Chapitre 8
♫ « Closer » - Lemaitre ft. Jennie A ♫
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Louis
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Je suis trop vieux pour ces conneries. Ou en tout cas, plus aussi rodé qu'avant. Rien que le fait de me faire cette réflexion prouve que je suis incapable de sortir indemne d'une soirée si arrosée sans aucune séquelle. Ça doit être cela que l'on appelle la maturité. Et ben bordel, la maturité je l'emmerde. Elle et ce furieux mal de crâne.
Je commence à bouger et entrouvre mes paupières une à une. Le problème de se coucher ivre, c'est que l'on oublie constamment de fermer les volets en allant se pieuter, alors que l'on sait pertinemment que ce putain de soleil va nous faire chier dans les heures qui suivent. Ma tête a été la première à se manifester, mais en réalité, j'ai mal partout. Aux bras, aux jambes, à l'estomac. Qu'est-ce que j'ai bien pu foutre pour être courbaturé à ce point ? Vieillir, c'est mal. Il faut absolument que je me remette au sport. Promis, ce sera ma bonne résolution de l'année. Et arrêter de fumer. Non. Sois réaliste. Tu n'en es pas capable. Pourtant, le mal de chien que ma gorge me fait ressentir devrait être suffisamment persuasif. Je me mets à tousser fortement en m'asseyant dans le lit, en tentant de minimiser mon vacarme avec mes mains, mais ma quinte de toux ne réveille pas la belle endormie à mes côtés.
Je frotte mes yeux dans le but de les aider à s'acclimater à la lumière et pour me sortir de mon état comateux. Il me faut de l'aspirine. J'espère qu'Ava a prévu le coup en en emportant dans sa valise. Je tente de me mettre au bord du lit pour me lever et attraper mon téléphone dont j'aperçois la diode lumineuse clignoter avec insistance à l'autre bout de la pièce. Mes jambes refusent de coopérer et mon état post-cuite est plus fort que moi. Je suis toujours dans le mal. Je vais attendre encore un peu.
J'atténue mes mouvements dans le but que mon cerveau cesse de s'agiter dans tous les sens et dirige inévitablement mon regard sur Ava. Elle a dû y aller fort elle aussi, car habituellement, le simple fait de bouger les draps la sort de son sommeil. Tandis que je l'observe, mes yeux dérivent sur quelque chose d'intrigant. Un nouveau machin sur sa main gauche. Un truc qui brille. Je reste dubitatif un moment, avant d'être rattrapé par la réalité. Mes orbites s'arrondissent lorsque je prends conscience qu'il s'agit d'une bague. Une alliance plus exactement. Et lorsque je baisse le regard sur ma propre main gauche, sa copie conforme autour de mon annulaire me fait subitement prendre la réalité en pleine tronche. Mes membres engourdis se mettent en action et je me mets debout.
Mon corps tangue. Ma tête tangue. Mes pensées tanguent. La pièce aussi. Les murs et le sol semblent se confondre. J'essaie de reprendre mon souffle. Calme-toi. Ce n'est rien. Ce n'est rien. Je rejoins la salle de bains par je ne sais quel miracle et me hisse au lavabo pour m'immobiliser. Mon passage actionne la lumière automatique, obligeant mes yeux à s'acclimater à une lueur excessive qu'ils n'ont pas prévu. Le miroir m'offre un aperçu du désastre. J'ai une tête abominable. J'empeste la clope et l'alcool. Ce mot à lui seul m'évoque une profonde envie de vomir.
Je me passe de l'eau fraîche sur la figure et tente de reprendre le contrôle. Je suis marié. Marié. Bordel. Comment a-t-on pu en arriver là ? Qui a eu cette brillante idée ? Des images me reviennent à l'esprit dans un ordre incertain. Une course. Un fou rire. Un feu d'artifice. Une chapelle. Une demande. Un nouveau fou rire. Un prêtre. Ava. Sa main. Une promesse. Sa bouche. Une bague. J'essaie de reprendre une respiration normale pour contrer la panique qui m'assiège.
