Chapitre 3 : Un nouveau jour, d'anciens remords

– Hey...Wake up !

Tiens, étrange...j'ignorais que la Mort parlait anglais...enfin bon, ce devait être normal. Et puis je connaissais un peu la langue...

– Réveillez-vous, monsieur le japonais !

La voix, celle d'une jeune femme, se faisait de plus en plus insistante, et je ressentais une douleur insoutenable tout le long de mon corps. C'était comme si des centaines de pics d'acier brûlant me transperçaient les entrailles avant de remonter dans chacun de mes muscles. Je n'avais jamais enduré pareille douleur dans ma vie.

Ma vie ?

C'est à cet instant que je m'en rendis compte. Je n'avais pas réussi à mourir ! Mais...j'avais réussi ma mission ! Mais je n'étais pas mort ! Et les autres, que leurs était-il arrivé ? Pourquoi je n'étais pas mort alors que eux oui ?

Malheureusement, aucun son ne sortait de ma bouche, alors je me décidai à ouvrir les yeux. Je me trouvais dans une pièce qui ne ressemblait à rien de ce que je connaissais. En bougeant mon œil droit, seule partie de mon corps que je pouvais mouvoir sans souffrir, je reconnus les meubles caractéristiques d'une chambre : La table de nuit, une fenêtre, un radiateur, les contours du lit...

Je me trouvais donc sur un lit, mais lorsque je voulus lever juste un peu la tête, mon corps entier me fit comprendre que je me trouvais loin d'être au meilleur de ma forme. Je ressentais une vive douleur diffuse, alors que la voix reprit :

– Ne bougez plus, vous allez rouvrir vos blessures ! ...

Je ne compris pas le reste, mais dirigeai mon regard vers la voix lorsque je reconnus un drapeau américain derrière une jeune femme, d'environ vingt ans à première vue.

Elle ne ressemblait absolument pas à celles de chez moi, et arborait une chevelure rousse et bouclée jusqu'à la taille, ainsi qu'un visage svelte, joliment dessiné et très peu maquillé, orné par un nez fin et des taches de rousseur au niveau des tempes. Ce qui différait le plus, c'était ses yeux qui ne ressemblaient qu'à ceux des acteurs étrangers qu'il nous arrivait de voir au cinéma.

Une pure américaine.

J'étais en territoire ennemi !! Rien qu'à cette idée, je tentai le tout pour le tout pour m'éloigner, avant de vite le regretter dans un râle de douleur. La jeune fille reprit, alarmée :

– Calmez vous ! On ne vous fera pas de mal, je vous le promets !

Je tournai le regard vers elle, interloqué. Elle n'allait pas me faire prisonnier de guerre ? Alors, laissant enfin ma langue se délier, je lui demandai plein de choses, en anglais évidemment :

– Comment est-ce que je suis arrivé ici ? Quelle heure est il ? Qui êtes-vous ? Pourquoi m'avoir recueilli ? Pou-
Elle me fit signe de me taire avant de souffler :

– Calmez vous...je vais répondre, mais ne vous affolez pas, s'il vous plaît.

Je la regardai dans les yeux, en soupirant, avant de hocher simplement la tête :

– Alors...dîtes-moi ce qu'il s'est passé, mademoiselle.

Elle regarda furtivement autour d'elle avant de me dire de l'appeler Charlotte, puis m'expliqua mon arrivée, du moins ce qu'elle en savait :

– Environ quinze jours après la bataille du Golfe de Leyte, mon père est parti pêcher, comme chaque semaine. Mais dans son filet de pêche, il a trouvé un homme inconscient et l'a ramené sur le pont du bateau. Quand il est revenu, mon père vous a installé sur le lit et lorsqu'on a voulu commencer à vous soigner, on s'est rendu compte que vous étiez japonais. On a tout de même continué à panser vos blessures ensuite. Cependant, vous êtes resté inconscient beaucoup de temps...

Je ne rêvais pas ? De tout ce que j'avais compris... j'étais aux États-Unis ? Dans une famille américaine ? J'étais chez l'ennemi ?!
Rien que cette idée me paniquait, Mais je ne pouvais pas bouger, à moins de vouloir souffrir davantage. Je me contentais de cligner des yeux lentement, affirmant que j'avais compris.

