30.2-Arthème: Le procès

/!\ WARNING: Ce chapitre peut contenir une scène pouvant heurter la sensibilité de certaines personnes, évoquant le thème du suicide. Le passage sera mis en gras. Vous pourrez lire et comprendre la suite, tout en passant ce passage.

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Bien qu'une brise légère rafraîchit l'endroit; l'atmosphère lourde et pesante rend l'environnement suffocant. Les deux parties de l'Ecclésia, chacune derrière un grillage, sont déjà en train de se disputer les clés du verdict. 

À gauche, l'Ecclésia prenant la défense des accusés et à droite, ceux qui souhaitent notre condamnation. À cet instant, un violent vertige ainsi que de la nausée me submergent. Je me revois, la dernière fois que j'ai comparu ici... 

Cette même ambiance malsaine et insupportable. J'ai envie de hurler de rage. Malgré cela, je dois me contenir, pour moi; mais aussi pour Alex et ses amis. Je ne dois, en aucun cas, laisser mon passé influer notre avenir. 

Pour me donner du courage, je me répète en boucle, dans ma tête, les mots employés par Sibylle, l'autre soir. Tout se joue maintenant. 

Sur l'estrade qui nous fait face, une voix tonitruante fait taire les clameurs de la foule:

-Sur ordre des trois Divinités; je réclame que le calme inonde ce lieu sacré!

J'accueille ce silence totale, avec une joie ineffable. Pour la première fois, depuis que j'ai pénétré le tribunal, je peux sentir la brise me parcourir l'échine. 

Le mal-être que je ressentais, à l'instant, s'estompe peu à peu.

-«Bêma»?! Qu'est-ce que ça signifie? -Demande soudainement Rosalie-

Ce terme me fait frissonner. Mon regard se pose alors sur l'estrade, où se trouve le Flamine qui a réclamé le silence. 

Cette plateforme; où se dresse la statue d'un immense Simorgh, représentant notre divinité suprême (le seul être à posséder plus de puissance que les Divinités); est orné d'un écriteau en marbre, portant l'inscription «Bêma». 

Mon sang se glace, en le lisant. Pour moi, ce simple mot suffit à désigner l'échafaud. Il me rappelle la puissance que possèdent les Divinités. 

Face au regard interrogateur de Rosalie, je me résous à lui expliquer:

-C'est le nom donné à cette estrade. Aucune autre estrade ne peut porter ce nom; sur notre planète.

-Pourquoi?

-Car seules les Divinités et les Flamines ont le droit de la gravir. Tout autre personne qui oserait fouler cette estrade, serait puni de mort, pour sacrilège.

Rosalie, stupéfaite, ouvre de grands yeux ronds, en direction du monument.

-C'est de cet endroit, que les Divinités nous jugeront et décideront de notre sort.

Le Flamine s'éclaircit la voix. Tout les regards se posent désormais sur le prêtre. 

En l'observant, mon estomac se noue. J'ai toujours été mal-à-l'aise, en leur présence, depuis mon dernier procès. 

Trouvant que le bonnet conique de cuir blanc (appelé albogalerus) surmonté d'une pointe en bois, qu'ils doivent obligatoirement porter; leur donne des airs menaçant. 

D'une voix forte, il déclare:

-À toute l'Ecclésia, je vous souhaite la bienvenue, pour ce nouveau procès. Avant que ne commence cette audience; nous allons procéder à la libation habituelle, afin que ce procès se déroule sous les auspices les plus favorables.

-Qu'est-ce qu'une libation? -Me demande Rosalie, au creux de l'oreille.-

-C'est le fait d'honorer les dieux, en leur faisant offrande de quelques gouttes d'une boisson, qui varie selon les traditions. Cela permet d'amener la bienveillance divine. Dans notre cas; nous vénérons le Simorgh.

Le Flamine sort un calice, d'une poche intérieur de sa tunique; puis s'avance en direction de la sculpture de l'immense oiseau où il y verse quelques gouttes d'un breuvage, que je devine être de l'huile, comme l'exige notre coutume. 

Il accompagne ce geste d'une prière de protection; qu'il adresse au Simorgh.

-À présent; -reprend solennellement le prêtre;- je vous demanderai, à toutes et tous de bien vouloir vous lever, afin d'accueillir, aussi respectueusement qu'il se doit, nos hôtes; j'ai nommé: les trois Divinités. La première d'entre elles: Gailöken.

