Chapitre11: Terre!


On a nettoyé la cabine. Mais ça sent toujours le vomi ! On est donc tous les quatre sur le pont. Il fait bon, le soleil s'est débarrassé de sa cour de nuages. Kézian et Ethanaël font connaissance.

Ethanaël tient la barre nonchalamment. Il est pieds nus, une jambe surélevée. Il bat la mesure d'une mélodie que lui seul entend. Il est un peu plus grand que Kézian et sa peau est aussi tannée que celle de Kézian est claire. Ils ont à peu près la même corpulence. Ils sont bien bâtis, quand même ! Mon regard s'attarde sur le torse développé d'Ethanaël, puis sur les biceps de Kézian. Je ravale vite le sourire niais qui vient de naître sur mon visage et jette un coup d'œil gêné à Izoée. Je m'aperçois alors que ma meilleure amie affiche le même sourire béat que celui qui me mangeait la figure, il y a quelques secondes.

Le moteur tousse. Ça, c'était prévisible, pas besoin de fendre ma pupille pour deviner que l'essence allait manquer ! Ethanaël a l'air assez désemparé. Après une dernière quinte de toux, de la fumée s'échappe, c'est fini, on n'avance plus.

— Quelqu'un sait hisser une voile ? demande Kézian.

On se dévisage et on secoue la tête. On a trouvé facilement la grand-voile, empaquetée dans son sac fixé à la bôme. Par contre pour la monter, il a fallu faire tout un tas de nœuds afin que cela tienne bien et c'est sûr, ce ne sont pas des nœuds marins. La voile est coincée aux deux tiers du mât. Le vent la gonfle quand même un peu. Ethanaël cherche à comprendre comment il doit barrer pour bénéficier de la belle brise marine qui nous accompagne. Ça a l'air de lui plaire. Kézian lui apporte son soutien théorique.

J'en profite pour prendre Izoée à part :

— Ça va ma, Douce ? Tu tiens le coup ?

— Faut bien, me répond-elle d'une petite voix en haussant les épaules.

— J'ai besoin de voir, lui dis-je mal à l'aise. Juste un petit peu pour être sûr.

Elle se détourne et je sens qu'elle se crispe.

— Pourquoi toi tu peux connaître le futur de chacun d'entre nous et que tu nous laisses dans l'ignorance ?

— On en a déjà parlé des dizaines de fois, Zozo. Et tu l'avais bien compris, il me semble. Connaître ton avenir ne te rendra pas heureuse. On ne peut pas vivre en sachant les douleurs, les peines qui nous attendent. Les joies ne seront plus des joies sans la surprise qui va avec leur découverte. Et puis, si je te dis ton futur, tu feras tout pour que certains événements n'arrivent pas, mais ils arriveront quand même et tu seras malheureuse et tu louperas plein de bonheurs que tu aurais dû vivre.

— Ça, c'est un concept que je ne comprends pas. Les malheurs quoiqu'on fasse, on ne peut pas leur échapper, mais les bonheurs, ils s'enfuient dès qu'on connaît leur existence ?

— Ben mouais c'est un peu l'idée, mais c'est bien plus complexe que ça ! Tu étais d'accord, on a même scellé un pacte toutes les deux.

— Oui, mais les choses ont changé. On ne vivait pas les événements traumatisants que l'on est en train de traverser. J'ai besoin de savoir comment vont ma mère et les petites ? Pourquoi tu nous emmènes si loin ? Quand est-ce que ça va s'arrêter ? Je t'ai suivie sans question, j'ai tout accepté jusqu'à présent. Mais maintenant, j'ai vraiment peur. Kézian dit que c'est la fin du monde.

J'en étais sûr, en plus de lui retourner le cœur, le traître lui a remué le cerveau avec ses yeux charmeurs. Je comprends qu'il est temps que je dévoile un peu de notre futur. Juste assez pour ressouder la troupe et la guider à bon port.

— OK ! Tu me laisses regarder et je vous raconte où on va.

— Vraiment ? claironne-t-elle. Ah ! Zax, je crois que c'est la première fois que je te vois fléchir.

À cet instant, je regrette déjà ma décision. Mais il est trop tard.

— Regarde-moi Izoée, juste quelques secondes s'il te plait.

