Chapitre 18: Mirana
La nuit, tout est calme dans le campement. Il y a des gardes, mais ils restent discrets. Kézian et Izoée ont l'air de s'être assoupis, blottis l'un contre l'autre. Je n'arrive pas à dormir, j'ai des fourmis dans les jambes et une envie pressante d'uriner. J'entends les soupirs réguliers d'Ethanaël qui cherche une position pour s'endormir.
— Ça va ? je lui demande en chuchotant.
— Non, je ne peux pas dormir attaché comme ça, je ne sais pas comment ils font ces deux-là !
— C'est la magie de l'amour, je rétorque.
Il ricane et se contorsionne encore.
— Mouais, ils se sont bien trouvés. Le chevalier et sa princesse. Un beau couple de fin du monde.
Il a un ton cynique que je ne lui connaissais pas. Il s'agace encore en bougeant dans tous les sens, tend et détend ses jambes nerveusement.
— Bouah ! J'en ai marre, on va rester combien de temps, dans cette tente ? me demande-t-il.
— Je dirais qu'il nous reste encore quarante-huit-heures à tenir.
— Attachés ?
— Oui.
— Sans manger ?
— Oui
— Merde, j'ai déjà la dalle. Et sans boire ?
Sa voix cette fois me paraît plus anxieuse. Il n'a pas vraiment envie d'entendre la réponse.
— Sans boire aussi.
— C'est possible, ça, de tenir aussi longtemps sans boire ?
— On va survivre, je me contente de lui répondre.
Pendant de bonnes minutes, je ne l'entends plus, j'ai l'impression qu'il digère mes révélations. Je remue mes doigts tout ankylosés et essaie de changer de côté.
— Zax ? Tu veux que je t'endorme ?
J'espérais une telle proposition, mais je n'osais pas lui demander. Une solution radicale pour ne pas voir passer le temps et ne pas subir toutes ces douleurs et ces manques.
— Euh ! Non ! merci. Je.... je te tiens compagnie, je m'entends lui répondre.
Il rigole. Ma réponse sans conviction veut dire tout le contraire.
— Je ne te garantis pas une bonne nuit, susurre-t-il. J'enclenche juste le sommeil. Peut-être que rien ne viendra te perturber et que tu dormiras jusqu'au matin.
Avant que je n'essaie de protester pour la forme, il amorce son chant. J'adore sa voix rauque et douce à la fois. Cette ondulation d'ondes qui m'enveloppe. Pourtant, pendant qu'une part de mon être sombre, une autre s'éveille quelques instants à la conscience. Cette mélodie prend des accents funestes de déjà-vu.
Je m'éveille quand Izoée me frôle. Elle a dû mettre du temps à ramper jusqu'à moi. Je ne sais pas quelle heure il est, mais le soleil est levé. Une faible clarté chasse les ombres de la nuit. Il y a du mouvement dans le camp, quelques discussions pressées et des bruits de pas.
— Zax, j'en envie de faire pipi, pleurniche Izoée vers mon oreille. Je n'en peux plus.
Moi aussi, je rêve de toilettes, je ne sais d'ailleurs pas comment j'ai pu me retenir si longtemps, mon ventre est sur le point d'exploser.
— Ils viennent quand s'occuper de nous ? demande mon amie en grimaçant.
— Tu ne m'as pas bien écoutée, je la gronde. Ils ont autre chose à faire pour l'instant. Ils reviendront dans deux jours.
— Deux jours !
Elle crie et Kézian se redresse. Je ne peux m'empêcher de sourire, il a des traces sur la joue, on dirait l'empreinte de petits gravillons et ses cheveux blonds, qui commencent à être un peu longs, sont tout emmêlés. Quant à Ethanaël, il n'a pas l'air d'avoir dormi, ses yeux cernés nous sondent. On est tous perclus de douleurs, dormir sur un sol froid et dur laisse des traces.
— Quoi deux jours ? demande le chevalier à la mine froissée.
Quand sa belle lui explique ce qui nous attend vraiment, il vocifère à son tour.
— Nous oublier ! Comment peuvent-ils nous oublier ? Merde, on est des êtres humains ! On a des besoins vitaux. Vous allez voir s'ils vont pouvoir nous oublier.
