nous. Cette montée semble interminable. Mes mollets et mes cuisses me tenaillent tellement, que je commence à ressentir des crampes.
-Où allons-nous? -Demande Rosalie, essoufflée.-
-Nous contournons la montagne. Là-haut, un gars nous attendra, avec les masques des Déshonorés.
-Celui à qui tu as envoyé un message, hier matin? -Déduit Clara.-
-Tout à fait.
Plus nous nous rapprochons du sommet, plus le froid s'accentue. Je commence à ressentir une légère migraine, à l'arrière de la tête; mais je préfère l'ignorer.
-Alex, attends! -M'interpelle Rosalie.-
Je me retourne et aperçois Bruno plié en deux, se tenant à une paroi. Clara est descendue de son dos et affiche une mine inquiète.
-Qu'est-ce qu'il a? -Je m'enquis, en m'approchant de lui.-
-Je crois que c'est le mal des montagnes. -Explique Rosalie.- L'altitude lui provoque des nausées. Ce ne serait pas une bonne idée, qu'il poursuive cette expédition. Il doit redescendre.
-Non; je ne veux plus bouge...
Bruno n'a pas le temps de terminer sa phrase, qu'un jet nauséabond se dégage de sa bouche. L'odeur pestilentielle, qui en résulte, accroît mon mal de crâne de façon considérable. Immédiatement, Clara se couvre le nez, avec son pull.
-Bon; ça va mieux, maintenant que c'est sorti? -Je demande, en lui donnant une tape dans le dos.-
Derechef, il rend tripes et boyaux; au point d'en éclabousser sur mes chaussures. J'entends Clara pousser un gémissement de dégoût. Quant à moi; je trouve la force de lâcher un juron.
-Où est Gunnar? -S'enquit soudain Rosalie.-
-M'en fous! -Rétorque Bruno, en se laissant tomber, par terre.-
Je scrute les alentours et constate, avec consternation, que cette fripouille nous a lâché!
Tout à coup, d'énormes ronflements retentissent. En reportant mon attention sur Bruno, je me rends compte qu'il s'est endormi. La puissance de ses grondements m'alertent:
-Mais il va finir par déclencher un avalanche, ce con!
Je le prends par les épaules, et le secoue plus ou moins vigoureusement; avant que Rosalie n'intervienne:
-Attends! Ces assoupissements soudains sont un autre des symptômes du mal des montagnes! Au même titre que la migraine, la nausée ou le manque de volonté!
-Comment tu sais tout ça, toi? Je demande, intrigué.-
-Disons que mes parents m'ont amenée en vacances, à la montagne, quand j'étais petite. Mon père a ressenti ce mal et ça a été, pour moi, un moment marquant. J'ai, par la suite, fait quelques recherches et ai donc développé quelques vagues connaissances, sur le sujet.
Surpris par une telle information; je reste bouche bée. Moi qui pensais tout savoir de Rosalie et Clara; je promets de m'intéresser d'avantage à elles, à l'avenir.
-Quand je pense que l'autre abruti nous a laissé tomber! -Je bougonne, furieux envers Gunnar.-
-De quel abruti parles-tu; ergi¹? -Tonne une voix, dans mon dos.-
En me retournant, je me retrouve nez à nez avec le viking. Ne l'ayant pas entendu atterrir, je ne peux cacher ma surprise, oubliant de lui demander la signification du terme «ergi».
Derrière lui, j'aperçois un Farfadet qui peine à descendre de son dahu. Le voir secouer les jambes, dans le vide, tout en s'accrochant à la selle de son animal, est une scène que je trouve particulièrement cocasse.
Pour éviter de devoir donner une réponse à Gunnar, je projette d'aller donner un coup de main au petit homme, malheureusement; je suis devancé par Rosalie et Clara. Comme pour accroître le malaise, le viking réitère sa question:
-Alors; à quel abruti faisais-tu référence?
Décidant de jouer le tout pour le tout, d'une voix mal assurée; je réponds franchement:
-Ben; comment dire ça poliment, sans provoquer de polémique?! OK, alors pour ne rien vous cacher, en fait; je parlais de vous...
-Pardon?!
Il plisse son œil valide, en rapprochant son visage du mien. Je peux sentir son haleine avinée, qui m'étourdit. Heureusement pour moi; le Farfadet, d'un sifflement entre ses doigts, attire l'attention.
-Bien, écoutez-moi! Je m'appelle Ventes-Aux-Enchères. Là dedans, se trouve vos casques; indispensables pour vous faire passer pour des Déshonorés.
Il désigne une sacoche, accrochée à la selle de son animal.
-Mes pouvoirs de Farfadet m'ont permis de doter ces casques d'un pouvoir de Métamorphose.
-C'est à dire? -Questionne Rosalie.-
-Si vous allez comme ça, à Fengrad; les prisonniers et les Déshonorés s'apercevront que vous n'avez pas d'ailes ou bien que vos ailes sont intactes (le Farfadet me regarde subrepticement, en énonçant cette partie-là). Mais pas d'inquiétude; ça n'arrivera pas!
Ventes-Aux-Enchères fait des gestes grandiloquents, tel un commerçant voulant absolument vendre son produit.
-En effet, à l'instant-même où vous enfilerez ces casques; le pouvoir, que je leur ai attribué, vous donnera l'apparence de Gardiens ayant eu les ailes coupées.
