Chapitre 8


À peine éveillée, Emma regarda sa montre : il était midi passé. Elle alla s'asseoir au bord du lit et s'accorda quelques secondes pour contempler la décoration de cette chambre d'ami somptueuse qu'elle avait surnommée en elle-même la « chambre rose ». En effet, cette pièce avait un papier peint rose pâle, des rideaux fuchsia plus foncé assortis à la parure des draps dont les meubles en bois blancs faisaient ressortir la couleur. Elle se prit la tête dans les mains.

Tout ce qu'Emma avait entendu ne pouvait être réel. Rien de ce que racontait Nathanaël n'avait le moindre sens. Et pourtant... Pourtant elle savait que son récit n'était que pure vérité et non des élucubrations d'un vieillard isolé et rêveur. Ce qu'elle avait ressenti en touchant cet objet, ce transporteur, était l'expérience la plus intense qu'elle ait jamais vécue. Cela ne pouvait qu'être vrai ; Emma voulait y croire.

Elle se leva, lentement, et se dirigea dans la salle de bain attenante, dont la décoration rose et parme s'alliait parfaitement avec celle de la chambre. Elle fut surprise de trouver le miroir au-dessus du lavabo brisé et fendu en plusieurs morceaux, car elle se souvenait n'avoir fait qu'érafler la glace avec le balai. Elle découvrit dans le placard sous la vasque de l'évier un nécessaire de toilette neuf et emballé avec de nombreux produits estampillés Hilton Hôtel.

Emma retira le bandage que Nathanaël lui avait fait sur la main droite. La plaie était nette et propre. Après une douche rapide, Emma décida de retrouver Nathanaël et d'exiger des réponses à toutes les questions qui lui étaient venues depuis son réveil. Maintenant que les choses semblaient plus claires dans son esprit, elle voulait formuler à haute voix ses interrogations les plus urgentes. Elle prit dans son sac un stylo et un calepin et consigna un à un les points qu'elle désirait éclaircir avec son employeur. Ensuite, elle sortit de la chambre les cheveux mouillés, son bloc-notes dans la poche arrière de son jean, son portable dans l'autre. Elle se dirigea directement vers la cuisine. La faim la tiraillait et elle pensait que c'était sûrement là qu'elle trouverait le maître de maison. Le manoir paraissait vide. Dans le jardin, Monsieur Cambello s'affairait autour des rosiers de l'allée centrale. De gros nuages noirs au loin laissaient présager une averse avant la fin de la journée.

Emma présuma que Nathanaël dormait encore. Elle mangea un petit-déjeuner sur le pouce. Elle était agitée et guettait le moindre bruit. Lorsqu'elle eut fini d'avaler la dernière bouchée d'un morceau de pain de mie complet, elle entendit le bois de l'escalier craquer.

— Enfin ! s'exclama-t-elle en courant vers le hall d'entrée.

À son grand désespoir, ce n'était pas Nathanaël qui descendait les escaliers, mais Colonel, qui claudiquait péniblement le long des marches. L'animal vint s'asseoir aux pieds d'Emma et la fixa langue pendante durant quelques secondes. La jeune femme lui grattouilla l'oreille comme à son habitude, mais le chien ne réagit pas.

— Ben alors, qu'est-ce que tu veux Coco ? Tu as besoin de sortir ?

Emma alla ouvrir la volumineuse porte d'entrée, mais la bête n'avait pas bougé d'un pouce. Il regardait maintenant le haut des marches d'escalier. Tout à coup, Colonel aboya faiblement et remonta les marches tête baissée. Étonnée par ce comportement plutôt inhabituel de la part de ce chien qui ne faisait que dormir et manger depuis son arrivée, Emma décida de le suivre dans sa difficile ascension. Elle fut surprise de constater qu'il ne s'arrêtait pas au premier, mais continuait sa pénible progression jusqu'au deuxième étage du manoir. Là, Colonel se dirigea vers le bureau dont la porte, grande ouverte, inondait le couloir de lumière.

Emma était ravie. Cela voulait forcément dire que Nathanaël était réveillé et l'attendait ici pour poursuivre le récit de ses aventures. Un sourire aux lèvres, Emma entra à grande enjambée dans la pièce, mais elle fut à nouveau déçue de le découvrir vide. Par contre, certains objets avaient été déplacés. Le transporteur ne reposait plus sur son socle, mais se trouvait à présent en plein milieu du bureau de Nathanaël, sur une pile de plusieurs documents jaunis : des dessins et des notes qu'il avait dû écrire il y a plusieurs dizaines d'années. Très étrangement, juste à côté, une bassine en plastique remplie d'eau était déposée. La carte était également décrochée du mur et appuyait contre le rebord de la cheminée. Plusieurs livres à la couverture en cuir étaient éparpillés à même le sol.