Et il se met à hurler. Des cris de rage pour solliciter nos geôliers. Il braille, s'époumone, rugit, s'égosille pendant des minutes infernales. Izoée décide de le seconder, sa voix claire devient hystérique et perce nos tympans. Ethanaël hésite à se joindre à eux, je le vois bien. Il me sonde, je hausse les épaules en secouant la tête. Inutile. Personne ne viendra, mais crier peut soulager de la frustration et je crois que c'est le parti pris d'Ethanaël qui s'y met aussi. Sa belle voix me fait frissonner et me rappelle mes quelques secondes de lucidité avant qu'il m'endorme cette nuit.
Rien n'est clair, mais j'ai eu l'impression de pouvoir analyser son chant. J'y ai vu autre chose qu'une capacité vocale, un flux bien connu. Tout était limpide. Une révélation qui m'a fait froid dans le dos et que je n'arrive plus à atteindre maintenant.
Exténué, Kézian est le premier à arrêter son tapage, les deux autres le suivent de près. Ils sont essoufflés, vidés. Le silence est pesant, il vibre presque.
— Rien à faire, je leur dis calmement. La tente est excentrée, en journée les troupes font des raids et le soir les bivouacs sont de l'autre côté du campement. Cette tente est la deuxième réserve qu'ils ont. Ils ne viendront donc pas se ravitailler ici de sitôt.
Une fois encore, ils sont contraints d'accepter leur sort, puisque tout est écrit. On trouve ensemble une solution pour les toilettes. Un petit coin derrière une caisse. Deux mètres de contorsions pour s'y rendre. Se déshabiller est le plus compliqué, mais ces efforts valent bien le soulagement que l'on ressent tous à ce confort rudimentaire.
On a soif, vraiment soif. Cela fait vingt-quatre heures que l'on n'a rien bu. Nos lèvres sont sèches, gercées. On ne peut s'empêcher d'y passer régulièrement la langue. Notre salive est trop épaisse, on a sans arrêt envie de déglutir. Les minutes sont vraiment trop longues. On sait que l'on a encore quarante heures à tenir avant que quelqu'un ne se souvienne de notre présence. Cela paraît le bout du monde, inatteignable. Je répète constamment à mes compagnons que l'on va réussir. Je le sais. J'arrive pourtant à en douter tellement l'envie de boire est insoutenable, surtout avec toutes ces bouteilles qui nous narguent, au fond de la tente, en hauteur, bien empaquetées. Inatteignables. Au début on avait faim aussi, mais curieusement la faim s'est estompée, la nausée l'a remplacée.
Pour changer les idées de tout le monde et éviter les pensées macabres. Je me lance dans les révélations.
— C'est la dernière ligne droite. On tient encore ces quelques heures difficiles et on nous donnera à boire, même à manger. Ils nous laisseront partir aussi sans difficulté avec nos sacs.
Ethanaël s'humecte les lèvres. Même craquelée, sa bouche m'attire de manière inexplicable.
— Finalement, qu'est-ce qu'on est venus faire là ? Pourquoi tu veux voir ce... Grégor ? Tu peux nous le dire ? me demande-t-il.
Je sais que cette question leur brûle les lèvres depuis notre arrivée dans le campement, mais maintenant tout leur fait peur. Ils craignent mes réponses autant qu'ils espèrent connaître leur avenir.
— Grégor est un personnage énigmatique pour moi, il est lié à Joséphine. J'ai envie d'en apprendre plus sur lui. Et surtout, il faut que je récupère une clef ici.
— Une clef ! Encore ! s'exclame Izoée. Mais qu'est-ce que tu vas ouvrir avec ces clefs ?
Ça, je ne peux pas lui dire, c'est mon terrible secret. Je me contente de lui sourire et de lui lancer un baiser pour me faire pardonner. Elle se renfrogne un peu, mais ne lâche pas le morceau.
— C'est quand même super étrange, tout ce que l'on vit. Toi, Zax, je savais depuis longtemps et ça me gênait pas, ta bizarrerie. C'était même drôle et ça a renforcé notre complicité. Mais là, ça devient flippant. Tout s'écroule autour de nous et toi tu mènes une drôle de quête qui nous met dans la galère.
— Je suis désolée de t'avoir embarquée là-dedans, je lui dis sincèrement.
Mais elle est tellement bien partie qu'elle s'adresse maintenant aux garçons.
