7 : Tout est prêt à s'enflammer
Le crépuscule tombe délicatement, m'empêchant de distinguer les différentes nuances de bleu et d'indigo qui ornent le ciel. La pénombre recouvre petit à petit la clairière puis ma chambre. La pièce me paraît triste, inconsistante, vidée de sa lumière. Mais la nuit amène autre chose avec elle, comme un parfum de vengeance. Pourtant, les fleurs d'acanthes* ont fanées il y a longtemps déjà...
Une sinistre mélodie emplit ma tête d'amertume. Le violon de la mort semble jouer un rythme endiablé dans mon esprit. Je n'ai pas envie d'allumer la lumière, elle briserait ce sentiment que je n'ai ressenti que trois fois dans ma vie, celui de se sentir à sa place. Au final, ne suis-je pas née pour errer indéfiniment en ce bas monde ? Pour trouver ma place, achever ma quête, réaliser mon rêve, ne dois-je pas chercher éternellement comment y parvenir ? Le seul moment où j'ai vraiment l'impression d'avoir accompli quelque chose, c'est quand une vie s'arrête devant mes yeux, quand la lumière s'efface des pupilles de mon interlocuteur.
Peut-être est-ce là ma véritable essence : un meurtre de plus pour une larme de moins.
Je détache soigneusement mes cheveux, traitant chaque mèche comme une pépite d'or. Zéro. C'est mon nom. Alors pourquoi m'est-il si étranger en cet instant ? Chut. Fait taire ces pensées inutiles. La sensation s'estompera dès que tu auras du sang sur les mains. Reprends-toi, ma chère. Tu n'as pas le droit d'abandonner, pas plus que tu n'as le droit d'échouer. La seule chose que tu dois faire, c'est vaincre. Papa demande à tout les autres d'exceller. Deux y arrivait, donc c'était son préféré. Mais toi, Zéro, on t'en a toujours demandé plus. Tu ne devais pas être excellente, tu devais être parfaite.
Papa. C'est en partie pour ça que je me venge. Rampe à mes pieds, tu prieras pour ta vie, mais surtout pour ta mort. La torture que je t'infligerai te feras considérer la mort comme une grâce ultime, l'accomplissement suprême. Quand je me dresserai au sommet du monde, quand chaque individu ne sera plus bon qu'à mendier un regard de ma part, ose m'ordonner d'être parfaite. Ose me dénigrer simplement de part ce que je suis. Ose me faire souffrir jusqu'à ce que la douleur devienne le sang dans mes veines. Je te tuerai. Je le jure sur ma vie.
Je saisis le sac dans lequel repose le peu d'effets personnels que j'ai souhaité emporter. J'aurais bien aimé offrir un bouquet d'aconits* à Papa, mais pas de chance, la période de floraison est finie. Tant pis ! Je me contenterai d'un ensemble d'amaryllis* rouges.
Je respire profondément mais chaque molécule de dioxygène me paraît être un corps étranger qui agresse mes poumons. Peu importe ma douleur, peu importe ma rancœur, je saurais camoufler toute ma haine derrière un sourire. Le prix de mes faussetés n'a pas d'importance. Je suis prête à jouer la comédie à la perfection.
Je regarde une dernière fois les feuilles se froisser dans le vent. Mon cœur se pince alors que j'observe la scène. Cette attention est comme un signe d'adieu à cette vie que j'aurais pu avoir. J'aurais pu rester ici, avec Onze, et mener une vie ordinaire. Me repentir de mes erreurs, apprendre des choses à la petite, et finir par être heureuse... Ça pourrait être bien, non ?
Enfin... Vous pensez que ce "bonheur" me convient ? Sérieusement ? Après tout ce temps, vous ne sondez toujours pas ma personnalité ? Je suis un individu hors-cadre, et votre bonheur serai pour moi un immense ennui, teinté de mépris envers les personnes que je cotoirais. Moi, je rêve grand.
Vous qui pensez être des seconds rôles et qui vous en contentez, vous n'êtes même pas à l'état de figurants sur la scène ! Même pas dignes du personnage qui n'apparait qu'une seule fois dans l'ombre d'une ruelle, et dont personne ne se souvient ! Moi, je veux être le personnage principal, et ce, même si je suis l'antagoniste ! Je serai sur le devant de la scène, le feu des projecteurs braqué sur ma personne ! J'ai trop sacrifié pour rester au second plan...
Maintenant que je passe à l'action, tout est prêt à s'enflammer.
J'enfile les bretelles de mon sac à dos, puis je me dirige vers la chambre de Onze. Je pousse la porte sans même prendre la peine de toquer. Mesdames et Messieurs, devant vos yeux ébahis, je vous présente mon merveilleux talent d'actrice ! Une expression mi-paniquée mi-désolée recouvre mon visage, et mes yeux s'assombrissent pour faire croire au désarroi.
- Onze... Il faut partir ! Maintenant ! Ma voix se fait pressante, inquiétante.
- Il y a un p- problème ? Pour-quoi on doit pa-rtir de là ?