Emma, légèrement inquiète, décida d'appeler Nathanaël, mais personne ne lui répondit. Elle fit sonner le téléphone fixe de la maison, mais la sonnerie incessante ne faisait que l'angoisser davantage. Elle vérifia chaque pièce une à une à la recherche de Nathanaël. Elle criait presque, prise de panique. Elle résolut même de regarder dans la chambre à coucher de son employeur. L'endroit était vide, le lit n'était pas défait. Elle courut contrôler le garage, mais la Tesla n'avait pas bougé. Un gros coup de tonnerre la fit sursauter. La pluie commençait à tomber. Elle aperçut Monsieur Cambello claudiquer pour se mettre à l'abri dans le cabanon à outils près de la piscine. Elle revint dans le bureau : Colonel s'était couché devant la cheminée et ronflait bruyamment ce qui calma un peu la jeune femme. Si quelque chose de grave était arrivé à Nathanaël, son fidèle chien ne dormirait pas aussi paisiblement.

La pluie tombait de plus en plus fort au-dehors. Emma essaya d'analyser les objets pour comprendre ce qui avait bien pu se passer. En regardant de plus près, elle vit une petite serviette à main posée sur l'accoudoir du fauteuil de Nathanaël, et le plateau qu'elle avait elle-même monté la veille reposait sur le rebord de la fenêtre. Il n'était jamais retourné dans sa chambre, ou peut-être quelques minutes, mais il était revenu ici avec cette bassine et ce torchon. Emma était convaincue que Nathanaël avait déplacé le transporteur avec le linge, mais pourquoi amener de l'eau dans la pièce ? Les documents sur le bureau ne ressemblaient pas à ceux qu'il avait sortis le soir précédent devant elle. Il y avait trop de dessins. Emma choisit une des feuilles sur laquelle une spirale complexe était griffonnée ; mais en y regardant de plus près, le trait qui constituait la spirale était fait d'une écriture très fine. En tournant le papier entre ses doigts, Emma pouvait déchiffrer le texte.

L'Abud accompagner l'Élu arriver guider l'enfant des enfants de la forêt, soulager la forêt respirer le poison ardent ramener la vie en son sein jamais l'élu sauver la lumière...

Ce texte devait provenir de cette fameuse prophétie des Bénis, pensa-t-elle. Tout cela n'avait aucun sens.

Emma commençait à réellement paniquer. Nathanaël était retourné à Zéladonia, elle en était convaincue. Comment ? Peut-être que le transporteur s'était réveillé à cause d'elle et Nathanaël avait tenté sa chance. Mais que devait-elle faire ? Appeler la police pour signaler sa disparition ? Non, elle allait passer pour une folle, ou même être suspecte. Un vieux milliardaire qui évapore comme ça, sans laisser de trace, c'est invraisemblable.

Ne sachant que faire sur l'instant, elle décida de ranger le bureau. Nathanaël ne souhaitait pas que son secret soit découvert. Avant toute chose, il fallait faire en sorte que personne ne tombe sur des objets ou des documents qui amèneraient à penser qu'il est possible de voyager à travers les mondes. Elle songea à la carte et aux ustensiles volumineux et prit le parti de dire, si on lui posait la question, que Nathanaël était écrivain et avait un projet de livre fantastique. Vu sa réputation d'homme solitaire et fantasque, personne ne s'étonnerait qu'il eût de drôles d'idées dans la tête.

Tout en empilant les documents jaunis par le temps, Emma ne pouvait s'empêcher de répéter frénétiquement « c'est pas possible, c'est pas possible... ». Son cœur battait à tout rompre dans sa gorge, et ses mains moites de sueur, glissaient et laissaient des traces sur les papiers et les livres qu'elle touchait. Elle aperçut du coin de l'œil un petit placard dérobé d'une trentaine de centimètres sur le mur du fond, près de la cheminée. La porte était entrouverte. Elle alla y jeter un coup d'œil et se dit en elle-même qu'elle avait trouvé une cachette idéale pour tout ce qui traînait dans le bureau sans avoir à ranger méticuleusement chaque chose à leur place. D'autant plus qu'elle ignorait où allaient ces feuilles et elle savait pertinemment que Nathanaël repasserait derrière elle pour trier à nouveau. S'il revenait...

