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Zayn franchit les portes vitrées de l'aéroport et jeta en passant un regard à la statue de bronze présente dans le couloir. Il l'aurait juré, le grand personnage avait ricané en le voyant passer.

Nom d'un chien, il ne tournait vraiment plus rond. Voilà maintenant qu'il se mettait à délirer ! Mais quel homme vivant ce qu'il était en train de vivre, n'aurait pas eu, lui aussi, des hallucinations ?

Relevant la tête, il poursuivit son chemin, s'arrêta un instant devant le tableau des arrivées et repartit en direction de la porte 24. L'écho de ses pas pressés résonnait sur le carrelage du hall et son cœur affolé cognait dans sa poitrine avec la force d'un marteau.

Dieu tout puissant, un bébé ! Lui !
Il essaya de rassembler ses pensées, qui avaient volé en éclats à la seconde où il avait appris la nouvelle, mais, au lieu de cela, ne lui revinrent à l'esprit que les paroles de l'assistante sociale, lorsque celle-ci lui avait demandé :
« Vous rappelez-vous avoir eu une relation avec Rebecca Fergusson ? »
Rebecca Fergusson ? Bien sûr qu'il se souvenait d'elle. Deux ans plus tôt. Caroline du Sud. Jolie, délurée et drôle. Une aventure qui, en tout et pour tout, avait duré six semaines.
Une histoire fort agréable, certes, mais qui ne lui avait pas laissé de souvenirs impérissables. Voilà, il n'y avait rien d'autre à en dire.
Or, à en croire l'inconnue qui, il y avait près de deux heures de cela, l'avait appelé à son bureau, un témoin bien vivant de cette rencontre s'était incarné dans la personne de Sasha Fergusson-Malik, un bébé de treize mois.

Zayn serra les mâchoires tout en pressant le pas. Il bouscula une femme qui encombrait le passage avec une quantité de bagages digne d'un déménagement et gagna la file de gens qui attendaient pour passer au portal de sécurité.

Tandis que la queue, devant lui, s'écoulait lentement, bien trop lentement à son goût, il se remit à pensées. Comment se pouvait-il que Rebecca ait donné le nom de Malik au bébé, sans même éprouver le besoin de l'avertir qu'il était le père ? D'un autre côté, qu'aurait-il fait si elle l'avait prévenu ? Honnêtement, il n'en savait rien. Il voulait croire qu'il se serait montré à la hauteur et aurait assumé ses responsabilités, mais c'était facile à dire après tout. De toute façon, il était trop tard pour réécrire le passé.

Tout ce qui comptait désormais, c'était que Rebecca Fergusson, morte des suites d'un accident de voiture, l'avait nommément désigné, lui, Zayn Malik, comme père et tuteur légal de leur fille.

Lui qui n'avait jamais eu le moindre désir d'enfant !

Au même moment, il lui sembla qu'une voix intérieure venait le narguer : « Pauvre imbécile, si tu ne voulais pas d'enfant, il fallait y penser avant. »

- Bonjour, sergent, lui dit l'homme de la sécurité, tandis que son tour était venu de passer au contrôle.

Il répondit au salut d'un aimable sourire et s'engagea sous le portique. Naturellement, cette satanée machine se mit à sonner.

- Vous voulez que je les enlève ? demanda Zayn en montrant les insignes accrochés à la poche gauche de son uniforme.

- Allez-y, sergent. C'est toujours comme ça avec les militaires, on a l'habitude. Et bonne journée !