-Comme si on avait subi l'Ablation, en somme?
-Tout à fait! Tant que vous conserverez vos casques, personne ne s'apercevra de la supercherie.
Clara s'empresse d'aller prendre le sien, dans la sacoche. Elle en ressort un magnifique casque en bronze; identique à ceux qu'utilisaient les Spartiates pour aller au combat.
Sans attendre, elle l'enfile. Lui couvrant la totalité du visage (hormis les yeux, apparaissant au travers de deux malheureuses fentes), notre amie est devenue complètement méconnaissable. Soudain elle pousse un léger gémissement, en se recroquevillant.
Des craquements nauséeux retentissent, avant que n'apparaisse progressivement une paire d'ailes fragmentées, tranchées net.
-Alors; comment me trouvez-vous? -Demande t-elle, en tournant gracieusement sur elle-même; comme pour l'essai d'une robe de mariée.-
Nul besoin de mot. Tout ce que Clara revêt; Clara l'embellit. Malgré que son visage rayonnant soit dissimulé, elle parvient à conserver sa beauté naturelle.
Les rayons du soleil font chatoyer les teintes dorés et ébènes, de son casque; donnant plus de splendeur à la perfection de sa silhouette élancée qui se meut avec la légèreté d'un félin, ainsi que son ombre dansant sur les parois rocheuses suffisent à éblouir nos regards émerveillés.
Elle improvise une chorégraphie; faisant tournoyer la poussière autour d'elle. La voix gutturale de Gunnar, nous coupe, dans notre contemplation:
-Cesse de parader! Ce n'est ni l'endroit, ni le moment; skjaldmö²! Tu auras tout le temps de danser pour nous, lorsque nous rejoindrons le Valhalla!
Derrière moi, j'entends Bruno bougonner; certainement furieux par ce que le Viking vient de dire à Clara. Cependant, l'ancien catcheur parvient à se contenir (soit parce qu'il sait que nous avons besoin de Gunnar ou simplement parce qu'il a les foies).
Chacun notre tour allons prendre notre masque, dans la sacoche.
-Voilà qui vous va à merveille! -Se réjouit le Viking, avec un immense sourire.- Ça vous rend plus farouche!
Il fait une chaleur étouffante, à l'intérieur. Je sens déjà des gouttes de sueur perler sur mon front. À ce moment, Je réalise que nous allons devoir garder ça, sur la tête, pendant tout notre séjour à Fengrad. «Ça va être intenable!», je me dis.
Mes amis et moi, nous regardons tour à tour, examinant l'allure que cela nous donne. Brusquement, comme pour Clara il y a quelques instants, nous sommes saisis d'une vive douleur au niveau des omoplates.
Nous laissons échapper des gémissements rauques, exprimant la douleur ressentie par surprise. Je vois des fragments d'ailes pousser sur le dos de Bruno et Rosalie. J'entends Clara s'écrier:
-Alex! Tes ailes... Elles rétrécissent!
Cette géhenne est si insoutenable, que je ne réalise même pas que Clara vient de me parler de mes ailes. Lorsque ses mots finissent par parvenir à mon esprit, j'en déduis que ça doit faire partie des pouvoirs que le Farfadet a attribué aux casques.
J'ai l'impression que l'on me retire sauvagement les omoplates à l'aide de pinces. Mes yeux sont embués de larmes, que j'essaie de retenir au maximum. À ce moment, Je suis heureux que le casque dissimule mon visage. Je n'aurais pas aimé que mes amis me voient dans un tel état de souffrance et de vulnérabilité; bien que leur situation ne semblent pas plus enviable que la mienne.
Lorsque la douleur s'atténue et que nous commençons à nous remettre de nos émotions; Gunnar déclare:
-Parfait! Maintenant que, ça, c'est fait; on peut reprendre la route!
Face à moi; j'entends Rosalie me murmurer, d'un air implorant:
-Il déconne, j'espère?!
C'est indéniable que nous sommes encore lessivés, par ce que nous venons de subir; mais je devine que ce n'est pas le problème du Viking.
Il a pris sa décision et rien ne le fera changer d'avis. D'un signe de tête, je réponds «non» à mon amie, lui confirmant ses pires craintes.
Quelques minutes plus tard, après avoir fait nos adieux à Ventes-Aux-Enchères; nous nous remettons en route. Traversant les plaines, escaladant les parois, coupant à travers de multiples sentiers; la marche semble interminable. Mes mollets sont, à nouveau, en feu. Je vois mes amis littéralement épuisés.
Heureusement que nous avons retiré nos casques; sinon je n'ose imaginer le calvaire que ça aurait été. Après plusieurs heures lancinantes de marche; néanmoins; le viking nous contraint de les remettre. Derechef, nous subissons cette torture de métamorphose d'ailes. Tentant de passer outre notre épuisement, nous suivons Gunnar.
Après un virage très prononcé, au cœur d'un sentier particulièrement étroit; une gigantesque bâtisse en pierre nous apparaît, sur la crête de la montagne en face de nous.
-On y est! -Déclare Gunnar, en se frottant les mains.-
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(1) Ergi est une insulte très vulgaire, en vieux norrois, mettant en avant le manque de virilité d'un homme.
(2) skjaldmö est un terme, en vieux norrois, désignant une jeune femme guerrière.
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