32-Alex: Dissensions et révélations
En sortant du tribunal; Sibylle se jette sur nous, en nous bombardant de questions:
-Que s'est-il passé?! Vous en avez mis du temps! Où est Arthème?
-Oh là; oh là! Une question à la fois, je te prie. -Je rétorque, en me tenant la tête; pris par une violente migraine.-
Après s'être mis sur le côté, pour ne pas obstruer l'entrée; Rosalie se charge de lui résumer brièvement le procès, l'acharnement de Kerskor à nous enfoncer, l'épreuve imposée par les Divinités, Arthème condamné au châtiment de l'Ablation et Kerskor nous révélant, secrètement, le but véritable de notre mission à Fengrad.
Pendant le récit; Sibylle ne peut contenir ses émotions: certains passages la scandalisent, tandis que d'autres la laissent sans voix. L'Enchanteresse finit par pousser un juron, une fois que Rosalie eut fini son monologue.
-Si je tenais Kerskor, entre mes mains; -Fulmine Sibylle, écœurée;- je lui ferais cracher les boyaux, à ce vautour!
Ne supportant plus d'avoir cette question en tête, depuis si longtemps; j'élève la voix, pour me faire entendre de Sibylle, au milieu de son flot d'insultes contre la Divinité.
-C'est quoi le châtiment de l'Ablation, au juste?
Elle s'arrête net, en entendant ce nom, puis, finit par dire, d'un ton terne.
-Ah, ça... Disons que c'est le plus grand déshonneur, qu'un Gardien puisse subir.
-Ouais; on le savait déjà. Mais en quoi cela consiste-il, précisément?
Au moment où elle s'apprête à me répondre; nous sommes interrompus par l'arrivée de Connor, qui s'écrit d'un air enjoué, en sortant du tribunal:
-Salut la compagnie! Alors, comment s'est passée votre audience?
Rosalie a à peine le temps d'entrouvrir la bouche; que le cowboy la coupe:
-Super; j'suis ravi pour vous! Devinez-quoi?! Une fois encore, «Super Connor» s'en sort presque blanchi! Je les ai tous dupé, ces imbéciles de juges!
-Comment ça «presque blanchi»? -Interroge Clara, songeuse.-
-Disons qu'ils ont jugé préférable de m'infliger une sentence, pour le fun; car ils en ont un peu marre de voire ma tronche, deux fois par an!
-De quoi as-tu écopé? -S'enquit Sibylle.-
-L'ostracisme! Je suis banni de ce territoire pendant quelques mois! Rien de grave, en somme! Ça me donnera l'occasion de revenir plus en forme!
L'Enchanteresse soupir, d'un air affligé, pendant que Clara et Bruno explosent de rire.
-Et où vas-tu aller, maintenant? -Questionne Rosalie.- Pas chez les Réprouvés, quand même?
D'un geste de la main, Connor réfute cette hypothèse:
-Certainement pas! Il y a beaucoup plus de choses à faire sur le territoire des Disparates!
-Le territoires des quoi?! -S'exclame Rosalie.-
-Des Disparates. -Explique Bruno.- Le troisième territoire de cette planète. Personne n'aime beaucoup parler de cet endroit.
-Pourquoi?
-Car les Gardiens de ce territoire sont... différents.
-Différent comment? -Demande Clara, intéressée.-
-Ils vouent un culte disproportionné, au tyran qui les oppresse! -Tranche Sibylle, ne voulant pas s'attarder sur le sujet.-
-T'es un petit peu dur, Sib! -Rétorque le cowboy.- D'accord, Gaspard Titus est parfois extrême, dans ses décisions politiques; mais ça reste un super fêtard; malgré tout!
-C'est réellement tout ce qui t'intéresse?! Faire la fête, auprès des tyrans?
Connor, légèrement décontenancé par cette remarque, recule d'un pas et bute dans quelque chose. En se retournant, pour voir dans quoi il a cogné; il s'exclame, en découvrant le Farfadet-hippie, qui était assis à côté de Vieux-Débris, dans le tribunal:
-Tiens, Rail-De-Coke! Comment vas-tu, mon ami?!