Descendant au milieu d'un faisceau lumineux, avec une élégance raffinée, les bras en croix, ses grandes ailes d'or scintillantes projetant des paillettes aurifères; la première divinité atteint l'estrade, avec grâce.

Avant d'aller prendre place, sur l'un des trois Sièges curule, lui étant réservé, il parcourt l'assemblée, d'un regard impérial.

Je reconnais immédiatement son visage impassible, aussi pâle que celui d'un cadavre; obscurcit par ses longs cheveux gras et noir qui lui tombent jusqu'aux épaules. Je serai presque tenté de le comparer à un vampire. 

À peine Gailöken s'est assis sur l'un des sièges en forme de «X», que de la même voix tonitruante le Flamine reprend:

-Saluons, à présent, notre deuxième Divinité: Kerskor!

De la même manière, une silhouette descend, majestueusement de l'azur; accompagnée de faisceaux lumineux. 

Elle aussi, les bras en croix avec ses ailes d'or gigantesques déployées. J'entends, derrière moi, Bruno grogner férocement. 

Une pluie de flocons dorés envahit le tribunal. Kerskor se dépose délicatement, sur l'estrade, en regardant dédaigneusement la foule, puis, s'assoit sur le siège le plus à gauche. Je constate qu'Alex fixe, sans ciller, l'ancien Réprouvé. 

Kerskor, ses longs cheveux blonds ramassés en une longue queue-de-cheval, lui tombant jusqu'aux reins; des yeux bleus, d'un froids glacial, un visage de tyran sanguinaire, décrivant parfaitement son caractère impitoyable.

-Sans plus attendre, inclinons-nous face à la Divinité des Divinités; le Gardien le plus craint et le plus respecté de Zibaë; voici le grand et tout-puissant seigneur Zoras!

Cette présentation, ponctuée d'une teinte d'exagération provoque un tonnerre d'applaudissements, dans les tribunes. 

Zoras descend, du ciel, de la même manière que ses deux prédécesseurs. Malgré tout, une atmosphère angoissante, se dégage de cette Divinité. 

Pour commencer, ses ailes dorées sont largement plus colossales, que les ailes de n'importe quel Gardien, de cette planète. À quoi s'ajoute sa couronne de laurier, ornant le sommet de son crâne; symbolisant sa souveraineté. Ses longs cheveux noirs, bouclés, lui descendant jusqu'aux épaules ainsi que sa barbe noire, bien fournie, masque son cou et une bonne partie de son visage; amplifiant son aspect impénétrable. 

D'un geste de la main, il fait asseoir toute la tribune, avant de faire de même; en s'installant sur le dernier siège curule de libre; celui du milieu. 

Je me suis toujours demandé quel confort il pouvait y avoir, à s'asseoir sur des sièges ne possédant ni dossier, ni accoudoirs. 

Le Flamine reprend la parole:

-Maintenant, je vais solliciter, à chacun des accusés, de bien vouloir se présenter.

À tour de rôle, nous nous succédons, à la barre; en déclinant notre identité. Je constate ne pas être le seul, à parler d'une voix mal assurée. 

Rosalie et Clara semblent aussi tendues que moi. Sans doute, parce qu'elles sont conscientes de l'ampleur de l'évènement. 

Alex, lui, parle normalement; bien que je dénote une légère pointe de défiance, dans sa voix. 

Quant à Bruno, sa présentation est plus un bougonnement incompréhensible, qu'autre chose; ce qui pousse le flamine à le faire répéter,

-Résumons les faits qui sont reprochés, à chacun d'entre vous. -Reprend le prêtre.-

Il déroule un long parchemin; beaucoup trop long pour uniquement contenir notre réquisitoire (du moins, je l'espère).

-Commençons par vous, Arthème. L'accusation adressée à votre encontre, est la suivante: vous auriez, semble t-il, transformé délibérément un humain, en Gardien. Or, selon le décret du 18 Juin 1957 relatif à la cohabitation, entre humains et Gardiens; il est formellement interdit à tout Gardien, d'user de son pouvoir de transformation.

Ma gorge s'assèche, mon cœur tambourinant contre ma poitrine.