Je repasse ma tête sous l'eau froide, mais cette fois-ci, sans me servir de mes mains. Je la mets directement sous le jet dans l'espoir qu'il m'apaise. Je maintiens cette position un petit instant, laissant le froid agir comme un baume sur ma nuque. J'inspire et expire les yeux fermés et ressens une nette amélioration. Seulement, un simple coup d'œil à l'anneau autour de mon doigt suffit à laisser passer une nouvelle vague de panique et la peur s'infiltre inévitablement en moi.
Mes pas me guident de nouveau vers la chambre, où je constate qu'Ava est réveillée. Elle semble lire sur mon visage que quelque chose ne va pas.
- Tu t'es douché en caleçon ? Me demande-t-elle, les yeux à demi ouverts.
- Quoi ?
Je baisse les yeux et réalise que mes cheveux qui dégoulinent donnent effectivement l'impression que je sors de la douche.
- Non, je...
Mes pensées interfèrent avec les mots que je suis censé lui dire. J'ignore si ses souvenirs d'hier soir sont plus précis que les miens, mais à la façon dont elle me regarde, j'ai le sentiment que c'est le cas et qu'elle cherche à évincer le sujet. Étrangement, plus je la regarde et plus mon inquiétude me paraît dérisoire sans que je ne comprenne ce qui me rend soudainement si lunatique. Je me rapproche d'elle, en ayant conscience que je vais totalement mouiller le lit en l'y rejoignant, mais je n'ai pas le courage de revenir sur mes pas pour prendre une serviette. Je la vois poser un regard furtif sur ma main gauche et ne rien ajouter ensuite, preuve qu'elle s'en souvient elle aussi. Je me lance le premier.
- Je crois que nous avons fait une grosse bêtise, trésor.
Assis près d'elle, je ne peux m'empêcher de la regarder avec tendresse, craintif que mes mots ne l'atteignent de la mauvaise manière. Mais Ava ne paraît pas froissée.
- Oui, et nous le savons tous les deux. Admet-elle.
Dans ce moment de lucidité qui succède à notre folie d'hier soir, un silence s'installe et j'ai le sentiment que nous nous observons avec un regard changé. Celui du premier jour de notre vie commune. Ce sentiment s'intègre en moi en tournant en boucle dans ma tête, à la différence que cette fois-ci, aucune peur ne vient gâcher son écho.
- Mis à part ces bagues, on a quelque chose d'autre qui officialise ce mariage ?
Ava se penche vers le sol et saisit son sac. Elle en sort un papier sur lequel mes yeux malmenés déchiffrent les mots « Certificat de mariage ». Ma salive m'obstrue la gorge et je peine à déglutir. La moue gênée de ma chérie m'oblige cependant à la serrer dans mes bras.
- Ce n'est pas si grave...
Elle se détache de moi et me sourit en attendant la suite de ma réplique.
- ... et puis, personne ne le saura.
Alors qu'un silence de plomb règne sur la suite, une voix haut perchée dirige unanimement nos regards en direction de l'entrée de la chambre.
- Bonjour Monsieur et Madame Tomlinson !
Tout en sarcasme, Joy nous acclame de façon théâtrale en faisant une révérence devant notre lit, marquant son ironie face à la situation. Je me rattrape en marmonnant entre mes dents.
- Rectification... on est foutus.
Ava se met à rire aux éclats comme si son stress retombait instantanément.
- J'espère que la nuit de noces a été torride... Suppose Joy en s'asseyant avec nous au-dessus des draps.
Elle plaisante ? Je crois bien que c'est la première fois où je n'aurais pas été d'attaque pour ce genre de choses. Ava et moi nous adressons un regard mutuel, exprimant notre ressenti à la perfection.
- Arrêtez, ne faites pas la tronche ! Dans l'histoire, c'est moi qui devrais être déçue !
Notre amie commune détourne le regard pour fixer ses ongles en les faisant claquer entre eux.
- Je suis toujours aussi vexée de ne pas avoir été invitée... Marmonne-t-elle, avant de se tourner de nouveau vers sa meilleure amie. On s'était toujours dit qu'on serait nos demoiselles d'honneur !
- Ah bon ? S'étonne Ava. Quand est-ce qu'on s'est dit ça ?