— Et vous ? C'est quoi votre truc ? D'où vous viennent vos capacités ? Vous aussi vous avez une mission que vous ne pouvez pas dévoiler ?
Elle est devenue rouge, ma belle Izoée. Elle déglutit, tire un peu la langue et regarde les bouteilles d'eau avec un air de défi. Contrairement à ce que j'imaginais, les garçons semblent enclins à lui répondre. C'est Kézian qui s'y colle le premier.
— Moi je n'ai rien à cacher, répond-il. Je n'ai pas toujours eu cette capacité de jouer avec le temps. Ça fait une dizaine d'années que je peux le faire. La première fois que cette faculté s'est déclenchée, ça m'a traumatisé. Après j'ai appris à mieux gérer et j'ai trouvé ça utile.
— Raconte nous ta première fois, lui demande Izoée.
Il pouffe et prend un regard lubrique avant de se raviser.
— La première fois que ça m'est arrivé, c'était un après-midi d'été. Je jouais au foot avec des potes et on pestait contre Baffy. C'était mon chiot, il courait aussi après le ballon et nous empêchait de jouer. Après avoir raté un but à cause de ma bestiole, Alexandre, le plus sanguin du groupe, a shooté comme un fou dans le ballon et l'a envoyé valdinguer de l'autre côté de la rue. Baffy a pris ça pour un jeu et s'est précipité pour attraper le ballon... sous les roues d'un poids lourd. la place de hurler, j'ai englouti l'air autour de moi. Ma tête s'est mise à tourner et j'ai eu l'impression que tout s'arrêtait, le camion, le chien, le ballon, mes copains. En fait, ils n'étaient pas immobiles, mais leurs mouvements continuaient de manière presque imperceptible alors que moi, je pouvais toujours me déplacer normalement. Je n'ai pas cherché à réfléchir, je me suis précipité pour sauver mon chien. À peine l'avais-je mis en sécurité que le temps a repris son cours, les freins du camion ont crissé, il a chassé sur l'arrière. J'ai entendu Alexandre hurler et on est tout restés interloqués. Baffy était dans mes bras et j'étais de l'autre côté de la route. On n'a rien compris. On en a parlé un moment, mais on n'a pas su l'expliquer, même moi. Je n'étais plus sûr de ce que j'avais vécu, alors je n'ai rien dit. Mais le phénomène s'est reproduit environ quinze jours plus tard. Mon père n'était pas tendre et, quand il piquait une colère, j'avais tout intérêt à débarrasser le plancher. Ce jour-là, j'ai renversé mon verre de jus d'orange sur ses factures. Il a vu rouge et a voulu m'envoyer une gifle. Sous le coup de la peur, je me suis crispé et j'ai retenu ma respiration en attendant l'impact et cette fois encore il y a eu comme un arrêt sur l'image. J'en ai profité pour me cacher dans le couloir. Quand le temps a repris son cours, la main de mon père a balayé le vide, il a perdu l'équilibre et s'est écrasé lourdement sur le sol. Il s'est fait mal, je crois, on n'en a jamais parlé. C'est clair qu'il n'a pas compris ce qui s'était passé, tandis que moi, j'ai commencé à me poser beaucoup de questions. Il a fallu encore deux ou trois évènements de ce genre pour que j'ose imaginer que j'avais un pouvoir incroyable. Du coup, je me suis entrainé et j'ai compris comment me concentrer pour parvenir à ralentir le temps autour de moi, j'en ai d'ailleurs abusé à l'école, avec les filles ou mes parents, mais bien vite j'ai compris que cela n'était pas sans conséquence. Cette pratique me fatiguait beaucoup et surtout, j'avais l'impression que mon corps se dégradait. J'étais pris de migraines fréquentes, de maux de ventres, de crampes, de saignements de nez. Quand, j'ai arrêté d'utiliser à tort et à travers ces étranges capacités, je me suis senti mieux, même si je garde toujours la sensation d'avoir trop puisé dans mon capital santé.
Il s'arrête, il a beaucoup parlé. Il en avait besoin, c'est clair. Sa langue pointe entre ses lèvres et les humecte vainement. On est restés silencieux pendant son récit. Izoée, la première s'exprime:
— C'est difficilement croyable, un truc pareil. Et tu n'as aucune idée d'où ça vient ? Tu n'as pas été exposé à un produit chimique ? T'as mangé ou bu un truc étrange ?