Le nain se retourne, pour voir qui l'a bousculé. Il semble mettre quelques instants à reconnaître le cowboy. Je crois d'abord que son manque de vivacité est dû à l'étourdissement provoqué par la bousculade; cependant, les yeux rougis du Farfadet laissent supposer qu'il n'est pas dans un état de complète sobriété.
-Ah, salut! Tu tombes bien, toi! Faut que je te montre un truc!
Difficilement, Rail-De-Coke retire son sac à dos, puis, en titubant, l'ouvre du mieux qu'il peut.
-Regarde un peu comme elle est belle, celle-là!
Le Farfadet sort de son sac, une gigantesque feuille de Marijuana. Immédiatement; Connor s'écrie:
-Range-moi ça, abruti! Pas devant le tribunal! Je viens d'en sortir; c'est pas pour que tu m'y renvoies avec tes conneries!
Lentement, Rail-De-Coke ouvre grandement ses yeux et sa bouche, comprenant ce que vient de lui dire le cowboy. Puis, d'une voix aussi pâteuse que celle d'un soûlard, le lendemain d'une soirée bien arrosée, il répond:
-Ah... ouais, t'as raison, vieux. Désolé. Allons voir ça ailleurs.
Connor semble ahuri, face à un tel manque de réflexion, de la part de son ami. Il nous lance un dernier regard, puis nous dit «au-revoir», à sa manière:
-So, see you soon in the saloon!
Une fois le cowboy éloigné, je lance à sibylle:
-Je suppose que c'est un dérivé de «À plus dans le bus» ou «À bientôt dans le métro»; mais version western...
-C'est du Connor tout craché. -Soupire t-elle, dépitée.-
-Et maintenant, qu'est-ce qu'on fait? -Questionne Clara.-
-Vous passerez la nuit dans la forêt des Enchanteresses.
Nous arrivons, en début de soirée, au sein de la forêt (ayant pris au passage, quelques affaires chez Madame Bellebranche). D'abord submergés par la beauté luminescente, que dégages les petites fées dans l'obscurité; notre enthousiasme se ternie, en apercevant les regards hostiles des autres Enchanteresses.
L'une d'elles s'avance vers Sibylle, en la blâmant sans préambule:
-Comment oses-tu faire venir des humains, dans notre forêt?! En agissant ainsi, tu profanes ce lieu!
-Je sais ce que je fais, Diane! Alors, s'il te plaît, ne t'en mêle pas!
-Au contraire! J'ai comme l'impression que tu as perdu de ta lucidité, ces derniers temps!
Sibylle jette un regard des plus courroucés, à la dénommée Diane.
-Qu'insinues-tu par là?
-Celui qui se laisse gouverner par ses sentiments, en dépit de sa raison; excellera à répéter les fautes de son passé! Autrement dit; une grande majorité d'entre nous doutons en tes capacités à diriger notre clan, actuellement.
-Comment osez-vous?! -S'exclame Sibylle, outrée.- Ces humains sont nos invités, que vous le vouliez ou non! Ils resteront ici, autant qu'ils le souhaiteront! Si vous refusez de l'accepter; alors vous n'avez plus rien à faire ici!
-Comme tu voudras! -Déclare Diane, en rejetant ses longs cheveux blonds en arrière.- Mais ne crois pas que nous ignorons tes motivations. D'abord, l'autre soir, tu manques de renouer ta relation ambiguë avec Arthème; aujourd'hui, tu invites ces humains... incluant ton descendant (elle me désigne dédaigneusement, d'un signe de tête). Tes maladresses s'accumulent considérablement; au point que nous ne pouvons plus fermer les yeux dessus.
D'un geste de la main, elle intime les Enchanteresses qui l'accompagnent, de la suivre. En s'approchant de Sibylle; elle lui susurre:
-Tu es sur la mauvaise pente; Sibylle. Je suis au regret de t'annoncer que tes choix arbitraires ne resteront pas impunis.
Nous observons les contestataires s'éloigner.
