21-Alex: Assaut surprise

À l'aube; lorsque Sibylle vient nous tirer du lit, on se dépêche de la rejoindre dehors (perdant dix minutes, au passages; à essayer de réveiller Bruno, qui dormait profondément).

L'Enchanteresse ne manque pas de me sermonner, pour l'oreiller que j'ai essayé de lui jeter à la figure, lorsqu'elle a ouvert les volets de notre chambre. Bien que cette dernière ait su l'esquiver, avec aisance; Clara, elle, n'a pas eu cette chance. Résultat, ça a failli dégénérer en bataille de polochons (donc, rectification, on a peut-être perdu un peu plus de dix minutes, au final et pas uniquement à cause de Bruno).

Une fois à l'extérieur; je me fige en découvrant le Gardien qui l'accompagne. Très reconnaissable avec son accoutrement de cowboy; Connor nous affiche un sourire radieux. Malgré ses airs sympathiques et décontractés; je reste sur le qui-vive.

-Alex, attend! Je voulais justement te parler de Sibylle et de Connor... -Tente de m'interpeller Rosalie, en les voyant ensemble.-

-Qu'est-ce qu'il fait là, lui?! -Je demande, sans détours, à Sibylle, ne laissant pas le temps à Rose de développer ce qu'elle souhaitait m'expliquer.-

-Mais où sont passées les bonnes manières?! -Interroge Connor.- On pourrait d'abord commencer par se souhaiter le «bonjour»; tu ne crois pas?

-Non. Je préfère aller droit au but. Si tu es là pour une autre raclée au bonneteau; sache que je suis pressé.

Sibylle se poste entre nous, pour tempérer les tensions apparentes.

-Alex, calme-toi; s'il te plaît.

-Ouais; Alex calme-toi! -Rajoute Connor, d'un ton plus moqueur que réprobateur.-

Je m'avance vers lui; menaçant. Ce gars n'a pas à interférer dans ce qui ne le regarde pas. Avant d'avoir eu le temps de rétorquer quoi que ce soit; Sibylle me lance de but en blanc:

-L'ami, que nous sommes venus chercher; c'est lui... c'est Connor!

-Ah, je comprends mieux, maintenant. -Murmure Rosalie.-

Éphémèrement, je reste estomaqué; ignorant par la même occasion ce que vient de dire mon amie et étant trop concentré à toiser le cowboy, pour vérifier la fiabilité de son profil.

-Attends... C'est ce guignol, ton ami?

-Eh, oh! Un peu de respect, je te prie. -S'indigne Connor, d'une voix pâteuse, aucunement crédible.-

Derechef, je le toise, désinvoltement. N'y prêtant pas attention; il déclare:

-Je suis quand même le bandit le plus recherché de Zibaë! Tu ne peux pas en dire autant; hein?!

-Me défiez pas, sur ce terrain là; je pourrais vous surprendre.

-Non, Alex! Ce ne sera pas nécessaire! -S'empresse d'intervenir Rosalie, anticipant le pire.- Monsieur ne te défi absolument pas.

Elle se tourne vers le cowboy, espérant qu'il lui apporte son soutien.

-N'est-ce pas, que vous ne lui lancez aucun défi?

-Un peu; que je le défi! Personne ne m'a jamais détrôné! En vingt ans, j'ai été convoqué à plus de quarante audiences! Une moyenne de deux procès par an! Essaie de faire mieux; petit insolent!

Je ricane, nullement impressionné.

-Ce ne sera pas difficile.

-Bon, stop les querelles d'égo! -Tranche Sibylle, agacée.- On est pas là pour ça! D'autant plus, Connor, que tu n'es pas le bandit le plus recherché! Aucun doute que tu détiennes la deuxième position, mais ne surestime pas tes compétences.

-Pardon! Cite-moi une personne, une seule; qui soit d'avantage dans le viseur des Divinités, que moi!

Sibylle hausse les sourcils; fixant Connor droit dans les yeux. Visiblement, ce duel de regard finit par convaincre le cowboy, qui se résout, baissant les yeux vers le sol:

-Ah oui. Je vois à qui tu fais référence. La personne qui aime afficher cet emblème!

