28-Alex: Le détecteur par traçabilité

En milieu d'après-midi; je n'arrive plus à rester en place. Je quitte précipitamment la maison. Lorsque Rosalie me surprend et me demande où je pars; je décide de ne pas lui mentir:

-Je vais voir Arthème.

Elle hausse les sourcils; apparemment surprise, mais n'y trouve, cependant, aucune objection. 

Une fois dehors; ne sachant pas me servir de mes ailes, je décide d'aller prendre un Dahu. 

Il démarre, comme à son habitude, au quart de tour; m'emmenant, en l'espace d'un instant, à la destination souhaitée. Il freine si brutalement; que je manque, de justesse, d'être expulsé de son dos.

-Waouh! doucement l'ami.

En descendant de ma monture; j'aperçois Arthème devant l'entrée du temple. Je soupçonne fortement qu'il attendait ma venue. 

En m'approchant, je distingue des cernes amplifiant la vacuité de son regard. Il semble épuisé. Depuis que je l'ai rencontré; il ne m'est jamais apparu dans un tel état de vulnérabilité. 

J'essaie, inutilement, de lui dissimuler le saisissement qui me submerge, à cet instant. Comme pour tenter d'apaiser mon inquiétude, il me dit:

-Ne t'en fais pas... Je vais bien.

Je ne peux m'empêcher d'ironiser, au risque de le froisser:

-Ouais, je vois ça! Ce n'est quand même pas les Divinités qui te mettent dans un état pareil?

Arthème ferme, soudain, les yeux; comme s'il était pris d'une violente migraine, dû à mon évocation des Divinités. 

Le teint livide, que revêt son visage, me retourne l'estomac. Son expression me rappelle les tourments de Bruno et de sa grand-mère, dû à leur conflit avec Kerskor. 

Je repense également à Vieux-Débris, qui est persuadé que l'on va y passer, lors de ce procès. Je commence à comprendre l'impact qu'ont les Divinités, sur ce territoire: elles inspirent la terreur. 

Arthème manque de faire un malaise; j'essaie alors de le rattraper, mais refuse mon aide. Il s'appuie contre le mur du temple, le temps de récupérer ses esprits. Il me fait signe de le suivre, à l'intérieur. 

En pénétrant dans la salle de méditation; je suis légèrement incommodé par le parfum d'encens dans lequel est imprégnée la pièce. Arthème tousse plutôt violemment, tout en essayant de me demander:

-Je suppose que cette visite impromptue, dont tu me fais l'honneur; n'est pas simplement dû à ta courtoisie.

Je laisse échapper un léger rire perplexe.

-Tu ne m'avais pas dit que l'une des Divinités était un ancien Réprouvé.

-Qu'est-ce que ça aurait changé?

-Je sais pas; tu ne t'es tout simplement pas dit que ça pouvait avoir son importance, que je le sache?

-Non. Te mettre dans la confidence n'étais pas légitime, à mes yeux. D'autant plus que tu as fini par l'apprendre, de toute façon; donc de quoi te plains-tu?

-J'en reviens pas! En fait; tu ne me fais toujours pas confiance...

-En aucun cas. -Me répond t-il, d'un sourire espiègle.-

Derechef, il toussote violemment. Je m'approche de lui, soucieux par ces subites quintes de toux.

-Arthème; qu'est ce qui ne va pas?

Il se redresse, en rétorquant impérieusement:

-Ce n'est rien. Inutile de s'inquiéter.

Au fond de moi; je sais qu'Arthème me ment. Il y a quelque chose qu'il souhaite me cacher. Ça a le don de m'agacer, cependant je parviens à me contrôler. Afin de mettre un terme à mes questions; il change subitement de sujet:

-Puisque tu as fait tout ce chemin; autant que j'en profite pour te montrer quelque chose.

-Me montrer quoi?

Le Gardien m'indique de le suivre. Le voyant peiner à marcher; je l'attrape sous l'aisselle. 

Tel un GPS, il m'indique le chemin à suivre. Nous traversons la cour, passant devant plusieurs temples majestueux, semblables à ceux que l'on trouve au Japon. 

Chacun, par leur «toit décoratif», également appelé «mokoshi»; donne une impression de grandeur supérieure à la réalité. Les cerisiers qui les entourent ainsi que les étangs et les petits ponts en pierre ont un effet d'apaisement. 

Je suis plongé dans un état profond de zénitude; bien qu'Arthème n'ait pas l'air mieux pour autant, de ce que je peux remarquer. 