-Passons maintenant à monsieur Bruno Bellebranche ainsi que Mesdemoiselles Rosalie Lessart et Clara Olsen. Vous êtes, tous les trois, accusés d'avoir influencé un Gardien à transgresser ses serments; pour assurer la survie d'un humain.

Apercevant Rosalie, qui s'apprête à répliquer; je lui attrape le poignet, pour la faire taire. Ce serait perçu comme un véritable outrage, d'interrompre un Flamine.

-Enfin; quant à monsieur Alex Joval; accusé d'avoir, impassiblement, laisser un Gardien vous transformer; alors que vous aviez, pourtant, conscience de la prohibition de cet acte. La charge qui pèse, contre vous, n'est autre que les ailes que vous arborez, avec tant de fierté.

Évidement; mon descendant ne peut s'empêcher de répliquer par une provocation:

-Ouais; tu les as vu?! Elles sont belles, hein?!

En guise de réponse; l'Ecclésia de droite se met à nous huer et à nous siffler, avec vigueur. J'attrape le poignet d'Alex et croise son regard; essayant de l'inciter à se calmer. 

Une voix s'élève, dans les tribunes, en hurlant:

-J'exige qu'ils soient ostracisés!

L'«ostracisme». En entendant ce mot, mon corps se fige et mon sang se glace. C'est le châtiment du proscrit. Ils veulent nous condamner à l'exil! L'un des plus grands déshonneurs, pour un Gardien.

À ce moment; d'angoissantes pensées se succèdent dans mon esprit; dont une, en particulier. Et s'ils décidaient d'aller encore plus loin?! Et s'ils se résolvaient à amplifier notre déshonneur; comme, par exemple, en nous infligeant l'«Ablation»; le supplice, auquel j'ai échappé, de justesse, la dernière fois... 

Une pénitence qui ne peut être infligée qu'à un Gardien; donc, Alex serait certainement aussi concerné. 

Mon cœur bat à la chamade, priant pour que cela ne se produise pas. La peur se répand dans chacune des parcelles de mes muscles, me paralysant complètement. 

La voix du Flamine retentit, derechef:

-Maintenant; nous allons laisser la parole aux deux parties de l'Ecclésia. Que vos arguments puissent éclairer, constructivement, notre verdict.

Au même moment; Kerskor se lève en se raclant la gorge. Tous les regards sont, alors, portés sur lui; engendrant, dans le même temps, un silence unanime. 

D'une voix calme et posée, il déclare:

-Avant de laisser la parole à l'Ecclésia, j'aurai d'autres chefs d'accusations, à émettre à l'encontre des accusés. Si, bien évidemment, vous me l'autorisez, cher Flamine.

Le prêtre s'incline ostensiblement, en murmurant audiblement:

-Sans l'ombre d'un doute, seigneur Kerskor.

Lorsque la Divinité s'avance, au milieu de l'estrade; Bruno ne peut s'empêcher de s'exclamer:

-Oh, non! Pas lui!

-Chut! Nono, calme-toi; tu vas nous attirer des ennuis! -Sermonne Clara, en chuchotant.-

-Ça se voit que tu le connais pas! Avec cet olibrius de fanfare; on a déjà un pied dans la tombe! Autant aller directement à l'échafaud; on gagnera du temps!

-Ne leur donne pas ce genre d'idée! -Intervient Rosalie, sur le même ton discret mais réprobateur, que Clara.-

La Divinité, faisant comme si elle n'avait rien entendu, déplie une lettre; tout en expliquant:

-J'ai, entre les mains, une missive; écrite par un dénommé Vieux-Débris. Je remercie infiniment ce citoyen exemplaire pour nous avoir rapporté d'aussi cruciales informations.

Une salve d'applaudissement retentit, dans la salle; pour féliciter le Farfadet. 

Rapidement; d'un signe de main, Zoras ramène le calme au sein du tribunal; permettant à Kerskor de poursuivre:

-En lisant cette lettre; nous y apprenons, notamment, que les deux humaines, ici présentes (il désigne Rosalie et Clara, du coin de la lettre); ne sont pas arrivées accidentellement sur Zibaë.

Quelques huées jaillissent, dans l'assemblée; mais sont vite occultées par la voix doucereuse de la Divinité:

-Non. Apparemment, elles se seraient introduites, illégalement, sur notre planète; en s'octroyant les services d'un Réprouvé, du nom de Zephael. Pour preuve; elles ont elles-mêmes confessé cette histoire, au chef des Farfadets de Bellgir: Coq-en-Pattes.