-Pour qui elles se prennent, celles-là?! -S'indigne Clara, outrée.-
D'un geste de main, Sibylle lui fait comprendre de ne pas s'en soucier. Le reste de la soirée se passe dans un calme assourdissant. Le peu d'Enchanteresses, restant fidèles à leur cheffe, préfèrent ne pas se joindre à nous, pour le dîner frugal. Cette ambiance glaciale nous encourage à nous coucher tôt.
D'un naturel noctambule, je n'arrive pas à trouver le sommeil. D'autant plus que j'ai l'impression d'être sur un bateau, dans ce hamac qui ne cesse de tanguer de gauche à droite. Si je continue d'être ballotté comme ça, le peu de nourriture que j'ai ingurgité lors du dîner risque de passer par-dessus bord. Sans compter la fraîcheur hivernale de cette nuit, qui me frigorifie littéralement.
J'ai beau aimer le concept de passer la nuit à la belle étoile; malgré tout, je ne peux m'empêcher d'aller faire un tour pour me réchauffer un peu. J'avance à tâtons, afin d'éviter de me prendre un arbre. Les branchages ne cessent de craquer, sous mes pas; m'indiquant que mon manque de discrétion va me placer sous les regards des Enchanteresses.
«Si elles ont du temps à perdre; pas de problème! Je n'ai rien à cacher... du moins, pour l'instant.»
Après plusieurs minutes de marches, le bruit d'un cour d'eau parvient à mes oreilles. J'avance, jusqu'à parvenir à une rivière. Les fées-lucioles tournent autour de l'eau, illuminant l'endroit. Parmi elles, je reconnais Leah, la fée qui avait accompagné Sibylle, jusqu'à la colline des cinq sages.
Beaucoup trop curieux, je m'avance en direction de la rivière. Quelque chose commence, soudainement, à m'intriguer. Derrière la cascade; une silhouette commence progressivement à se dessiner, comme si quelqu'un se trouvait à l'intérieur. Doucement, j'avance peu à peu dans sa direction, ne parvenant toujours pas à discerner ce que c'est. Son aspect est semblable à celle d'un Gardien. De gigantesques ailes sortent de son dos, une armure de guerrier d'un noir reluisant au clair de lune le vêt. Cependant; quelque chose me trouble, sans que je puisse savoir quoi.
C'est comme si cette créature était dépourvue de son apparence humaine originelle, mais parallèlement semblait l'avoir conservée. J'entends son souffle rauque, résonner à un rythme régulier; sonnant comme un appel voulant m'attirer à elle. Lorsque j'arrive, suffisamment près, happé par cette mystérieuse scène, je tends délicatement le bras, tentant d'effleurer cette étrange ombre.
-N'y touche pas! -Ordonne la voix de sibylle, dans mon dos; me faisant sursauter.-
Elle s'approche de moi, avec une élégance assortie à son titre de reine.
-Qu'est-ce que c'est? -Je demande, la voix haletante.-
-Une chose à ne surtout pas réveiller.
Je scrute la silhouette; parvenant enfin à analyser ses traits, plus précisément. Ce que je vois, à travers ce rideau d'eau, me tétanise entièrement. Si je n'étais pas pourvu d'un mental d'acier, j'en aurais très certainement éprouvé la chair de poule.
Cette chose semble complètement momifiée. Sa peau semble complètement asséchée, en dépit du fait qu'elle se trouve sous une cascade. Son visage fripé et grisâtre me donne la nausée. Néanmoins, je reste troublé par un détail surprenant:
-Ses ailes... c'est un Réprouvé!
Même la cascade ne parvient pas à me dissimuler les gigantesques ailes noires de la momie.
-Bien vu. -Me gratifie Sibylle.- Je te préciserai, cependant, qu'il ne s'agit pas de n'importe quel Réprouvé.
Je tourne mon regard vers Sibylle, la fixant intensément.
-Il se nomme Harris. -M'explique t-elle.- Les Réprouvés le considèrent comme leur maître.
-Que fait-il ici?
L'Enchanteresse soupire, embarrassée de devoir me répondre.
-Il y a presque cent ans de cela; ce mystérieux personnage se laissa gouverner par son idéologie détestable. Il considérait que le temps de l'humanité était révolu et qu'il était temps de l'éradiquer.