En arrivant devant un temple; un farfadet gardant l'entrée, nous remet un trousseau de clés. Arthème en étant incapable; je déverrouille et ouvre la porte. Nous pénétrons à l'intérieur d'une étroite pièce sombre. 

Je reste bouche bée face à un tel capharnaüm. Plusieurs piles de grimoires anciens sont entreposés sur les tables, des lampes à huiles jonchent le sol, des portraits de Gardiens sont posés négligemment contre les murs. J'effleure malencontreusement une table et une abondante couche de poussière se répand dans la pièce, me faisant éternuer.

-Et dire que Rosalie m'a toujours trouvée bordélique... Rappelle-moi de lui faire visiter cet endroit.

Ignorant ma remarque, le Gardien me désigne un objet dissimulé derrière un tissu. C'est à peine s'il parvient à dire:

-Là...

Je fais asseoir mon ami, sur un tabouret traînant dans un coin. J'enlève ensuite l'étoffe qui recouvre l'objet, qu'il m'indique; dévoilant un gigantesque miroir aux contours dorés.

-Waouh! Classe, la relique! Tu veux participer à une vente aux enchères?

Difficilement, Arthème m'ordonne:

-Rentre dedans...

Pendant quelques secondes, je reste immobile, pensant avoir mal compris. Puis, il répète:

-Vas-y! Pénètre à l'intérieur du miroir...

Je souris, d'un air interdit.

-OK, ça n'a même pas l'air d'être une blague, en plus.

M'approchant de lui, je susurre, d'un ton railleur, en lui touchant le front avec la paume de la main:

-Tu veux que je te prenne ta température. Ton état semble avoir empiré.

Ma blague n'a pas vraiment l'air d'être à son goût. Il fronce sévèrement les sourcils; me faisant comprendre que je dois obéir à sa requête. 

Après m'être, à nouveau, approché du miroir, je demande:

-Comment suis-je censé faire ça?

-Avance, comme si tu voulais pénétrer dans une pièce.

D'un pas hésitant, je m'exécute, en bougonnant:

-Qu'est-ce qu'il faut pas faire, pour enjouer un malade.

Sans que je ne m'y attende, la glace du miroir commence à onduler, comme de l'eau et m'entraîne en son fond. J'ai l'impression de plonger dans de la flotte glacée; puis, soudain, je suis transporté en plein milieu d'une salle de conférence. Abasourdi, je maugrée:

-Qu'est-ce que je fous là, maintenant?!

Le brouhaha, dans mon dos, me pousse à me retourner. Immédiatement, je suis aveuglé par une salve de flash, me photographiant; avec des journalistes me bombardant de questions. Je m'écrie alors:

-Ça va, ça va! Je sais que je suis beau; mais quand même...

En entendant l'une des questions de l'un des journalistes; je comprends alors que tout ce tralala ne m'est pas destiné:

-Madame Anders; ne craignez-vous pas des représailles, après cette nouvelle mesure drastique, que vous venez d'instaurer?

En regardant autour de moi; je m'aperçois, soudain, de la présence d'une grande silhouette charismatique, vêtue d'un élégant tailleur anthracite. 

En voyant sa magnifique chevelure blonde et son visage rajeunis par des artifices; je reconnais instantanément la présidente Savannah Anders. 

Aussitôt, sans me soucier qu'elle m'entende, je m'exclame:

-Allons bon; qu'est-ce qu'elle vient foutre ici, cette salope?!

Visiblement, l'intrus n'est pas celui que je crois. 

Mon injure ne provoque, absolument, aucune réaction; alors, que normalement, ma tête aurait été mise à prix pour moins que ça. 

J'en déduis donc que je suis une sorte de fantôme; assistant à une scène s'étant déjà déroulée ou se produisant en ce moment-même, sur terre.

De sa voix chantante sonnant fausse; la présidente répond au journaliste:

-En aucun cas, non. Je pense, au contraire, que nos citoyens sont suffisamment aptes à comprendre l'importance, incontournable, de cette mesure.

Elle prend une grande inspiration, avant de reprendre, avec un sourire mielleux:

-Il s'agit, par là, d'assurer une sécurité pérenne, au sein de notre grande nation. Cette mesure préconise notre sécurité; LA sécurité de chaque citoyen! La sécurité assure la liberté!

Une autre journaliste intervient alors:

-Pourtant, vous ne pouvez pas nier que votre détecteur par traçabilité suscite de vives réactions, chez vos opposants; mais également au sein de la Plèbe.

Cette question me rappelle celle qu'avait déjà posé une journaliste, à la présidente; le soir où j'avais retrouvé Rosalie et Clara, au bar «l'antre de l'ivresse». 

