34-Rosalie: Gunnar, le viking
Étant profondément endormie, je fais un bond de trois mètres, lorsqu'un vacarme épouvantable retentit. S'ensuit un énorme «BOUM», faisant s'envoler les oiseaux de leurs arbres.
Ne m'expliquant pas ce qu'il se passe, je regarde autour de moi; complètement abasourdie. C'est alors que j'aperçois Bruno par terre. «Il est certainement tombé de son hamac; provoquant cet énorme «BOUM», me dis-je.
Quant à Alex et Clara; depuis leur hamac respectif, ils affichent la même expression déconfite que moi.
Une voix bourrue s'exclame soudainement:
-C'est eux, les morveux dont tu m'as parlé?!
-En effet. -Répond Sibylle, d'un air gênée-
Malgré que le jour ne se soit pas encore levé; je remarque la présence d'un homme borgne, à l'allure rustre.
L'armure qu'il revêt ainsi que ses grandes ailes en inox me font déduire qu'il s'agit d'un Gardien.
En observant mieux ce dernier; je comprends mieux le tohu-bohu qui nous a brutalement sorti de notre sommeil: entre ses mains, l'individu tient une gigantesque corne de brume.
-Allez, debout; bande de feignasses! -S'écrie t-il, en agitant les bras avec grandiloquence.-
En m'extirpant de mon hamac; j'entends Clara ruminer:
-Mais qu'est-ce que c'est, encore, que ce zouave!
L'odeur avinée, que dégage ce Gardien, me confirme mes soupçons: sa sobriété a été forcée de prendre congé, prématurément.
-Je vous présente Gunnar, le viking. -Annonce solennellement Sibylle.- Il se chargera de vous escorter à Fengrad. Il a d'ailleurs une histoire très relative avec...
-C'est ça, c'est ça! -Coupe impoliment Gunnar; en secouant frénétiquement la main, pour faire taire l'Enchanteresse.- Comme vous venez de l'entendre; c'est moi qui suis assigné à la contrainte de devoir vous emmener là-bas!
Sans retenu; il se racle la gorge, avant de cracher un énorme molard, par terre. Puis; comme si de rien n'était, il reprend:
-Alors écoutez-moi bien, les gosses; Fengrad est l'un des endroits les plus dangereux de Zibaë, quand on y est pas préparé. La charmeuse, là...
Sibylle lui lance un regard courroucé, n'appréciant guère le terme, par lequel il l'a appelé. Cependant, Gunnar; la désignant grossièrement à l'aide de son affreux doigt boudiné et crochu; ne la remarque même pas.
-...m'a expliqué votre problème. Vous vous êtes attirés les foudres de l'autre espèce d'attardé, qu'est Kerskor, c'est bien ça?! On va s'adorer, entre hors-la-loi.
Au fond de moi; je commence à douter du réseau professionnel de Sibylle.
La dernière fois, elle nous a présenté Connor (le cowboy autoproclamé ennemi public numéro un) et maintenant elle nous remet entre les mains de cet espèce d'ivrogne-viking, incapable de parler autrement que s'il s'adressait à une assemblée de sourds.
Gunnar désigne la cicatrice qui lui traverse verticalement le visage, passant par son œil en moins.
-Ça, les jeunes; c'est cette Divinité à la noix, qui me l'a infligée.
-Pour quelle raison? -S'enquit Clara, encore à moitié endormie.-
-Peu importe. -Réplique Gunnar, avec une grimace.- Ce que je veux dire; c'est que j'ai, moi aussi, de très bonnes raisons de le haïr! On est dans le même camp et je vais vous aider, autant que je le pourrai!
Voilà un détail qui a le don de nous rassurer un peu et de nous faire oublier légèrement cette première impression désastreuse que le viking vient de nous faire, par son entrée aussi fracassante qu'un buffle.
-D'accord! Alors, pour commencer, dites-nous tout ce que vous savez, sur Fengrad.
Gunnar affiche un léger sourire malsain, en réponse à la demande d'Alex. L'intonation employée par mon ami est si farouche, que je suis soulagée qu'il n'ait pas de couteau à porter de main.