Ses iris bleu myosotis me fixent. Ma pupille se fend, les images me heurtent. C'est fou à quel point ça va vite. Je me suis entrainée pourtant sur des centaines de regards d'inconnus pour voler un peu de leurs secrets, mais pas tout. Je me suis exercée à ne capter qu'une information à la fois et à arrondir ma pupille. Mais avec Izoée c'est beaucoup plus dur, car sa vie est étroitement liée à la mienne et l'opération est perturbée par mes émotions.

J'en ai encore trop vu. Beaucoup trop ! Je suis sonnée ! Je veux oublier, mais c'est déjà inscrit en moi. Je suis mal ! Elle voit mon trouble, elle me connaît.

— Qu'est-ce qui va se passer ? m'interroge-t-elle anxieuse. Tu as vu un truc grave ?

— Non, ma douce ! Tout va bien. On arrivera dans deux jours à destination.

Elle me sonde. Je grimace un sourire et trouve la diversion :

— Euh ! Les gars, j'ai décidé de vous expliquer une partie de notre objectif. Enfin, ce que je veux dire... c'est que je vais vous révéler un peu de votre avenir.

Contrairement à ce que je pensais, les garçons ne sautent pas au plafond. Ils m'écoutent, mais attendent la suite.

— Bon, ben, comme vous l'avez compris, je peux voir dans les regards ce qui va se passer, commençai-je. Je sais ainsi beaucoup de choses sur le futur de la Terre. Je ne peux pas tout vous dire, ça ne serait pas correct et ça vous volerait votre vie. Par contre, je crois que je peux vous parler des quelques jours qui arrivent sans trop vous perturber.

— On t'écoute, dit simplement Ethanaël.

Je le sens crispé. Izoée s'est rapprochée de Kézian. Tous les deux me mangent du regard.

— On va accoster dans une baie. On sera en Irlande. Et on va marcher pendant au moins quatre jours pour se rendre vers le Nord.

— Mais quel est notre but ? lâche Ethanaël agacé.

— Oui, tu ne vas pas nous dire ce que l'on vient faire là ? l'appuie Kézian. Le monde devient fou et nous, on s'offre une croisière, suivie d'une randonnée sur les côtes irlandaises. En plus, on a un guide omniscient qui nous laisse expérimenter à notre guise les attractions les plus périlleuses les unes que les autres. Non, mais sans blague, Zax, tu crois vraiment nous faire plaisir en nous sortant cette micro-information ?

— Je... Je suis désolée. C'est compliqué. J'ai vu tellement de choses, je sais tellement de choses. On ne peut rien faire pour que cela cesse. Et si vous saviez...

Je m'arrête, j'ai failli trop en dire. Que tout cela est compliqué. J'ai voulu les apaiser en leur fournissant des renseignements et je crois que je n'ai qu'attisé les braises cachées.

— Si on savait, on ne voudrait pas te suivre, c'est ça, hein, Zax ?

Je reste figée. Kézian a raison s'il savait, il se sauverait le plus loin possible d'ici. Ethanaël et Izoée aussi d'ailleurs.

— Alors qu'est-ce qu'on fait ? demande Ethanaël.

Il s'adresse aux deux autres. Il me met à l'écart. Je suis devenue en peu de temps persona ingrata. Mon cœur saigne quand je vois Izoée conspirer avec eux. Elle me regarde en coin et elle chuchote à l'oreille de Kézian.

— Bon, on te suit, finit par annoncer Kézian. Tu peux remercier ta copine, c'est elle qui nous a convaincus. Apparemment, on peut compter sur toi. Tu tiens toujours tes paroles. Tu es une amie fidèle qui a toujours été là pour elle, et blablabla et blablabla... Bref, ta pote a bien vendu le morceau Zax.

Izoée me fait un clin d'œil. Avec un petit sourire en coin, elle mène bien sa barque. Je ne suis pas fâchée finalement qu'elle fricote avec Kézian. Un peu jalouse de leur complicité, ça oui !

— Terre, terre ! hurle soudain Ethanaël !

Il se prend vraiment pour un marin ! Les côtes irlandaises se dessinent à peine dans la brume matinale. C'est beau, apaisant ! Le soleil perce la couche de nuages par endroit, la mer miroite. Le clapotis semble irréel, c'est un cours instant de félicité avant la nouvelle tempête émotionnelle.

On est encore loin d'accoster, mais la perspective de rejoindre la terre ferme a mis du baume au cœur à l'équipe. Les sourires renaissent et les bavardages aussi.

— Qu'est-ce que tu faisais avant ce grand chamboulement ? demande Kézian à Ethanaël.

