14-Rosalie: Entrevue
-Où nous emmenez-vous?
Coupant Clara, au milieu de sa pléthore d'éloges sur Bruno; ces mots sortent instinctivement de ma bouche, lorsque nous sortons d'une rue fréquentée.
En effet, même si j'ai dis à Alex de ne pas s'inquiéter; je ne connais pas encore suffisamment Arthème, pour pouvoir lui accorder ma confiance (même en prenant en compte le fait qu'il nous ait sauvé la vie, hier soir).
-Vous n'allez pas tarder à le découvrir. -Répond mystérieusement le Gardien.- Nous sommes presque arrivés.
Effectivement, je n'ai pas à attendre bien longtemps, avant que ma question ne trouve enfin sa réponse. Quelques minutes plus tard; en pénétrant un vaste jardin, contenant d'innombrables temples majestueux; Arthème annonce d'une voix solennelle:
-C'est ici.
Comme j'aurais dû m'y attendre; j'entends Clara siffler grossièrement, en parcourant l'endroit du regard. Ce genre de réaction désinvolte, qu'elle peut avoir, m'horripile grandement. Surtout que je sais de qui elle s'inspire, lorsqu'elle adopte une telle attitude.
-Waouh, la vache! Super, le décor! Ça vaudrait le coup de venir pique-niquer, ici, un de ces quatre! -S'exclame mon amie; me rendant, par la même occasion, rouge de honte.-
-C'est un lieu de recueillement, pas un parc touristique. -Morigène Arthème, apparemment offusqué par cette remarque.-
Alors que le Gardien reprend sa route, en nous intimant de le suivre; mon amie s'approche de moi, en me susurrant discrètement à l'oreille:
-Tu parles d'un gâchis!
D'un tape dans l'épaule, je lui somme de se taire; considérant que ce n'est ni le lieu, ni l'endroit pour ce genre de plaisanterie (bien que je me doute que ce n'est pas ça qui l'empêchera de réitérer).
Rattrapant Arthème, nous le suivons encore sur une longue distance, tout en contemplant le gigantesque et magnifique jardin. Des étangs, des temples et une multitude de fleurs de couleurs différentes s'étendent à perte de vue; éblouissant ainsi nos regards, face à ce paysage grandiose. Le Gardien s'arrête devant de l'un des édifices:
-Ce temple est celui où se tient les conférences; lorsque les Gardiens, humains et Farfadets de notre village, ont besoin de se réunir, pour parler des principaux problèmes que les habitants rencontrent et des améliorations à apporter. Personnellement, j'évite de venir ici. Je préfère d'avantage le calme du temple de la méditation, situé un peu plus loin. Mon meilleur ami et supérieur hiérarchique, Nabra, s'investit plus, dans ce genre de choses.
D'un geste de la main, le Gardien nous fait entrer à l'intérieur. On y découvre, alors, deux individus discutant houleusement.
Parmi eux, je reconnais le Farfadet, de tout à l'heure: Vieux-Débris. Il semble se faire sermonner, par l'autre personne. Cette dernière; de ce que je peux déduire, par la splendide armure qu'il revêt; est un Gardien.
-C'est l'ultime erreur que je te concède! Je ne tolérerai plus aucune duplicité, de ta part; tu m'entends?!
-Oui, maître Nabra...
-Le prochain doute que j'aurai, sur ta fidélité, te fera regretter d'être né!
Le nain; en voulant éviter le regard de son moralisateur; aperçoit, alors, notre présence. Le dénommé Nabra qui, jusqu'à présent, nous tournait le dos; se retourne.
En premier lieu, je crois discerner un certain malaise, dans les yeux de cet individu, lorsqu'il nous voit. Mais le ton enjoué, de sa voix, m'incite à penser que je me suis trompée:
-Arthème! Quel agréable surprise, de te voir dans les parages, mon ami!
Le Gardien tend les bras de façon accueillante, en s'avançant vers nous.
-Il est si rare de te voir vagabonder dans les environs; toi qui affectionne tant la douce sérénité de ton temple méditatif habituel. Quelle mélodie fut suffisamment envoûtante, pour t'attirer ici?
-Celle du devoir, bien malheureusement!
Clara s'approche de moi et me chuchote, à l'oreille; en me désignant d'un discret signe de tête, les deux Gardiens:
-Tu crois qu'ils parlent toujours d'une manière aussi pompeuse; les deux philosophes en armure; là?
