Chapitre 8: six jours
Le monde est à feu et à sang et nous ont fait l'autruche dans notre chambre. Izoée encore plus que nous. Elle s'est entortillée dans les couvertures et n'en sort pas, juste pour aller faire pipi. Elle ne mange pas, ne parle pas et sanglote dès que je lui parle ou la câline.
Ethanaël parle peu. Il écrit. Il a un petit carnet avec une couverture de cuir marron et il passe des heures à gribouiller dedans. Il m'a dit qu'il écrivait ses mémoires. Tout ce qui lui arrive est extraordinaire et il a peur d'oublier des détails. Par contre, il ne veut pas que je le lise.
Il ne m'a pas expliqué comment il avait réussi à endormir le contingent de mauvais garçons qui nous avait violentées Izoée et moi. Il ne veut pas, il dit que c'est comme ça et c'est tout.
Les journées sont longues, je les passe devant la télé. J'écoute les infos, il n'y a plus que ça. La situation est tellement alarmante que les chaines passent en boucle des reportages sur les pillages, les crimes en bandes organisées, les nouveaux attentats. Le monde entier est atteint. C'est la panique universelle. Les gens ont peur. Les frontières se ferment. Je sais que ça va se dégrader de jours en jours. L'armée et les autres forces de l'ordre sont débordées. Beaucoup ont déjà déserté pour protéger leurs familles. Les gens affolés ne veulent plus travailler. Chaque déplacement devient dangereux. On commence à se réunir en famille ou en communauté. On se barricade, s'arme de tout et n'importe quoi, on fait des provisions.
Et pour couronner le tout, les anomalies météorologiques commencent. Il y a déjà eu deux irruptions volcaniques importantes, Le stromboli et le Mérapi, un tsunami sur la côte pacifique du Japon et un tremblement de terre destructeur à Santa Barbara aux Etats Unis. A chaque fois des centaines de victimes que l'actualité évoque à peine, focalisée sur la bêtise humaine et la civilisation qui se casse la figure. Et je sais que ces phénomènes ne sont que le début d'une suite infernale de catastrophes.
Dans notre hôtel, il y a de moins en moins de bruit. Les vacanciers ont tous déserté, sauf le papy de la chambre 7. Ici c'est un peu sa maison de retraite. Il a vidé toutes ses économies, il y a trois mois pour s'offrir ce dernier voyage. Atteint d'un cancer du pancréas stade 4, il n'a rien dit à ses enfants. Du jour au lendemain, il est parti. Alors, cette fin du monde qui se prépare dérange ses plans. Il voulait finir tranquille face à la mer sans déranger personne. Et c'est comme ça que ça finira pour lui, dans 10 jours sur son balcon, il prendra une balle en pleine tête.
Le personnel de l'hôtel n'a pas encore quitté les lieux. Deux femmes de ménage frappent à la porte timidement tous les matins aux alentours de dix heures. Je les aime bien, elles sont discrètes et chaleureuses. Elles acceptent qu'Izoée reste dans le lit. Elles ont toujours une parole réconfortante pour elle. La plus jeune est toute ronde et rose. Elle sourit en permanence et chantonne en travaillant. Je ne la regarde pas, au risque de paraître impolie, je ne veux pas croiser son regard, je ne veux pas que ma pupille devine son avenir.
La deuxième est âgée et toute sèche. Son visage est doux et elle sent bon la violette. Ses yeux je les ai croisés le premier jour dès notre arrivée et j'ai failli vomir. Je l'ai vu éventrée, les intestins sortis, dans la rue parmi une dizaine d'autres victimes. Je ne veux plus voir ça, je veux bloquer ces images qui m'empêchent de profiter des gens. Je culpabilise tellement chaque jour quand elle passe avec soin son chiffon sur les meubles de la chambre. J'ai envie de lui dire de rentrer chez elle, de faire sa valise et de partir loin de cette rue qui sera sa tombe, mais je ne peux pas. Sa mort est inscrite.
Quand elles font le ménage. Ethanaël et moi sortons de la chambre. On descend dans le grand salon désert. On s'assoit chacun dans un large fauteuil au tissu couleur chair et on admire la vue depuis la grande baie vitrée. Souvent on reste silencieux. Mais aujourd'hui, Ethanaël parle.
— On est pareil toi et moi, hein ? Zax ?
Je reste sans voix. Pareil ? Il sait tout ? Tout de moi ? Il sait pour l'avenir du monde ? Je lorgne sa pupille. Peut-on voir de l'extérieur quand elle se met au travail ?