— Mécano, je bossais dans un garage pour payer mes cours de chimie. Mais finalement, j'ai abandonné les études et j'ai bien fait quand je vois dans quel monde on vit maintenant. Et toi ?

— Moi je suis un peu artiste. J'avais commencé un tour du monde, je voulais faire un book de photos et de croquis avec des poèmes. Je crois que mes plans sont tombés à l'eau.

C'est fou à quelle allure, on s'habitue aux choses, ça fait seulement deux mois que le monde est à feu et à sang. Mais ces deux-là en parlent comme d'un acquis.

Izoée s'est assise entre les garçons. Elle les couve du regard. Je sais qu'elle se sent bien là, à cet instant. J'aimerais tellement que des moments comme ça ne finissent pas.

On approche vraiment de la côte. Ça ne va pas être facile d'aborder par ici, il n'y a que des falaises bien abruptes. Kézian est sur le pont, les mains en visière au-dessus de ses yeux, il cherche un accès.

— On s'arrête où, Zax ? me demande Ethanaël.

— Plus loin, je réponds évasivement avec un geste assuré et un petit sourire.

Je l'entends grommeler, mais je l'ignore. On doit être au sud-ouest de l'Irlande, on a bien dérivé. L'île est une vraie forteresse ici. Et la prendre d'assaut, ne pas être encore une partie de plaisir. Je leur dis ou pas ? Je décide qu'ils n'ont pas besoin de se stresser à l'avance. On continue notre approche, Kézian toujours en sentinelle.

— Là-bas, à deux cents mètres, il y a une crique, je crois, crie-t-il soudain à l'intention d'Ethanaël.

Celui-ci barre maintenant comme un chef et suit les indications de son nouvel acolyte. Je rejoins d'Izoée.

— Tu devrais aller chercher ton sac, dans la cale, on va bientôt descendre.

— Là, tout de suite ? s'étonne mon amie.

Je lui grimace un sourire. Elle prend peur et dévale les trois marches pour aller récupérer son petit sac à dos et me rapporter le mien.

— Qu'est-ce que tu nous réserves encore Zax ? Qu'est-ce qui va se passer ? s'inquiète-t-elle en me pressant la main.

— L'arrivée va être un peu chaotique, lui annoncé-je gênée.

Elle secoue la tête et se précipite vers Kézian pour le prévenir. Mais elle ne l'atteint pas, elle n'a même pas le temps de crier, le bateau le fait à sa place. Un craquement sinistre, un arrêt brutal. Izoée s'étale sur le pont et glisse jusqu'à Kézian qui l'attrape par le poignet et la remet prestement sur pied. Il regarde Ethanaël et tous me fixent.

— On prend l'eau, je leur dévoile. La coque a été brisée par une roche qui affleurait.

— Mais putain, Zax, éclate Ethanaël, tu pouvais nous prévenir quand même !

— Il faut se dépêcher, on n'a que cinq minutes pour quitter le bateau !

— Quoi ! Et toutes les affaires ?

— On n'a pas le temps, il faut sauter ! je leur annonce dans un murmure dévoré de culpabilité.

Et je saute, je sais qu'ils vont me suivre, je sais aussi que je vais passer un sale quart d'heure quand on sera sur la rive.

Une vague plus grosse que les autres me chahute et je bois la tasse. Je tousse, crache et cherche à m'éloigner du bateau pour gagner la côte. Izoée a sauté juste derrière moi. Elle me suivrait aveuglement jusqu'au bout du monde. Je ne mérite pas sa confiance, ma gorge se serre et une larme rejoint l'immensité salée. Ma copine peine. J'entends sa respiration rauque ponctuée de petits râles et de pleurs refoulés.

— Zax ! Attends-moi, j'en peux plus, le sac est lourd ! Zax !

Elle crie, je me retourne et me prends une vague en pleine figure ! Je crache encore, suffoque. Je ne vois plus Izoée.

Ça y est, le moment difficile arrive. Je l'ai vu dans ses prunelles. On va être séparées, je sais ce qui va se passer pour elle. Mais pour moi, c'est l'inconnu jusqu'à ce soir où l'on se retrouvera tous les quatre. Bon, les retrouvailles ne seront pas des plus chaleureuses.

