Chapitre 1

Bonjour à tous,

aujourd'hui, découvrez en avant première le premier chapitre de prochain roman, Ysbryd, à paraître chez Mix Éditions le 15 octobre.

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Bonne lecture à vous :)

Chapitre premier


Assis à la terrasse d'un café du centre-ville de Détroit, Jax profitait des timides rayons du soleil de cette fin d'après-midi automnale. La douce chaleur baignait son visage offert tandis qu'il se laissait aller contre le dossier de son fauteuil, la tête renversée et les yeux clos. De tels instants de calme étaient rares, aussi était-il résolu à savourer celui-ci le plus longtemps possible.

Dimitri, son coéquipier, s'était éclipsé quelques minutes plus tôt, annonçant qu'il avait besoin d'aller pisser. Ces paroles n'étaient toutefois destinées qu'à tromper d'éventuelles oreilles indiscrètes. Les petites particularités de Dimitri l'empêchaient de s'exposer trop longtemps au soleil, quand bien même il avait opté pour une chaise abritée par l'auvent du café. À l'heure actuelle, il devait profiter de son cool down à l'intérieur.

Jax ne s'en formalisait pas. Dim et lui se connaissaient depuis l'enfance et avaient toujours bossé ensemble. Ils n'avaient plus guère de secrets l'un pour l'autre. Et puis ça n'était pas comme si Jax n'avait pas quelques petites bizarreries de son cru en réserve...

De toute façon, pour faire leur boulot et espérer y survivre, ils devaient pouvoir se reposer aveuglément l'un sur l'autre. Dimitri était donc à la fois son frère, son partenaire, son collègue et sa meilleure copine.

Sachant que Dim aurait besoin d'un peu de temps pour se réacclimater, comme il le disait si bien, Jax profitait de ce break entre deux missions pour récupérer. Le mieux aurait encore été de rentrer chez lui, mais Pete, leur officier supérieur, leur avait demandé de rester disponibles et à portée de main. Quand bien même leur dernière opération remontait à la veille, la suivante se profilait déjà. Pas de repos pour les braves...

Malheureusement pour Jax, il était dit que le silence et l'accalmie ne seraient que temporaires. À quelques dizaines de mètres sur sa droite résonna l'infime grésillement d'un haut-parleur que l'on allume, avant même que démarre le morceau de musique. Jax soupira et souleva une paupière.

Un groupe de danseurs était en train de s'organiser en triangle derrière un jeune Latino. Le type attaqua une chorégraphie sans doute travaillée de longue date, les yeux plantés dans ceux d'un autre gars. Celui-ci contemplait la chorale improvisée avec un air de mérou, son poing fermé pressé devant sa bouche ouverte. S'agrippant aux premiers accords, les paroles de la chanson s'échappèrent de l'ampli.

It's a beautiful night, we're looking for something dumb to do...

Jax grogna et leva les yeux au ciel. Sérieusement, quel besoin les gens avaient-ils de se donner ainsi en spectacle ? L'intimité, c'était pour les chiens ?

Sans doute, oui. Dans une société qui ne jurait que par le tout-connecté, la discrétion des hommes dans son genre faisait figure de mouton à cinq pattes. Quand elle n'apparaissait pas suspecte à tous ces abrutis si pressés d'étaler leur vie sur la place publique... D'ailleurs, quelques spectateurs avaient commencé à filmer la performance pour immortaliser et diffuser l'instant.

— J'ai manqué un truc ? Qu'est-ce que c'est encore que ces conneries ? gronda une voix gutturale.

Les pieds de la chaise libre raclèrent le sol et la silhouette de Dimitri se dessina alors qu'il récupérait sa place à l'ombre. Avec ses cheveux blonds, ses yeux d'un bleu chavirant et ses pommettes slaves trop aiguës, il aurait été facile de le confondre avec un de ces poster boys à la con, de ceux que leur physique destine à tourner des pubs pour dentifrice toute leur vie. Mais ç'aurait été sans compter sur l'intense froideur et la distance qui se dégageait de sa haute stature au maintien impeccable.

Tout l'inverse de Jax en somme, vautré sur sa chaise, ses jambes croisées devant lui. Il savait d'ailleurs à peu près de quoi il avait l'air. Le relâchement de sa posture mettait en valeur sa musculature de lutteur, tandis que sa peau noire d'ébène et ses paupières tombantes lui donnaient la nonchalance d'un pirate échoué au port. Ne lui manquaient plus que le tricorne et le putain de perroquet...

Encore que le bestiau aurait été foutu de s'égosiller en chœur avec la bande de débiles autour de qui une petite foule s'était massée.

— Une connerie de demande en mariage, j'imagine, grommela-t-il en se redressant.

Hey baby, I think I wanna marry you...

— Ah tu vois, qu'est-ce que je disais ?