Je subodore fortement qu'il n'a vraiment pas apprécié le réveil à la corne de brume. Rien que d'y penser, je ne peux m'empêcher de pouffer discrètement, en simulant un éternuement.
-Pas de problème! -S'exclame le viking, visiblement ravi de se sentir indispensable.- Mais avant toutes explications; j'ai besoin d'un petit remontant!
Le Gardien extrait, de son imposante ceinture de cuir, une grosse gourde (également en cuir); dont il s'empresse d'emmener le goulot à ses lèvres.
Une fois rassasié, il s'essuie la bouche d'un revers de main; puis, laisse échapper un énorme rot.
Tout en se couvrant le nez (dû à l'odeur causée par ce renvoie), Clara ne peut contenir une exclamation de dégoût, face à cette scène
-Pouah! Mais c'est un porc, ce mec!
Amusée par sa réaction, je ne peux m'empêcher de renchérir:
-Pourtant, avec Alex, tu as été à la bonne école; ça ne devrait donc pas te choquer...
-Non, mais... Qu'est-ce que ça veut dire?! -S'indigne l'intéressé; provoquant l'hilarité de Clara.-
Reportant, à nouveau, mon attention sur Gunnar; je désigne la gourde, en demandant intriguée,:
-Je vais certainement regretter ma question, mais qu'y a t-il à l'intérieur?
-De l'hydromel; colombelle! -Répond poétiquement Gunnar.- Mon glorieux peuple en raffolait, à l'époque! Le tout accompagné d'un peu de jusquiame noire; c'est excellent!
-Tu ne devrais pas consommer des plantes toxiques, telle que la jusquiame, Gunnar. -Recommande Sibylle.-
Le viking la toise hautainement, à l'aide de son unique œil.
-De quoi elle se mêle; la piailleuse de louanges soporifiques?! Avant de donner des conseils oiseux; écoute-toi chanter, on dirait une...
Avant que la situation ne s'envenime, je décide d'intervenir:
-Bref; pour en revenir à Fengrad...
-Ah, oui; c'est vrai! -S'écrie le viking, toujours avec cet enthousiasme excentrique.- Alors, premièrement; Fengrad se trouve sur les montagnes, à la frontière du territoire des Disparates. Cette prison est surveillée uniquement par des Gardiens ayant subi l'Ablation. On les surnomme les Déshonorés.
-Qu'est-ce que l'Ablation, au juste? -Demande judicieusement Alex.-
Il est vrai que, pour l'instant, personne ne nous a vraiment répondu. Voilà pourquoi, attendant impatiemment ses explications, je m'accroche attentivement aux lèvres du viking, quand soudainement, celui-ci empoigne son épée, depuis son fourreau et répond à Alex, d'une voix alcoolisée:
-File moi tes ailes; je vais te montrer!
Alex hausse les sourcils, d'un air de défi en s'avançant vers le viking. Sibylle s'interpose entre eux deux, pour tempérer la situation:
-Ça va; je crois qu'ils ont compris, Gunnar!
L'intéressé, déçu de ne pas pouvoir impressionner le groupe par ses prouesses d'épéiste, rengaine son arme.
-Bon; que devons-nous savoir d'autre, sur cette prison?
-Deux minutes! Faut que je boive un coup; pour me remettre de mes émotions!
À peine a t-il ressorti sa gourde, que Sibylle, d'un bond, la lui arrache des mains, en le réprimandant:
-Tu as assez bu comme ça!
Gunnar, titubant, regarde l'Enchanteresse dédaigneusement; avant d'éructer sans un semblant de retenu.
-OK, les mioches... -Reprend difficilement le guerrier vétéran.- Ce que vous devez savoir sur Fengrad; et particulièrement toi (il désigne Alex, du doigt); c'est que cette satané prison neutralise les pouvoirs de Gardiens, nous rendant complètement vulnérables!
-C'est rassurant! -Intervient Clara, avec un sourire.- Au moins, ça limite les évasions.
-Les Divinités sont-elles immunisées contre cette restriction?
La question d'Alex fait sourire le viking.
-Aucunement. Lorsqu'elles pénètrent dans cette prison; c'est l'un des rares cas où les Divinités deviennent nos égales. Voilà pourquoi elles évitent de s'y rendre...