Pour la bonne journée, c'était mal parti ! songea Zayn. Il réussit cependant à marmonner un vague « Merci » avant de continuer son chemin vers son implacable destin.
Se mêlant à la foule qui se pressait pour accueillir parents et amis derrière les barrières, il regarda autour de lui. Tous avaient l'air heureux et excités. Apparemment, la seule personne qui aurait aimé être n'importe où ailleurs, c'était lui ! Son cœur palpitait à folle allure, par coups désordonnés et l'angoisse lui nouait l'estomac. « Un marine n'a peur de rien. Un marine sait faire face à l'adversité », se récita-t-il pour se donner du courage... En vain !
Seigneur ! Une petite fille ! Comment allait-il savoir s'occuper d'Un bébé ?
Un regret lui vint de n'avoir pas prêté plus d'attention aux enfants de ses sœurs. À vrai dire, chaque fois que l'occasion s'était présentée de s'occuper de ses neveux et nièces, il avait fait tout son possible pour échapper à la corvée. Il fallait croire qu'il existait un dieu vengeur quelque part !

Une hôtesse venait de demander aux gens de reculer pour laisser passer les voyageurs qui allaient arriver d'une seconde à l'autre. Zayn sentit sa gorge se serrer au point de l'étouffer presque. Il n'aurait jamais cru qu'on pût être couvert de sueur et avoir si froid. Cela lui rappela la première fois qu'un ennemi lui avait tirée dessus : il était exactement dans le même état.
Les premiers passages sortaient maintenant du long couloir de débarquement. Des crois et des appels joyeux retentissaient autour de lui, les gens laissaient exploser leur joie, se tombaient dans les bras, et lui attendait, figé, pétrifié.

Et puis...

Une femme, qui n'était plus toute jeune, l'air un peu fatiguée par le voyage, s'avança vers lui, un gros sac sur l'épaule et un bébé dans les bras.
Sasha Malik, sa fille.

Dieu les protège, lui et ce bout de chou !

- Sergent-artilleur Malik ? l'apostropha l'inconnue en laissant lourdement tomber son sac sur le sol.

Submergé par l'émotion, Zayn faillit se mettre au garde-à-vous.

- Oui, madame, dit-il retenant un fou rire nerveux...

Jusqu'à ce que son regard croise celui de l'enfant.

Ce fut alors comme si un poing invisible le frappait en pleine poitrine. La ressemblance était évidente. Aucun doute, Rebecca n'avait pas menti, ce bébé était bien de lui.

- Je suis Madame Adams, assistante sociale au Service de l'enfance de Caroline du Sud, et voici... Sasha.

Comme Zayn ne parvenait qu'à bafouiller quelques mots incompréhensibles, la femme parut soudain hésitante.

- Voudriez-vous me montrer une pièce d'identité ? demanda-t-elle.

Il lui montra ses papiers, qu'elle étudia longuement.

- Eh bien, tout est en ordre, conclut-elle, visiblement rassurée.

Zayn voulut de nouveau dire quelque chose, n'importe quoi, même une banalité, mais, à sa grande honte, il ne réussit toujours pas à articuler la moindre parole. L'assistante sociale, néanmoins, poursuivit comme si de rien n'était.

- Dans ce sac, vous trouverez des couches, un biberon de jus de pomme et quelques biscuits pour les dents.

- Des biscuits pour les dents ?

Zut, les choses devenaient très compliquées. Les dents des bébés, poussaient-elles comme celles des lapins ?...

- Oui, des biscuits durs, vous savez bien.

Zayn hocha la tête d'un air entendu, espérant que la femme ne verrait pas à quel point il était ignorant dans ce domaine.

- Elle a déjà toutes ses dents ? lui demanda-t-il, faisant le connaisseur.

- Presque toutes, mais les molaires sont un peu plus longues à venir.

Ouf, il n'avait pas dû paraître trop idiot !

- Vous allez devoir faire les courses rapidement, continua Madame Adams, mais, au moins, vous n'aurez pas à courir après telle ou telle marque de lait.

Ce détail était-il supposé le soulager ? Il ignorait que les bébés étaient si délicats qu'il leur fallait des marques de lait spéciales.

- Des marques de lait, dites-vous ?

- Oui. Sasha est maintenant assez grande pour boire du lait normal et manger la même nourriture que tout le monde.

