3-Rosalie: Rendez-vous entre amis
Le soleil crépusculaire annonce la fin de l'après-midi. Je sors mon téléphone, afin de me faire une idée précise du temps qu'il nous reste, avant le début du couvre-feu. Dix-huit heures. Alex et Clara ont intérêt à se dépêcher; plus que trois heures, avant que les rues ne deviennent complètement désertes.
M'impatientant, mon regard passe en revue les alentours. J'inspecte le néon lumineux rose fuchsia, du bar; devant lequel j'attends mes amis. «La grotte de l'ivresse». Avec un nom pareil; je comprends pourquoi Alex nous a donné rendez-vous ici. Il affectionne, tout particulièrement, ce genre d'endroits malfamés.
Ça me rappelle le coup de téléphone de ce matin; dont il n'a eu de cesse de me tanner, la veille, pour que je le lui passe. Incapable de sortir du lit, par lui même! «Je suis vraiment idiote de lui rendre ce genre de services! Surtout que je suis persuadée que ce n'est même pas pour chercher un taf, mais plutôt pour effectuer ses trafics!»
Saisie par le froid hivernal, de cette mi-décembre, je décide d'aller à l'intérieur, me réchauffer. «Tant pis, ils me rejoindront», me dis-je.
En ouvrant l'ancienne porte en bois, à double battant; je manque de louper une marche. Je ne m'attendais pas à trouver des escaliers, en ouvrant la porte. D'autant plus que l'obscurité abyssale de l'endroit n'aide pas beaucoup. Je soupçonnerais, presque, le propriétaire d'entretenir des relations commerciales douteuses avec les hôpitaux.
Une fois remise de ma surprise, je descends la volée de marches, puis traverse une espèce de tunnel sombre et macabre. Au loin, des rires braillards et des verres qui s'entrechoquent me parviennent aux oreilles. Continuant d'avancer, en essayant d'éviter de me cogner dans les murs en pierre, de la lumière finit par se dessiner, à une bifurcation.
«Dans quel endroit sordide nous as-tu encore emmené, Alex?!». Je tourne sur la gauche, là d'où proviennent les rires et la lumière. Une pancarte précise «Bar». Tu m'étonnes; rien qu'à voir l'endroit, ça se devine. La plupart des clients sont déjà presque cuits, ne tenant quasiment plus debout, tout en tenant des propos incohérents.
Point positif, je passe, à peu de chose près, inaperçue. En voyant une table libre, dans un coin, je m'y dirige immédiatement. Commençant à regretter d'être venue, j'attends qu'Alex et Clara daignent se pointer. Les connaissant, je ne serai pas étonnée d'apprendre qu'ils se soient encore fourrés dans des ennuis.
Cependant, les cinq minutes qui suivent me donnent tort. J'aperçois Alex arriver, de sa démarche nonchalante. Ses cheveux mi-longs, auburn, ballottent au vent. Il me rejoint et prend une chaise, où il se vautre littéralement, comme il le ferait s'il s'agissait d'un canapé.
-Waouh, j'suis crevé!
Venant de sa part, engager une conversation d'une manière aussi désinvolte est tout ce qu'il y a de plus normal.
-Bonjour, à toi aussi.
Ignorant ma réplique, il se redresse, sur son siège, en regardant les alentours.
-Elle n'est pas encore arrivée, Clara?
-D'après toi?!
Avant que mon ami d'enfance ne réponde, je l'attaque directement sur le sujet qui me tient à cœur.
-J'espère que tu n'as pas prévu de compter sur moi, pour te réveiller, demain matin; car tu peux te brosser, mon vieux!
-Non, ne t'inquiète pas. La grasse matinée va, dorénavant, devenir routinière, pour moi!
-Que veux-tu dire, par là?
Face à mon expression troublée, Alex sourit d'un air malicieux; ce qui ne fait que renforcer mes soupçons à son égard.
-Alex, dans quoi t'es-tu encore fourré?
Avant qu'il n'ait eu à s'expliquer, une voix enjouée survient.
-Alors, ça a fonctionné?
En relevant la tête, je découvre Clara. Ses yeux couleur noisette sont rivés sur Alex. Ce dernier, apparemment réjoui qu'elle lui ait posé la question, s'empresse de répondre:
-Comme sur des roulettes!