— Zax ? Je ne me trompe pas, n'est-ce pas ? Sa voix a pris un arrière-ton de panique.
Il doute... Il ne sait rien. Il n'est pas comme moi.
— Pareil ? Qu'est-ce que tu veux dire ? je demande quand même avec curiosité.
— Ben, tu sais... on peut... on a... Enfin, on fait des trucs, quoi !
— Des trucs ? Des trucs comme endormir les gens ? Moi je ne sais pas faire ça, Ethanaël !
— Oui, mais tu sais faire autre chose Zax, hein ?
Soudain, il m'inquiète. Son air a changé. Il est tendu, presque fébrile. Je sens comme une menace dans sa voix. Il déglutit et ses yeux sombres me fixent, ses lèvres se pincent.
— Je...je... Non ! Pourquoi tu dis ça ?
— Zax, dis-moi ce que tu peux faire ! Ensemble on sera plus forts pour affronter tout ça et pour comprendre ce qui nous arrive.
Je ne me sens absolument pas prête à lui faire confiance et à livrer mon secret. Je n'ai d'ailleurs jamais eu besoin de me torturer l'esprit pour savoir si je pouvais croire ceux qui m'entourent. Un clignement de paupière a toujours résolu mes dilemmes. Mais lui est hermétique, comme Kézian, à toutes mes tentatives.
Il soupire, s'humidifie les lèvres, mais ne dit rien. Il me regarde encore. Cette fois, il a l'air triste, déçu même.
— Bien, je vois que l'on n'est pas du tout sur la même longueur d'ondes. Je voyais en toi une alliée. En fait, t'es comme tous les autres. Une trouillarde qui ne pense qu'à ta pomme. Alors, c'est acté, j'ai compris. Zax Roussel avance en solitaire, zéro confiance ! Je vais récupérer mes affaires et je te laisse gérer ta copine et les détraqués qui trainent dans les rues. Bye, ma belle !
Il se lève, jette un dernier regard sur la baie paisible, fuit mon regard et s'engage dans le couloir.
— Non ! Attends ! Tu dois venir avec nous ! On doit être tous les quatre pour affronter ce qui arrive !
Il s'arrête et me dévisage les sourcils froncés puis secoue la tête. Je me mords les lèvres. Je vais devoir lui dire, il ne faut pas qu'il parte. Autant je sais que Kézian nous rejoindra bientôt, autant la présence d'Ethanaël est floue. J'ai la sensation qu'il s'efface de notre futur. Est-ce que cela est lié à ma décision ? Si oui, ce serait génial, cela voudrait dire que j'ai la possibilité d'influencer mon avenir.
Il attend toujours, il attend que je parle. Je lui fais signe de se rasseoir et je me lance :
— Bon, tu as raison, je peux faire quelque chose que les autres ne peuvent pas. Je.. je peux connaître l'avenir des gens... Je sais le futur de notre planète !
— Merde alors, j'm'attendais pas à ça ! lâche-t-il dans un souffle. Tu sais ce que je vais devenir ? Tu sais où nous mène toute cette pagaille ? C'est vrai ?
— Oh ! t'emballe pas, c'est pas si simple ! Toi, je ne sais pas pourquoi, mais j'arrive pas à voir ton futur et le futur du monde n'est absolument pas enthousiasmant ! Et avant que tu ne me demande quoi que ce soit, je ne t'en dirais rien !
— Ouais du coup ! J'ai aucune preuve que ce que tu me dis est vrai !
— Alors viens avec moi !
Soudain, je ressens le besoin insidieux de l'épater pour qu'il se taise et pour qu'il m'admire, je crois.
Il m'a suivi et n'a rien dit. Je sens son scepticisme. Nous arrivons dans le hall désert de l'hôtel. Je sors, il m emboite le pas avec hésitation. Je me dirige vers le port. On ne croise personne. Les poubelles s'accumulent sur les bords de la route alors les chats se régalent. Les lampadaires ne fonctionnent plus, ils sont tous cassés. Pourtant, un peu d'éclairage en cette matinée sombre me remonterait le moral. Je m'approche de l'eau. Le cliquetis des mats et des cordes qui s'entrechoquent donne une note sinistre à l'atmosphère qui nous enveloppe.
— Qu'est-ce qu'on fout là, chuchote Ethanaël.
— Je te montre le « truc » que je peux faire.