Kerskor laisse échapper un ricanement mesquin; avant d'enfoncer, plus profondément, ses crocs venimeux, dans notre chair.

-À quoi bon instaurer des interdictions; puisque les humains les contournent, par l'intermédiaire des Réprouvés. Enfin, les Réprouvés... je crois que je les accuse un peu vite, car...

Il marque une courte pause, puis, du coin de la lettre; il désigne Alex.

-...de ce que la missive stipule; notre humain, fraîchement transformé; n'est pas étranger à cette affaire. Il en aurait, même, été le principal instigateur.

-Ouais; sur les précieux conseils de votre cher Vieux-Débris! -S'emporte Alex.-

-Avez-vous des preuves, de ce que vous avancez ou est-ce juste une pure diffamation gratuite?

Il paraît évident qu'Alex ne possède aucune preuve. Satisfait de ce climat instable qu'il vient d'instaurer; Kerskor, se tapotant le menton, avec le coin de la lettre, jubile hautainement:

-N'alourdissez-pas les charges qui pèsent contre vous; jeune homme. Ceci pourrait, très sévèrement, plaider en votre défaveur. D'autant plus, que les raisons de l'évènement du dragon qui a détruit le village de Bellgir s'est répandu jusqu'à nos oreilles.

Le sous-entendu de la Divinité est on-ne-peut-plus-clair. Le dragon a agi sur les ordres de Zephael, car Alex n'avait pas respecté son accord avec lui. Cela prouve donc qu'Alex faisait affaire avec Zephael. 

Mon descendant se mue dans un silence hargneux; foudroyant Kerskor du regard. Ce dernier ne s'en souci pas le moins du monde. Bien au contraire; se pavanant sur l'estrade; il continue d'éructer:

-J'aimerais conclure sur les deux derniers accusés (Il nous désigne, tour à tour, Bruno et moi; du coin de la lettre). Je souhaiterais rappeler que leur visage sont, au sein de ce tribunal, plutôt familier. Ne l'oublions pas, chers confrères: récidiviste un jour, récidiviste toujours.

Les huées rejaillissent. Cette fois, Bruno laisse exploser sa rage, envers Kerskor:

-Ouais, ben toi; en terme de passé irréprochable, tu peux parler! Alors que, moi, j'ai été innocenté, je te rappelle! Et sache que si jamais je t'attrape, ton visage, lui, ne sera, ensuite, plus familier pour qui que ce soit!

D'un calme olympien; la Divinité, avec un insupportable sourire mielleux, répond simplement:

-Je prends note de l'outrage.

À son tour, Bruno se résigne à se taire; sans parvenir, pour autant, à cacher sa colère dantesque. 

Parmi le tumulte, que ces allégations provoquent, au sein de l'Ecclésia; j'entends la voix rocailleuse de Vieux-Débris, s'exclamer:

-C'est moi! C'est moi, qui les ai dénoncé!

Malgré sa petite taille; je réussi à l'apercevoir, debout sur sa chaise; remuant les bras pour qu'on le remarque. La scène aurait presque pu paraître comique, si les circonstances n'avaient pas été aussi dramatiquement importantes. 

Il ne cherche même pas à dissimuler la fierté que lui procure son acte de dénonciation, persuadé d'avoir fait ce qu'il fallait et souhaitant probablement qu'on lui décerne une médaille.

-Ainsi donc, j'en arrive à la conclusion suivante; -reprend Kerskor,- derrière cette barre des accusés, ne se trouve qu'un ramassis de traîtres; à l'égard desquels je ne saurais que trop vous recommander prudence et aversion.

-Mais pour qui il se prend; celui-là?! -S'indigne Clara; dont la révolte est camouflée par le tohu-bohu, au sein de l'Ecclésia.-

Rosalie se trouve si près de moi; que je l'entends ruminer:

-C'est l'hôpital qui se fout ouvertement de la charité!

Face à une telle agitation, le Flamine semble totalement dépassé. Heureusement; Zoras, levant simplement la main, une nouvelle fois; fait taire toute l'assemblée.

-Bien... Face à ses accusations; je pense que la cour sera d'accord pour qu'on laisse la parole aux accusés. -Déclare le prêtre, s'essuyant le front d'un air déphasé.- L'Ecclésia semble s'être prononcée...