-Yes! Tape là!
Simultanément, ils lèvent leur main droite et se la frappent l'une dans l'autre, comme pour se féliciter de quelques chose.
-Je rêve, Alex! Ne me dis pas que tu encourages Clara à te suivre dans tes trafics?!
-D'accord, je ne te le dis pas.
Franchement, j'adore Alex de tout mon cœur; mais qu'est ce qu'il peut m'énerver quand il se conduit de la sorte. Il est comme un modèle pour Clara, alors au lieu d'en tirer profit pour aider notre amie; il s'en sert pour en faire une délinquante. Ça me révolte!
-Tu aurais dû voir sa tête, à Boris; quand il a entendu la sirène des flics ou mieux, encore; quand je lui ai appris qu'il n'y avait même pas de flics! C'était vraiment à mourir de rire!
Clara s'esclaffe. Abasourdie, je ne peux m'empêcher de demander:
-C'est quoi cette histoire?!
Alex paraît soudain gêné. En revanche, Clara semble ravie de se vanter de ses exploits.
-En fait, Alex m'a demandé d'arriver avec une bagnole de flics, sirènes allumées, pour faire flipper les gros nazes, à qui il devait de l'argent!
-Attendez?! Vous avez volé une bagnole de flics!!!
Mon indignation est si peu contenue, qu'elle fait tourner certaines têtes, en direction de notre table; malgré tout le brouhaha environnant.
-On ne l'a pas vraiment volé, -se justifie Alex-, disons simplement que nous l'avons empruntée, sans permission; le temps que je règle mes petites affaires.
Je fusille Alex du regard, en m'enfonçant dans ma chaise, les bras croisés.
-Ne le prends pas comme ça, Rose -intervient Clara-. C'était génial! je me suis amusée comme jamais auparavant! Tu aurais dû voir les flics, courir après la bagnole; quand ils s'en sont rendus compte: hurlant de m'arrêter, tout en secouant bêtement les bras! On aurait dit des agents de piste, qu'on trouve sur les tarmacs des aéroports; c'était à mourir de rire!
-Vraiment?! C'est ça que tu veux, Clara? Finir en prison pour vol de voiture?!
-Ben, en même temps, je viens d'avoir mon permis de conduire et le prix des bagnoles est tout simplement inabordable. Conclusion; il faut bien que j'en profite, avec ce qui me tombe sous la main.
-C'est sûr que vu comme ça! -Lance Alex, en explosant de rire.-
Il se ressaisit rapidement, puis me regarde scrupuleusement; attendant le moment où je vais laisser éclater ma colère.
-En plus -poursuit Clara-, je te rappelle quand même, qu'adolescents, c'est toi qui nous faisais faire pas mal de bêtises! Qui nous as encouragés à mettre un camembert pourri, dans la bouche d'aération de l'orphelinat?
-Elle n'a pas tort, tu sais.
-Ferme-la, Alex.
J'accompagne ma réponse d'un regard mitrailleur.
-Ouais, enfin il y a aussi la fois où tu as eu l'idée de mettre du laxatif dans la machine à café du personnel de l'orphelinat.
À l'évocation de ce souvenir, qu'Alex a la gentillesse de me rappeler; je ne peux m'empêcher de laisser échapper un sourire; mais tente de reprendre très vite un air indigné.
Au moment où je m'apprête à les sermonner, derechef; notre conversation est interrompue, par l'arrivée d'une serveuse, à l'allure gothique et apparemment blasée.
-Vous voulez quoi? -Demande t-elle, sans entrain.-
-Une bière! -S'exclame Alex.-
-Ouais, pour moi aussi! -Intervient Clara.-
Je regarde cette dernière, dubitativement; en lui disant:
-Clara, tu n'as jamais bu d'alcool. Je ne suis pas sûre que ce soit une si brillante idée, que d'imiter Alex, dans tout ce qu'il fait.