Je m'assois sur le bord du quai et lui fais signe de me rejoindre. Je sais que dans 20 minutes, une vague gigantesque va tout engloutir ici. C'est la conséquence d'un énième séisme sous-marin dans l'Atlantique. Cette vague meurtrière fera surtout des victimes en Irlande et au Pays de Galles, mais la Bretagne subira quand même de beaux dégâts.
— Qu'est-ce qu'on attend Zax ? Que va-t-il se passer ?
Cette fois, il est réellement inquiet, il regarde de tous côtés. Mais il ne voit pas encore le monstre qui s'élève lentement au loin. Alors je lui montre en tendant le doigt.
— Regarde. Cette vague mesure 6 mètres. Elle a déjà atteint les côtes de l'Irlande, la paisible ville de Dingle a été rasée. Ici, elle va tuer 106 personnes car la plupart des rues sont vides et beaucoup d'habitations sont déjà désertées.
— Mais t'es complètement malade ! Zax ! On se tire ! bordel ! On se tire !
Il m'agrippe. Dérape sur les gravillons. Se rattrape d'une main. Hurle encore et fonce en direction de l'hôtel. Je cours derrière lui. La vague enfle, siffle déjà sa violence. Je sais qu'elle nous laissera le temps de nous abriter dans l'hôtel. Pourtant, la panique d'Ethanaël me gagne et je manque de souffle. J'ai peur de cette masse mousseuse qui gronde et assomme tout sur son passage.
On atteint l'hôtel. On glisse dans le hall. Ethanaël hurle qu'il faut se mettre à l'abri, mais il n'y a personne. On gravit les escaliers en criant et on fracasse presque la porte de notre chambre quand on y entre. Izoée sursaute et nous regarde. C'est sa première prise de conscience depuis son traumatisme. Mais je n'ai pas le temps de me réjouir, Ethanaël m'explose les oreilles.
— Débile, t'es complètement inconscience. T'as voulu nous tuer ou quoi !
— On ne risquait rien ! On est parti à temps ! Tu voulais voir mon truc. Ben c'est ça.
— Tu fais apparaître des vagues ?
Il prend sa mine interloquée que j'aime bien. Les sourcils froncés et les lèvres légèrement pincées laissant apparaître une fossette.
— Mais non ! Je connais l'avenir. Je sais tout de la Terre et des gens qui y vivent. Il suffit que je les regarde et je connais tout de leur vie. Sauf pour toi et pour Kézian.
— Tout, tu sais tout ? Sauf pour moi ? Kézian ? C'est qui celui-là ?
— Kézian est revenu ? s'agite soudain Izoée. Kézian !
Je suis contente, c'est le réveil d'Izoée. Ça fait bien six jours qu'elle est complètement inerte sur ce lit. C'est aujourd'hui qu'elle retrouve un peu de vie. Bon, pas grâce à moi, je le sais bien. Mais je ne peux pas m'empêcher d'aller la serrer dans mes bras. Elle me repousse doucement.
— Zax, il est où Kézian ? sa voix est encore mal assurée mais son regard est déterminé.
— Il va arriver bientôt, ma belle. Tu devrais te préparer. Une bonne douche ne sera pas du luxe !
Je la taquine toute heureuse de la voir réagir. Elle rougit et embarque les draps avec elle dans la salle de bain.
— Ce Kézian, tu crois qu'il a survécu à ta vague ? lance soudain Ethanaël d'un ton agressif qui lui va mal.
Je n'ai pas le temps de répondre que la porte de la salle de bain s'ouvre brusquement.
— Quoi ! Quelle vague ! Il est en danger ? Et puis c'est qui cet abruti, d'abord !
Là, ma douce et blonde amie, qui a le feu aux joues, désigne Ethanaël.
— Tout doux, ma Zozo. Ce gars de mauvais poils-là, c'est celui qui nous a sauvé dans la ruelle. Et en ce qui concerne la vague, elle fait beaucoup de dégâts, quelques victimes ici à Roscoff, mais ton Kézian n'en fait pas partie.
— C'est pas mon Kézian ! crie-t-elle en claquant la porte.
L'eau coule. Ethanaël me fixe.
— Donc, tu peux vraiment voir l'avenir ? Tu sais tout ?
— Presque tout ! Je savais que j'aurais de l'aide dans la ruelle, mais je ne savais pas que ce serait toi ! Je ne sais rien sur Kézian non plus, je n'arrive pas à voir en vous. Par contre, je sais qu'Izoée et moi, on part demain avec ...vous !
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