Il fait un signe de tête; pour désigner le mur, derrière. En me retournant, pour regarder, j'aperçois un étrange symbole, tagué dessus. Ça ressemble à une paire d'ailes (une noire et une blanche), chacune en train de brûler. Entre les ailes, se trouve un magnifique clair de lune.

-C'est sûr qu'en prenant en compte cette référence, là; -Reprend le cow-boy-; en effet, je finis seulement deuxième. Malgré tout; elle a moins de procès que moi, à son actif.

-Normal! On ne l'a jamais retrouvée.

Clara, toujours obnubilée par l'étrange graffiti, demande avec curiosité:

-Que veut dire ce symbole?

Visiblement, sa question semble dérangeante. Sibylle et Connor se regardent, d'un air embarrassé. J'ai même l'impression d'entendre un grognement, dans mon dos. En tournant la tête, je vois Bruno; dont l'expression reste aussi indéchiffrable qu'un joueur de poker, à cause de ses lunettes de soleil.

-Écoute, ma p'tite, -Lance Connor, en répondant à Clara-, moins tu en sauras sur ce sujet; mieux ça vaudra!

-Mais...

-Il a raison, -coupe Sibylle-. Il est préférable que vous restiez à l'écart de ce genre d'histoire.

Au moment où je m'apprête à venir prêter main forte à Clara; Rosalie me devance:

-Désolée d'interrompre votre combat de coq, mais, il me semble, qu'on a plus urgent à faire, dans l'immédiat.

-Voilà qui est plus sage, en effet. Revenons-en au principal. -Soutient l'Enchanteresse, ravie de pouvoir clôturer ce sujet.-

Revenant au sujet principal; Sibylle nous explique que Connor a élaboré un plan, pour écarter de leur poste, les sentinelles protégeant l'entrée du château. Cela nous donnera, alors, l'opportunité de pénétrer à l'intérieur de l'enceinte. 

Lorsque nous demandons, au cowboy, quel est ce plan, dont il semble si fière; ce dernier répond, en jubilant:

-Vous verrez bien, là-bas! Je vous garantis, d'avance, que vous ne serez pas déçus!

Cette réponse n'est pas franchement faites pour me rassurer. Je constate, au passage, que mes amis ne semblent pas plus convaincus que moi.

-Comment allons-nous y aller? -Demande judicieusement Rosalie.-

Connor s'approche des dahus; ligaturés à des barres d'attaches. Il en libère un; en recommandant une idée:

-On a qu'a en faucher un, chacun.

-Faucher?! -S'exclame Rosalie, espérant avoir mal entendue.-

-Oui; en piquer un, en somme.

-Je connais la définition de ce mot.

Elle reste ahurie, face à un tel manque de moralité, de la part du cowboy. Clara, souriante, s'approche d'elle, lui conseillant:

-Si tu ne sais pas comment faire, Rose; demande à Alex; il se fera une joie de t'apprendre. c'est d'ailleurs grâce à son enseignement, que j'ai appris à ne jamais me faire prendre.

De plus en plus outrée; Rosalie jette, désormais, son dévolu sur moi et me lance un regard à la fois glacial ainsi qu'estomaqué. Elle s'avance vers moi; déterminée. 

Devinant ce qui m'attend, j'essaie de prendre un air innocent; au risque de passer pour un abruti. 

Les mains sur les hanches, elle se poste devant moi, me demandant sèchement:

-Rappelle-moi ce que l'on nous a appris, dans les arts-martiaux?

Le regard fuyant; je répond vaguement:

-Euh... à nous battre, j'imagine.

-Pas seulement. Rappel-moi les sept vertus du Bushido.

-Le Bushido... le code des samouraïs?

-Ben oui, idiot. Il n'y en a pas trente-six.

Je fais mine de réfléchir; bien que rien ne me vienne à l'esprit. Pas étonnant; c'était la partie du cours, que je n'arrivais jamais à suivre, bizarrement. Rosalie soupire, exaspérée.

-En voilà deux: rectitude et honneur. Il n'y a aucun honneur, ni aucune droiture à s'approprier ce qui n'est pas à soi et encore moins à en enseigner la doctrine. Souviens t'en.

Elle tourne les talons; j'en profite alors pour lancer:

-Ça va. Je lui ai appris uniquement à voler les bagnoles de flics et la bouffe, dans les supermarchés. On va pas en faire un fromage, non plus.