-Eh, je suis là! Je t'entends!- M'indique t-il, avec des gestes de mains, pour signaler sa présence (bien qu'il n'ait pas besoin de ça pour qu'on le remarque, me dis-je intérieurement).-
-Ne t'en fais pas, Rose, ça va aller! -Lance Clara, en tentant, vainement, de me rassurer.-
-Bon alors; vous vous décidez; oui ou merde! -S'impatiente la serveuse.-
Je reste outrée, face à un tel manque de professionnalisme; cependant, Alex et Clara, avec leur bonne humeur du jour, me font signe de ne pas y prêter attention. Après avoir passé notre commande, nous constatons que le son, de la télé du bar, a doublé de volume.
Instinctivement, nous tournons, tous les trois, la tête vers l'écran, accroché au mur opposé à notre table. En apercevant le visage de la femme qui est interviewée, je comprends mieux pourquoi le barman a augmenté le son.
Il est impossible de ne pas reconnaître son horrible visage aussi froid qu'une pierre, bien que d'une beauté aux aspects angélique. Un visage qui a conservé l'aspect d'une trentenaire, grâce aux artifices de rajeunissement, auxquels Les Patriciens ont accès. Cependant, nous savons tous que son âge est deux fois supérieur à ce que ne laisse paraître son visage. Rien que de la regarder, je ressens de la nausée.
Aucun habitant de La Plèbe n'apprécie la présidente: Savannah Anders. Tout ce qu'elle fait n'a pour unique objectif que l'asservissement des pauvres et le profit des personnes plus aisées.
Une journaliste, à la voix mielleuse, l'interroge:
-Madame la présidente, vous qui venez d'être réélue pour votre quatrième quinquennat; beaucoup de rumeurs circulent, à votre sujet, sur la manière dont vous réussissez à conserver le pouvoir; depuis tant d'années. Qu'avez-vous à répondre à vos détracteurs?
Fidèle à elle-même, Savannah Anders conserve un calme olympien, tout en affichant un sourire:
-Je n'ai pas à répondre, face à de telles calomnies. Me justifier serait, en soi, une forme d'aveu. Je conçois, tout à fait, que ma popularité n'a rien d'analogue et qu'elle puisse déstabiliser certains de mes rivaux politiques, au point qu'ils essaient de me décrédibiliser au travers d'allégations totalement loufoques.
-Vous démentez donc ces accusations?
-Parfaitement.
-Pourtant, beaucoup de manifestations se sont déroulées, au moment de votre réélection. Notamment du côté de La Plèbe. Cela n'irait-il pas à l'encontre de votre «popularité sans entache»?
Subrepticement, Savannah jette un regard courroucé à la journaliste. La présidente n'apprécie pas que l'on évoque La Plèbe, en sa présence et encore moins qu'on la contredise. Très vite, elle se reprend, faisant mine d'être peiné, tout en poussant un léger soupir affligé.
-Certains citoyens, plus prolétaires que d'autres, ont beaucoup plus de mal à comprendre les enjeux financiers qui se cachent, derrière les nombreux efforts supplémentaires que je leur demande de fournir. Bien évidemment, je leur suis infiniment reconnaissante d'accéder à ces requêtes. Malgré tout, je souhaiterais, quand même, qu'ils prennent conscience que certaines causes valent la peine que l'on sacrifie notre vie, en leurs noms; comme par exemple: se vouer à travailler pour sa patrie.
-POUFFIASSE!!! -S'exclame Clara, indignée.-
À cet instant précis, je me fige. Insulter une personnalité politique est passible d'une amende et d'emprisonnement, voir de peine de mort, selon l'injure.
Certains regards se tournent vers notre table. En les apercevant, je prends la main de Clara et lui murmure:
-Calme-toi, ça ne sert à rien.
Évidemment, Alex, au lieu de me soutenir, décide d'envenimer la situation.
-Au contraire! Clara a raison! FERME TA GUEULE, SAVANNAH!!!
L'atmosphère, de la pièce, devient hostile et oppressant. Bien que la plupart des personnes, ici présentes, doivent certainement partager cet avis; aucune d'elle n'est résolue à s'attirer des ennuis avec l'autorité publique. Je recommande, alors, à mes amis:
-Je crois que l'on ferait mieux de partir.
Alex, trop insurgé pour s'en apercevoir avant, remarque, alors, l'animosité , à notre égard. Sans un mot, il acquiesce à ma suggestion. Nous nous levons calmement, tout en restant vigilants, puis rejoignons la sortie; sous les regards menaçants des clients et du personnel.
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