-En effet. Voyons voir ce que les accusés ont à dire. -Nargue Kerskor, affichant un immense sourire mielleux, qui déforme son visage machiavélique.-

Prenant mon courage à deux mains, je me démarque du groupe et d'une voix distincte, je lance:

-Je tiens, tout de même, à rappeler; chers juges; que toutes ces accusations ne proviennent que du témoignage d'une seule personne; Monsieur Vieux-Débris en l'occurrence. Or, nous connaissons la loyauté bancale de ce Farfadet, qui aime jouer double jeu. Beaucoup d'humains ont rejoins les Réprouvés, par sa faute. Pouvons-nous réellement porter du crédit à ce qui pourrait être de simples calomnies, de la part de cet odieux personnage?!

-Mais... qu'est-ce qu'il est en train de raconter, là? -S'indigne Vieux-Débris, en s'agitant nerveusement sur son siège; nous regardant tour à tour, Kerskor et moi.- J'ai peur de comprendre!

Inopinément; j'aperçois le Farfadet, assis à sa droite (arborant un look de hippie), lui donner une tape dans le bras, en lui disant d'une voix lourde et à moitié endormie:

-Reste calme, Vieux. Be cool, man! Peace.

-Non, mais j'aime pas les insinuations qu'il émet à mon encontre, ce scélérat! -Crache Vieux-Débris, en me désignant d'un revers de main.-

D'un regard glaçant; Kerskor les fait taire; avant de reporter son attention sur moi.

-«Des calomnies», dites-vous?! En somme, vous osez mettre en doute la parole d'une Divinité, cher Arthème? -Me répond la Divinité, doucereusement.- Le tribunal saura s'en souvenir.

-Non, pas la votre; noble Divinité. Par contre; celle de Vieux-Débris, oui.

Debout, sautillant frénétiquement sur son siège; le Farfadet, au milieu de la tribune silencieuse; s'écrit d'une voix gutturale:

-SALAUD! TRAÎTRE! CAFARD! J'exige l'Ablation, pour ce renégat!

Dès lors, d'une synchronicité parfaite; toute l'Ecclésia se met à scander:

-L'ABLATION! L'ABLATION! L'ABLATION!

Mon cœur s'accélère fortement. «Cette fois, c'est fini», me dis-je, en fermant les yeux d'un air abattu. 

Je n'arrive même pas à sourire, lorsque je vois le Farfadet-hippie profiter de la cohue générale, pour s'allumer discrètement un pétard. 

Kerskor, avec un insupportable rictus, se retourne vers les deux autres Divinités; en proclamant:

-Bon; il semblerait que l'Ecclésia ait pris sa décision. Passons au verdict.

-Ce n'est pas à toi, que reviens la charge de diriger le déroulement de ce procès. -Rétorque Gaïloken, d'une voix impériale, en se levant de son trône.- Cette lourde tâche incombe à notre seigneur Zoras!

Subrepticement, j'aperçois, sur le profil de Kerskor, une vulgaire moue se dessiner; répugnant le fait que son autorité soit remise en question. 

Il finit par s'incliner, à contre cœur, face à la Divinité suprême, en quémandant:

-Soit. Alors, que décidez-vous, noble seigneur?

L'intensité du regard, que nous lance Zoras, semble sans appel. N'ayant plus aucun espoir, j'attends la chute du couperet, jusqu'à ce que j'entende:

-Attendez!

À cet instant, un silence de mort envahit le tribunal. 

Tous les regards se portent sur Rosalie. Cette dernière, ne semblant pas trop savoir quelle mouche l'a piquée; affiche un regard paniqué, mais fait mine d'être confiante lorsqu'elle s'avance vers la barre des accusés.

-Pour qui te prends-tu, d'oser interférer, pendant que nous nous concertons pour le verdict; sale petite humaine! -Siffle dédaigneusement Kerskor, en dégainant son épée.- Je vais m'empresser de t'apprendre à respecter notre grandeur!

-KERSKOR! -Gronde soudain Zoras.- Laisse-la parler!

L'intéressé ne peut dissimuler une grimace de mécontentement. Il lance un dernier regard suppliant à Zoras; mais face à l'imperméabilité de ce dernier, il se résout à obéir et range son arme. 