Pour l'heure, j'essaie d'éviter une roche saillante qui pointe un nez peu accueillant à mon encontre. Rien à faire, le courant me pousse violemment contre. Mon front rencontre la pierre. Le choc. J'ai mal et je suis complètement désorientée. Je me sens tirée en arrière. Ethanaël a attrapé mon sac à dos et il m'attire vers lui. Il nage sur le dos et me maintient d'un bras passé sous les aisselles. J'essaie de ne pas trop jouer le poids mort pour l'aider. Mais je n'ai plus beaucoup de lucidité ni d'énergie. Il lutte contre le courant, ses muscles se tendent, se contractent, sa respiration est forte et accélérée. Une vague me submerge. Mon nez ma bouche sont envahis par l'eau salée. Je tousse et cherche à me redresser en me contorsionnant.

— Arrête, tiens-toi tranquille, souffle mon sauveur ! Tu ne m'aides pas là ! Si tu bouges encore comme ça, je te laisse ici.

Je me sens tellement agressée par cet océan agité que l'idée d'être abandonnée me fait paniquer et je serre fort le cou d'Ethanaël.

— Tu m'étrangles, crache-t-il en tentant de se libérer. Tu vas nous tuer tous les deux. Tu restes calme ou je t'assomme.

La colère l'a gagné ou la peur peut-être, je réalise qu'il ne plaisante peut-être pas. J'essaie de relâcher mon étreinte.

Quelques minutes plus tard, on atteint les premières roches qui forment la côte. Pas facile de s'accrocher. La pierre est coupante. Il y a peu de prises. Ethanaël m'a laissée au bord d'un gros bloc grignoté par le ressac. Impossible de grimper par-là, mais le courant est moins fort, je peux l'attendre pendant qu'il cherche un accès, les doigts agrippés aux anfractuosités de la paroi.

Je ne vois plus Ethanaël. Le vent s'est levé. J'ai froid, j'ai mal à la tête, ma peau des mains est à moitié arrachée à force de serrer cette roche acérée. Je sais que l'on va s'en sortir, je l'ai vu dans les yeux d'Izoée, on se retrouve ce soir ! Mais je n'ai aucune idée du temps que je dois passer à attendre comme ça. Et puis, j'ai peur. C'est idiot, mais parfois je doute. Et si j'avais mal vu ? Si Izoée et Kézian s'étaient noyés. Si Ethanaël m'avait abandonnée !

— Viens ! J'ai trouvé un passage, il faut nager un peu à contrecourant, mais ce n'est pas loin. Tu peux y arriver !

Mon sauveur est revenu ! Il ne m'a pas abandonnée !

— Zax, ça va ? dit-il en se rapprochant visiblement inquiet.

Sa main touche mon front.

— Tu es toute blanche et tu as une belle entaille ! Tu vas réussir à me suivre ?

— Oui, oui, ça va !

Je claque des dents et j'ai envie de vomir ! Mais je veux aussi que tout cela soit fini ! juste un souvenir, mauvais, mais un souvenir !

Il nage à côté de moi, me soutient, m'encourage. Quelques minutes plus tard. Je vois la brèche entre deux rochers. Je reprends un peu d'espoir et l'énergie qui me manquait revient juste pour me permettre de me faufiler entre les récifs. On est sortis de l'eau, mais on se trouve au pied d'une falaise agressée par les vagues.

— Ça ne va pas être facile de parvenir là-haut, constate amèrement mon compagnon d'infortune. Tu n'as pas vu comment on faisait pour s'en sortir ?

Je sens bien que le ton est accusateur. Il m'en veut et il a peut-être raison. J'aurais sans doute dû leur dire que l'arrivée allait être violente et douloureuse.

J'aimerais lui répondre, mais je sens quelque chose monter en moi. Un pique de souffrance me retourne l'estomac et je vomis en gerbe sur les pieds d'Ethanaël.

Quelques secondes, il reste consterné. Il me fait asseoir sur la roche râpeuse et va se rincer les pieds. Quand il revient, il me semble que son regard s'est adouci.

— Il faut que l'on grimpe. On n'est pas en sécurité ici ! On va y aller tout tranquillement. Je vais t'aider. Ensuite, tu devras te reposer. Tu as pris un sacré coup sur la tête et j'ai peur que tu aies un traumatisme crânien ! Je vais faire comme toi, Zax, désolé !

— Je ne comprends pas !

Je plisse le front. Qu'est-ce qu'il veut dire ?

— Je vais t'imposer mes choix ! À tout à l'heure ! me dit-il, le regard dur.

À tout à l'heure ? Quoi ? Il me laisse ! Non ! Je...