Elle commença à sourire presque imperceptiblement, puis continua :

– Vous êtes ici dans la ville d'Astoria, au nord de l'Oregon, chez mes parents et moi, et ma petite sœur. C'est ma ville natale, et c'est un endroit merveilleux. Si vous voulez savoir, il est douze heures vingt à l'heure américaine, et nous sommes le quinze novembre. Par contre, s'il vous plaît...

Elle marqua un temps pour reprendre son sérieux avant de continuer :

– Mes parents ne vont pas vous aimer...moi non plus à vrai dire, mais je ne pouvais pas vous laisser mourir seul.

Le quinze novembre ? J'avais donc passé trois semaines inconscient ? Tout à coup les souvenirs refluaient en moi avec force, me causant une migraine dont je ne pouvais me défaire. Alors je souffrais en silence pendant plusieurs minutes avant de réussir à articuler :

– Je suis votre ennemi, alors pourquoi ?

– Je vous l'ai dit, c'est que nous n'allions pas laisser quelqu'un mourir sur la plage, peu importe son camp !

– Et mes affaires ? Où sont elles ?

Elle m'indiqua alors un empilement de lambeaux brûlés, qui ne ressemblait plus vraiment à mon uniforme. Me forçant à baisser la tête, je me rendais compte qu'on m'avait affublé d'habits américains, qui n'étaient cependant pas neufs. Je lui demandai, hésitant :
– Pourquoi...ces vêtements ?

Elle secoua la tête, en essuyant de la manche des larmes qui commençaient à se former :

– Je vous le dirai...plus tard, monsieur.

Je lui expliquai vivement qu'elle pouvait m'appeler Tao, en la fixant dans les yeux. Après tout, même en territoire ennemi, je n'avais d'autre choix que d'attendre que mes blessures se résorbent...

– Au fait, est ce que vous pouvez me dire quelles blessures est ce que j'ai subi ? Je ne peux pas regarder par moi-même, désolé.

– Non, ce n'est rien, Tao...

Elle s'approcha et me dit, la voix tremblante :

– Vous avez...beaucoup de morceaux de peau et de muscles arrachés, ainsi que plusieurs fractures aux jambes, aux bras et aux côtes. Votre estomac et vos poumons aussi ont été touchés, mais votre visage a aussi subi des brûlures graves sur la moitié gauche et, selon ma mère, vos jours ne sont plus en danger. Une chance que vous soyez resté hors de l'eau !

Je la remerciai du regard en considérant mon état. Je pensais être beaucoup plus amoché par l'impact, mais il faut croire que j'avais été chanceux.

En parlant de chance, je repensais subitement à mon omamori, portant mes mains endolories à mon cœur, lorsqu'elle s'empressa de me remettre le porte-bonheur dans ces dernières :

– Je crois...qu'il vous a aidé. Votre cœur n'a pas subi de dommages.

Puis elle se remit à sourire :

– Grossièrement, vous êtes dans un état lamentable !

Je ris aussi à cette remarque, avant de le regretter, lorsque je toussai du sang violemment. Les yeux embués de larmes de douleur, je me laissai reposer au sol, épuisé dès mon réveil.

Je m'étais retrouvé prisonnier chez l'ennemi, dans une famille loin d'apprécier ceux de mon pays. Il était dur d'imaginer pire comme situation et, sur certains aspects, la mort semblerait être un meilleur traitement que ce que je vivais.

J'entendis une voix d'homme appeler Charlotte, qui partit en me disant qu'ils allaient bientôt dîner, et qu'elle m'apporterait à manger. Elle partit sans me laisser le temps de dire quoi que ce soit.

Pourquoi voulait elle tant m'aider ? Je ne le savais pas. D'où venaient ces vêtements ? De son père, peut être, mais si c'était le cas, pourquoi est ce qu'elle ne voulait pas m'en parler ?

Tant de questions me taraudaient l'esprit, mais je n'avais plus le cœur à y réfléchir. J'avais presque envie de mourir plutôt que de rester ainsi pendant des années.

Pendant quelques minutes, j'ai pu entendre une dispute au sein de la famille. Charlotte et une autre femme disaient qu'il fallait garder, une voix d'homme prônait qu'il fallait abandonner, laisser mourir.

Je mis quelques secondes avant de comprendre avec effroi que c'était de moi dont parlaient ces trois américains. J'allais vraiment mourir ? Rien que cette idée me glaçait le sang.