Elle ramassa tous les papiers, le transporteur avec le torchon, les porte-documents et fit une pile qu'elle entassa sur le plateau sur lequel elle avait servi le thé la veille. Puis Emma se mit à genoux et tenta de le faire glisser dans cet espace caché. Mais quelque chose butait et l'empêchait d'enfoncer l'objet plus avant. Elle essaya de forcer par petits coups secs, mais cela n'eut aucun effet mis à part celui de faire tomber quelques croquis sur les côtés du placard secret.

Emma retira alors complètement le plateau et glissa son bras à l'intérieur de la mince ouverture pour voir ce qui pouvait bien faire obstruction. Elle sentit sous ses doigts une petite boîte rectangulaire, l'attrapa et la sortit du trou. À nouveau, elle tâcha d'enfoncer le plateau et réussit enfin à le faire rentrer ainsi que tout ce qui se trouvait dessus. Elle referma la porte d'un coup sec et fut soulagée de constater qu'il fallait regarder de très près pour voir l'interstice entre le mur et cette porte bien cachée. Pour accéder à ce minuscule placard dérobé, il suffisait d'appuyer doucement sur le bois à un certain endroit et le système d'aimant faisait son effet inverse pour entrouvrir le passage.

Une fois tous les documents dissimulés, Emma s'assit sur les genoux et prit une profonde inspiration, comme si le fait d'avoir enfoui le désordre réglait les problèmes. Elle allait se relever quand elle remarqua dans ses mains cette jolie boîte ; faite de bois d'ébène verni, il était gravé sur son couvercle cette même rosace à quatre branches qui apparaissait sur la carte. Ce qui étonnait le plus Emma était la légèreté de l'objet. La boîte semblait vide. Par acquit de conscience, elle décida de jeter un œil à l'intérieur, mais le clapet était fermé. On pouvait apercevoir sur un côté une minuscule serrure en argent. Emma hésita un instant à forcer l'ouverture avec un ouvre-lettres de Nathanaël. Elle jugea finalement qu'il était plus sage de chercher la clé en imaginant la tête de son employeur, s'il découvrait un jour qu'elle avait volontairement abîmé un objet qui avait de la valeur.

Tout d'abord, elle alla regarder le trousseau de Nathanaël laissé dans l'entrée, Colonel sur ses pas. Mais toutes les clés étaient trop grosses : maison, voiture, garage. Aucune ne ressemblait à une petite clé de boîte à bijoux. Ensuite, elle revint dans le bureau, toujours suivie par l'énorme chien. Elle inspecta tous les tiroirs du magnifique bureau ouvragé, mais ne trouva rien, à part des documents comptables administratifs et des factures qui, pour sûr, venaient bien de ce monde-ci. Emma était prise de panique à nouveau ; c'était comme chercher une aiguille dans une botte de foin. Elle alla fouiller la bibliothèque puis les chambres. Arrivée dans la cuisine, elle s'apprêtait à regarder dans le tiroir à couverts quand elle fondit en larme sur le carrelage. Il n'y avait rien ici. C'était clair. Elle allait devoir expliquer à la police que le propriétaire des lieux avait disparu alors qu'elle avait passé la nuit là et qu'il ne restait que son chien pour seul témoin. Ce pauvre Colonel qui la suivait partout depuis ce matin et qu'elle n'avait même pas pensé à nourrir.

Emma décida de remplir la gamelle de l'animal avec ses croquettes puis de signaler l'absence de son maître, quand elle aperçut pour la première fois un vieux collier tout abîmé autour du cou du colosse. Une idée lui traversa l'esprit. Elle avait fouillé tout le manoir à la recherche de cette clé, mais n'avait pas songé à regarder le chien, ou plutôt son collier. Sur un coup de tête, Emma prit une grosse paire de ciseaux et s'approcha de la bête. Colonel, toujours très calme, courba l'échine pour lui permettre d'ôter plus facilement son collier. Il devait le porter depuis plusieurs années tant les poils s'étaient enroulés autour du tissu à certains endroits. Emma pensait qu'elle était complètement folle de faire ça. En plus de devoir expliquer tout le reste aux autorités, elle allait aussi devoir justifier cette drôle de coupe au niveau du cou. Mais au point où elle en était, passer pour une cinglée auprès de la police était le cadet de ses soucis.