Les surnoms, que mon amie vient de leur attribuer, manque de me faire exploser de rire.
-Les Farfadets désiraient rencontrer nos nouvelles arrivantes. -Explique Arthème, en nous désignant d'un geste de la main.- Et toi; quel était le motif de tes réprimandes, envers Vieux-Débris?
Nabra semble soudain gêné, puis, répond vaguement:
-Oh, ça... Disons que je tenais à ce que Vieux-Débris se rappelle qu'on ne peut pas être des deux côtés de la barrière et qu'il doit choisir entre notre camps ou celui des Réprouvés.
Le Farfadet se replie sur lui-même, comme un enfant puni qui veut éviter d'être vu. Je remarque, à cet instant, une énorme estafilade, lui barrant la joue gauche. Mon regard, devenu soudainement accusateur, se pose sur Nabra; qui m'est de plus en plus antipathique, pour une raison que j'ignore. Qu'importe ce qu'a pu faire Vieux-Débris, je doute qu'il méritait un tel châtiment.
Après, je m'avance peut-être un peu vite, en désignant le Gardien, responsable de cette blessure, aussi spontanément; néanmoins, je ne peux m'empêcher de trouver cela étrange. D'autant plus que, ce matin, le Farfadet n'avait pas cette balafre sur le visage, lorsque nous l'avons croisé.
-En effet, -approuve Arthème-, Vieux-Débris mérite d'être puni, pour ce qu'il a fait. Mais ne soit pas trop excessif, non plus.
Les deux Gardiens se fixent, avec une lueur de profond respect mutuel, qui se dégage de leurs yeux. Après s'être détaché du regard de son ami; Arthème nous fait, derechef, signe de le suivre, ce que l'on s'empresse de faire.
Nous longeons un long corridor, avant d'arriver face à une porte à double battant. En l'ouvrant, le Gardien nous invite à entrer dans l'immense pièce obscure, qui s'offre à nous.
Voyant Clara hésiter, je prends les devants. Lorsque mon amie me rejoint, elle lance sèchement à notre accompagnateur:
-Vous n'avez pas intérêt à nous enfermer à clé, puis à vous enfuir! Sinon je vous jure que...
Mais elle n'est pas le temps de terminer sa mise en garde, qu'un raclement de gorge, provenant de la pénombre, attire notre attention.
D'un claquement de doigt, Arthème allume plusieurs flambeaux, dans la pièce, dévoilant l'individu qui s'y trouve. L'homme ne doit pas dépasser les un mètre vingt. D'après le peu de connaissance que j'ai, de ce monde, je devine de quoi il s'agit.
-Bonjour; je m'appelle Coq-En-Patte! -Se présente t-il, avec un charitable sourire.- Représentant et doyen du peuple des Farfadets de Bellgir.
Face à notre manque de réaction; le petit homme nous fait signe de nous présenter, à notre tour. Jetant un coup d'œil furtif à mon amie; je décide de me jeter à l'eau, dévoilant mon prénom, ainsi que celui de Clara.
-Parfait. -Annonce simplement le Farfadet.-
La brièveté de sa réponse a le don de me déstabiliser. Pire que ça, je sens qu'elle agace, au plus haut point, mon amie:
-Attendez, c'est tout?! Vous nous avez fait venir uniquement pour connaître nos noms?!
Coq-En-patte élargit son sourire.
-Non, pas exactement. J'aimerais que vous me racontiez votre arrivée sur Zibaë.
«Nous y voilà, les ennuis commencent», me dis-je, avec amertume.
Du coin de l'œil, j'aperçois Arthème faire signe, à Coq-En-patte, qu'il doit partir. Ce dernier acquiesce énergiquement, lui signifiant qu'il peut retourner vaquer à ses occupations, sans problème.
Une fois seules avec la créature, décidant de jouer le tout pour le tout; je raconte, au Farfadet, la vérité dans ses moindres détails: la disparition inquiétante d'Alex; l'arrivée impromptue de ce Zephael, qui nous a demandé de le suivre sur cette planète, les retrouvailles avec notre ami et notre fuite du château des Réprouvé.
Le Farfadet, m'observant derrière ses lunettes circulaires, écoute attentivement mon récit; puis prend quelques instants de réflexion, à la fin de mon histoire.
-Je vois. Je comprends mieux.