-Pourquoi ça?
Sibylle hausse les épaules; ignorant, apparemment, la réponse.
-De son aversion pour les humains; il parvint à rassembler une armée de Gardiens, à ses côtés: les Réprouvés. S'ensuivit un immense désaccord entre ces derniers et nous, les Gardiens Tutélaires; engendrant la plus grande guerre, que notre planète aie connu, à ce jour.
-Quel camp l'emporta?
-Je ne sais pas si l'on peut réellement parler de victoire. Après tout, les Réprouvés poursuivent toujours leur lutte, contre nous. Malgré tout; notre territoire réussit à pétrifier Harris, avant de le momifier. Nous avons ensuite caché son corps ici; espérant que les Réprouvés ne le retrouvent jamais.
-Qu'arriverait-il, s'ils le retrouvaient?
-Ils auraient la possibilité de le ressusciter.
-Je croyais qu'il était hors d'état de nuire!
Derechef, Sibylle soupir, embarrassée.
-Je t'ai dit qu'il était pétrifié; je n'ai jamais prétendu qu'il était mort.
Je hausse les sourcils, ne saisissant pas la nuance.
-Pétrifié... C'est à dire transformé en pierre; comme le pouvoir de Médusa, dans la mythologie grecque?
L'Enchanteresse opine du chef. Elle ferme les yeux un instant, avant de m'expliquer:
-Pour le libérer de cette «malédiction»; le sacrifice d'un Gardien est nécessaire.
-C'est pour cela que Zephael voulait me transformer?
-Zephael n'a toujours pensé qu'à accroître sa propre puissance; il n'a jamais souhaité ressusciter Harris.. Cependant, les autres Réprouvés aurait vu en toi ou en Arthème le sacrifice idéal.
Nous sommes interrompus par des éclats de rire qui retentissent dans la forêt. Je reconnais celui de Clara. Son rire cristallin est très communicatif et contagieux. Elle doit, sans aucun doute être accompagnée de Bruno.
Sibylle et moi nous dissimulons derrière des buissons, lorsque nous apercevons leurs ombres s'approcher de la lisière de la forêt. La suite devient plutôt gênante.
-La beauté de ton regard a fait fleurir le jardin de mes sentiments. -Déclare la voix de Bruno.- Tu siégeras éternellement comme reine, dans le royaume de mon cœur.
Je lève les yeux au ciel, dépité par tant de nigauderies.
-Qu'est-ce qu'il est en train de nous baver-là; le mastodonte?!
-C'est plutôt touchant. -Me répond Sibylle, captivée par la scène.-
-Touchant?! -Je m'exclame, ne pouvant contenir ma stupéfaction.- Il en perd le peu de crédibilité qui lui restait; le champion de catch!
Sibylle se fige, en fixant les deux tourtereaux. J'ai exprimé tellement fort, ce que je pensais, qu'évidemment, ce n'est pas passé inaperçu.
-Il y a quelqu'un? -Demande Bruno; à la fois soucieux d'avoir été entendu, mais également prêt à mettre au défi quiconque de venir le charrier.-
Observant scrupuleusement les alentours; Clara finit tout de même par le convaincre de laisser tomber; puis ils finissent par s'engouffrer dans la forêt par laquelle ils sont arrivés. J'entends mon amie lui dire:
-Je ne te savais pas aussi romantique. C'était vraiment gentil.
La bouche entrouverte, je reste consterné, face à ce que je viens de voir. Comment Clara peut-elle se laisser émouvoir par une rhétorique aussi pompeuse?
-Tu devrais partir, toi aussi. -Me conseille Sibylle.- Je ne vous l'ai pas dit, car je n'en ai pas eu l'occasion, avec les évènements de tout à l'heure; mais on se lève tôt demain.
Je la regarde, intrigué.
-J'ai envoyé une missive. -explique t-elle.- Un ami de confiance viendra vous chercher, pour vous conduire à Fengrad.
Je me fige subrepticement. Le cœur battant, je commence à prendre conscience que notre mission va réellement commencer, d'ici quelques heures.
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