-C'est pour ça que Kerskor nous a refilé le sale boulot, d'aller chercher son frangin!
Gunnar explose de rire gutturalement, avant de nous gratifier d'un «compliment»:
-Vous avez tout compris, les gosses! Je crois vous avoir sous-estimé; vous semblez être moins stupide que vous en avez l'air!
Face à une telle réflexion, je ne peux me retenir de rétorquer, le plus discrètement possible:
-C'est là que semble être toute la différence entre vous et nous!
-RÉPÈTE UN PEU!!! -S'indigne le viking, en brandissant derechef son épée.-
Raté! J'aurais préféré qu'il ne m'entende pas. Bref. Consciente des répercussions que risque d'engendrer mon arrogance, je resserre ma vigilance, toujours aussi méfiante face à cet individu.
C'est alors qu'un pigeon, déboulant depuis le fin fond de la forêt, fonce tel un boulet de canon, puis vient s'emplafonner droit dans l'arrière du crâne du viking.
Ce dernier lâche un hurlement rauque, tournant la tête dans tous les sens, afin de voir ce qui l'a percuté.
En apercevant le pigeon, la fureur excentrique de Gunnar, se métamorphose en un ravissement grandiloquent.
-Ah; voilà ce que j'attendais! -S'écrie t-il, ravi; en ramassant l'oiseau, puis en détachant, de sa patte, le message accroché.-
-Qu'est-ce que c'est? -Demande Clara, intriguée.-
Après avoir rapidement lu, de son unique œil, la missive; il lui explique:
-Ça, ma petite; c'est votre passe, pour pénétrer dans Fengrad!
Nous le regardons dubitativement. Le viking pousse un long soupir de consternation.
-Cette lettre m'explique juste que vos masques sont prêts!
-Nos masques?! -S'exclame Clara, interdit.-
Gunnar se tourne, toisant Sibylle d'un regard très mécontent , en lui reprochant:
-En fait, tu ne leur as rien expliqué?!
D'un sourire faussement congratulant et d'une voix mielleuse, l'Enchanteresse répond:
-Disons que je considérais, plus adapté, de laisser ce privilège à un pédagogue de ton envergure.
Il la toise d'un air soupçonneux, en grommelant d'inaudibles paroles; cherchant désespérément où se trouve l'arnaque, sans parvenir à la trouver.
Il se retourne vers nous, en nous révélant:
-Très bien. Comme je vous l'ai dit précédemment; cette prison est exclusivement gardée par les Déshonorés! Ces dernier sont tous accoutrés d'un masque!
-Pour quelle raison?
-Pour cacher leur laideur, après qu'ils aient été défigurés. -Intervient Bruno.- Ceci fait aussi parti du châtiment de l'ablation. Après avoir eu les ailes coupées; l'ancien Gardien est ensuite défiguré, puis transféré à Fengrad, chargé de surveiller cette prison pour le restant de ses jours.
Cette explication arrache un rire guttural au viking; comme si l'anecdote avait quelque chose de particulièrement hilarant. Il ne se soucie même pas de nos regards consternés et tel un paon ayant besoin de faire la roue pour séduire son public; Gunnar s'empresse de préciser:
-Après il y a quelques exceptions comme Ézechiel, mais lui, c'est encore une autre histoire! Pour le reste, c'est moi qui ait été chargé de les défigurer, ces dévoyés!
J'ignore complètement le regard noir que jette Sibylle à son compère, lorsqu'il prononce l'étrange prénom d'Ézéchiel (comme si ça la dérangeait, pour une raison que j'ignore), trop outrée par le rôle que Gunnar a joué, dans l'histoire des Déshonorés. D'ailleurs, je ne parviens pas retenir un hoquet de stupeur, avant de renchérir, indignée:
-C'est horrible!
-Et au réveil, le matin; t'es pas horrible, toi peut-être?!
Cette réflexion de trop, proférée par le viking, me donne de fortes envies de le gifler; cependant, croiser le regard d'Alex suffit à me rappeler notre objectif principal et m'en dissuade aussitôt (Pour une fois que c'est lui, le plus sage de nous deux).