Jax sonda les poches de son pantalon et de sa chemise sans trouver ce qu'il cherchait, ajoutant à son début de mauvaise humeur.

— Merde, il te reste des clopes ?

Dim n'eut pas à tâtonner pour tendre son paquet et son briquet. Comme toujours avec lui, une place pour chaque chose et chaque chose à sa place. Il était la caution « organisation » de leur petit duo et les deux hommes s'en accommodaient très bien.

Désabusé, Jax alluma sa clope en suivant le spectacle. Le Latino s'était agenouillé devant son copain tandis que ses sbires continuaient à s'époumoner et à glousser.

Just say I do

Tell me right now baby

Tell me right now baby, baby

— Dis, poussin, tu crois que ça ferait désordre si je leur collais une balle ? Histoire qu'ils la bouclent... Ils chantent aussi bien que moi et j'ai un de ces mal de tronche.

Un petit ricanement échappa à Dimitri qui couvait la scène d'un œil froid.

— Laisse, ils seront plus silencieux dans quinze ou vingt piges... Et puis ça ferait encore des histoires si tu sortais ton flingue. Pete n'arrête pas de te dire que de viser les civils n'est pas la solution à tes soucis de sociabilité.

— Je n'ai aucun souci de sociabilité. Ils me tapent juste sur le système avec leur crincrin. Ils ne chantent même pas juste, putain !

Dimitri répondit d'un haussement de sourcil narquois. À en croire les caquètements de la basse-cour, Numéro 2 avait dit oui.

Jax se renfrogna.

— Hey, dis donc, enfoiré ! T'es gentil, mais j'ai jamais demandé à passer ma perm' en centre-ville, moi. C'est toi qui as traîné nos culs dans ce piège à gogos. Je me serais contenté d'une sieste au motel en attendant que Pete nous siffle, moi !

— Tu vois, c'est ce que je te disais à propos de ta sociabilité...

— Putain, je ne suis pas asocial, je suis fatigué !

Leur dernière mission n'avait pas été de tout repos et les avait tenus sur le pont trois jours d'affilée. Sans même parler du débrief qui avait suivi et s'était éternisé pendant des plombes. La faute à Tux, comme d'habitude. Depuis son accident, le nerd de service n'avait plus besoin de sommeil et il lui arrivait d'oublier que ça n'était pas le cas du reste du monde.

— Tu veux qu'on bouge ? demanda Dimitri en l'examinant d'un œil critique.

Pour qu'il propose une retraite, Jax se dit qu'il devait avoir l'air aussi épuisé qu'il l'était en réalité. Il atteignait rarement ses limites, mais ils avaient pas mal enchaîné les missions ces derniers mois. C'était à peine s'il avait pu rentrer poser ses valises chez lui. Il n'y était passé qu'en coup de vent et n'avait pas pu récupérer autant qu'il l'aurait voulu. Ou alors, il vieillissait...

Ouais, un break serait le bienvenu.

Son téléphone vibra dans la poche de son jean. Il ne vérifia même pas l'identité de son correspondant : les seules personnes à pouvoir le joindre sur cette ligne étaient les membres de son unité et quelques gradés.

— Au rapport, aboya Pete, leur chef.

— Jax au rapport. Dimitri en visuel.

Bien que dans l'expectative, son compagnon ne s'était même pas tendu. « Toujours parés à l'action », telle aurait pu être leur devise. Quand Pete ordonnait de sauter du haut de la falaise, la seule réponse possible était « où et à quelle heure, chef ? ».

— Je vous veux sur base dans une demi-heure, parés au briefing. On décolle dans trois heures.

— Roger, chef.

La communication fut coupée dans la foulée et Jax rangea son téléphone. Dimitri avait déjà utilisé son propre appareil pour régler l'addition, le connectant à la borne intégrée à la table. Il remisa lui aussi son portable dans la poche intérieure de sa veste en cuir.

— On s'arrache ?

— Affirmatif.

Dimitri ne 'en dispensait. Déjà parce qu'on ne savait jamais qui ou quoi pouvait être en train de vous écouter, mais surtout parce que Pete ne donnait aucun détail sur leurs missions par téléphone, ce pour les mêmes raisons qu'ils évitaient d'en discuter en public.

Jax se leva et écrasa la cigarette qui s'était consumée entre ses doigts sans qu'il en aspire plus de quelques bouffées. Il déploya sa haute stature et fit craquer ses vertèbres, s'attirant au passage quelques regards, dont certains du groupe de danseurs désormais immobiles. D'ordinaire, passer inaperçu était une de ses spécialités, mais il n'était pour l'heure ni en mission ni camouflé.

Dimitri, comme à son habitude, accorda son pas à celui de son équipier. Ils traversèrent ainsi la petite place, épaule contre épaule, déjà focalisés sur leur objectif. Jax prit cependant le temps d'adresser un léger salut, deux doigts collés à sa tempe, au groupe qui continuait à caqueter.