Emma tenait maintenant le vieux collier rapiécé entre ses mains. Elle mit peu de temps pour dénicher ce qu'elle cherchait. Dessus, il n'y avait pas de plaque, mais un petit tonneau de deux centimètres façon Saint-Bernard. Elle avait déjà vu ce genre de gadget. Il fallait dévisser le tonneau comme un bouchon et il y avait à l'intérieur le nom et l'adresse du propriétaire de l'animal.

Son cœur battait à tout rompre et ses doigts tremblaient et glissaient sur le petit objet. Emma n'en croyait pas ses yeux : au creux du tonneau se trouvait une clé minuscule en argent.

— Mais comment c'est possible ? Je délire... murmura-t-elle dans sa barbe.

Elle regardait Colonel, abasourdie, comme si le chien allait lui répondre. À pas lents, elle retourna dans le bureau de Nathanaël, car elle y avait laissé la boîte. Arrivée sur place, Emma remarqua que l'orage battait son plein à l'extérieur. Il faisait sombre dans la pièce et les vitres étaient balayées par moment par la pluie torrentielle. Elle s'assit sur le fauteuil de Nathanaël, posa la boîte devant elle et la petite clé à côté.

Emma hésitait. Elle savait qu'elle était à un tournant de sa vie. Elle pouvait choisir de partir, sous l'averse, et abandonner toutes ces sornettes, ce monde et ces images de cascade et de château, de forêt magique. Elle pouvait choisir d'ignorer cet appel de fantaisie et d'aventures. Elle pouvait choisir de céder à la peur de l'inconnu et de retourner à cet univers banal, froid et hypocrite. Elle pouvait capituler et adopter la normalité à laquelle tous ces gens aspirent tant. Elle pouvait ignorer ce désir et oublier.

Mais elle décida que non.

Emma ne tremblait plus. Elle prit la clé, la fit tourner dans la minuscule serrure et, dans un déclic, le couvercle s'ouvrit. La boîte ne contenait qu'un morceau de parchemin roulé et tenu par une petite ficelle de soie noire. À côté du verrou à l'intérieur se trouvait une ampoule de verre qui renfermait du liquide opaque. Emma n'en revenait pas. Elle avait bien fait de chercher la clé, car si elle avait forcé l'ouverture, le flacon d'encre se serait fendu et aurait déversé son contenu sur le papier le rendant alors illisible.

Emma tira doucement sur la ficelle pour libérer le document épais jauni par le temps et le déroula. L'écriture de Nathanaël était reconnaissable bien que légèrement différente : plus ronde et plus souple que les pattes de mouche qu'Emma avait repérées sur les dossiers qu'elle avait cachés dans le placard. Elle était convaincue que c'était bien lui qui avait écrit ces lignes, mais des années auparavant.

Elle lut :

« Je suis revenu et je ne parviens pas à y retourner.

Je laisse ce message à quiconque comprendra de quoi il en retourne.

Par "quiconque", j'entends le véritable "élu" bien évidemment.

L'or des Ignis m'a permis de vivre confortablement, mais je n'arrive pas à oublier.

Le joyau des Bénis est en sûreté, mais ne brille plus.

Le transporteur est mort.

Mes recherches ne donnent rien.

Si quelqu'un trouve ceci, c'est que je ne suis plus.

Il est très important de ramener le joyau aux Bénis, car il ne m'a jamais appartenu.

Je l'ai caché dans la pierre, espérant un jour qu'il irradie de lumière à nouveau dans le cœur d'Eurydice.

J'ai tout gâché.

S'il vous plaît, dites-leur que je ne voulais pas disparaître ainsi.

Je voulais gagner du temps, et j'ai ignoré l'enseignement des Bénis.

Je pensais que c'était moi.

J'y ai cru.

Je ne suis pas un voleur.

Je me suis juste trompé.

Pardon. »

Une larme perla au coin de l'œil d'Emma. Elle réalisa à quel point ce vieillard était brisé par son passé. Il n'avait jamais pu oublier Zéladonia. Il n'était pas passionné, mais hanté. Emma parcourut le parchemin à plusieurs reprises. Nathanaël ne lui avait pas mentionné d'or ou de joyau la veille lorsqu'il avait raconté son histoire. « Et pourquoi fait-il référence à Eurydice ? Ceci n'a absolument aucun sens », pensa-t-elle. D'après ses souvenirs de sa lecture des Métamorphoses d'Ovide à l'université, Eurydice était la femme d'Orphée, celle qui est morte à cause de la morsure d'un serpent. Son mari serait allé la récupérer aux Enfers. Quel rapport avec tout ceci ? Pourquoi fallait-il que Nathanaël fasse tant de mystères ?

