Chapitre 19
— Qu'est-ce qui se passe ?
La voix alarmée de Luen tira Emma de son sommeil agité. Le joyau à son cou irradiait et lui brûlait la peau depuis un bon moment, mais son rêve était trop intense pour que cela ne la réveille plus tôt. La douleur était presque insoutenable, mais la peur qu'elle ressentit fut plus forte encore, car elle entendit un gros bruit de choc sur le toit de la grange. Luen cria son nom, mais avant qu'elle ait eu le temps de lever ses armes en position défensive, elle fut plaquée au sol et ne pouvait presque plus respirer tant le poids de son adversaire l'écrasait.
Elle se débattit dans tous les sens pour éjecter cette personne qui la maintenait contre sa volonté et appela Luen sans plus de réponse. L'individu s'approcha de son oreille et lui murmura :
— Chut, c'est moi, Zara, arrête de gesticuler s'il te plaît. Je savais que tu t'endormirais armes au poing et je ne voulais pas qu'un des enfants soit blessé.
En attendant la voix de son amie, Emma se détendit. Puis la colère lui reprit.
— Dégage ! Tu m'as fait une peur bleue.
Zara se releva et aida Emma à faire de même.
— Luen, est-ce que ça va ? demanda-t-elle en époussetant ses cheveux et son dos des brindilles de pailles qui s'y étaient collés. Qui t'a attaqué ?
— Oui, oui, ça va, répondit-il un peu sonné.
— Qu'est-ce qu'il s'est passé ? questionna Emma, et qu'est-ce que tu fais là Zara ? Il fait encore nuit ?
— Je crois que tu m'as agressé avec le joyau, dit-il en se massant la tête.
— C'est impossible.
— Nous en parlerons plus tard, dit Zara. Je suis venue vous chercher, il faut que vous vous joigniez à notre conversation. Benjun fait partie des rebelles et il sait où se cache le prince.
Emma et Luen se regardèrent, interloqués. D'après la luminosité qui filtrait à travers les portes ouvertes de la grange, l'aube n'allait pas tarder à pointer. L'averse de la veille s'était transformée en une légère pluie fine.
— Vous avez parlé toute la nuit ? demanda Luen à Zara en s'approchant précautionneusement d'Emma pour ramasser ses affaires.
— En effet, dépêchez-vous. Il serait judicieux de finir cette conversation avant que les enfants ne se réveillent. Dina, tu peux descendre et te joindre à nous si tu le souhaites.
— Dina ? demandèrent à l'unisson Luen et Emma.
Un craquement retentit alors ; une frêle silhouette apparut au sommet de la vieille échelle en bois entreposée au fond de la grange. Une adolescente d'environ quinze ans descendit précautionneusement les barreaux et garda la tête baissée face aux trois étrangers.
— Allons-y, dit simplement Zara.
Luen s'approcha de Zara afin de lui souffler précipitamment à l'oreille :
— Elle a entendu notre conversation hier soir. Elle sait probablement qui est Emma et ce que nous sommes venus faire. Nous devons partir, nous ne sommes pas en sécurité.
— J'ai déjà informé Benjun et John de tout ceci. Mais c'est juste, nous ne sommes pas en sécurité ici, mais pas pour les raisons auxquelles tu crois.
Emma était restée derrière et dévisageait la jeune fille qui les avait espionnés la nuit dernière. Elle envisagea de lui lancer une pique, mais se ravisa en apercevant les traits tirés de l'adolescente. C'était une jolie blonde maigrichonne aux yeux bleus et à la peau très pâle.
— Zara, attends, comment être sûrs que nous pouvons leur faire confiance ? demanda Emma en s'approchant de ses compagnons.
Ils allaient atteindre la porte d'entrée de la maison et comme la Bénie ne s'arrêtait pas, Emma lui attrapa le bras et la tira en arrière.
— C'est trop louche tout ça ! On devrait s'enfuir maintenant.
— Je suis d'accord avec elle, ajouta Luen.
— Écoutez-moi, une bonne fois pour toutes. Richard est allé préparer les chevaux et nous partirons dans moins d'une heure. Benjun, sa nièce Dina et son neveu Vyne nous accompagneront. Ses propres enfants resteront ici. Mais avant de continuer à vous expliquer la situation, entrez. Vous prendrez votre petit-déjeuner pendant que nos hôtes vous fourniront tous les éclaircissements nécessaires. Ce qu'il se passe en Terramont et à Fort Cataracta est pire que ce que nous imaginions. Nous sommes extrêmement chanceux d'être tombés sur cette famille.
Zara pénétra dans la demeure la première, suivie de Luen, d'Emma et de Dina. Sur la table à manger, des boissons chaudes et fumantes les attendaient dans des tasses en bois ainsi que du pain noir.
Les visages des deux hommes indiquaient clairement un épuisement non feint. Dina prit place sur une chaise ; Emma et Luen firent de même. Le jeune adolescent appelé Vyne vint les rejoindre avec ses yeux encore ensommeillés ; sa tignasse emmêlée prouvait qu'on l'avait tiré du lit quelques secondes avant qu'ils n'arrivent.
— Bien, dit Zara. Mangez. Vous aussi Benjun, Dina, Vyne. Comme je l'ai déjà dit à mes compagnons, nous devons partir au plus vite.
— Peut-on avoir des explications ? protesta Luen dont la fatigue de cette nuit de veille avait creusé des ombres bleues sous ses paupières.
— Oui, John, si vous me permettez de résumer, intima gentiment Zara.