— Jax, active. On a du taf, ronchonna Dimitri.

— Affirmatif, mon lieutenant.

Toutefois, en dépit de cette insistance pour hâter le pas, Jax ne manqua pas la manière dont les yeux bleus de Dimitri s'accrochaient au joyeux attroupement. Il était rare que son coéquipier sorte de son éternelle réserve pour observer le monde extérieur, surtout avec cette drôle de langueur dans le regard. Regret ? Envie ? Est-ce que, parfois, lui aussi ressentait l'appel de la normalité ? Se couler dans le cocon douillet d'une vie ordinaire et ce genre de trucs ? D'habitude, il n'en laissait rien paraître, que ce soit par réelle indifférence ou parce qu'il jouait très bien la comédie du mec blasé. Son armure à lui.

Or, depuis quelque temps, Jax le trouvait pour le moins agité. Lui-même n'était plus aussi certain de parvenir à décrypter les réactions et les pensées de Dim. De manière incompréhensible, une part de son meilleur ami lui échappait, chose qu'il n'appréciait pas le moins du monde.

Il leur était arrivé de se foutre sur la gueule ou d'avoir des divergences d'opinions, la plupart du temps à cause d'une mission. Mais, dernièrement, une autre forme de distance s'installait entre eux, difficile à analyser. Dimitri se réfugiait au plus profond de lui-même, là où même Jax ne pouvait pas l'atteindre en dépit de tout ce qu'ils avaient partagé d'enfer.

Jax rongea son frein jusqu'à ce qu'ils parviennent à sa voiture et s'y installent, bouclant leurs ceintures. Il ne démarra pas immédiatement et observa Dimitri qui se focalisait sur un point indistinct, de l'autre côté du pare-brise. Inquiet de ce silence abyssal et de cette soudaine rigidité, Jax pressa l'épaule de son compagnon, massant son trapèze de son pouce.

— Eh, Dim ? Ça va, poussin ? T'as pas l'air dans ton assiette.

Sans répondre à la question, Dimitri le transperça soudain de son regard si pâle qu'on l'aurait cru translucide. Une drôle d'intensité s'y disputait le premier rôle avec cette foutue distance qui s'attardait juste sous la surface. Jax sentit sa poitrine se nouer.

— Eh, vieux ? Parle-moi. Qu'est-ce qui va pas ? Tu me fous les jetons là...

Seul le silence lui répondit et Jax accentua son massage. Un geste destiné à ancrer son ami dans la réalité et à apaiser sa propre angoisse en rétablissant le contact.

Il avait toujours été la seule personne autorisée à toucher Dimitri de manière aussi désinvolte. Quiconque s'y serait risqué aurait fini avec une lame entre les côtes. La proximité physique n'était pas la tasse de thé du beau blond et il le faisait vite comprendre à ceux qui tentaient leur chance.

Jusque-là, tout avait toujours été différent pour Jax. Différent entre eux. Ils étaient amis, les meilleurs. Les plus solides, les plus soudés. Mieux, ils étaient deux frères. Ils seraient morts l'un pour l'autre. Ils n'auraient pas pu vivre l'un sans l'autre.

Ces contacts entre eux, qu'ils soient infimes ou intimes, c'était ce qui assurait Jax de sa place à part dans la vie de Dimitri. De ce privilège qui n'appartenait qu'à lui. Seulement, ce jour-là, il eut l'impression que sa peau le brûlait alors que le regard limpide se posait sur sa main. Gêné, il hésita à la retirer avant de se reprendre. Il était ridicule.

Bien décidé à tirer cette affaire au clair, il se pencha pour tenter de ramener l'attention de Dimitri sur lui, mais il fut stoppé dans son élan par la voix distante et mesurée de son passager.

— Jax, démarre cette bagnole. On n'est pas là pour tenir un salon de thé. Pete nous attend. On a une mission.

Une mission...

Putain de mission. Jax fut tenté de tout envoyer au diable, quand bien même ces opérations représentaient toute sa vie. Tout ce qu'il était.

Sauf que ça n'était pas tout à fait vrai. Il y avait plus important que le boulot. Notamment Dimitri. Dimitri et son secret, qu'il avait bien l'intention de découvrir. Jugeant cependant que la méthode frontale n'était pas la bonne, il pressa une dernière fois l'épaule nouée et se détourna.

— Ouais, OK, tu as raison.

Il donnait l'impression de lâcher prise, mais il se promit de tirer toute cette histoire au clair dès leur retour de mission. Hors de question qu'ils continuent à bosser avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête. Leur boulot était déjà assez casse-gueule comme ça.

Qu'il le veuille ou non, Dim allait devoir cracher le morceau.

Fort de cette résolution, Jax laissa rugir le moteur de son énorme 4x4 noir.


à suivre dans le roman :)

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