En ouvrant les yeux, les rayons du soleil, traversant les volets, m'aveuglent intensément. Je place ma main en visière, tout en battant des paupières, afin de m'adapter à la luminosité. 

Je soupçonne fortement la matinée d'être bien entamée, voir même que midi soit passé. Les bruits extérieurs me parviennent audiblement. Mieux qu'auparavant; comme si le fait d'avoir été transformé en Gardien, avait amplifié mon audition. 

J'entends Madame Bellebranche, tricoter au soleil, faisant grincer son rocking-chair. J'entends également Clara et Bruno revenir d'une ballade. Je finis par distinguer la voix de Connor, qui vient prendre de mes nouvelles auprès de mes compagnons. 

Au fil de la conversation, j'apprends que l'écho de ma transformation s'est répandue, sur Zibaë et qu'Arthème a été très sollicité ces derniers jours, de ce fait. Mon cœur s'emballe, en entendant le nom de celui qui m'a fait devenir un Gardien. À quels problèmes est-il confronté actuellement?! Les Divinités sont-elles déjà au courant? Certainement, oui. 

Si comme le prétend Connor, l'annonce de ma transition s'est répandue; alors il est plus que probable que ceci n'est pas échappé aux Gardiens les plus puissants de Zibaë. Dans ce cas; quelles en seront les répercussions?! Je ne sais pas encore dans quoi je me suis fourré; mais j'ai un très mauvais pressentiment. 

Je sens mes ailes frémir. Cela me fait une drôle d'impression, n'étant pas encore habitué à cette nouvelle partie là, de mon corps. 

Reportant mon attention, sur la conversation extérieure; je constate qu'ils ont changé de sujet. Clara et Bruno, qui se sont mêlés à la conversation, parlent des festivités du nouvel an, qui se sont tenues deux jours auparavant, sur la place du village. 

Au vu de ce qu'il s'est passé, lors de la dernière fête, à laquelle j'ai participé, je n'ai pas vraiment cherché à prendre part à celle-ci. D'autant plus que la majorité des villageois me tiennent rigueur des dégâts qui ont été engendrés, par le dragon. 

Je ne peux pas vraiment leur en vouloir; cependant; après la semaine intense que nous avons passé à essayer de réparer les casses (avec l'aide précieuse des pouvoirs des Gardiens et des Farfadets), j'espère qu'ils ne vont pas garder de la rancœur à mon égard. Après tout, le village a presque récupéré son aspect antérieur. 

Soudain, un étrange bruit de grattement me sort de mes pensées. Cherchant l'origine du raffut, dans la pénombre, je me redresse et cherche à tâtons une torche. Une légère jérémiade me fait reconnaître la voix de Vieux-Débris. 

Je mets la main sur la torche, puis éclaire dans la direction du bruit.

-Aaaah! Éteins ça, tu m'aveugles; abruti d'humain! -Hurle t-il, en mettant sa main devant les yeux.-

Je le vois, à moitié extrait d'un trou entre le plafond et le mur.

-Tu as conscience que je ne suis plus humain! -Je rétorque, en éteignant ma torche.-

Il soupire, d'un air exaspéré. En essayant de sortir le reste de son corps, du trou, il rétorque:

-Quelle triste réalité, en effet. Où allons-nous, maintenant; si même les vauriens deviennent des Gardiens.

Intrigué par son passage secret; je lui demande:

-Pourquoi passes-tu par le toit, pour rentrer?! Tu te prends pour le père noël ou quoi?

D'un léger «ploc», il se décoince de la cavité et tombe sur le haut d'une armoire, avec un certain style. J'en conclus qu'il n'est pas à son coup d'essai. 

En se relevant, il fouille dans sa salopette, puis en sort une enveloppe, qu'il me lance dédaigneusement.

-Tiens. Un colombogramme, pour toi!

-Un quoi? -Je demande, surpris; en attrapant l'enveloppe.-

-Un colombogramme. Ce sont les messages envoyés par les pigeons voyageurs!

Je le regarde avec un certain amusement.

-Et c'est toi, le pigeon, qui vient m'apporter le courrier; dans l'histoire?

-Ha, ha; très drôle! Tu riras, sans doute, moins lorsque tu verras que ce courrier provient des Divinités, elles-mêmes!

Immédiatement, mon cœur se serre et mon envie de rire se dissipe aussi rapidement qu'un feu qu'on étouffe. Je ne m'attendais pas à avoir aussi rapidement des nouvelles, sur ma situation.