- Bah ! Ça tombe sous le sens ! Ajoute Joy en levant les yeux au ciel.
- Tu as pensé à moi quand Harry a failli te passer la bague au doigt hier, peut-être ? Réplique ma douce.
La bague au doigt ? Hein ?
- C'est quoi encore cette histoire ?
Ava me fixe les lèvres pincées tandis que Joy me fournit une explication.
- Ouais, ouais... Il a tenté... Mais j'ai eu la présence d'esprit de lui dire non.
- Ah bon ? Ce n'est pas ce qu'il m'a dit... Commence Ava avant que Joy ne la coupe en se levant précipitamment.
- Bon, vous m'emmerdez !
Nous partons d'un nouveau fou rire face à cet excès de mauvaise foi.
- Et toi, rappelle-moi qui est ta meilleure amie déjà ? Ce n'est pas Harry que je sache !
Ava s'arrête de rire, mais retient un gloussement qui propulse la blonde vers la sortie.
- Je venais juste vous avertir que l'on doit quitter la chambre dans très exactement cinquante-sept minutes pour rejoindre l'aéroport.
Ava s'agite à la recherche d'un indice sur l'heure qu'il est.
- Bon, sur ce, je vous laisse. Il y en a un qui gît sur le sol de salle de bains depuis son réveil. Je vais peut-être aller vérifier s'il respire toujours.
Fière de nous avoir mis un coup de pression, elle referme la double porte derrière elle comme pour clôturer son sketch qui nous a achevé. Je me jette lourdement en arrière.
- Je ne serai jamais capable de prendre l'avion à quinze heures...
- Harry non plus apparemment. Ajoute Ava que j'aperçois déjà debout en train de retaper le lit.
- Je savais bien que c'était une mauvaise idée. Ça lui apprendra à nous faire changer de destination un premier janvier.
Elle ne répond rien et s'affaire à ranger la chambre, alors que je ne parviens pas à me décider de me lever. Je vais vraiment accuser les heures à venir, je le sais. Il n'y a que Harry pour avoir ce genre de brillantes idées. En voyant Ava s'activer, je crois que je ne vais pas avoir d'autre choix que d'en faire de même, mais décide de tenter d'user de mon nouveau statut d'époux.
- Femme ! Fais ma valise !
D'un œil sévère, elle m'indique que je fais fausse route en espérant qu'elle accède à ma demande. Elle s'empare de mon sac et me le jette à la figure.
- Lève-toi ! M'ordonne-t-elle. Hawaï nous attend.
- Ok, c'est bon... J'arrive...
Même sous le ton de l'humour, je réalise qu'Ava ne représente plus à mes yeux qu'une simple petite amie. Mais à ce jour, je préfère qu'on en rie plutôt que de se torturer l'esprit à savoir si on a fait une connerie ou pas.
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Vite. Mon siège. Il faut que je m'assieds. Je me retiens intérieurement d'enguirlander un couple de retraités qui prennent tout leur temps pour s'asseoir à leurs places respectives, alors qu'une file importante de passagers attend derrière eux. Magnez-vous, bordel. Les paparazzis m'ont déjà mis sur les nerfs à l'aéroport, alors je sens qu'il ne va pas trop falloir me chercher. J'analyse rapidement la situation en jetant un nouveau coup d'œil à mon billet pour mémoriser une bonne fois pour toutes le numéro de mon fauteuil. La seconde allée est elle aussi bloquée par une mère qui tente de canaliser son jeune fils turbulent. Merde. Je suis condamné à devoir attendre. Je me retourne pour juger si cette situation n'agace que moi. Ava et Joy sont trop absorbées par leur conversation et Harry est toujours aussi stoïque, le regard dépourvu d'expression avec ses lunettes de soleil sur le nez. Je crois bien l'avoir rarement vu aussi touché par une gueule de bois.
Le vieux schnoque range enfin la veste de sa bonne femme dans le compartiment au-dessus de leurs têtes, se décide à dégager le passage et m'adresse un sourire satisfait lorsque je passe à côté d'eux en soufflant exagérément. Je suis désormais presque certain que faire perdre leur temps aux gens qui n'en ont pas est le plaisir numéro un des personnes âgées.
