Chapitre 2
C'est ainsi qu'en ce début septembre, à l'heure à laquelle Madame Foucault aurait dû arriver pour son ménage quotidien, quelqu'un actionna la sonnette du portail d'entrée. Colonel ne prit pas la peine d'aboyer alors que le retentissement de la clochette était plutôt un événement inhabituel en cette heure si matinale. De plus, tout le monde savait que Nathanaël ne fermait jamais à clé le portillon, afin de permettre à son jardinier, Monsieur Cambello, d'aller et venir à sa guise dans la propriété sans l'embêter. Nathanaël descendit les marches, laissant derrière lui son vieux chien qui ronflait à perdre haleine, et se rendit dans la cuisine pour décrocher l'interphone.
— Qui est-ce ? demanda-t-il.
Une voix bourrue, hachée par le microphone, répondit tellement précipitamment que Nathanaël ne comprit qu'un mot sur deux.
—... Brge... demande à... et voir en personne... des nouvelles... merci...
Bien qu'il aurait préféré renvoyer cet inconnu et retourner vaquer à ses occupations, Nathanaël fit un gros effort et à contrecœur, ouvrit le portail en appuyant sur le bouton dessiné d'une clé. Un petit homme chauve et replet s'engagea à pied sur le chemin en trottinant. Sa mallette à la main, il monta rapidement les marches du perron pour se retrouver devant Nathanaël qui l'attendait déjà sous le porche.
— Bonjour. Qu'y a-t-il ? Je n'ai rien compris de ce que vous avez dit dans l'interphone. Que puis-je faire pour vous ?
— Monsieur Parker-Scott, c'est bien ça ? dit-il d'un ton légèrement essoufflé.
— En chair et en os, répondit Nathanaël. Alors ?
— Et bien, bonjour, oui, je suis Monsieur Borgel, notaire.
Il fit une petite pause comme s'il attendait une réaction particulière de la part de Nathanaël. Ce dernier, agacé, l'invita d'un signe de tête à continuer l'explication de sa présence.
— Euh, oui, alors, euh, M. Parker-Scott, j'ai le chagrin de vous annoncer le décès cette nuit de, euh... Il ouvrit son top case et sortit rapidement un dossier. Ah oui, voilà, Madame Margarette Foucault, qui nous a quittés dans son sommeil, cette nuit. C'est sa sœur, vous savez, euh, Madame... euh...
— Madame Rieti, coupa Nathanaël.
— Oui c'est ça, elle l'a trouvée ce matin.
Nathanaël accusa le coup sans rien dire et continua de regarder M. Borgel froidement. Ce dernier se sentit obligé de rajouter précipitamment :
— Et je vous présente toutes mes condoléances pour cette douloureuse perte.
Après un bref silence, Nathanaël répondit :
— D'accord. Je vous remercie de vous être déplacé et de m'annoncer en personne la mauvaise nouvelle, mais ça n'explique toujours pas la raison de votre présence ici. Je suppose que j'aurais été informé par Madame Rieti dans la matinée.
— Oui, en fait, je suis là parce que Madame Foucault avait fait appel à moi il y a quelques semaines pour que je vous confie en main propre ceci.
Il chercha à nouveau dans son top-case et en ressortit une grosse enveloppe de couleur marron. Elle avait insisté pour que je vous donne cela le plus vite possible après son décès.
— C'est bien étrange. Dans ce cas, merci, dit Nathanaël en prenant le pli.
Comme pour se justifier, le notaire rajouta :
— Oui, désolé, il n'y a que ça, tout le reste de ses possessions est destiné à Emmaüs. C'était son vœu que tout soit offert sauf cette enveloppe scellée qui vous est adressée.
— Bien, Monsieur Borgel. Je vous remercie encore une fois de vous être déplacé aussi rapidement. Maintenant, si vous voulez bien...
— Oui, oui, je m'en vais, j'ai une autre course à faire et vous comprenez, avec cette chaleur j'espère être rentré avant midi. Au plaisir, envoya-t-il en tournant les talons.
Nathanaël ne prit pas la peine de répondre et regarda l'homme bedonnant repartir. Il s'autorisa quelques instants pour penser à cette triste nouvelle. Madame Foucault n'était pas son amie, mais il la connaissait depuis si longtemps. Il rentra dans la maison et ses pieds le menèrent directement au salon. Tout en allumant une bougie décorative sur la cheminée, il pria pour l'âme de cette femme. Puis, il alla s'installer sur le fauteuil le plus proche de la fenêtre, enflamma sa pipe qu'il avait toujours sur lui dans la poche de sa chemise et ouvrit l'enveloppe. À l'intérieur, il découvrit une simple lettre, écrite à la main sur du joli papier rose pâle.
« Mon cher Monsieur Parker-Scott,
Si cet horrible bonhomme de Borgel vous a remis ma lettre et si vous lisez ces lignes, c'est que j'ai passé l'arme à gauche, comme on dit. Oh, ne vous apitoyez pas sur mon sort surtout, j'ai bien vécu et je suis heureuse de rejoindre mes époux, bien que j'ignore lequel des trois va m'accueillir en premier !
J'imagine que vous êtes un peu surpris de ma démarche. En effet, j'aurais pu vous dire tout ça de vive voix, au lieu de faire tant de mystères, mais bon... Disons que, comme vous, j'aime jouer au jeu des secrets... En réalité, j'ai une chose à vous avouer et une requête à vous faire. J'ai toujours craint de vous confesser la première et j'avais peur d'essuyer un refus avec la deuxième. Du coup, le fait que je sois morte joue en ma faveur dans les deux cas. D'un, vous n'allez pas m'enguirlander et de deux, comment dire non aux dernières volontés d'une pauvre vieille défunte !