- Je suis désolée Onze. Papa nous a retrouvé. Je savoure intérieurement ma victoire en voyant l'expression dévastée de Onze. Je tiendrai ma promesse : je vais te protéger ! Mais il faut vraiment qu'on parte !
- Main-tenant ?
- Oui, Onze, c'est maintenant ou jamais ! Tu veux emporter des affaires ?
Elle secoue frénétiquement la tête en guise de réponse.
Je lui saisis fermement la main, et je sors par la porte arrière de la cabane. C'est maintenant que tout va se jouer. Que tout va se jouer en fonction de moi, de mon sens du timing, et de ma capacité à m'adapter.
Je commence à courir vers l'ouest. C'est là-bas que se trouve le laboratoire.
Je m'essouffle rapidement mais je ne m'arrête pas. Si le temps file entre mes doigts, il me faudra l' arrêter. J'entends Onze dont la respiration se fait plus prononcée à chaque inspiration. Je ne peux pas continuer à courir après eux. C'est plutôt eux qui vont venir à moi. La seule chose dont j'ai besoin, c'est un appât.
Une idée folle traverse ma tête et se terre ensuite à l'autre bout, comme une comète qui s'évanouit dans l'espace. Il faut que je le fasse. Cette chose que je me suis interdite pendant sept ans.
- Adieu sécurité. Adieu intégrité. Adieu moralité. Mais surtout adieu compassion. Je murmure ses mots assez bas pour que seule moi puisse les entendre.
Je m'arrête entre deux arbres. L'incompréhension de Onze ne m'intéresse pas, je la constate sans en prendre compte. Un pion, n'a pas d'avis après tout. La seule chose pour laquelle il est engagé... C'est son sens du sacrifice ! Je ferme mes yeux et me plonge dans mon propre cerveau. Je coule jusqu'au cœur de mes pensées, je m'y nois presque.
Un amas de noirceur me fait face, et à peine la brume sinistre se dissipe qu'elle laisse entrevoir un souvenir désagréable. J'ai tant craint son existence, j'ai tant craint que cette douleur prenne l'ascendant sur moi. Mais plus maintenant.
Cette noirceur n'est ni un ennemi, ni un inconnu. C'est mon alter-ego. C'est une partie de moi que je cache, un côté que je dénigre, une facette que je dissimule. C'est mon pouvoir.
- Stop. J'ai besoin de toi. De nous. On va réaliser de grandes choses, toi et moi. On va s'aimer et se haïr, on va s'aider et se détruire, on va vivre et puis mourir. Il y a ce monde qui nous fascine, ce monde qui nous déteste, il y a ce monde qui nous anime et qui forcément nous délaisse. Mais comme toujours nous sommes liés, le sort à décidé de cela, laissons derrière nous la passé ; je serai la reine et toi le roi !
Je murmure doucement ses mots... J'ai créé des murs là où se terre ce que je suis. Pour me protéger des autres mais aussi pour me protéger de moi. Je suis bien assez folle pour réussir à me déconstruire, me désassembler pièce après pièce. Cependant, je n'ai plus assez de ressources pour survivre seule. Un frisson de joie remonte depuis ma colonne vertébrale. Treize ans que le temps file sans qu'aucun événement ne vienne troubler mon quotidien. Treize ans que cette vie se confond en ennui et en médiocrité. Treize ans que j'attends désespérément ma chance...
J'ai presque envie d'en rire. Je n'ai pas envie de perdre toute ma crédibilité dans la situation... Mais ce rire serait le symbole du début. Le début de ma véritable vie...
- Arrête de lutter... Je ne suis pas ton ennemi. Je suis toi. Donne moi ce qu'on a toujours voulu... Et laisse toi t'abandonner. Ne t'en fais pas. Tu ne souffriras plus jamais... Puisque tu ne seras plus.
Il suffit de ses quelques mots pour que mon fort intérieur cède. Si je ne l'avais pas détruit, un autre l'aurait fait de tout façon...
- Il s'agit de nos derniers mots partagés... Je ne me répendrai pas en excuse, toi comme moi, nous détestons ça... Et pas non plus de belles paroles superficielles, des inventions de la société pour paraître moins désastreuse. Par contre, je te jure que je ferais tout pour réaliser notre rêve. Adieu...
Je glisse à ma moitié ses derniers mots. Et je n'ai presque plus rien à faire... Puisque tout est prêt à s'enflammer...
Fin du chapitre 7 - 1485 mots.
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Je vous prie de m'excuser, j'ai du retard sur mon plan de texte. Mes scènes d'actions seront donc dans le prochain chapitre.
*Aconit : Dans le langage des fleurs, l'aconit représente la haine.
*Acanthe : L'acanthe quand à elle représente la vengeance.
Amaryllis : Il s'agit de la fleur représentant la victoire. Zéro signifie par là sa victoire sur le D. Brenner.
J'utiliserai souvent le langage des fleurs, mais toujours en précisant à la fin du chapitre ce à quoi cela fait référence.
Merci d'avoir lu, l'autrice.
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