Ce dernier, soucieux, ne quitta pas des yeux la faible flamme qui brûlait dans l'âtre de la cheminée. Il leva une main pour donner son accord d'un signe de tête.
— J'ai donc appris cette nuit que Benjun fait partie des rebelles qui luttent pour que l'héritier des Forest retourne sur son trône. C'est un messager qui parcourt le royaume pour échanger des informations avec ceux qui sont restés fidèles à la famille royale. Il était revenu ici voir ses fils et son frère, qui entretiennent la ferme familiale comme ils le peuvent. John refuse d'abandonner son domaine, victime de rapts et de pillages des renégats qui occupent Fort Cataracta depuis des années. Il semblerait que ces brutes se soient organisées en bandes et extorquent le peu de Terramonts qui sont demeurés sur leurs terres. Le conflit aurait atteint Aqualiter Nubila, or, les Aquers, qui sont un peuple peu enclin à se laisser faire, vont répondre à ces actes de violence et une guerre contre ces clans sauvages est à présager.
— Pourquoi ne pas partir avec nous ? demande Emma à John. Vous serez plus en sécurité.
— Je ne peux pas, soupira-t-il d'un ton lugubre. Ma femme, la mère de mes enfants, a été enlevée il y a plusieurs années. C'est comme ça qu'ils me font du chantage. Ils disent que tant que je leur donne mes récoltes et que je ne fais pas de vague, rien ne lui arrivera. Je dois rester avec mes fils et mes neveux. Dina a réussi à se cacher à chaque passage des pillards, mais je crains pour sa sécurité. C'est pourquoi j'ai demandé de l'aide à mon frère, qui accepte de l'emmener au loin. Et Vyne doit partir avec vous aussi.
Le visage de Dina était fermé, les yeux baissés sur sa tasse de thé. Emma devina sa détresse, car le sort réservé aux femmes victimes d'enlèvement devait probablement être pire que la mort.
— Oui, dit Benjun, avec nous Dina et Vyne seront à l'abri des voleurs, mais pas de la guerre John. J'espère que vous l'avez bien compris tous les deux. La situation au campement du prince ne sera bientôt plus un secret pour les renégats et une bataille est à prévoir. On dit que certains Ignis sont venus grossir les rangs de leurs soldats. Ils rôdent de plus en plus dans nos terres.
— Notre priorité, trancha Zara, c'est de rejoindre l'héritier le plus vite possible. Nous ne ferons pas le poids face à une trentaine de pillards.
— Richard a accroché des sacs de vivres sur chaque cheval. Nous ne pouvons en disposer plus, car ils se rendront compte s'il manque trop de choses quand ils reviendront.
— Combien de temps mettrons-nous pour retrouver le prince ? demanda Luen.
— Huit jours, sept si la météo est clémente et que nous poussons un peu les bêtes. Le plus dur sera l'ascension de la Montagne Blanche. La neige ne nous facilitera pas la tâche et il faudra probablement finir à pied en tirant les chevaux.
— Comment être sûrs que nous pouvons vous faire confiance et que vous ne nous emmenez pas dans un piège ? demanda Emma.
— Nous sommes des Storm, une ancienne famille de Terramont. Même si nous ne sommes que des travailleurs de la terre, nous ne sommes pas ignorants de notre histoire et des légendes de notre monde. Nous avons conservé une loyauté sans faille pour les Forest et il est de notre devoir d'aider à restaurer la paix. Qu'importe pour nous que Torren soit né hors mariage. Mon frère et moi sommes trop jeunes pour avoir connu le précédent élu, mais cette fois-ci, si nous pouvons participer à mettre en place une fin un peu plus heureuse pour Zéladonia en vous soutenant, nous le ferons. C'est aussi simple que ça. Sans compter que ma belle-sœur n'est pas le seul otage des renégats. Ils ont utilisé cette tactique sur toutes les familles de Terramont qui n'ont pas fui vers les montagnes ou Aquaregno, les obligeant à besogner comme des esclaves pour ne garder pour eux que de maigres provisions. La famine a gagné Terramont depuis plusieurs années. Nous ne sommes plus assez nombreux pour travailler la terre et les hors-la-loi consomment plus que de raison. Les plus forts mangent et s'engraissent alors que les plus faibles meurent de faim.
— Vous croyez Zara sur parole, concernant mon... euh... identité ? demanda Emma.
— Oui et non, répondit Benjun. Le fait est que je ne pense pas qu'une Bénie puisse mentir sur ce genre de choses. Nous espérons depuis tellement longtemps que le peuple de la forêt se réveille enfin et nous aide à mettre un terme à cette guerre. Je ne sais pas si je crois que vous êtes l'élue, Emma, mais je veux imaginer qu'une autre issue est possible pour Zéladonia.
— Permettez-moi de rajouter, dit Zara, que mon peuple ne prend pas parti dans ces conflits. J'accompagne l'élue pour préserver l'équilibre.
— Quelle différence ? demanda John. Vous êtes là, et pour l'aider elle. Vous agissez, enfin, c'est tout ce qui compte...
Cette phrase était lourde de reproches, mais Zara ne sembla pas s'en offusquer.
C'est ainsi que le petit groupe se mit en route. Pour Emma, le fait de continuer leur traversée de Terramont à cheval était comme le signe d'un nouveau voyage. Les récentes informations qu'ils avaient pu avoir auraient probablement dû l'inquiéter, mais elle était en réalité rassurée d'en connaître un peu plus sur la situation dans laquelle elle mettait les pieds.
Plus elle se rapprochait de la Montagne Blanche, plus le joyau se réchauffait. Elle savait qu'elle était dans la bonne direction...
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