Après avoir réchappé à une première mort plus qu'honorable, j'allais mourir de la faim et de mes blessures, comme de la vermine ?

                                                                                         *

Charlotte finit par revenir, pour poser un plateau près de moi. Je ne prêtai pas attention aux aliments, me portant sur son visage couvert de larmes séchées :

– Charlotte, je suis désolé. Tuez-moi si je cause trop de soucis.

Mais qu'est ce que je raconte ? J'allais me laisser tuer comme ceci ? Malgré tout, c'était la première chose qui m'était venu à l'esprit. Elle secoua la tête en hoquetant :

– Je vais t'aider à manger, Tao. Si tu veux, je t'expliquerai tout après...

Je hochai la tête en la remerciant, essayant de l'aider du mieux que je pouvais. À chaque fois que je mangeais, ma gorge me faisait mal, et mon estomac aussi, mais il fallait que je me nourrisse, alors je le faisais, sous le regard impassible de la jeune fille.

Une fois fini, je commençai moi aussi à pleurer :

– Vous pensez-

– Tutoie moi, s'il te plaît. Je t'ai tutoyé aussi.

– Alors...tu penses que j'en aurai pour combien de temps, pour guérir complètement ?

Elle semblait réfléchir, puis faisait taper ses doigts contre la table, comme si elle évacuait ses soucis dans le bois :

– Je crois que tu en as pour quelques mois encore, au vu des blessures...

Je finis par demander, trop tenté par la curiosité :

– Alors, que voulais-tu m'expliquer ?

À l'écoute de mes paroles, elle prit une grande inspiration, puis s'assit sur le lit que j'occupais avant de se tourner vers moi :

– Il y a trois semaine, la bataille de Leyte a fait une victime chez nous...
Elle commençait à pleurer en continuant :

– C'était mon frère, qui était sur l'un des bateaux. Il avait presque ton âge. On s'aimait beaucoup, mais la Marine voulait de lui sur le front. Il en est mort pendant les attaques ka...kami...

Elle finit par éclater en sanglots avant d'avoir terminé, et je me rendai compte de ce que j'avais fait ; c'était peut-être moi qui avais tué son frère, ou un de mes alliés.

La culpabilité et les remords me rongeaient et me faisaient presque plus mal que mes blessures au moment où je semblais le plus désemparé.

Cependant, je ne pouvais rien dire, rien faire pour l'aider. Alors je me tus pendant quelques secondes, réfléchissant au meilleur moyen de ne pas la bouleverser davantage, avant de lui dire ce qui me semblait le moins inconvenant :

– Merci beaucoup, Charlotte. Merci pour m'avoir aidé et...je suis désolé pour ton frère...

Elle secoua la tête en cachant son visage :

– Non, Tao. Ce n'est rien. Tu avais le droit de savoir...

Après quelques longues secondes, Charlotte finit par dévoiler son regard et me murmura :

– Tu ne répéteras ce que je vais te dire à personne, pas même à mes parents, n'est ce pas ?

Je forçai sur mes blessures pour poser la main sur le cœur, m'arrachant un râle de douleur qu'elle n'eut pas le temps d'empêcher :
– Oui...Je te le promets, Charlotte.

L'Américaine me sourit doucement, puis continua en triturant ses doigts, sûrement par indécision :

– En fait, je crois que c'est parce que tu lui ressembles un peu que l'on t'a recueilli... Et puis, tu as son âge...

Elle finit en jetant des regards aux alentours :

– Ce doit être pour ça que ma mère et moi avons voulu t'aider.

Je hochai simplement la tête avant de boire de l'eau à la paille, ce qui la fit un peu rire, avant qu'elle ne s'arrête en s'excusant. Mais mon sourire montrait qu'elle ne m'avait pas vexé, alors elle continuait de s'esclaffer en me voyant me battre avec la tige, avant que je ne réussisse à l'attraper entre mes dents.

Malgré tout, j'appréhendais en silence le pire moment qui pouvait m'arriver : la rencontre avec le père de Charlotte, l'homme qui voulait m'abandonner à cause de mon origine.
Pour l'instant, le sommeil me guettait, alors je me jetai dans les bras de Morphée, permettant ainsi à l'Américaine d'arrêter de me surveiller.

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