Tout à coup, un éclair perça dans le ciel. Emma sursauta et se retourna pour regarder le violent orage qui battait son plein au-dehors. Les nuages étaient si sombres qu'ils donnaient l'impression qu'il faisait nuit. Un autre éclair fendit l'atmosphère juste au moment où les yeux d'Emma s'étaient posés sur le chêne au fond du jardin. L'espace d'une demi-seconde, elle put apercevoir les statues des dryades dansant autour du vieil arbre. Son sang ne fit qu'un tour.

— Mais c'est ça ! cria-t-elle. Purée, mais oui, mais c'est ça ! Eurydice est une dryade Colonel !

Le chien ne prit même pas la peine de lever la tête à son exclamation, il dormait déjà aux pieds de la cheminée. Emma ne se rendait même plus compte qu'elle parlait toute seule.

— Écoute ça Colonel « Je l'ai caché dans la pierre, espérant un jour qu'il irradie de lumière à nouveau dans le cœur d'Eurydice ». Le joyau des Bénis est caché dans le jardin. Eurydice était une dryade, autrement dit une nymphe des arbres et des forêts. Ça collerait avec tout le tintouin qu'il m'a fait hier sur la forêt des Bénis au cœur du royaume. C'est incroyable, cet éclair, juste quand je me retourne, je n'aurais jamais deviné... Je vais le chercher.

Emma rangea le parchemin dans la boîte et la fourra au fond d'un des tiroirs du bureau puis se dirigea à grands pas vers le couloir. Elle dévala les escaliers, courut presque dans la cuisine pour rejoindre la véranda et sortit sur la terrasse. L'air était froid et humide, presque glacial. L'odeur de bois mouillé était assommante. Tout était trempé et la pluie continuait de tomber par trombes d'eau. Emma s'arrêta un instant pour visualiser sa destination, mais elle n'y voyait presque rien avec ce rideau de pluie devant elle. Elle décida d'y aller quand même et se mit à courir vers le grand chêne. Emma fut complètement trempée en moins de dix secondes, mais elle s'en fichait, car elle sentait qu'elle était sur la bonne piste. Elle ne savait pas ce qu'elle faisait, mais son instinct la guidait. Manquant de peu de rentrer dans une statue de la Vénus sortant de son coquillage, elle la contourna à tâtons et continua sa course. Enfin arrivée sous le chêne, Emma fut un peu plus protégée de l'averse. Elle percevait nettement les trois statues malgré la pénombre. Deux d'entre elles dansaient les mains levées et leurs visages souriants tournés vers le sommet de l'arbre. La troisième par contre, avait la tête légèrement penchée vers le sol, une main posée sur son cœur et l'autre un bras en équilibre, comme si elle terminait une révérence.

C'est vers cette statue que se dirigea Emma en premier. Elle s'approcha pour détailler la nymphe. C'était elle : c'était Eurydice. Ses cheveux longs et frisés cachaient ses seins. Le bas de son corps était recouvert d'une tunique de feuilles nonchalamment jetée sur son bassin. Elle souriait, mais Emma trouvait que son visage affichait une certaine nostalgie qu'elle ne pouvait expliquer. Dans cette posture gracieuse, on aurait dit une reine d'antan, belle et mystérieuse à la fois. Emma prit la main de la statue qui était posée sur son cœur, et tira légèrement dessus. C'est alors que tout naturellement, Eurydice ouvrit son bras pour dévoiler dans sa main un diamant rouge luminescent. La tête d'Emma tournait. Elle avait eu l'impression que la dryade était revenue à la vie, que la statue s'était mue tout naturellement. Elle avait envie de prendre ses jambes à son cou et de revenir au chaud dans la maison, mais le joyau l'appelait. La statue d'Eurydice se trouvait là devant elle, la main tendue de cette offrande magique.

Emma prit le joyau dans sa main. Un éclair frappa et la transperça de plein fouet. Quelques secondes plus tard, la pluie s'arrêta net. Mais Emma n'était plus là. Elle avait disparu.

Eurydice souriait...


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