Enfin à hauteur de la rangée numéro 23, je balance mon sac à dos et prends place dans mon siège attitré près du hublot. Seulement, j'ai à peine une seconde de répit qu'une main tapote mon épaule.
- On peut échanger s'il te plaît ? Me demande Joy. Je ne tiens pas à devoir me lever en vitesse si l'un de vous doit rejoindre précipitamment les toilettes.
Depuis quand se proclame-t-elle la plus sobre de nous quatre ? Je regarde désespérément Ava, priant pour qu'elle confirme que sa meilleure amie plaisante, mais elle semble d'accord avec cette idée. Voyant qu'elles sont toutes les deux déterminées, je cède et me lève pour les laisser passer. Joy regarde Harry pour avoir son approbation, puis passe devant moi en me remerciant, suivie de ma chérie qui conserve son éternelle bonne humeur.
- Merci ! Me glisse-t-elle en prenant place à côté de son amie.
- Je ne suis pas fan des sièges situés au niveau des issues de secours de toute façon.
En y réfléchissant bien, je ne suis pas certain que laisser Joy avoir une telle responsabilité en cas de problème soit une bonne idée. Sa réplique vient d'ailleurs immédiatement confirmer mes pensées.
- Par contre, s'il arrive quoi que ce soit, je saute en premier ! Nous dit-elle. Chacun pour sa pomme !
- Merveilleux. Tout le monde a fait son testament ?
Ava me tape l'épaule, persuadée que de parler de ce genre de choses à bord d'un avion porte malheur. Je retrouve alors ce même visage inquiet qu'elle affichait tout à l'heure lors de l'enregistrement. Joy ne cessait de l'appeler par mon nom de famille et elle craignait que quelqu'un du personnel ne le relève et ne l'empêche d'embarquer sous le nom de Miller.
Harry s'assied à ma droite et ouvre la bouche pour la première fois de la journée.
- Désolé, on va devoir se supporter pendant les six heures à venir. Me dit-il sans même pivoter le regard en ma direction.
L'avantage d'être placés à cet endroit de l'avion, c'est que l'on a le privilège d'avoir plus de place pour étaler nos jambes.
- Aucun problème, je pense y survivre et je sens que je vais dormir tout le long du trajet de toute manière.
L'embarquement touche à sa fin et les portes de l'avion se referment. Dans les secondes qui suivent, je me connecte au réseau wi-fi de l'appareil et m'apprête à m'enfermer dans ma bulle avec mon casque, mais Joy nous interpelle de nouveau.
- Putain, les gars ! S'écrie-t-elle horrifiée en tenant la main d'Ava.
Celle-ci s'affole face à cette réaction inattendue en récupérant ses doigts pris au piège.
- Quoi ?! S'écrie-t-elle. Qu'est-ce qu'il y a encore ?
- Vos bagues ! S'explique Joy comme prise d'une illumination. Les paparazzis... Les photos... Ça va faire le tour du monde d'ici ce soir !
Sa remarque soulève en moi une certaine appréhension, mais je me garde de tout commentaire pour ne pas inquiéter Ava.
- Vous êtes cuits ! Rajoute Joy, comme si elle attendait nos réactions.
- J'ai le droit d'avoir une bague, ce n'est pas interdit ! Avance ma chérie cherchant à la contredire.
- Toi peut-être, mais lui... Renchérit Joy en pointant ma main. Chez eux, la moindre mèche de cheveux de travers est analysée, alors imagine une alliance...
Je camoufle ma main dans une de mes poches, comme si la dissimuler maintenant allait contrer ses paroles.
- Mais non, ils ne verront rien.
Si la presse à scandale se mêle de cette histoire, je ne pourrais m'en prendre qu'à moi-même pour avoir oublié de retirer cet anneau. Mais dans le pire des cas, s'ils en parlent, il suffira simplement de ne pas évoquer le mariage et l'histoire finira par se tasser.
- Bon... Il n'y a rien de très alarmant cela dit... Ajoute Joy. Ce ne sont que des bagues après tout.
- Comment ça ? Lui demande Ava.