Un vibrato rauque sort de sa gorge. Ça vibre ! Je comprends, je sombre.

J'ouvre les yeux. Je reprends lentement mes esprits. Je me rappelle... le chant. Ethanaël m'a volontairement endormie. La colère me gagne. Je me redresse. Trop vite ! La tête me tourne et je m'affale sur le sol humide.

— Tu dois rester tranquille, me dit Ethanaël assis juste à côté de moi !

— On est où ? demandé-je, la bouche pâteuse et la gorge irritée par l'eau de mer avalée.

— Comment tu ne le sais pas ? s'enquit-il, ironique. L'omnisciente ne sait pas où elle se trouve, c'est comique, non !

— Arrête ! Pourquoi, m'as-tu endormie. On est au sommet, c'est ça ?

Il acquiesce en ôtant son tee-shirt qu'il essore et étend tant bien que mal sur une branche.

Autour de nous, il y a beaucoup de roches, un seul arbre et de l'herbe rase asséchée par le sel qui s'y dépose en quantité. Je me soulève lentement cette fois et essaie de le toiser. Mais mon regard revient irrémédiablement sur son torse musculeux. Il a une coupure d'ailleurs au niveau des côtes. Combat perdu sans doute contre une vague et un récif. J'aurais envie d'y passer le bout de mes doigts.

Que m'arrive-t-il ? Je divague. Ce coup à la tête m'a complètement déboussolée. Je m'énerve pour cacher mon trouble.

— De quel droit m'as-tu endormie ! Comment as-tu osé me faire ça ! Tu m'as portée pour gravir la falaise ? C'est hyper dangereux ! Tu aurais au moins pu me prévenir ! Oh ! Je te parle !

Il a ôté son pantalon maintenant qu'il essore et l'étend à côté de son tee-shirt. Je crois bien que je rougis. Il est là devant moi en caleçon sans aucune gêne.

— Tu vois Zax, ce que ça fait de ne rien maîtriser et de s'en remettre à quelqu'un d'autre qui a toutes les clefs en main. Et je dirais même plus quelqu'un qui a ton destin entre les mains !

Ses prunelles vertes me sondent, mais son regard me fuit avant que ma pupille ne se fende.

— Mais ça n'a rien à voir ! Tu ne comprends pas, moi je le fais pour vous ! Ça ne m'amuse pas !

Je me mets à claquer des dents et laisse échapper un long frisson. Mes vêtements sont trempés, j'ai mal à la tête et Ethanaël m'énerve.

— Déshabille-toi !

— Comment ? Sûrement pas ! m'insurgé-je.

— Tu vas geler sur place ! Tu ne sais pas ça, l'omnisciente ? se moque Ethanaël. Vas-y, je me retourne !

Il ricane, il prend plaisir à me tourmenter, le goujat ! Pourtant je m'exécute ! J'ai trop froid ! J'enlève rapidement mon pull et mon pantalon et me recroqueville sur moi-même pour cacher le plus possible mon corps !

— Ça y est ? demande-t-il en se retournant sans attendre ma réponse.

Il prend mes vêtements, les essore soigneusement et les étend près des siens. Puis il vient s'asseoir à côté de moi. Un long silence s'immisce entre nous. Pour me donner une contenance, mon regard s'égare sur le paysage. La roche calcaire, colonisée par une sorte de lichen brunâtre, dessine une côte vertigineuse qui plonge dans l'océan tumultueux. Nous sommes sur un plateau.

— J'espère qu'Izoée et Kézian s'en sont sortis, me défie soudain Ethanaël. Tu n'as pas l'air de t'en inquiéter ! Mais c'est vrai ! Toi tu sais, ce n'est pas la peine de rassurer les autres !

Là, il m'exaspère vraiment. Je le foudroie du regard. Du moins j'aimerais le voir se ratatiner par terre grâce à la force de mon esprit. Mais le gars reste fier, il me toise même. Je bats en retraite et je réponds :

— Ils vont bien, on ne va pas tarder à les voir apparaître. Je sais qu'au coucher du soleil on sera tous les quatre, je l'ai vu dans l'œil d'Izoée.

— Comment ça s'est passé pour eux ? me questionne-t-il.

Il me semble que sa voix s'est radoucie. Il se rapproche un peu de moi, sa cuisse frôle la mienne. Je ne m'écarte pas, j'ai froid et sa chaleur me fait du bien.

