8 : Jouer avec l'obscurité


Mon autre est mort, ou plutôt, il n'existe plus. Nous ne formons plus qu'un à présent, et j'ai rompu la barrière. Tout ce qui vient de l'autre côté va se déverser ici. L'inconnu va fondre sur la ville... Et tout dévaster. Je fais l'apologie du malheur. J'aime la manière que le monde a de briser le semblant d'espoir qui anime une personne à un moment assez crucial pour que tout s'effondre dans son sillage.

Le chaos est pour moi un mode d'emploi. Quand le tourbillon emporte la raison, prend l'ascendant sur les normes sociétales, les êtres humains plongent dans une torpeur profonde. Cette inertie me fascine. L'Homme n'est qu'une espèce passive, au fond. Plus la dystopie règne, plus l'humain se résigne et devient inactif, certain que ce qui se déroule sous ces yeux est au-delà de sa volonté.

Plus la société progresse et plus les individus se déchirent. La plupart se fondent dans le décor, résolus à vivre fadement et à devenir le parfait individu lambda. Ceux-là souhaitent un quotidien morne et grisâtre, à l'image du monde qui les entourent.

D'autres, au contraire, rêvent de grandes choses : ils veulent être des idoles, des figures ! Ils se dessinent un avenir parfait, et imaginent que leur vie sera comme un rayon de lumière, prêt à guider ceux qui vivent mais n'existent pas. Pourtant, combien ont vu leurs rêves écrasés sous le poids des chagrins et des lassitudes ? Choisir cette manière de vivre, c'est parier sa manière de mourir. Soit tu meures en héros, soit tu meurs en paria. Quitte ou double, en somme.

Et enfin, il y a la troisième catégorie. Une espèce en voix de disparition, si je puis dire ! Ils ne sont ni comme les uns ni comme les autres. Cette disparité singulière les rends uniques. Eux, ils ne rêvent pas, ils font. Correction : Nous, nous ne rêvons pas, nous faisons ! Je suis de ceux qui chassent la lumière et la détruise, de ceux pour qui elle est un danger ! Pour certains , la lumière éblouit. Moi, elle m'aveugle. Cette lumière est un défi, une bête à dompter. Et pour cela, je joue avec l'obscurité, j'oscille entre la chasser et la laisser m'envahir. Mais quand la noirceur se cache jusque dans nos veines, comment l'occir ? Tel est le combat des partisans de l'ombre.

Aujourd'hui, j'ai accompli quelque chose de grand, d'important, de significatif. La séparation entre ce monde et l'autre côté est désormais trouble, indistincte...

Aujourd'hui, j'ai agrandi la faille. Vous savez ? Cette faille rouge dans le laboratoire... Et oui. Je l'ai fait. Une énorme bêtise pouf certains, et un choix audacieux pour d'autres.

Peut-être l'inconnu va-t-il me dévorer aussi, ou peut-être vais-je simplement le soumettre. J'ai hâte de savoir. J'en ai assez de laisser les aiguilles avancer dans l'horloge sans qu'aucun fait notable ne vienne tromper mon ennui. Je veux me battre pour ma vie, et pour mon rêve ! Je veux à nouveau sentir l'adrénaline me faire dépasser mes limites, me faire vivre dangereusement ! Je veux une vie emplie d'action. 

Les explosions ne vont pas tarder. Le feu sera parfait pour faire diversion...

J'entraîne à nouveau Onze vers le laboratoire. Je slalome entre les arbres, animée d'une frénésie certaine, consumée par l'euphorie.

Quand il nous faisait mal, Papa disait que le jeu en valait la chandelle. Ça n'était qu'une erreur de jugement. Toutes ses ambitions sont vaines, tout ses rêves, proches de l'échéance.

J'arrive enfin sur le parking du laboratoire (non sans quelques meurtres discrets au préalable). Onze me tient la main si fort que je suis persuadée que la marque sera encore là demain.

La petite tremble de peur.

- Pourquoi... Être i-ci ? Danger... Partir-... Vite ! Bafouille-t-elle.

- C'est le seul moyen pour s'enfuir à tout jamais. De l'autre côté du bâtiment, il y a un trou dans la clôture. Fais-moi confiance, Onze. Je te protégerai coûte que coûte...