La réaction de Savannah s'avère être la même que lors de ce même soir. Son sourire s'efface aussitôt, à l'énonciation de la Plèbe. 

Malgré tout, elle parvient tout de même à garder une certaine contenance.

-Bien. Alors dites-moi juste une chose: lorsque des tragédies viennent, inopinément, bouleverser la vie d'un citoyen; comme par exemple, disons... la disparition d'un proche; que se produit-il? Je parle, évidemment, au sens propre du terme.

La journaliste, bouche entrouverte, reste muette, ne sachant quoi répondre. Savannah, retrouvant son sourire mielleux insupportable; reprend:

-Le citoyen est alors en quête de réponses; n'est-ce pas?!

Toute la salle semble acquiescer de force.

-C'est d'ailleurs légitime. -poursuit-elle.- Nous avons tous le droit de savoir ce qu'il advient, de nos proches disparus. Surtout en ces temps troublés par la guerre, les crises et les maladies. Il n'y a rien de plus horrible qu'une victime sans nom; un deuil irrésolu. N'êtes-vous pas d'accord?

Derechef, tous, acquiescent unanimement.

-Mais si je vous certifiais qu'il y avait une solution immédiate, à ce problème?! Ne seriez-vous pas ravi, de vous dire que vous n'auriez plus à vous inquiéter de savoir où se trouvent vos proches?! Que nous parviendrons à retrouver tout ceux qui vous sont chers?! Le détecteur par traçabilité est LA solution! Il est la réponse au problème. Avec ça; nous pourrons vivre sereinement. La sécurité sera le maître mot de notre pays.

Elle sort une micro-puce, de la poche de son tailleur, la montrant à la foule.

-Si vous êtes des sympathisants de la paix; alors, embrassez cette cause, comme vous embrasseriez, affectueusement et avec bienveillance, votre femme, votre mari ou même... votre enfant.

Elle brandit la puce, comme un trophée, en s'exclamant:

-Pour un monde plus sûr et plus juste, je vous conjure d'adhérer au détecteur par traçabilité; afin qu'ensemble nous puissions bâtir un monde meilleur; un monde plus juste et plus stable... un monde où nos enfants pourront vivre sereinement et dignement! Soyez pour la paix et la sécurité... En d'autres termes: soyez pour le détecteur par traçabilité!

Toute l'assemblée se met, aussitôt, à applaudir; hormis deux ou trois journalistes, se regardant avec appréhension. 

Soudain; le décor, autour de moi, se met à onduler, puis devient flou. D'un coup; je ressors du miroir, avec cette sensation d'émerger d'une eau glacée. 

En revenant dans la petite pièce sombre, je suis déséquilibré, surpris; renversant quelques piles de grimoires, au passage. 

En retrouvant ma stabilité; j'aperçois Arthème, qui me dévisage.

-Alors, tu l'as vu?! -Me demande t-il.-

Une rage intense me parcourt.

-C'est le plan machiavélique qu'elle prépare depuis longtemps. Nabra me l'a révélé, avant de mourir. -Me confie le Gardien.-

-Cette vieille garce veut pucer la population?! Prêchant la sécurité, elle instaure un contrôle totalitaire?!

Face à moi; le Gardien acquiesce, d'un air affligé. Ne pouvant me contenir d'avantage, j'envoie un violent coup-de-poing dans le mur en pierre, en m'exclamant:

-Nous devons l'en empêcher!

-Ce n'est pas le bon moment!

-Alors quand?!

-Pour l'heure, -soupire Arthème,- nous devons nous concentrer sur notre procès! Après, on s'occupera de Savannah et de ses plans abjectes!

Progressivement; je récupère mon calme, fixant, au passage, mon poing sanglotant. 

Difficilement, mon ami se relève, se tenant au mur pour s'aider. Instinctivement, je vais lui prêter main forte.

-Ramène-moi au temple, puis rentre chez toi. Il doit être tard.

En effet; je suis surpris; en sortant de la pièce; de constater que le soleil de début d'après-midi à laissé place à un ciel obscur et étoilé. 

Je ne pensais pas avoir passé autant de temps à l'intérieur du miroir. 

Une fois Arthème déposé dans son temple de méditation; je récupère mon dahu et retourne chez Bruno. En chemin; je ne peux m'empêcher de me repasser en boucle, dans ma tête, les évènements auxquels je viens d'assister. Ils tournent inlassablement, dans mon esprit, tel un film sans fin. 

De ce fait, lorsque je pénètre dans la chambre et que je vois Rosalie réveillée; attendant mon retour; je ne peux me retenir de tout lui raconter en détail.


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