-Je ne veux même pas le savoir! -Rétorque t-elle, sans se retourner.-

Rosalie tente ensuite de convaincre le reste de la bande, de ne pas voler ces dahus. Je dois reconnaître que c'est un spectacle assez amusant, à regarder. Au final; sans grande difficulté, elle parvient à rallier Sibylle et Bruno, à sa cause. Connor, agacé; déclare:

-Bon, alors; qu'est-ce qu'on fait? Nous n'allons tout de même pas aller à pied?!

-Allez, Rose; soit cool! -Supplie Clara.- Pour une fois; tu peux bien faire une entorse à tes principes! Tu vas voir; enfreindre les règles, c'est plutôt drôle!

Au moment où Rosalie, les yeux exorbités, s'apprête à réprimander Clara; des voix s'élèvent, près de l'auberge.

-Eh, vous là-bas! Qu'est-ce que vous faites près de nos dahus?!

Une bande de six olibrius nous dévisagent farouchement. N'étant pas pourvus d'ailes; j'en déduis qu'il s'agit d'un groupe d'humains. 

Aussitôt, j'entends Connor murmurer:

-Et voilà! Si on s'était décidé plus tôt, nous ne serions pas dans ce pétrin.

Un vieillard, parmi les nouveaux venus; s'indigne soudainement, désignant Connor:

-Mais... C'est mon dahu, que tu tiens; l'escroc!

Le grand-père déroule un fouet, attaché à la ceinture (certainement celui qu'il utilise contre son animal, lorsque celui-ci n'avance pas assez vite), puis menace le cowboy:

-Rend-moi mon dahu ou tu vas le regretter, voleur!

Rosalie tente de s'interposer; déclarant la première idée, qui lui passe par la tête:

-Non, attendez... euh, il vous l'achète!

J'aperçois l'expression consternée de Connor, qui s'indigne, envers Rose:

-Non, mais de quoi je me mêle?!

Mon amie se retourne, en maugréant:

-J'essaie de nous sauver la mise; au cas où tu n'aurais pas remarqué.

-Et comment vais-je acheter leurs dahus; Madame Je-Suis-Trop-Honnête-Pour-En-Piquer-Un?! Je te rappelle, qu'à cause des escroqueries que j'ai dû rembourser, hier soir; j'ai plus un rond! Même payer ma nuit, à l'auberge, fut un moment... délicat.

Rosalie le dévisage intensément; tentant de saisir le sous-entendu qu'il vient d'émettre.

-Allez, ça suffit! -Intervient celui qui semble mener la bande de contestataires.- On sait très bien qu'il n'a pas de quoi payer! Pas après la somme astronomique, qu'il a dû nous rembourser! Alors fichez-moi le camp!

Je m'avance vers leur leader; un rondouillard à chapeau, se croyant intimidant. Il me fixe, de toute sa hauteur. Comme à l'accoutumé, je soutiens le regard, puis finis par tenter le tout pour le tout:

-Tu me reconnais?

L'homme lève les sourcils, surpris.

-Pourquoi; je devrais?

-Disons que c'est grâce à moi; si, tous les six, vous avez récupéré votre bourse. Donc, en quelque sorte, vous m'êtes redevable.

-C'est une blague?

L'homme explose de rire. Moi, en revanche, je conserve mon sérieux. Quand l'individu cesse de rigoler; il interpelle ses collègues:

-Vous avez entendu ça, les gars?! Monsieur pense que nous lui sommes redevable!

Face aux éclats de rire, du reste du groupe; Sibylle me rejoins, afin de m'apporter son soutien.

-Alex a raison. Vous lui êtes redevable! Sans lui, vous seriez encore fauchés.

L'homme s'avance vers l'Enchanteresse, en la dévisageant avec répugnance.

-Tu ne te souviens pas de ce qu'à dit l'aubergiste, hier soir?! Les Enchanteresses ne sont pas les bienvenues, sur notre territoire!

D'abords surprise; Sibylle ne peut dissimuler son air outrée. Mais après réflexion, elle laisse échapper un rictus amusé.

-Très bien. Vous l'aurez voulu.

-Voulu, quoi?

Elle se met à fredonner une espèce de chant mélodieux, aux paroles incompréhensibles. Immédiatement, j'en ressens de l'extase; une admiration incontrôlable, dont je ne saurais en préciser l'origine. 