— Ils ont vécu à peu près la même chose que nous, lui répondis-je. Izoée a failli se noyer à cause de son sac à dos qui s'était coincé dans une corde du bateau. Mais Kézian était là. Il l'a dégagée et l'a remorquée jusqu'au rivage. Ils ont eu plus de chance que nous. Ils ont pu atteindre la petite crique que l'on avait repérée avant le naufrage. Ils n'ont pas eu besoin d'escalader, mais la roche au bord les a quand même bien tailladés.

Ethanaël me fixe. Ses yeux clairs sont froids.

— C'est incroyable ! Tu sais tout ça et ça ne te mortifie même pas ! Ça t'amuse peut-être en plus ?

Je secoue la tête. Il ne comprendra pas de toute façon ! Ce n'est pas la peine que je me fatigue à argumenter.

Le soleil est bas, il rosit un long nuage effilé. C'est beau ! Ça pourrait être romantique, un coucher de soleil avec Ethanaël sur la côte irlandaise, mais ça me serre la gorge et j'ai envie de pleurer.

— Ils sont là, je les ai trouvés !

Je reconnais la voix rauque de Kézian. Il semble heureux de nous voir et accélère le pas. Izoée est juste quelques mètres derrière. Ils sont en sous-vêtement aussi et tiennent à bout de bras leurs habits trempés.

— Zax, Zax ! s'exclame mon amie en se précipitant vers moi !

Elle m'étreint. Elle sent le chien mouillé et la vase. Sa peau est douce et froide. Je la serre contre moi. Je n'ai qu'elle. J'ai tellement honte du mal que je lui fais ! Au bout d'une longue minute, elle s'écarte et me regarde.

— Merde ! C'est quoi ça ? T'as une sacrée bosse ! Ça va ?

J'acquiesce avec un pauvre sourire, je n'ai pas envie de parler. D'ailleurs, je ne sais pas vraiment si ça va ! J'ai affreusement mal à la tête. Ethanaël me déteste. Et je vais devoir passer dans quelques minutes devant un conseil de discipline.

— T'es complètement malade ! éclate Kézian. Une dingue ! Tu savais tout ça ? Pourquoi tu ne nous as rien dit !

Ça y est, c'est reparti ! Ethanaël approuve Kézian. Il en rajoute. Izoée me regarde d'un œil sévère maintenant et se laisse influencer par les garçons. Ça va durer des heures, je le sais et je croyais m'y être préparée. Mais c'est dur, difficilement supportable avec cette migraine qui me broie le cerveau, ce froid mordant et leurs paroles cinglantes.

— Ce n'était quand même pas compliqué de nous dire qu'on allait chavirer, qu'il fallait prendre nos sacs ! continue Kézian.

— Et surtout tu aurais pu nous rassurer en nous prévenant que l'on n'allait pas mourir, me fusille Ethanaël.

— C'est vrai ça, Zax ! se contente d'acquiescer ma traîtresse de meilleure amie en frôlant le bras de Kézian.

— Mais ce n'est pas si simple, me défendé-je. Ça ne fonctionne pas comme ça !

— Ah ! parce qu'il y a un mode d'emploi, ironise Ethanaël. Tu pourrais nous le donner si ça ne t'écorche pas trop la bouche !

Il devient odieux. Je m'enfonce dans un mutisme qui les fait encore plus enrager. Ils vocifèrent, tempêtent et débattent sans moi. Je suis dans ma bulle. Je suis à l'orphelinat à Tananarive avec Lisou, Martie et Sophie. J'observe la comète avec Gérard. Elle fend la noirceur du ciel qu'elle empaillette de son gaz lumineux. C'est époustouflant. Je ne la quitte pas du regard. Elle me calme, m'apaise, elle me raconte la vie, les hommes, le monde. Mes yeux me piquent. Gérard rit et me dit que j'ai une paillette de météore dans l'œil. Je ris aussi et puis ma pupille bouge se contracte et je vois le visage de Gérard se métamorphoser. Des rides naissent à la commissure de ses lèvres, de ses yeux. Ses cheveux disparaissent sur le front et les tempes. Je crie, c'est ma première vision.

Mon enfermement n'a pas apaisé la colère de mes compagnons, ils sont encore en train de débattre quand je sors de mes souvenirs. J'ai mal à la tête. Je m'allonge sur l'herbe auprès du feu qu'a réussi à allumer Kézian, sans écouter leurs questions et leurs reproches. Demain leur réserve encore des surprises. Il faudra peut-être que je leur dise. On verra...


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