Pourquoi Madame Adams lui sortait-elle ces évidences ? se demanda-t-il. Le prenait-elle pour un abruti capable de donner à un bébé la nourriture pour animaux ?

- Dans un premier temps, pour vous simplifier la vie, je vous conseille de faire une réserve de petis pots.

- Hmm.. Hmm

Voilà qu'il était de nouveau muet... et de plus en plus pressé d'en finir Le bébé aussi, à en juger par son agitation !

- Il ne vous reste plus qu'à apposer ici votre signature, dit l'assistante sociale en lui mettant un papier sous le nez.

Zayn eut le temps de voir qu'il s'agissait d'un document officiel, couvert de tampons, mais, au moment où il voulut le lire, les lignes se mirent à danser sous ses yeux et, en quelques secondes, le texte ne fut plus qu'une ombre indécise, absolument indéchiffrable. Mon Dieu, allait-il devoir engager toute sa vie sans même savoir de quoi il retournait ?

- Un stylo ! Vous avez un stylo ? demanda Madame Adams.

Une baïonnette, peut-être. Un fusil, oui. Mais pas de stylo !

- Non, je n'en ai pas.

- Ça ne fait rien, je dois en avoir un. Tenez Sasha, je vais chercher dans mon sac.

Zayn se retrouva avec sa fille sur les bras sans avoir eu le temps de dire ouf. Ce bébé était indéniablement beau comme un cœur et terriblement attendrissant avec ce petit filet de salive sur ses lèvres boudeuses, cette barrette en forme de papillon d'où s'échappait une boucle brune, sa robe bleue à volants, ses chaussures vernies et son collant blanc tendu sur des couches qui lui faisaient un drôle de derrière rebondi. Ne sachant trop comment il devait la porter, il choisit de la tenir avec une prudence extrême et à bout de bras... à la manière d'une grenade dégoupillée !
Aux regards que Sasha lui lançait, Zayn aurait parié que, la jolie petite fille, ne l'aimait guère. Mais était-ce si étonnant ? Une étrangère l'avait emmenée dans un avion, lui avait fait endurer un long voyage et, au bout du compte, l'avait confiée à quelqu'un d'autre, qu'elle ne connaissait pas davantage. Ce pauvre bébé n'avait vraiment aucune raison de sourire !
Comme pour lui prouver qu'il avait vu juste, la petite fille commença à se tortiller en pleurant.

- Chut... Chut..., dit-il en la berçant.

Peut-être l'avait-il secouée trop fort ? s'interrogea-t-il en constatant que ses cris redoublaient, jusqu'à finir par de véritables hurlements. La voix du bébé montait puis redescendait, se suspendait une fraction de seconde, et repartait de plus belle en lui détruisant les tympans.

- Ne vous inquiétez pas, dit Madame Adams, qui venait enfin de retrouver son stylo. Elle est un peu énervée.

Pas autant que lui !

L'assistante sociale lui repris Sasha pour lui permettre de signer le document qui lui rendait seul responsable de cet adorable petit être. Peut-être qu'avec les années, il finirait pas s'y habituer...

Mais, avant tout, Zayn Malik était un homme d'honneur. Il signa donc l'acte qui lui donnait officiellement la garde de son enfant. Au dernier trait de sa plume, il eut l'impression que quelque chose de sa vie ancienne se déchirait.
Madame Adams reprit le papier et embrassa Sasha.

- Maintenant que j'ai rempli ma mission, si vous voulez bien m'excuser, je dois y aller, dit-elle. Ma sœur arrive par l'avion de New-York et nous nous sommes donné rendez-vous ici pour aller passer quelques jours de vacances à Disneyland.

Zayn serra la main de l'assistante sociale, la suivit des yeux un moment, et ce ne fut que lorsque sa silhouette eut disparu dans la foule qu'il réalisa qu'il était vraiment seul avec le bébé.
À présent, il s'agissait d'être à la hauteur... 

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