2-Alex (année 2045): Règlement de comptes
La sonnerie criarde du réveil me fait ouvrir brusquement les yeux. Agacé, je m'en saisis et le cogne violemment contre la table de chevet, avant de le balancer contre le mur opposé. L'objet s'écrase avec fracas, sur le sol.
«Au moins, il a arrêté de brailler!», me dis-je, en tentant de retrouver une position confortable dans mon plumard. À cet instant précis, mon portable se met à sonner.
-Raaah! C'est pas vrai! Ils se sont passés le mot, ou quoi?!
De rage, je décroche, en hurlant:
-QUOI ENCORE?!
-Oh, du calme, abruti! C'est toi qui m'as demandé de t'appeler, pour te réveiller, je te signale!
Aussitôt, je reconnais la voix douce et mélodieuse de Rosalie. Maladroitement, j'essaie de rattraper ma gaffe:
-Ah, c'est vrai, j'avais oublié. Merci, Rose.
-Ouais, ben compte plus sur moi! Me lever à six heures du mat, pour te rendre service et me faire enguirlander, je m'en passerai bien.
-Ça va, j'ai dit que j'étais désolé.
Face à ce silence gênant, j'entreprends de temporiser, en changeant de sujet.
-Sinon, on se voit toujours, cet après-midi?
-Peut-être. Je te dirai ça tout à l'heure. Ça dépendra aussi de ton humeur.
À peine a t-elle fini sa phrase, qu'elle me raccroche au nez. Je reste, bêtement, quelques secondes, l'oreille collée au combiné; puis me ressaisis, quand mon regard se pose sur la pile de biftons, posée en vrac, sur la table.
Une somme colossale, que je suis «sensé» rendre à mon «employeur». Néanmoins, mes intentions, à l'égard de cet argent, sont tout aussi malhonnêtes que l'est mon «employeur». J'espère, sincèrement, qu'il a bien rêvé de ce fric, car je n'ai pas pour projet de le lui rendre. Cet escroc m'a suffisamment arnaqué, en me rémunérant que dix pour cent des sommes que je lui rapportais; alors que c'est moi qui prends tous les risques, à chacun de ses trafics. Il est grand temps, pour moi, de lui rendre la monnaie de sa pièce.
Beaucoup me qualifieraient de fou, d'oser me rebeller de la sorte, face au plus grand mafieux de La Plèbe: Boris Boudanov. Peu m'importe. Tout ce que je sais, c'est que ma patience a atteint ses limites; tout comme l'emprise ridicule que ce vaurien pense avoir, sur moi.
Une fois préparé; je me rends au lieu de rendez-vous. Le port regorge de hangars, plus vastes les uns que les autres. La plupart des gens s'y perdraient; un endroit idéal pour les trafics, en somme...
J'aperçois l'imposante bâtisse où Boris m'a donné rendez-vous. Je gare ma moto de location, pas très loin de là; puis, je pénètre dans le hangar sombre et humide, en m'exclamant
-Pouah, c'est irrespirable, ici! Whoooo; il y a du monde?!
Dans la pénombre, j'entends des cliquetis de chaînes, suivi de bruits de pas, s'approchant de moi. Très vite, je me retrouve encerclé par trois individus, dont les visages me sont familiers.
Boris s'avance vers moi, en tentant de m'intimider, avec son énorme bedaine et son cigare à la main.
-J'espère que t'as mon fric!
Je me bouche le nez, en répondant d'un ton provocateur:
-Je comprends mieux d'où vient l'odeur! Eh, Boris; avec une haleine pareil, faudrait que tu penses à aérer l'endroit plus régulièrement, juste par respect envers autrui.
Ne se souciant pas que je fasse trois têtes de plus que lui, Boris se rapproche d'avantage, puis place son index sur mon front, en me menaçant:
-Un de ces quatre, Joval, tu vas te retrouver avec une balle entre les deux yeux! T'en es conscient, de ça?
Qu'est-ce que je peux haïr, quand il s'adresse à moi, en m'appelant par mon nom de famille. En conséquence, je décide de le provoquer encore plus.
-Je ne me suis jamais réellement posé la question; mais merci, quand même, pour la prédiction. Il ne te manque plus que le foulard et la boule de cristal, pour qu'on y croit. Tu ne m'as pas averti que tu voulais troquer ton costume de mafieux, contre celui de diseuse de bonne aventure!
-Mise à part que, dans ton cas, l'aventure n'est pas bonne... surtout la fin!
Pris au dépourvu par ma propre hilarité, je ne peux retenir un fou rire; qui a le don d'exaspérer mon interlocuteur, déjà sur les nerfs.
-Trêve de bavardages! Où est mon fric?!
-Euh... je sais pas; t'as qu'à regarder dans ton énorme postérieur; il s'y trouve peut-être.
D'emblée, Boris, lâchant son cigare, dégaine un revolver de sa ceinture et le plaque contre ma joue gauche. Bizarrement, je me sens plus incommodé par son odeur de transpiration que par la pression de son arme, contre moi.
