9 : Poker Chips
Je me réveille lentement, une douleur lancinante dans mon crâne.
Je jette un coup d'œil autour de moi.
Les décombres s'entassent sur le parking et semblent former des sculptures. Tout autour, j'aperçois des cadavres gisants par centaines sur le goudron, semblables à des gouttelettes rouges déposés à la volée.
Je me lève difficilement, mes gestes entrecoupés de spasmes et de tremblements. Je m'essaye à analyser l'état de mon corps. Le résultat n'est pas si surprenant. J'ai de jolis hématomes superposés au niveau des côtes et ma cheville est ouverte de toutes parts, laissant couler grossièrement mon sang sur le béton.
La douleur est assez agréable. De doux picotements parcourent ma jambe blessée, et l'odeur métallique et salée du carmin m'enivre. Un frémissement de plaisir remonte ma colonne vertébrale et me fait frissonner. J'expire bruyamment et m'approche de mon sac, tombé une vingtaine de mètres plus loin.
Je l'attrape et en sors des bandages et du désinfectant. Je prévois toujours tout à l'avance, j'anticipe chaque possibilité, sans me fier ni aux statistiques ni aux probabilités. Je suis une joueuse de poker qui parie tout ses jetons à chaque partie. Mais je finis toujours par remporter la mise...
Je désinfecte ma cheville, et l'entoure d'un bandage fixé au dessous du pied pour le maintenir droit. Je range le tout, me relève et marche vers la morgue à ciel ouvert.
Les cadavres s'empilent les uns sur les autres. Je m'amuse à parier sur la raison de mort de chacun.
- Tiens ! Celui-ci a le corps carbonisé ! Il devait être prêt des explosifs... Au vu de ses multiples fractures, je partirais plutôt sur une chute mortelle pour celui-là... Il devait être un tireur d'élite posté en hauteur !
Je ne vois pas le corps de Papa. Je suis enfin seule, alors j'éclate d'un fou rire incontrôlable. Il est encore une fois passé entre les mailles du filet... Comme un minuscule poisson qui réussit toujours à s'échapper. La prochaine fois, peut-être !
Je contemple encore un peu les corps sans vie des soldats. Je me plais à admirer la pigmentation parfaite de leurs sangs, contrastant si bien avec la décoloration de leurs chairs. La mort a quelque-chose de beau et d'inexplicable.
J'ai beau avoir vu des centaines de personnes tomber dans un sommeil sans rêves, je m'attarde toujours sur les morts, comme une promesse silencieuse. Celle de ma victoire sur ce monde désastreux.
Je baille sans retenue, désormais désintéressée par le contenu de mon champ de vision. La suite va être un combat contre l'ennui, une bataille contre le désarroi.
Je vais devoir attendre plus longtemps que je ne l'ai jamais fais. Me terrer quelque part, m'y établir comme je peux, et attendre que les secondes s'empilent et deviennent successivement des minutes, des heures, puis des années.
C'est ainsi. Ma vie est une lutte afin qu'elle ne devienne pas ordinaire. Ça ne me dérange pas vraiment. Si ça m'avait dérangé, j'aurai fait autrement.
Je réfléchis quelques instants, me plongeant toute entière dans les mœurs actuelles pour les analyser avec plus de véracité et de précision. Chaque instant qui passe est dix mille possibilités traitées.
Ça y est. Je sais ce que je vais faire. Voici les trois choses qui vont rythmer mon temps d'attente :
- Surveiller Onze (et, évidemment, l'influencer)
- Me préparer en accumulant des objets, des vêtements et des provisions...
Et enfin... Prendre des nouvelles d'un ami d'enfance.
Comment vas- tu, Un ?
J'ai échangé quelques mots avec lui, il y a bien longtemps. Et puis je l'ai trahi. J'imagine qu'il a dû bien apprivoiser l'underground. Enfin, c'est ce qu'il pense. Et c'est très bien comme ça.
Trêve de bavardages ! Je dois commencer par trouver un endroit où m'établir. Les lieux que je connais sont le laboratoire, la forêt, et la cabane de chasseur. Le laboratoire est trop dangereux, la forêt, trop visitée, et la cabane, trop exposée. Je connais aussi l'autre côté... Remarque, ce n'est pas non plus une solution envisageable.
Bon et bien... Il me semble que je n'ai plus le choix ! On déménage ! Papa aurait pu avoir l’élégance de m’offrir un bouquet de primevères*, tout gentleman qu’il n’est pas, peut-être qu’avoir l’honnêteté d’accepter sa défaite et le renouveau qu’elle m’apporte aurait pu lui faire recouvrir un semblant de dignité... Il semblerait que je partes les mains vides ! (Si on excepte mon sac personnel).
- Adieu, ô vie douce et tranquille !
Un demi rictus se profile sur mon visage. La suite laisse présager de grands changements.
*
Cela fait trois jours que je suis partie, et j’ai finis par trouver refuge quelque-part. Encore une fois, c’est dans une forêt. Cependant, je suis cette fois entourée de grands menhirs, plantés dans le sol et couchés les uns sur les autres, comme se soutenant pour faire une voûte.
Je suis tout en haut d’Hawkings, et j’ai une vue imprenable sur les moindres faits et gestes stupides de ses habitants presque décoratifs. Je suis particulièrement proche du "lycée" d’Hawkings, c’est-à-dire un grand édifice où l’on parque des spécimens humains afin de les instruire à l’âge où ils sont les plus stupides.
En soirée, l’herbe est humide, et le vent, glacial. Autrement dit, ce n’est pas la cachette idéale. Il faudra bien, cependant, que je m’y accommode. Grâce à mon pouvoir, je vérifie régulièrement où est Onze. Elle est d’abord allé chez un restaurateur, puis a trouvé refuge dans une maison appartenant à une famille dénommée "Les Willer".
Cela me semble bien. La brise qui caresse mon visage est douce, le soleil qui décline, délicat, mais quelque chose me manque. Je me sens étrangement calme, comme si, vidée de mon essence, j’errai, doucement, attendant de m’éteindre, étreinte par la mort.
Douce agonie de mon existence, je brûlerai de tout mes feux, consumant mes années. J’oublierai le passé, je vivrai dangereusement, et aujourd'hui, j’attends, silencieuse et interdite, que la nuit tombe sur moi et m’engloutisse.
J’attends que tout se passe, lasse d’agir et presque de vivre. L’impatience attisait mon envie de vengeance...
Croyez-moi morte, dans les flammes de l’enfer, je reviendrai pour vous brûler avec...
1010 mots.
Gros retard sur mon plan d’écriture initial, je m’en excuse.
Poker Chips = les jetons de Poker
Je n’ai que peu de temps pour écrire...
J’espère néanmoins que le chapitre vous a plus.
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Kiss 3>
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