Je suis si proche de Rosalie, que je peux entendre sa respiration saccadée et son cœur battant à la chamade. Elle déglutit péniblement, avant de se lancer:

-Mon nom est Rosalie Lessart... enfin, ça, je crois que vous le savez déjà. Hum... ce que je voudrai dire, c'est que...

Elle reste, un instant la bouche entrouverte, hésitante; puis après une inspiration, dit:

-... je comprends, parfaitement, que vous mettiez tout en œuvre, dans le but de faire respecter les lois que vous avez établi, au fil des siècles. C'est tout à fait légitime. Malgré tout; je souhaiterais vous faire entendre les raisons qui ont poussé Alex à enfreindre votre règlement, pour nous faire venir ici; Clara et moi...

La jeune femme se tourne vers son amie, comme pour trouver du soutien. Kerskor profite de ce temps d'arrêt; pour s'écrier, en brandissant, derechef, son arme:

-Rien ne peut justifier que l'on se rebelle contre notre autorité! Celui qui bafoue nos lois devra en payer...

-KERSKOR!!! SILENCE!!! -Hurle Zoras, perdant patience.-

La Divinité suprême fait signe, à Rosalie, de poursuivre.

-Cela fait plusieurs années, qu'Alex, Clara et moi, nous nous connaissons. Notre rencontre s'est faite au sein de l'orphelinat, dans lequel nous avons été placés, après la mort de nos parents respectifs. Dès que je les ai vu; j'ai immédiatement su qu'ils deviendraient mes meilleurs amis. Les tragédies, qui ont frappé nos vies, avaient laissé, dans nos cœur, d'indélébiles blessures; que nous n'aurions pas pu soulager chacun dans notre coin.

Sa voix sanglotante la force à s'arrêter quelques instants. Derrière moi; je remarque les larmes couler, sur les joues de Clara; Alex, quant à lui, à un visage grave, refoulant ses émotions.

-Nous formions un trio inséparable, toujours à nous protéger mutuellement. Si l'un de nous avait des problèmes, les deux autres n'étaient jamais bien loin pour venir lui porter assistance. Pour preuve, je me rappelle d'un soir; peu de temps après mon admissions au sein de l'orphelinat; il faisait très chaud, je m'en souviens. J'étais encore hantée par le souvenir de mes parents. Ils me manquaient tellement... de surcroît; je ne supportais pas l'endroit dans lequel j'avais atterri.

Rosalie marque une courte pause, le temps de sécher ses larmes, d'un revers de main.

-Je n'avais qu'une obsession en tête; une seule: celle de rentrer chez moi, retrouver ceux que j'aime. Évidement, je savais que c'était impossible, alors... ne pouvant plus endurer ce manque, je suis sortie de mon lit, puis me suis éclipsée du dortoir, en direction des cuisines. Elles étaient fermées à clé, mais avec le frère que j'ai eu; crocheter des serrures n'a jamais eu de secret, pour moi. Une fois à l'intérieur...

La voyant très affectée, par ce qu'elle raconte, je lui pose une main réconfortante, sur l'épaule. Elle m'adresse un subreptice sourire, ses yeux bleus étincelant de larmes; puis me fait signe qu'elle veut terminer son récit.

-...je me suis retrouvée face à cette pile de couteaux. Je voulais vraiment en finir; alors je me suis saisie de l'un d'eux, déterminée à aller au bout de mon objectif. Au moment où je m'apprêtais à commettre l'irréparable; c'est là, qu'Alex et Clara ont pénétré la cuisine, en me disant: «C'est toi qui t'occupes de la bouffe?! Fais vite, on a les crocs!»

Rosalie laisse échapper un léger rire, au milieu de ses sanglots; en se remémorant ce souvenir.

-Donc, au lieu de me suicider, on a vidé les frigos de l'orphelinat; puis on s'est bien fait sermonner, le lendemain. Tout ça pour dire que, nous trois, c'est l'histoire de toute une vie. Il est inenvisageable, à nos yeux, que l'on soit séparé; tout simplement car nous sommes indissociables. Voilà pourquoi j'implore votre indulgence! Comprenez ce qui a poussé Alex à agir ainsi, à braver vos lois! Il n'a jamais pensé à mal. Il n'était, tout simplement, pas conscient des conséquences de ses actes. Tout ce qu'il désirait, c'était nous avoir à ses côtés, car nous avons ce besoin irrépressible d'être constamment ensemble et qu'il ne peut, tout simplement, pas en être autrement.