Habituellement; je n'aurais rien trouvé de particulier à cet hymne; cependant, il m'envoûte sans que je puisse faire quoi que ce soit. Sa voix s'immisce progressivement dans ma tête; au point que je désire que ça ne s'arrête jamais.

-Oh, non... le chant des Enchanteresses! Barrons-nous! -S'affole l'homme; en prenant la fuite, avec ses camarades.-

Lorsque Sibylle cesse de chantonner; je retrouve ma lucidité, pour mon plus grand plaisir. Je me retourne vers les autres: Rosalie et Clara ne semblent pas comprendre ce qu'il vient de se passer, contrairement à Bruno et Connor, qui ôtent leurs mains de leurs oreilles. Ahuri, je demande:

-OK; c'était quoi, ça?

Elle se retourne vers moi et m'explique, d'un ton un peu gêné:

-Un chant propre aux Enchanteresses. Un pouvoir aussi bien destructeur que protecteur. Tout mâle, humain ou Gardien, est envoûté par ce chant.

Je reste interloqué, face à ce que j'apprends. C'est alors que je comprends les réactions déconcertées de Rosalie et Clara. Elles ne ressentaient pas l'effet de ce chant; donc ne s'expliquaient pas la tournure que les évènements prenaient.

-Lorsqu'un homme est confronté à ce chant; -poursuit Sibylle,- il n'est plus maître de sa volonté. Sa dévotion est, alors, entièrement consacrée à l'Enchanteresse qui l'entonne.

Clara, abasourdie, conclut:

-Donc vous êtes, en quelque sorte... des sirènes?

-Non; bien que les humains nous perçoivent généralement de cette manière. Même Christophe Colomb s'y est laissé prendre, en nous confondant avec ces créatures. Il s'est, d'ailleurs, empressé de l'inscrire dans son journal de bord, à la date du 8 janvier 1493.

-Vous avez rencontré Christophe Colomb? -S'étonne Clara.-

-Oui, lors de l'un de nos voyages, sur terre. Si mes souvenirs sont bons, c'était près des côtes de Saint-Domingue. Mais ce n'est pas le sujet. L'important, c'est que, maintenant, les dahus sont à nous.

Rosalie, encore trop stupéfaite par ce qu'elle vient d'apprendre; ne réagit même pas lorsque nous dérobons les dahus. D'ailleurs, elle aussi en chevauche un; d'une manière plus automate, que réfléchie. 

Connor profite du trajet, pour se vanter de ses innombrables exploits délictueux. Bruno et Clara restent suspendus à ses lèvres, tant ils sont fascinés par les aventures du bandit. 

Pour ma part; j'ai plutôt l'impression qu'il en rajoute, pour impressionner son public. Entendre Clara éclater de rire, après une anecdote du cowboy, me pince le cœur. Jusqu'à présent; c'était moi, qu'elle adorait écouter. J'étais son «voyou préféré». Maintenant, elle préfère se prélasser au milieu d'un flot de boniments; débités par un escroc de café, accoutré en cowboy. 

Mon mécontentement ne passe pas aussi inaperçu que je le souhaiterais. Lorsqu'après avoir jeté un regard subreptice à Clara, je serre plus fermement les rênes de mon dahu; Rosalie se rapproche de moi, en me murmurant:

-Ne t'en fais pas. Tu resteras toujours son vaurien favori.

Décontenancé; je la regarde. Son sourire taquin me renfrogne.

-Je ne suis pas jaloux; si c'est ça que tu insinues.

-Oh, arrête, Alex! -Rétorque Rosalie, hilare.- Je te connais par cœur! Clara, c'est comme ta petite sœur; alors la voir en admirer un autre que toi, ça te chagrine. C'est normal, tu sais.

-T'es psy; maintenant?

-Pas besoin d'être psy, pour deviner ça; c'est tellement limpide.

Percé à jour; je lâche ma rancœur:

-Franchement; comment peut-elle se laisser charmer par tant de balivernes?

-Peut-être que Connor ne ment pas, tu n'en sais rien.

-Oh, arrête! J'en mettrais ma main à couper.

Rosalie sourit, amusée par ma mauvaise foi.