-Bon; maintenant que toutes les explications nécessaires vous ont été données; allons-y!
Il nous balance, avec désinvolture, un sac contenant des habits de fourrure; nous rappelant que la prison se trouve dans un environnement froid et ardu, puis nous ordonne de nous changer prestement, ce que nous faisons.
-Tu es sûr de vouloir partir maintenant? -Finit par questionner Sibylle, pas très rassurée par cet empressement.-
-Le voyage sera fort long et presque aussi épuisant qu'une femme! Reporter notre départ à plus tard serait parfaitement inutile! -Rétorque le viking, d'un air braillard.-
Une fois celui-ci éloigné; Clara, toujours ahurie par ce qu'elle vient d'entendre, s'approche de moi et me murmure:
-Je ne suis pas certaine d'être en mesure de le supporter bien longtemps, ce gugusse!
-T'inquiète pas; je suis dans le même état d'exaspération, que toi. -Je confesse, en étouffant une envie irrépressible de rire, en voyant l'expression excédée de mon amie.-
L'Enchanteresse parvient, néanmoins, à convaincre Gunnar de nous laisser un peu de temps, afin de régler nos derniers préparatifs.
-D'accord; je leur laisse l'æt de rismál! Une fois cette limite écoulée, je pars, sans attendre les retardataires!
-Quelqu'un a compris ce qu'il a dit? -Demande Clara, en prêtant attention pour que le viking ne l'entende pas.-
Sibylle, s'étant approchée discrètement, lui répond:
-C'est une unité de temps, que les vikings utilisaient, en fonction du soleil. En clair, vous avez jusqu'à neuf heures, approximativement.
-Ça va, on a le temps. -Je dis, en relativisant; jugeant qu'il doit être entre six heures ou six heures et demis.-
Une fois ce temps écoulé; Gunnar fait retentir férocement sa corne de brume et nous laisse à peine le temps de dire «au revoir» à Sibylle:
-Allez, les gosses! Arrêtez de vous attarder sur les adieux! C'est le moment de hisser les voiles du drakkar!
-Qu'est-ce qui t'as pris d'appeler un bougre pareil, sérieusement? -Demande Clara, à Sibylle; d'un air dépité; lorsque les deux femmes se trouvent à proximité l'une de l'autre.-
Cette dernière tentant vainement de dissimuler son appréhension apparente, répond uniquement par un sourire de façade.
L'Enchanteresse prend Alex un peu à part; après nous avoir souhaité «bon courage» à Bruno, Clara et moi.
Quand il nous rejoint, je lui demande, avide de savoir:
-Tout va bien?
-Ouais, ne t'en fais pas. -Me répond Alex.- Sibylle voulait juste me dire qu'elle croyait en moi et d'autres trucs du genre.
Nous traversons la forêt dans un silence de mort (hormis les gargouillements du ventre de Bruno et la respiration saccadée de Gunnar).
Une fois arrivé à la bordure; le viking nous tend sèchement quatre Dahus, attachés à un arbre, par une corde; avant d'aller chevaucher le sien, un peu plus loin. Mes amis et moi nous regardons, assez déconcertés par ce personnage atypique.
-Bon, alors; vous les chevauchez oui ou non; ces foutus Dahus?! -Beugle notre accompagnateur.- Je ne vais pas patienter jusqu'au Ragnarök!
Nous nous exécutons, beaucoup trop stupéfait pour dire quoi que ce soit. Sans attendre, nos montures s'élancent aussi rapidement que des TGV. Je vois, aussitôt, défiler une successions de couleurs diverses et variées qui dépeignent les décors flous autour de moi, que je devine être somptueux, en dépit du fait que je ne les vois pas.
Malgré la vitesse pharamineuse à laquelle nous progressons; ce n'est qu'en fin de journée que notre guide nous sommes de nous arrêter.
En croisant le regard de mes amis; je m'aperçois que eux aussi sont épuisés par ce long trajet et ne désirent qu'une chose: se mettre quelque chose sous la dent. En effet; nous ne nous sommes même pas arrêtés de la journée, pour grignoter quelque chose; notre guide de voyage n'ayant rien voulu entendre, prétendant que le temps était précieux.