Tout en posant ses questions, elle ne peut s'empêcher de jeter un regard aux bouteilles d'eau.
— Mais, non. Rien de tout ça. Je ne m'explique pas ce qu'il m'est arrivé. Et vous ? fit-il pour couper court aux futures questions de sa dulcinée.
Il s'adresse Ethanaël et moi, évidemment. Nous nous regardons et c'est Ethanaël qui choisit de s'y coller.
— Moi, commence-t-il, c'est assez similaire à ton récit dans les grandes lignes. Je sais que je ne suis pas né avec cette capacité. J'ai toujours bien aimé chanter, enfin comme n'importe qui, chantonner sous ma douche ou dans ma chambre, un casque sur les oreilles. Mais ma voix n'a jamais fait beaucoup d'effet.
— Du coup, ta première fois, c'était quand ? demande ma commère qui ne peut pas simplement le laisser parler.
Il sourit et la regarde avec tendresse, puis me jette une œillade complice.
— La première fois qu'il s'est passé un truc étrange, j'avais 11 ans. Je gardais ma cousine de deux ans, un vrai petit monstre. Des potes sont venus me chercher pour faire une partie de foot dans la rue. J'étais dégouté, avec la petite dans les pattes, je n'allais pas pouvoir jouer. J'ai tenté de la mettre à la sieste pour avoir un moment tranquille. Tu parles, elle n'a jamais voulu se coucher dans son lit. Je crois que j'ai hésité à l'étrangler sur le moment, mais j'ai choisi la manière douce et je lui ai chanté une berceuse. J'ai du mal à expliquer le phénomène, mais dès les premières notes de ma comptine, elle s'est écroulée au sol, endormie. Moi j'ai juste ressenti un chatouillis sur mes lèvres et une vibration inhabituelle dans ma gorge. À l'époque, je ne me suis pas interrogé plus longtemps, je suis parti jouer au foot. Bon, cinq minutes plus tard, j'ai entendu la petite hurler dans la maison, elle était réveillée et paniquée de ne voir personne. Agacé comme un gamin peut l'être quand on l'empêche de jouer, j'ai couru la mettre dans son lit et je lui ai chanté la mélodie en la maintenant de force couchée. Quand, j'y repense, j'ai honte. Pauvre gamine.
— Mais ça a marché ? s'enquiert Izoée.
— Ça a marché ! C'était incroyable, la seconde d'avant elle hurlait, je chantais trois notes et elle s'endormait.
— C'est fou, commente Kézian en se dandinant d'une fesse sur l'autre, les muscles visiblement ankylosés. Et tu t'es servi de ce don à d'autres reprises ?
— Ben ouais, j'ai gagné du fric en faisant des baby-sittings pendant mon adolescence. Les parents me trouvaient hyper à l'aise avec leur progéniture.
Il part d'un rire rauque, qui devient contagieux. Malgré tout, on ne rit pas longtemps, car nos lèvres trop sèches se fendillent à s'étirer ainsi et chaque mouvement de bouche nous rappelle notre manque cruel d'eau.
— Le jour où je vous ai rencontrées, les filles, et que j'ai endormi cette bande de cinglés qui vous encerclait, c'était la première fois que j'essayais ma voix sur des adultes.
Cette révélation nous fait froid dans le dos et sans se donner le mot, on frissonne toutes les deux et on se rapproche ostensiblement l'une de l'autre.
— Bon et bien à toi, Zax, m'interpelle Kézian en pointant le menton dans ma direction.
Je lis dans son regard comme un défi. Les deux autres ne sont pas moins intéressés. Je joue le jeu et leur raconte à mon tour, ma première fois. La fois où je suis devenue Zax.