-T'es dans la mouise, mon p'tit gars! Content de t'avoir connu! -Me nargue le Farfadet, avec un rictus malfaisant.-

Venant de lui, je trouve l'expression "mon p'tit gars", assez ironique. Cependant, l'instant présent me fait ignorer ce détail. 

Ne parvenant pas à contrôler mes tremblements; je retire difficilement, mais le plus délicatement possible, le cachet rouge-sang de l'enveloppe. À l'intérieur, j'en retire une lettre parfaitement pliée. Je l'ouvre, afin d'en lire le contenu:

Monsieur Joval,

Nous nous permettons de vous envoyer cette missive, après avoir eu vent d'une nouvelle qui nous à été extrêmement désagréable. 

Il semblerait, à écouter les murmures qui circulent; que vous soyez parvenu, avec l'aide de certains de vos amis humains, à convaincre le Gardien dénommé Arthème; à faire de vous un Gardien. 

Étant soucieux de faire respecter nos lois, au sein de notre communauté; vous comprendrez que nous ne pouvons tolérer une telle provocation, de votre part. 

Aussi, votre présence est donc sollicité à la date du 12 Janvier prochain dans notre majestueux tribunal; où se déroulera votre procès. Veuillez croire, Monsieur Joval, en l'expression de nos sincères salutations.

Le Département de la Justice divine des Gardiens et des Humains

Je reste sans dire un mot, pendant plusieurs minutes. 

Le regard jubilatoire, de Vieux-Débris, me dévisageant m'est d'autant plus insupportable, que cette convocation est injuste. 

Je tourne le regard vers le Farfadet. Ce dernier me rit au nez, en me tirant la langue.

-T'es foutu mon pote! C'est l'échafaud qui t'attend!

Devinant que je m'apprête à lui balancer à la figure, le premier objet qui me tombera sous la main; le Farfadet prend ses jambes à son cou et part se réfugier dans le trou, par lequel il est entré, en sautant depuis l'armoire où il se trouve. 

Enfin seul; je me rallonge sur le sol dur et froid, méditant sur les évènements à venir. Je tente de me détendre; inspirant, puis expirant. Répétant cette manœuvre quelques fois. Contrôlant mon rythme cardiaque, faisant disparaître toutes les tensions survenues depuis mon réveil. 

Je manque de me rendormir, quand la porte de la chambre s'ouvre à la volée.

-Alex, il faut que je te parle! -S'écrie la voix, habituellement harmonieuse, de Rosalie.-

Cependant, dans le cas présent, je dénote une certaine crainte, dans son intonation. J'ouvre doucement les yeux; m'attendant déjà au pire.

-Qu'est-ce qu'il y a, encore?

-Nous sommes convoqués à une audience, par les Divinités!

-Je sais. J'ai reçu la lettre qui... Attends; comment ça «nous»?

Le message ne stipulait pas d'autres prévenus. Je pensais être le seul concerné par cette calomnie.

-Arthème, Bruno, Clara, toi et moi. -Explique Rosalie.- Chacun d'entre nous, avons reçu une lettre, nous en informant.

Elle me brandit le colombogramme qu'elle a reçu.

-OK; Arthème doit être accusé de m'avoir transformé! Mais vous; en quoi êtes-vous impliqués dans tout ça?

Soudain, un élément de la lettre me revient en tête: «Il semblerait, à écouter les murmures qui circulent; que vous soyez parvenu, avec l'aide de certains de vos amis humains, à convaincre le Gardien dénommé Arthème; à faire de vous un Gardien.»

-Ne me dit pas qu'ils vous accusent d'avoir influencé Arthème, pour ma transformation?

-C'est exactement ça. D'autant plus, que Clara et moi sommes arrivées sur Zibaë grâce à Zephael. Visiblement, les Divinités l'ont également appris; elles nous en portent rigueur dans la lettre.

Je donne un coup de poing dans le sol. Sérieusement, qu'est-ce que c'est que ces tyrans?! Une rage immense m'envahit.

-Je vais aller voir Arthème; il va trouver une solution!

-Non, attend, Alex...

Je tente de m'extirper de l'étreinte de Rosalie, qui essaie de me retenir; néanmoins, je cesse de me débattre, lorsqu'elle me dit:

-Il y a autre chose, dont je voulais te parler! C'est le plus important, qui plus est!

-Quoi?! Pire qu'une convocation au tribunal des Divinités?! Tu veux rire, j'espère?

-Madame Bellebranche nous a recommandée une extrême prudence; surtout envers l'une des trois Divinités... Un dénommé Kerskor, je crois.

-Pourquoi?! Qu'a t-il de spécial, celui-là?

-Apparemment, ce serait un ancien Réprouvé.