Bon, mon vieux Nathanaël, ma confession est que je n'ai pas respecté l'interdiction que vous aviez formulée lors de notre première rencontre. Oui, vous aviez été très clair, et oui la curiosité a été plus forte que moi, donc oui, je suis entrée dans votre bureau. Oh ne vous alarmez pas, je n'ai parlé à personne de ce que j'y ai vu. Je vous admire trop pour cela. C'était il y a quatre ans, au mois de mai précisément, lorsque l'alarme incendie de la cuisine s'est déclenchée toute seule. Cambello et vous aviez essayé de faire taire l'engin pendant plus d'une heure. Je pense que c'était l'unique fois où vous êtes parti de votre bureau sans le fermer à double tour. Comme je faisais la poussière sur les étagères de la bibliothèque, vous ne m'avez pas vue au deuxième. La porte était restée entrouverte et je vous jure qu'au début je voulais juste jeter un coup d'œil.
Vous vous doutez que j'ai été très surprise, et peut-être un peu effrayée. Mais j'ai alors eu la confirmation de ce que je savais déjà : vous êtes un être rare et différent. J'ignore votre passé et ce que vous avez vécu lors de vos voyages, mais ces objets (et particulièrement celui qui trône sur la cheminée) sont extraordinaires. Vous êtes liés à quelque chose de grand, à quelque chose de magique, j'en suis sûre. Finalement, je suis désolée de vous avoir trahi en dépassant les limites que vous aviez fixées, mais je ne suis absolument pas désolée d'avoir découvert ce que vous cachiez-là. Moi qui n'ai jamais quitté les environs des Bouches-du-Rhône, votre petite collection m'a fait voyager, à sa manière. J'ai à peine feuilleté le journal en cuir ouvert sur votre bureau, vos esquisses, vos dessins, vous avez du talent Nathanaël !
Mais soyez rassuré, j'emporte votre secret avec moi dans ma tombe. Sachez une chose : lorsque je ferme les yeux, depuis ce jour-là, je suis enchantée par la même vision que celle que j'ai entrevue dans cet objet sur la cheminée. Je suppose que vous savez de ce dont je parle. Voilà donc ma confession.
En ce qui concerne ma requête, elle est tout autrement plus terre-à-terre. Je sais que vous étiez habitué à moi et à ma façon de nettoyer, mais avouons-le franchement, avec l'âge, je n'étais pas très efficace ces derniers temps... Ce que je vous demande, c'est de me remplacer par la petite Emma Leroux. Je suis sûre que vous savez qui c'est : la petitoune avec les cheveux roux, qui est venue me chercher quelques fois en voiture. Son appartement est juste en dessous du mien, voyez-vous, et je me suis beaucoup attachée à elle. Elle est d'une gentillesse incroyable et surtout, surtout, elle essaie de s'évader de ce monde qui n'a pas toujours été tendre avec elle. Mais elle a besoin d'argent. Faites-la travailler : elle sera efficace et, je le souhaite de tout mon cœur, elle se fera sa petite cagnotte. Elle a vingt et un ans et toute la force et la vigueur qu'il faut pour entretenir une maison comme la vôtre.
Mon cher Nathanaël, je vous fais confiance pour honorer mes dernières volontés. J'imagine déjà la moue dubitative sur votre visage. Au moins, rencontrez-là et faites un essai. Vous ne serez pas déçu.
Je vous envoie mes sincères salutations de l'au-delà, et je vous souhaite de tout mon cœur de parvenir à la réalisation de vos rêves.
Amicalement,
Margarette Foucault »
En lisant ces mots, le sang de Nathanaël n'avait fait qu'un tour. Il parcourut deux fois la lettre pour être bien sûr qu'il ne s'agissait pas d'un mirage. Donc, elle savait. Et depuis longtemps. Il n'en revenait pas. Et quelle folie de donner ces informations à ce crétin de Borgel en qui il n'avait aucune confiance pour ne pas fouiner son nez dans les affaires de ses clients. Si ça se trouve, cet imbécile avait ouvert l'enveloppe et regardé son contenu.
Nathanaël relut la lettre une dernière fois. « Madame Foucault n'était pas idiote », pensa-t-il. Elle avait sûrement envisagé cette éventualité, et c'est la raison pour laquelle elle ne s'attardait pas trop sur ce qu'elle avait vu. Mais prendre autant de risque, quelle folie !
Il imagina un instant brûler le billet et oublier tout ce qu'il venait de voir, mais il se ravisa. Un sourire se dessina spontanément sur son visage. Cette bonne vieille Madame Foucault était un sacré phénomène. Non seulement elle le privait du plaisir de l'enguirlander, comme elle le disait, mais en plus, maintenant, il se sentait obligé d'engager cette Leroux. Bien sûr qu'il allait respecter ses dernières volontés, même si c'était à contrecœur. De toute manière, pensa-t-il, il fallait bien embaucher quelqu'un pour s'occuper de la maison. Cette jeune femme vaudra sûrement aussi bien qu'une autre.
Comme il s'en doutait, Nathanaël reçut le coup de téléphone quelques heures plus tard de Madame Rieti qui lui annonçait le décès de sa sœur Margarette. La conversation fut brève. Elle l'informa alors de la tenue de l'enterrement dans deux jours au cimetière Saint-Roch de Salon-de-Provence, à quatorze heures.
Nathanaël prit donc parti d'attendre la fin des obsèques avant de prendre contact avec sa future femme de ménage. Après tout, un peu plus de poussière dans le manoir ne tuerait personne...
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