Je ne sais pas quoi penser de son intonation énigmatique et préfère, de ce fait, rester sur mes gardes.
Il finit par prendre la parole, nous expliquant le fonctionnement de la cloche, fabriquée par son peuple, qui s'était mise à sonner, lors de notre arrivée. Mais, étant donné que le Farfadet qu'ils avaient réquisitionné pour venir nous chercher, n'avait trouvé personne, sur la plage; ils s'étaient tous posés de nombreuses questions, notamment sur la vétusté de leur cloche.
Cependant, ils furent rassurés, ce matin, lorsqu'Arthème leur a raconté ce qu'il s'était réellement passé.
-Si vous étiez déjà au courant de toute l'histoire; pourquoi nous avoir demandé de venir, alors?! -S'insurge Clara.-
Je remarque que c'est la deuxième fois, qu'elle reproche au Farfadet, de l'avoir contrainte à se déplacer. Je la soupçonne fortement d'être exaspérée, du fait de ne pas avoir pu passer son après-midi avec Bruno.
Même si elle va très vite le revoir, sa nature impatiente la rend d'humeur maussade. Elle vit beaucoup trop intensément le moment présent, pour relativiser sur l'avenir qui l'attend.
-Je voulais simplement vérifier que votre récit concorde avec celui d'Arthème. Sans quoi, je vous avoue, que j'aurais éprouvé certains doutes, quant à votre fiabilité.
-Notre fiabilité? -Répète mon amie, qui bouillonne de plus en plus; je le sens.-
-Précisément. Il est de notre devoir de nous assurer que vous ne représentez pas une menace, pour notre territoire.
-Une menace?! Vous vous foutez de moi ou quoi? J'ai l'air d'être une menace?! Le moins que l'on puisse dire, c'est que vous savez parler aux dames, vous!
-Les Réprouvés ne sont jamais allés chercher d'humains, sur terre! Comprenez notre étonnement lorsque nous avons découvert cette histoire. Nous avions besoin de réponses et nous les avons, désormais. C'est tout ce qu'il nous fallait.
Clara reste sans voix, la bouche entrouverte.
-D'ailleurs; si ça peut vous rassurer, les Farfadet d'un certain âge, comme moi, pouvons sentir l'aura qui émane de chez les humains. Votre aura ne contient rien d'hostile, d'après mes analyses.
-Mais je suis ravie de l'apprendre! -Ironise Clara, de plus en plus sur les nerfs.-
-Écoutez, je constate que j'ai peut-être été légèrement maladroit dans mes façons de faire.
-C'est un euphémisme!
-Contrairement aux premières apparences; je vous assure que Zibaë est un lieu de paradis, pour les humains. D'ailleurs; d'ici quelques jours, se tiendra la fête de Noël, au sein du village. Je vous invite fortement à y prendre part! Ce sera l'occasion pour vous d'appréhender, avec un œil nouveau, notre belle planète. De surcroît, vous pourrez aussi rencontrer d'autres humains de cultures différentes! C'est une expérience si enrichissante!
Je reste stoïque, en entendant cela.
-Des gens de cultures différentes? -Je demande, intriguée.-
-Oui. Vous n'avez tout de même pas cru que Zibaë n'accueillait que des gens de votre pays!
-Mais, je ne parle aucune langue étrangère. -Renchérie mon amie, dont le ton s'est radoucie.-
-Ce n'est pas un problème, ça! Notre planète est enfermé dans un prisme, que mon peuple a fabriqué! Cet objet lâche un gaz, aussi inoffensif que l'air. Nous l'avons baptisé l'UCUT (l'Unificateur des Cultures Universelles et Temporelles). Ce gaz dégage des molécules spéciales ayant pour particularité de permettre à chacun de communiquer dans sa langue, tout en se faisant comprendre par un interlocuteur étranger; comme s'ils parlaient la même langue.
Je vois Clara subjuguée par cette nouvelle. Moi aussi, je reste ébahi par cette déclaration, que je trouve, pour le coup, plus qu'intéressante.
La discussion devient ensuite plus amicale et de fil en aiguille, nous finissons même par trouver Coq-En-patte plutôt sympathique.
Le soir, une fois rentrées chez Madame Bellebranche; Clara et moi monopolisons la conversation, lors du dîner, racontant à nos hôtes et amis, cet après-midi qui restera gravé, pour longtemps, dans nos mémoires.
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