-Bien; on va s'installer ici pour la nuit! -Annonce notre accompagnateur, en baladant son regard sur la vaste plaine qui nous entoure.- Bien, je vais préparer le feu!
Nous ignorant complètement, le viking s'affaire à la tâche qu'il s'est confié. De notre côté, nous décidons de nous séparer en deux groupes: Alex et Bruno; ainsi que Clara et moi; afin d'aller chercher de l'eau et pourquoi pas un éventuel gibier.
Pendant notre petite escapade dans les bois; Je surprends Clara au moment où elle me voit préparer un collet.
-Où as-tu appris à en faire? -Me demande t-elle, d'un ton presque admiratif.-
-Par mon père, qui l'a lui-même appris de son père.
De ce pas, je décide alors de lui apprendre, pour son plus grand plaisir.
Après en avoir posé plusieurs, ici et là, nous revenons au campement et y retrouvons Gunnar, occupé à faire rôtir des brochettes sur le feu de camps qu'il a allumé en notre absence.
Voyant le viking, ainsi, affairé à cette besogne; je ne peux m'empêcher de l'imaginer au milieu d'un jardin, en train de s'occuper d'un barbecue, une bière à la main, vêtu d'un short et d'une paire de claquettes. À cette pensée je me retiens difficilement d'exploser de rire.
Les vers en alexandrins qu'il chantonne, me parviennent aux oreilles, au fur et à mesure que je m'approche de lui:
- " À l'appel des flots, je m'en irai en guerre
Je hisserai les voiles de mon beau Drakkar
Face à mes ennemis, je croiserai le fer
Ils me craindront tous, moi, le valeureux Gunnar
Je brandirai mon glaive, au nom du grand Odin
Souhaitant un jour demeurer dans son bon jardin
Mes ennemis, je collecterai leur crâne
De quoi ravir les Valkyries vétéranes"
Sans attendre; Clara ne peut s'empêcher de complimenter la cuisine de notre guide:
-Mmm! Ça sent rudement bon! Vous êtes efficace pour trouver du gibier, dites-donc! Qu'est-ce que vous nous mijotez de si succulent?
Je reconnais que l'odeur alléchante de la viande en train de rôtir délicatement éveille mon estomac. D'après mon instinct, j'ai l'impression de reconnaître l'odeur du poulet. Néanmoins, vu l'environnement, je me demande bien où est-ce qu'il a bien pu en trouver. J'espère qu'il n'a pas fait une «Connor» et n'est pas aller en piquer un, chez un fermier du coin.
Si tel est le cas; il va m'entendre.
Malgré tout, le décor semble si désertique, que je peine à imaginer qu'il y ait le moindre fermier ou la moindre habitation dans les environs. Mais alors que je me prépare, tout de même, à cette éventualité; sa réponse parvient à me déconcerter d'avantage:
-Des cuisses de Dahus!
Mon amie et moi nous figeons instantanément, sur place, face au sourire édenté du viking apparemment fier de lui. Je prie pour avoir mal entendue et regarde autour de moi, souhaitant apercevoir les créatures qui nous ont mené ici.
Aucune trace de ces pauvres bêtes.
-Hum; ôtez-moi d'un doute, les Dahus que vous faites cuire; ce ne sont pas ceux que nous avons pris ce matin pour venir ici; n'est-ce pas? -J'ose enfin demander, malgré la crainte d'être écœurée par la réponse.-
Je me vois mal manger ces pauvres bêtes qui nous ont aidé pendant cette journée, à faire le trajet. De surcroît, quand je vois le visage de Clara, aussi pâle qu'un linge, je me dis que mon cas n'est pas isolé.
-Bah évidemment que si! -Confirme joyeusement Gunnar.- Pourquoi s'encombrer d'eux, alors que maintenant, la seule utilité qu'ils peuvent remplir, c'est celle de satisfaire nos estomacs?! C'est même dans l'ordre naturel des choses, j'ai envie de dire.
-Mais, vous saviez; on était justement partis chercher du gibier... Ce n'était pas nécessaire de s'en prendre aux dahus...