-Tu sais; -finit-elle par dire;- il y aura toujours une différence entre Connor et toi, qui fera que Clara te préférera.

-Laquelle?

-Même si je ne le cautionne pas; tu l'inclus dans tes aventures. Connor, lui, me semble être le genre de brigand solitaire. Chacun de ses coups; il tentera de les réaliser seul, pour ne pas avoir à partager le butin récolté. Et tu sais, tout comme moi, que Clara n'aime pas être mise sur la touche. Quand il y a de l'action; elle aime beaucoup trop s'en mêler.

Un énorme soulagement m'envahit profondément. Mon humeur fraîchement réconfortée n'est, dès lors, plus affecté par l'intérêt que Connor suscite, auprès de ma «petite sœur».

-Merci, Rose. J'en avais besoin.

Elle me sourit radieusement, en répondant:

-De rien. Tu sais, très bien, que je suis là pour ça.

Sibylle nous informe qu'elle nous fait faire un détour, afin de contourner le désert de l'expiation, qui se trouve à proximité. Cela a le don de me soulager; je ne ressens pas particulièrement l'envie de retourner dans cet endroit lugubre. J'en profite pour me rapprocher d'elle et éclaircir un point qui me dérange.

-Pourquoi avoir fait appel à Connor? Je suis sûr qu'on aurait très bien pu se débrouiller sans lui!

Elle me darde un regard espiègle, accompagné d'une moue amusée.

-Avec ta tête qui a été mise à prix, par Zephael; moi qui suis une Enchanteresse et tes amis qui sont humains, en effet, on serait passé totalement inaperçu!

Je soupire, exaspéré par sa lucidité.

-OK. Mais, laisse-moi deviner, ce service n'est pas gratuit!

-Au contraire. Par le passé, j'ai sauvé la vie de Connor. Je lui fais entièrement confiance et il sait qu'il m'est redevable; subséquemment, il ne me demandera rien, en retour.

-Bien que ce n'est pas l'envie qui m'en manque! -Braille le cowboy, loin derrière, qui a entendu notre conversation.-

Un peu plus tard, la voix de l'Enchanteresse nous interpelle, derechef:

-Nous sommes presque arrivés, au château des Réprouvés.

C'est alors, qu'en effet, je commence à distinguer la silhouette de l'immense bâtisse, au loin, derrière la densité d'arbres qui se présentent, face à nous. 

En pénétrant l'obscure forêt, qui se dresse devant nous; je jette un regard derrière moi. À cet instant, je prends conscience que ces divers sentiers sinueux, que nous venons de traverser; pourraient très bien être le dernier paysage, qu'il m'ait donné l'occasion de contempler.

-Cachez-vous dans les arbres adjacents et Attendez mon signal! -Ordonne Connor, en levant la main, pour nous intimer d'arrêter nos dahus.-

Il s'éloigne d'une manière grandiloquente, qui a le don de m'exaspérer. Une fois le cowboy hors de vue, Bruno déclare:

-Il n'y a rien à dire; c'est vraiment un chic type!

Je ne peux retenir ma consternation:

-Pff, tu parles! mois aussi j'en fais, des trucs époustouflants. Simplement, je ne le crie pas sur tous les toits!

-Bah, tu devrais! -Me recommande Clara.-

-Et puis quoi encore?! L'humilité est la plus grande vertu d'un roublard. Qui plus est; je me sentirai embarrassé de vous discrédité les infractions de Connor, en vous racontant les miennes.

-Jaloux!

Se reconcentrant sur notre objectif principal; nous nous approchons discrètement, du château; attendant le signal de Connor. Arrivés à la lisière de la forêt; nous grimpons chacun, discrètement, dans un arbre. 

Une fois cachés, nous observons notre éclaireur converser avec les deux sentinelles.

-Que nous veux-tu, le camelot? -Demande sèchement l'un des gardes, en haut de sa guérite.-

-J'arrive de très loin; pour vous faire découvrir un objet qui, je suis sûr, aiguisera votre curiosité; de par son indispensabilité.

-On en a rien à foutre! Dégage! -Rembarre l'autre sentinelle, depuis sa propre guérite.-

Ne se laissant pas démoraliser; Connor sort, de la poche de son pantalon, un harmonica. Je reste stupéfait; ne voyant pas où cela va nous mener. 