Elle se tourne vers le petit-fils de Madame Bellebranche et moi; en nous montrant, l'un après l'autre, de la main.

-Quant à Bruno et Arthème; je ne les connais pas depuis longtemps; mais de ce que j'ai pu voir d'eux, c'est qu'ils sont incommensurablement bienveillants et déterminés à faire exclusivement ce qui est juste. Ils n'ont jamais cherché à provoquer votre courroux. Ils ont juste agi pour le mieux, dans l'empressement et face à la pression qu'exerçait une situation désespérée. Alex allait mourir, alors voulant sauver mon ami, je n'ai fait que supplier Arthème. Il lui a sauvé la vie. Qu'auriez-vous fait, à sa place?

-Certainement pas ça! -S'emporte Kerskor.- Apporter notre aide aux humains; c'est nous condamner au déshonneur et...

L'ancien Réprouvé s'arrête net, lorsque son regard croise celui de Zoras. S'ensuit un silence total qui inonde la salle. Rosalie conclut, en s'écartant de la barre des accusés:

-Merci infiniment, de m'avoir écouté.

Je constate, dans les tribunes, que la plupart des Gardiens et Farfadets sont en larmes, face à ce récit émouvant. Je vois même le Flamine s'essuyer les yeux. Seules les Divinités restent impassibles, face à cette scène.

-Putain, comment t'as assuré, ma sœur! -S'exclame Clara, pleurant sans retenue; prenant Rosalie dans les bras.- Tu sais raconter les histoires, toi, au moins!

Soudain; les deux parties de l'Ecclésia se lèvent, presque simultanément, puis se mettent à scander:

-ACQUITTEMENT! ACQUITTEMENT! ACQUITTEMENT!

Au fond de moi, je commence à me sentir détendu. En l'espace d'un instant, la situation semble avoir tourné à notre avantage. 

Je scrute les tribunes, avec soulagement; n'étant même pas irrité de voir Vieux-Débris, assis sur son siège, les bras croisés et l'air grognon. À côté de ce dernier, le Farfadet-hippie, s'époumonant pour notre libération, perd quelque chose de sa bouche. Celui-ci s'écrit alors:

-Merde! Mon pétard!

À ce moment, je me mets à rire, comme je n'ai pas ri depuis longtemps. D'un geste de la main; Zoras fait taire l'assemblée, puis lance, d'une voix impérieuse:

-Nous vous remercions pour votre assistance, Ecclésia. Kerskor, Gaïloken et moi-même allons, maintenant, prendre un moment de réflexion et nous concerter. Ce après quoi, nous prononcerons le verdict.

Bien que tout le monde soit déjà debout, après une telle véhémence; le Flamine exige, par coutume:

-Veuillez vous lever! La cour est suspendue quelques instants.

Tous les regards sont tournés vers les Divinités. Une espèce de tension apparue. Seul le tambourinement de nos cœurs, contre nos poitrines, retentit dans le tribunal. Quel sera le verdict de ce procès? Le discours de Rosalie aura t-il suffit? 

Gaïloken finit par s'avancer, au centre de la Bêma. Le Flamine nous redemande, alors, de nous lever. D'une voix sans appel, La Divinité dévoile la décision finale:

-Tout d'abord, je vous remercie pour votre patience et pour l'aide fructueuse que l'Ecclesia nous a, une nouvelle fois, apportée. Concernant la question: «Mesdemoiselles Rosalie Lessart et Clara Olsen, sont-elles dignes de résider sur notre planète?»; nous avons répondu «oui», au résultat de deux voies contre une.

Une vive euphorie se propage dans tout le tribunal; faisant trembler le sol.

-Je me demande bien laquelle des trois Divinités s'est opposée, à ce que nous demeurions ici! -Ironise Clara.-

-À la question «Au vu des nombreux doutes qui ont plané sur lui, depuis son arrivé ici; Bruno Bellebranche représente t-il menace pour notre civilisation?»; nous avons répondu «non», au résultat de deux voies contre une.

Cette fois, nulle besoin de l'Ecclesia, pour mettre une note d'ambiance, dans le tribunal; Bruno s'en charge lui-même, gigotant les poings, d'un air triomphant et en hurlant des cris de victoires, voire quelques provocations à l'égard de l'ancien Réprouvé:

-Ouais! Whooo! Dans ta gueule, Kerskor!