- On sait tous que les mariages à Las Vegas c'est du flan ! Affirme Joy en se penchant un peu plus vers nous pour éviter d'attirer l'attention des passagers.
- Si c'était le cas, tu sais parfaitement qu'ils ne seraient pas les seuls à se ronger les sangs à ce sujet. Ajoute Harry en se joignant à la polémique.
Joy semble réfléchir un moment avant de mettre définitivement un terme à ce sujet pour notre plus grand plaisir.
- J'espère juste que vous avez prévenu vos parents, au cas où... Marmonne-t-elle avant de se replacer dans son siège.
Ava me regarde avec angoisse, car ce détail ne lui était probablement pas venu à l'esprit. Tout cela est tellement soudain et imprévu que nous n'avons encore averti personne de notre entourage.
Une hôtesse s'approche de nous pour nous avertir d'être attentifs durant les consignes de sécurité qui vont suivre. Cette accalmie imposée me permet de souffler un peu. Je replace mon casque sur ma tête et me fais immédiatement rappeler à l'ordre, tel un mauvais élève. J'ai dû assister à des centaines de démonstrations de ce genre, alors j'estime avoir le droit de ne pas y prêter l'oreille. Joy en revanche n'en perd pas une miette, comme si elle assistait à un vrai spectacle. J'ai l'impression que maintenant, elle s'émerveille de tout.
Durant la première moitié du vol, je m'immerge dans les dernières musiques reçues pour mon label, soigneusement transmises par Oli. Pour une fois qu'il sert à quelque chose celui-là. Lorsque je refais surface, les filles à ma gauche sont profondément endormies. Harry quant à lui, a toujours ses écouteurs sur les oreilles et le nez plongé dans son carnet. Voyant que je l'observe, il les retire à son tour et donne un signe de tête pour amorcer la discussion. Je baisse de nouveau les yeux sur ses textes.
- Tu écris un roman ?
Il esquisse un sourire en coin et referme son calepin.
- Pas vraiment. Je sors juste tout ce qui me passe par la tête.
Cela fait des semaines que moi aussi je ne cesse de gratter toutes sortes de choses, dans l'espoir qu'elles servent un jour. J'ignore si cette soudaine inspiration renferme pour lui le même espoir qui m'habite concernant notre groupe laissé aux oubliettes depuis trop longtemps maintenant.
Je pense qu'avoir son attention particulière ne se reproduira pas de sitôt, alors je décide de poursuivre la conversation.
- Je n'ai pas d'autre manière d'amener le sujet, mais... J'envisage de relancer le groupe.
Même si j'avais cherché les mots adéquats, je pense qu'ils n'existent pas. Harry semble se figer un instant, puis pivote légèrement vers moi. Je décide alors de lui fournir davantage d'explications avant qu'il ne dise quoi que ce soit.
- On en parle beaucoup ces derniers temps avec Liam et Niall. Tu es le seul avec qui nous n'avons encore rien échangé.
- Je suis partant. Me répond-t-il simplement, mais avec détermination, comme s'il attendait depuis des lustres que nous abordions le sujet. Vous pouvez compter sur moi.
- Prends le temps d'y réfléchir avant. Je veux dire... Rien ne presse.
- C'est tout vu.
Il se penche en avant pour regarder Joy qui dort toujours profondément.
- Même si j'ai d'autres priorités pour le moment, ça ne veut pas dire que je n'y pense jamais. Ajoute-t-il. Bien au contraire.
Son engouement a le don de me rassurer, j'enchaîne alors sans crainte sur l'idée que Liam avait évoquée concernant ma maison de disques.
- Vu qu'on est un peu à la rue niveau label, on a pensé que 28 Records pouvait nous représenter désormais.
- Carrément, c'est une super idée. Acquiesce-t-il en hochant la tête.
Lancer mon label, c'était une chose. Reprendre le flambeau du groupe en est une autre. Mais si Harry m'en sent capable, je pense qu'il n'y a rien à craindre. De nous quatre, il est certainement celui qui a le plus la tête sur les épaules. Il ne me donnerait pas son approbation sans raison.
- C'est une grosse responsabilité, mais honnêtement, je pense que c'est la meilleure manière de revenir.