— Je me rappelle bien, je commence de ma voix asséchée, ça a commencé au printemps de mes huit ans. Ça faisait plus d'une semaine que je me sentais mal. Je n'avais pas de fièvre, ni de maux de tête, juste un mal-être existentiel. Peut-être que je prenais seulement vraiment conscience de ma condition d'orpheline. J'étais dans ma chambre avec Marty, Lisou et Sophie. Je faisais semblant de me reposer sur mon lit pour noyer mon chagrin, pendant que les trois autres jouaient à un jeu de société. Elles étaient excitées et parlaient fort. Ça m'a énervée qu'elles puissent s'amuser, alors que moi, plus rien ne m'intéressait. Je leur ai crié de se taire. Elles ont toutes les trois levé leurs visages vers moi. Et c'est là que j'ai tout vu dans leur regard. La pupille de Marty m'a laissé découvrir la jeune fille gracieuse qu'elle deviendrait dans sa famille d'adoption canadienne, je l'ai vu faire des études de marketing, se marier très jeune et affronter avec courage le monde d'aujourd'hui. D'ailleurs, elle fait partie d'un groupe comme celui-ci au Canada. Dans le regard clair de Lisou, j'ai lu toutes épreuves de santé qui l'attendaient. Terrible ! Quant à Sophie, je l'ai vu quitter l'orphelinat dès la semaine suivante au bras d'une femme élégante qui tenait un petit chien en laisse. Choquée, je n'ai rien dit. J'ai cru que je perdais la tête, mais quand une semaine plus tard, madame Renaud a présenté à Sophie sa future maman, j'ai reconnu la femme au chien et j'ai compris que j'avais vu l'avenir de mes amies. Ça m'a fait peur. Et puis, je ne pouvais plus croiser le regard d'un pensionnaire sans lire une parcelle de son futur ou de son passé. À chaque fois, j'en découvrais aussi un peu plus sur l'avenir de notre planète. J'ai cru devenir folle. J'avais sans arrêt des flashes, je voyais même des visages qui m'étaient complètement inconnus. Je ne supportais plus rien. Je rejetais tout le monde, mais c'est moi qui me faisais horreur. C'est à cette époque que j'ai décidé de changer de prénom et de m'appeler Zax.
— Quoi ? Zax n'est pas ton vrai prénom ? s'insurge Izoée. Pourquoi tu ne me l'as jamais dit ?
Je hausse les épaules assez mal à l'aise, j'avais oublié cette période de mon histoire ou du moins je m'étais efforcée de l'oublier.
— Mais du coup, c'est quoi ton vrai prénom ? me demande Ethanaël.
— Mirana. Je m'appelle Mirana, ça veut dire la souriante en Malgache. Je trouvais que ça ne me correspondait plus.
Malgré moi, je replonge dans mon passé. J'entends Martie m'appeler: « Mirana ! Viens jouer au tantara Vato ! ». Sa voix un peu rauque roule sur le « r ». La petite fille que je ne suis plus se précipite pour rejoindre ses amies et raconter des histoires en tapant des pierres entre elles. Mirana était gaie, légère, insouciante, tout le contraire de Zax.
— Et Zax, ça vient d'où alors ? C'est pas commun quand même comme prénom, s'interroge Kézian.
— Je ne sais pas, ça m'est venu comme ça. J'ai imposé ce prénom à tout le monde. Mes copines ont vite joué le jeu. Les adultes ont été beaucoup plus réticents, mais une fois encore c'est Gérard, mon éducateur préféré, qui est intervenu en ma faveur et qui leur a dit que je vivais une crise existentielle et qu'il fallait mieux aller dans mon sens. J'ai su tout ça en lisant dans sa pupille. C'était vraiment un type bien.
— Du coup, on t'appelle Zax ou Mirana ? me demande Izoée qui est restée focalisée sur cette révélation.
Je lui connais bien cet air revêche qu'elle affiche. Lèvres pincées sans arrêt mordillées, front plissé, yeux sombres et fixes, mains qui se contorsionnent. Elle est contrariée.
— Je suis Zax, c'est Zax que tu connais. C'est Zax, ton amie. Mirana, c'est du passé, elle n'existe plus. Ne m'en veux pas, je voulais l'oublier, c'est pour ça que je ne t'ai jamais raconté cette partie de ma vie.
— Zax, quel drôle de choix de prénom quand même, marmonne-t-elle.
Dernier tacle pour me montrer qu'elle ne m'en tiendra pas rigueur, mais qu'elle a été touchée. Mes lèvres esquissent un baiser dans sa direction. Oui, Zax est un curieux prénom, mais il s'est imposé comme une évidence. Une sorte d'écho intérieur. Je ne sais pas d'où il vient, mais Zax, c'est moi, la fille aux pouvoirs omniscients. Mirana est morte à petit feu, quand Zax a pris sa place.
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