-Au contraire! Pourquoi vous êtes vous cassés le trognon à aller chasser, alors qu'on avait le repas à porter de main!
Il est vrai que pour le chemin du retour, Gunnar pourra se servir de ses ailes. Quant à nous, ce n'est pas demain la veille que l'on rentrera. Donc les dahus n'étaient plus vraiment indispensables, mais tout de même, de là à les tuer...
Je déglutis difficilement et je sens que Clara, à côté de moi, reste complètement scotchée, face à de telles révélations. Le viking, ne se rendant compte de rien, toujours fier de lui, poursuit son speech complètement déroutant, comme si de rien n'était:
-Ils nous ont transporté ici et maintenant, ils vont nous nourrir! Elle est quand même bien faite, la nature, vous ne trouvez pas?
Ne sachant pas quoi répondre, face à de tels arguments; nous affichons un sourire à la fois gêné et poli, avant de nous éloigner un peu. Après avoir mis une distance raisonnable, avec Gunnar; Clara s'empresse de me murmurer:
-Non, mais il est complètement siphonné, celui-là?! Il est hors de question que je mange du Dahus! Elle nous l'a trouvé où, Sibylle, cet énergumène?!
Je comprends entièrement la réticence de Clara et je la partage entièrement.
Cependant, après être allée vérifier à plusieurs reprises mes collets (à chaque fois dans l'état impeccable dans lesquels je les avais laissé) et en voyant Alex et Bruno revenir bredouilles, il ne fait plus aucun doute que les Dahus deviennent notre seul choix de repas.
Lorsqu'arrive le moment fatidique du dîner; je me force difficilement à avaler la viande. Bien que le goût, en soi, ne soit pas désagréable (j'ai honte de l'avouer); j'essaie de ne pas penser à ces pauvre bêtes qui nous ont trimballé sur leur dos, pendant toute la journée. Rien que d'imaginer cela, rend chaque bouchée semblable à un supplice insupportable.
Alex et Bruno, eux, n'étant pas au courant de ce «détail», s'en donnent à cœur joie; mordant dans leur brochette avec enthousiasme.
Je constate, du coin de l'œil, que Clara reste figée face à sa brochette. Doucement elle me susurre:
-Je ne peux pas manger ça...
Je me pince les lèvres, ayant vraiment de la peine pour elle. Gunnar, remarquant la scène, s'empresse de me demander, en pointant du doigt mon amie:
-Bah alors; pourquoi est-ce qu'elle ne se nourrit pas, la p'tite?
Instinctivement, agacée par son manque de tact, je le foudroie du regard, voulant l'inciter à se taire. Mais, comme il fallait s'y attendre, cela s'avère être inefficace:
-Si elle ne mange, déjà qu'elle est toute maigrichonne de base, elle ne tiendra pas longtemps dans les montagnes, demain. C'est certain!
J'aurais peut-être pu rattraper le tir, si Alex n'avait pas rajouter:
-Mmm; c'est drôlement bon! Tu ne sais pas ce que tu loupes, Clara! -Lui lance t-il; avant d'interroger Gunnar- D'ailleurs; ils sont où nos Dahus?
Aussitôt, Clara se lève précipitamment pour aller vomir dans les broussailles; sous les regards interrogateur du reste de la bande.
Plus tard, dans la soirée, au moment de se coucher; alors que nous nous enfonçons dans nos sacs de couchage, Gunnar annonce sans détours:
-Au fait; quand je pionce, je suis sujet aux flatulences! J'espère que ça ne vous empêchera pas de dormir, les mômes.
Dépitée, Clara se plaque les mains sur le visage; en se lamentant:
-Génial, il ne manquait plus que ça!
Je ne peux m'empêcher d'exploser de rire, en voyant la réaction de mon amie.
Je me blottis bien au fond de mon sac de couchage. Sentir la chaleur réconfortante de ce duvet; après une journée aussi épuisante que celle-ci, transporte mon bonheur à son comble.
Je suis si lessivée, que je devine, d'avance, que ni les flatulences de Gunnar, ni les ronflements de Bruno ne parviendront à troubler mon sommeil.
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