Sans se soucier des protestations des sentinelles; il commence à en jouer.

-Arrête ça tout de suite ou on descend et tu vas vite le regretter!

De notre côté; je vois sur le visage de mes amis une incompréhension totale. Seule Sibylle semble confiante.

-Qu'est-ce qu'il est en train de faire? -Murmure Clara, commençant à considérer Connor comme un maboul.-

-Ne t'en fais pas. Tu vas rapidement comprendre. -Répond l'Enchanteresse, concentrée sur la scène.-

Au même moment; l'une des sentinelles, perdant patience, hurle:

-Très bien! Tu l'auras voulu! On descend!

Soudain; sortant de nulle part; une véritable horde de dragons apparaît dans le ciel. L'un d'eux envoie un violent coup de queue; détruisant la guérite de la sentinelle. L'énorme reptile poursuit son démantèlement. 

De sa gueule, se dégage une rafale de feu, qui fait voler en éclat plusieurs tours du château. Ses congénères s'empressent de l'imiter. Des cris terrorisés retentissent, à l'intérieur de la forteresse. 

Lorsque je cherche Connor, du regard; je constate qu'il esquive avec aisance, les projectiles ardents des reptiles.

-C'est quoi ce délire? -Chuchote Clara, complètement perplexe.-

-Avez-vous déjà entendu parler de l'histoire du flûtiste de Hamelin? -Interroge Sibylle, avec un sourire triomphant.-

Unanimement, nous la regardons, d'un air désemparé. Rapidement, elle nous explique:

-Dans cette histoire; la ville d'Hamelin était envahie par les rats. Un flûtiste s'est alors présenté au roi, lui promettant de faire disparaître les bestioles. En jouant de son instrument; il attira les rongeurs vers le lac où ces derniers se noyèrent. Dans notre cas; les dragons ont horreur de la musique, il fallait donc les attirer, grâce à elle. De surcroît, nous savons que ces reptiles pullulent, sur ce territoire!

-Mais ce n'est pas logique! -Intervient Clara.- S'ils en ont horreur, pourquoi venir à elle, plutôt que de la fuir?

-Car les dragons ont un instinct destructeur. Lorsqu'ils sont confrontés à une menace; ils ne la fuiront pas, mais feront tout pour s'en débarrasser, par la force.

Reportant notre attention sur l'atrocité, qui se déroule sous nos yeux; le château s'est transformé en un paysage apocalyptique. 

Des humains, des Réprouvés et des Farfadets sortent massivement; suffoquant par l'intense fumée, émanant de plusieurs tours. 

Considérant avoir assez fait de dégâts, les dragons, d'une synchronicité parfaite, disparaissent dans le ciel devenu cramoisi. Certains laissent même retentir leur hurlement aigu. 

Seul l'un d'eux semble plus enragé que les autres. Il continu son assaut sur le cowboy, qui est obligé de fuir, face à la pression exercée par la menace. Obstiné à ne pas lâcher sa proie, le reptile s'élance à ses trousses. 

Je sens mon arbre trembler, lorsque le Gardien et le dragon en frôlent le sommet. Je parviens même à entendre le cowboy essayer d'apaiser vainement la créature:

-Doucement, mon gros; tu vas finir par te blesser!

Personnellement, j'aurais tendance à dire l'inverse. 

Je dois m'accrocher farouchement à la branche sur laquelle je suis, tant la rafale que je reçois, résultant de leur course poursuite, est prodigieuse.

-Bien! C'est le moment d'y aller! -Annonce énergiquement Sibylle, suffisamment fort, pour que nous entendions tous.-

-Mais... et Connor?! On ne peut pas le laisser! -S'époumone Clara, inquiète pour son nouvel ami.-

-Ne t'inquiète pour lui! -Tente de rassurer l'Enchanteresse.- Tu ne connais pas Connor! Peu importe que la situation soit désespérée; il finit toujours par s'en sortir.

Clara, bien que son expression traduise un doute colossal concernant cette remarque, se résout à acquiescer par politesse.

-Allons-y! -Reprend Sibylle.- Nous n'avons pas une minute à perdre!

Nous quittons notre poste d'observation et piquons un sprint jusqu'au château. 