Cela doit être dû au fait que je sais qu'il ne tirera pas. S'il me tue, il peut dire adieu à son argent. Boris n'est peut-être pas très malin, cependant il est trop avare pour commettre une telle erreur.
-Oh là là, sérieusement, ça remonte à quand ta dernière douche?
-Ne t'en fais pas, j'en prendrai une, pour fêter ton homicide!
Profitant de ce moment d'inattention, je prends le couteau suisse, se trouvant dans ma poche et effleure l'extrémité de la lame, contre le ventre proéminent de mon assaillant.
-Pas sûr que tu en aies vraiment l'occasion, pépère. Tu ne sens rien qui pourrait écorcher ta brioche, dis-moi?
Au même moment, je me rends compte que les deux acolytes de Boris pointent, également, leurs pistolets, en direction de mes tempes.
-Erreur stratégique! -Me nargue Boris, dont les yeux sont sur le point de sortir de leurs orbites.- Fais tes prières!
Un sourire narquois illumine soudain mon visage, lorsqu'un bruit de sirène retentit.
-Les flics! Faut déguerpir! -Ordonne l'un des deux hommes de main de Boris.-
-Allez me cherchez la bagnole; je vous rejoins tout de suite!
Les gardes du corps se regardent, surpris; le patron s'exclame alors:
-Faites ce que je vous ordonne! Sur le champ!
Aussi vif que l'éclair, les deux gorilles piquent un sprint, par la porte de derrière; tandis que Boris, dans un dernier effort d'intimidation, lance avec condescendance:
-La prochaine fois, tu ne t'en tireras pas, Joval! Fais moi confiance. Et pour, qu'à l'avenir, tu n'oublies plus de me rapporter l'argent qui m'est dû; voici un petit souvenir qui t'aidera à t'en rappeler...
Il s'écarte de moi, brusquement, avant de pointer son arme vers mon genou gauche. Conservant mon illustre calme olympien; j'affiche un léger sourire victorieux, avant d'héler une personne imaginaire, dans le dos Boris.
-C'est lui! Il est là! -Je dis; en désignant du doigt le trafiquant.-
Comme prévu; ce dernier, pensant que les Défenseurs de la liberté sont rentrés par la porte de derrière, se retourne paniqué. Je saisis, alors, l'opportunité qui m'est offerte et me rue sur lui.
Aussi vif que l'éclair, je décoche un coup-de-pied magistral, faisant valser le pistolet des mains de mon agresseur. Sans ses deux gardes du corps, Boris paraît si vulnérable. C'est tellement flagrant, que je ne peux m'empêcher de lui faire un croc-en-jambe; lorsque, pris de panique, il se met à filer à toute vitesse.
S'étalant de tout son long, le mafieux redresse la tête, vers moi. Son visage, traversé par une expression d'effroi, n'a plus rien d'intimidant. D'un air des plus serein, je m'approche et lui avoue, avec un immense sourire:
-J'ai toujours une longueur d'avance.
-C'est... c'était... C'était toi, les flics...
-Il n'y a jamais eu de flics.
-Qu'est-ce que tu racontes?
-Simplement que tu t'es fait rouler, mon gros.
-Espèce de ...
Boris s'empare, derechef, de son revolver, mais submergé par la panique, les mains tremblantes; son arme lui échappe et atterrit quelques mètres plus loin. Désespérément, le mafieux tente de la récupérer.
Avant qu'il n'y parvienne, je lui écrase les doigts de tout mon poids. L'intensité de son hurlement de douleur se répercute en écho, dans tout le hangar. Paisiblement, je récupère le pistolet, que je braque sur Boris. D'un ton sardonique, je lui lance, en tendant ma main libre, vers lui:
-Et maintenant, qui va cracher sa thune?
Le teint livide, l'expression haineuse lui déformant le visage, Boris s'exécute. Le voyant mettre la main dans la poche intérieure de sa redingote blanche laiteuse; je reste vigilant, prêt à appuyer sur la détente, en cas d'entourloupe.
Bien que son regard scrute, vainement, chaque recoin du hangar; dans l'espoir de trouver une solution qui lui soit favorable; le gangster finit par sortir des dizaines et des dizaines de liasses de billets. Il me les jette au sol, dédaigneusement.
Avec un sourire satisfait, sans quitter des yeux mon adversaire, je prends l'argent et en profite pour lui envoyer un coup de pied dans le ventre, en déclarant:
-Désolé, mais ça faisait trop longtemps, que j'en avais envie!
Je recule vers la sortie, le flingue toujours pointé dans la direction de mon opposant. Avant de partir, me dis-je, une dernière provocation s'impose:
-Au plaisir de te revoir... Afin qu'on refasse affaire ensemble!
Tournant les talons, je l'entends me crier une litanie d'insultes, occultée par mon hilarité de la situation.
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