Clara et Rosalie se voient même contrainte d'aider le catcheur à calmer son enthousiasme, tant il l'exprime avec un peu trop de vigueur.

-À la question: «Monsieur Alex Joval mérite-il de conserver son statut de Gardien et d'intégrer définitivement notre communauté?»; nous avons répondu «oui», au résultat de deux voies contre une.

Derechef, l'allégresse, dans les tribunes, se fait ressentir. Néanmoins, cette joie est vite interrompue, par Gaïloken, levant son index, en proclamant:

-Toutefois; ces décisions ne sont pas sans contreparties!

Un froid glacial parcourt mon corps. «Que veut-il dire par là?», me dis-je. L'estomac noué, j'aperçois sur le visage de mes amis, une expression déconcertée et angoissée.

-En effet, -reprend la Divinité,- afin que nous puissions accorder une totale confiance, à ces jeunes gens; ceux-ci devront faire leurs preuves!

-Que veut-il dire? -Murmure Clara, l'air grave.-

-Une épreuve leur sera donc imposée.

Des protestations se font entendre, dans l'Ecclésia. 

Sans attendre, en lançant une boule de feu, dans l'un des murs du tribunal; Kerskor ordonne:

-SILENCE!

Tout le monde reste abasourdi, face à une telle manœuvre. Même Zoras et Gaïloken regardent leur congénère, d'un air choqué. Ce que vient de faire Kerskor est un véritable sacrilège. 

Profaner un lieu aussi sacrée, que cet endroit, serait normalement passible d'exécution. Mais là; nul doute que Kerskor réussira, injustement, à s'en sortir. 

Tentant de retrouver contenance; Gaïloken reprend:

-Bon... Euh, comme je le disais; les accusés devront se soumettre à un test; pour qu'ils puissent nous prouver leur loyauté. Je vais laisser, tout le plaisir, à Kerskor, d'en détailler le contenu; étant donné qu'il en ait l'auteur.

-Ça m'étonne, tiens! -Ironise, derechef, Clara, dégoûtée.-

Celui qui vient de bafouer le tribunal, prend la place de Gaïloken, au centre de la Bêma. D'une voix tranchante, il explique:

-Bien. Je serai bref. Depuis quelques jours, déjà; nous avons de bonnes raisons de soupçonner qu'une évasion massive de Réprouvés se prépare; au sein de la prison Fengrad. La mission qu'incombera ces jeunes gens, sera la suivante: ils devront s'infiltrer, au sein de la prison et démasquer les rebelles. Une fois cela fait; ils devront nous rapporter leurs noms, pour que nous puissions contrecarrer les plans de ces impies! Un délai d'un mois sera accordé à nos accusés, pour accomplir cette tâche. Une fois ce délai passé; si aucune nouvelle, de leur part, nous a été transmise; ils seront considérés comme traîtres et alors, leurs tête sera mise à prix.

Malgré que plus personne n'ose ouvrir la bouche, les contestations sont visibles, sur les visages de bons nombres de Gardiens et de Farfadets, dans les tribunes. 

Je pousse un soupir, me persuadant que c'est enfin terminé; mais la voix de Kerskor, retentissant à nouveaux, m'indique que je me suis avancé trop vite.

-Pour conclure; à la question «Le Gardien, dénommé Arthème, doit-il subir le châtiment de l'Ablation; pour avoir outrepassé ses droits, une seconde fois?»; nous avons répondu «oui», à la majorité.

En entendant cela, mon corps ne répond plus, mes oreilles bourdonnent. Je manque de faire un malaise. 

Alors ça y est... Je vais subir l'Ablation. Le plus grand déshonneur d'un Gardien. Je n'arrive pas à y croire. Mes jambes flageolent tellement, que je dois me tenir à la barre des accusés, pour garder l'équilibre. 

D'un sourire sardonique; Kerskor annonce:

-Le châtiment se tiendra sur la grande place, de notre cité et aura lieu le quinze, du mois prochain. En attendant; Gardien Arthème, vous serez encellulé dans l'une des prisons que contient notre palais. L'audience est levée.

Je n'ai pas le temps de me remettre de mes émotions; que je suis empoigné par deux Gardiens robustes et emmené loin du tribunal.


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