Je m'invente cette réplique et la couple d'un sourire discret, presque fatidique, s'imbriquant parfaitement dans le puzzle du rôle que je veux créer. Un personnage secondaire qui se sacrifie tout de suite, dont peu de fans se souviennent et qui suscite généralement un mélange de compassion et d'indifférence.

Mon cœur tressaille d'impatience, mon corps est électrisé, comme placé sous-tension à l'idée de braver l'interdit et de ne plus me satisfaire d'une vie rangée (si on oublie l'accessoire, c'est-à-dire que je suis en cavale). Mes veines sont presque animées, comme une entité vivante terrée dans une autre.

Je regarde une dernière fois Onze, achevant de prendre possession de son coeur avec mon plus tendre sourire.

J'arriverai presque à en rire. Je me crée un personnage de toutes pièces, puis il prend vie et se suffit à lui-même. Je pourrai vous dire que je rêve d'un monde où je n'aurais pas à faire ça, mais ce serait faux. Au fond, je m'amuse comme une folle !

Les gens n'arrivent pas à me décrire. Je suis trop complexe pour cela. Certains on tenté un cœur d'adulte dans un corps d'enfant. Ça n'est pas du tout pertinent. Moi-même, je suis la première surprise de mes états d'âme naïfs, la première étonnée de mes manières enfantines !

Et pourtant l'inverse est faux également. Un enfant a-t-il déjà pensé à commettre un meurtre ? Oui, pour sûr. Mais a-t-il déjà planifié chaque seconde de sa vie dans l'espoir d'arriver à accomplir quelque chose ? A-t-il déjà regardé la vie s'éteindre à cause d'un acte de son fait ? A-t-il déjà fait couler assez de sang pour que cela ne soit même plus symbolique ?

Je me mords la lèvre inférieure pour ne pas éclater d'un bruyant fou rire.

Onze... Mon cher pion... Peut-être iras-tu jusqu'à la promotion*, qui sait ? J'ai l'intime sentiment... Que je vais passer les meilleurs années de ma vie... En ta compagnie...

Je ressens déjà la foule qui se presse autour de nous. Je m'avance vers la clôture et fait mine de chercher l'ouverture. Pendant ce temps, la petite reste en retrait, partagée entre la nervosité et une sorte d'admiration.

Soudain, ils arrivent tous. Les scientifiques et les armées, leurs visages peints d'agacement et de sérieux. Je ne m'attarde pas sur la mine soucieuse mais victorieuse de Papa. Je ne m'intéresse pas non plus à ses cernes plus que prononcées.

Je repère des fumigènes et des explosifs... C'est presque trop simple...

Je me rapproche de Onze et me positionne entre elle et les soldats. Je m'approche un peu plus d'elle et lui murmure, la voix pleine d'émotion et de chagrin :

- Je suis vraiment, vraiment désolée. J'aurais tellement aimée... Qu'on reste ensemble. Onze... Ne m'en veux pas s'il te plaît... Mais il faut que tu vives. Si te ne le fais pas pour toi, fais le pour moi. Je t'aime, Onze. Adieu.

Je la pousse dans le trou de la clôture et, une poignée de secondes plus tard, sous les yeux horrifiés de tout les pantins de Papa, je déclenche les explosifs.

L'explosion retentit et provoque simultanément une immense onde de choc et une chaleur extrême. Je suis propulsée à une bonne centaine de mètres du bâtiment, avec des cris en bruits de fond.  Je vais sûrement me retrouver en tête à tête avec une jolie cicatrice à mon réveil, mais, pour l'instant, ce n'est pas de mon ressort. Juste avant de sombrer dans l'obscurité, je me chuchote, comme une victoire :

- Un Oscar, s'il vous plaît...

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Fin du chapitre 8 - 1385 mots.

Promotion* : terme utilisé pour désigner le moment où, dans une partie d'échecs, un pion arrive à la dernière colonne de l'échiquier, sur le côté adverse. Cela signifie qu'il peut prendre la place de n'importe quelle pièce prise par l'adversaire (le plus souvent une dame) et ainsi obtenir beaucoup plus de valeur.

Je suis navrée, j'ai encore décalé mon plan d'écriture par rapport à ce que j'ai annoncé. Le prochain chapitre contiendra donc des descriptions sanglantes ou pouvant heurter la sensibilité de certains lecteurs.

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