- Et dis-toi que ce n'est pas parce que c'est ton label qu'on va te laisser tout gérer. Ajoute-t-il. On a suffisamment d'expérience maintenant pour tous mettre la main à la patte.
Il s'empare de nouveau de son carnet en faisant défiler les pages.
- Je n'écris pas toutes ces choses pour qu'elles finissent dans l'oubli. C'est évident depuis le début qu'elles serviront pour le groupe.
Subitement, une secousse coupe court à nos réflexions, suivie du tintement significatif pour attacher nos ceintures. Je suis loin d'être craintif de ce genre d'événements en avion, mais comme n'importe qui qui remet sa vie entre les mains du pilote, je n'aime pas particulièrement quand ça remue de la sorte. En tout cas, Ava et Joy ont probablement beaucoup de sommeil à rattraper, car aucune d'elles ne bronche. Une hôtesse passe rapidement dans l'allée pour vérifier si chacun a bien été attentif aux instructions de sécurité. Les filles se sont assoupies tellement vite qu'elles sont toujours sanglées à leurs sièges.
Je réactive l'écran interactif qui s'était mis en veille face à moi afin d'avoir une idée de l'endroit où nous nous trouvons. Le plan de vol indique que nous sommes actuellement en plein milieu du Pacifique et apparemment, une tempête tropicale fait rage à l'approche de l'archipel d'Hawaï dont nous sommes désormais très proches. Le vol est finalement passé plus vite que je ne le pensais. Harry me donne un coup de coude.
- Réveille-les pour les prévenir, peut-être ? Elles risquent de ne pas comprendre ce qu'il se passe sinon.
L'espace d'un instant, l'idée de leur faire croire que l'avion est en chute libre me traverse l'esprit, mais ma migraine ne supporterait pas de devoir assumer une telle blague. Surtout si Joy cherche désespérément à activer l'ouverture de la porte de secours. Je passe ma main sur le bras d'Ava en le caressant délicatement pour ne pas la brusquer. Elle ouvre alors les yeux sans changer de position le temps de retrouver ses esprits.
- Rien d'alarmant, mais on arrive bientôt et ça risque de secouer un peu. Il y a une sorte de tempête sur l'île.
- D'accord. Dit-elle simplement en étirant ses bras après avoir pris soin de serrer davantage sa ceinture.
Elle fait passer le message à Joy qui se rendort presque aussitôt.
Au fil des minutes, chaque secousse qui fait tanguer l'avion me donne un peu plus envie de vomir. Je me redresse dans mon siège pour me contenir et je crois que Harry en fait de même, vu sa posture identique à la mienne. Je rallume mon téléphone pour passer le temps et concentrer mon esprit sur autre chose. Plusieurs messages m'y attendent.
Oli, 16:38 : « On a recu 1 courié chelou o studio. Je tle garde o cho pour kan tu rentre. Tva bi1 rir »
Bordel. Le mec croit toujours qu'on paye les sms au caractère près. Je mets dix fois plus de temps à déchiffrer son charabia qu'il ne lui en faut pour le taper. Il doit sûrement parler d'un nouvel artiste qui tente de faire dans l'originalité. J'ouvre le message suivant.
Lottie, 16:54 : « C'est vrai ce qui tourne sur Twitter ? Dois-je vraiment vous féliciter? ;) »
Gloups. Ils sont sacrément rapides. Je me précipite sur le réseau social en question pour en avoir le cœur net et constate rapidement que les photos prises tout à l'heure à l'aéroport ont en effet engendré la rumeur que nous redoutions. Immédiatement, le hashtag #congratsLouva me saute aux yeux. À aucun moment nous n'avons évoqué le fait de l'officialiser, et il a suffit d'un simple cliché pour que tout soit dévoilé. C'est dans ce genre de moments que je déteste ma célébrité. Chaque fait et geste est analysé et sujet à faire parler. Je ne sais vraiment pas comment je vais l'annoncer à Ava.
Moi, 16:58 : « Maman est au courant ? »
Lottie, 17:00 : « Pas pour l'instant... Merde, j'ai cru à un montage ! Tu veux qu'on évite qu'elle l'apprenne ? »
Moi, 17:01 : « Je préférerais le lui dire. »
Ava semble détecter mon embarras.