Nous devons jouer des coudes, pour nous frayer un chemin, à travers la foule. Sous le choc; rares sont ceux qui tentent de nous en dissuader, mas quand cela se produit, nous les repoussons sans ménagement. 

Après avoir passé le pont-levis et la herse; Sibylle lance:

-Par là!

Sans attendre; nous la suivons, traversons d'innombrables couloirs jonchés de débris et de gravas. Nous devons faire attention à ce que les pierres du plafond ne s'écroulent pas sur nous. Des feux se sont déclarés à différents endroits; nous obligeant à faire des détours. 

Pendant notre course contre la montre, l'Enchanteresse nous explique:

-Heureusement que je connais ce château comme ma poche. J'ai eu l'occasion d'y venir plusieurs fois, en tant qu'espionne, durant nos batailles contre les Réprouvés.

Arrivés dans une vaste pièce, au sommet d'un donjon, Sibylle soulève instinctivement le tapis qui recouvre le sol; révélant une trappe. 

Elle envoie plusieurs coups-de-pied, jusqu'à ce que la trappe cède; puis, s'empare d'une échelle, se trouvant à proximité. Tour à tour, nous descendons, dans le trou. Un étroit couloir, mal éclairé et humide, s'offre à nous. 

En l'empruntant; j'arrive à apercevoir Clara qui se couvre le nez, avec son T-shirt, ne supportant pas l'odeur de moisissure environnante. 

Après une marche, qui m'a semblé interminable, une rangée de portes apparaît, au coin d'un couloir.

-Bon, maintenant, il s'agit de trouver laquelle c'est!

-Ce ne sera pas bien compliqué! -Me répond Sibylle, en me désignant une cellule, au fond du corridor, protégée par un garde.-

En nous apercevant, ce dernier rugit, en dégainant sa lance:

-N'approchez pas ou je vous empale!

Bruno, faisant craquer ses os, pour se montrer intimidant; dit d'un sourire:

-Laissez-le moi; je m'en occupe.

Mais avant qu'il n'ait pu faire quoi que ce soit; Sibylle a déjà désarmé le garde, d'un coup-de-pied, avant de l'attraper par la gorge et de le plaquer contre le mur. 

Elle lui arrache le trousseau de clé, accroché à sa ceinture; en le menaçant:

-Un seul faux mouvement et je te tue, compris?!

Le teint livide, le garde acquiesce. Restant vigilante, elle le relâche, puis va déverrouiller la porte de la cellule. 

Pendant que le garde se laisse tomber contre le mur, en se tenant la gorge endolorie; Bruno regarde Sibylle; la bouche légèrement entrouverte, ahuri. Clara, amusée, lui tape amicalement dans le dos; en disant:

-Eh oui, Nono! Il y a CEUX qui parlent et CELLES qui agissent.

Dans la cellule; J'aperçois Sibylle qui détache Arthème. Cependant, ce dernier semble grandement affaibli. L'Enchanteresse lui tient fermement le bras, faisant jaillir une lumière bleue. Rosalie s'approche de moi, en me disant:

-C'est la même chose qu'elle t'a fait dans le désert...

-Elle lui donne de sa puissance. -Je devine.-

Progressivement, Arthème a l'air de récupérer des forces. Doucement, il se lève, puis commence à marcher. Sans plus attendre; nous prenons la poudre d'escampette, en prenant soin, auparavant, d'enfermer le garde dans la cellule. 

Nous remontons dans le donjon et reprenons les nombreux couloirs dévastés. Lorsque nous atteignons la cour; je me sens porter par un élan d'espoir. On se précipite vers la sortie. 

Nous sommes à deux doigts d'y arriver. On passe le pont-levis sans encombre. Plus personne aux environs pour nous déranger; apparemment, ils ont tous décampé. 

La chance est de notre côté. Cette fois ça y est, lorsque je vois la forêt, j'en suis convaincu: on a réussi! 

Mais au moment où nous nous apprêtons à pénétrer à l'intérieur; une horrible voix cynique vient gâcher mon optimisme:

-C'est ici que tout se termine pour vous, bande d'idiots!

Un Réprouvé atterrit, avec légèreté, face à nous. À mon grand désarroi; je reconnais l'affreuse chevelure violette de Zephael. Je ne peux m'empêcher de soupirer, d'une voix dépitée:

-Oh non; pas lui!


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