- Tout va bien ? S'inquiète-t-elle en captant mon regard.
Je lui mets alors le fait sous les yeux en ajoutant ce qu'elle ne veut sûrement pas entendre pour le moment.
- Il va falloir que tu appelles tes parents.
Ava saisit mon portable et fait défiler frénétiquement les tweets de félicitations. Elle s'attarde ensuite un moment sur une photo de moi en train de fumer à l'extérieur de l'aéroport, où un zoom a été fait sur ma main pour bien mettre l'accent sur mon alliance. J'ignore si elle m'en veut d'avoir commis cette erreur, mais sa réplique vient vite répondre à ma question muette.
- On va faire avec. Dit-elle calmement. Il faut savoir assumer ses bêtises après tout.
Je me sens soudainement extrêmement coupable de l'avoir mise dans cette posture délicate hautement médiatisée.
- Et ne t'en fais pas, tu n'y es pour rien. S'étend-t-elle dans le but de me rassurer. Rappelle-toi, on était deux à prendre cette décision.
J'aimerais pouvoir me souvenir de davantage de détails, comme ceux qu'elle semble avoir en tête. Cette histoire craint, mais ce qui craint encore plus, c'est de ne pas pouvoir se souvenir du moment de son mariage.
Une voix sourde résonne dans l'appareil.
- « Mesdames et Messieurs, nous entamons notre descente sur Hawaï. Veuillez vous préparer à l'atterrissage. »
J'appose ma main au-dessus de celle d'Ava. Ses yeux observent une nouvelle fois ma bague, puis elle me sourit.
Bien que totalement confus par cette succession d'événements, une chose reste inchangée et ne m'a jamais rendu si sûr de moi. Je l'aime infiniment. Je suis nul pour exprimer mes sentiments et lui demander d'être ma femme dans un moment de lucidité aurait été le meilleur moyen de lui faire comprendre ce qu'elle représente pour moi. J'ai comme l'impression que ce moment m'a été subtilisé par une stupide cuite de Nouvel An. Mais je trouverai bien un moyen de lui dire d'une autre manière à quel point je tiens à elle. Je m'y attelle dès aujourd'hui.
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Effectivement, il fait un temps de chien lorsque nous posons le pied sur l'île. L'air est non seulement humide, mais chargé d'un voile de chaleur impressionnant. Des éclairs transpercent le ciel toutes les deux minutes, c'est pourquoi nous ne nous sommes pas attardés sur les paysages, floutés par une pluie torrentielle. Joy et sa rancune n'ont pas tardé à soulever le fait que notre lune de miel accidentelle allait être gâchée par cette tempête. Nous n'avons pas besoin de cela pour passer du bon temps, mais si ça peut lui faire plaisir.
Dès notre arrivée, Ava n'a pas perdu une seconde pour envoyer un message à ses parents en leur disant de ne pas s'inquiéter de ce qu'ils pourront découvrir dans la presse et qu'elle leur fournirait une explication sensée au plus vite. J'ignore comment elle va se débrouiller pour que cela paraisse rationnel, mais je lui fais confiance pour trouver une astuce. J'userai de la même avec ma mère.
- Vous avez mis la réservation à quel nom ? Nous demande Joy, tandis que le taxi approche du complexe hôtelier dans lequel nous allons loger pour les cinq jours à venir.
- Le mien pour éviter de faire parler. Répond Ava.
Son regard blêmit soudainement, comme si elle venait d'être prise d'une révélation. Son amie roule des yeux.
- Oh ça va ! Ce n'est pas écrit sur ton front que tu ne t'appelles plus Miller !
Alors qu'elle aurait très bien pu être vexée par ce nouvel excès de jalousie, Ava se met à rire, emportant nos esprits fatigués dans sa bonne humeur.
Le véhicule s'arrête aux portes de l'entrée principale du Mauna Lani Bay Hotel, que je n'avais pas imaginé si grand. Le luxueux bâtiment en bord de mer est immergé dans une nature tropicale luxuriante, quelque peu malmenée par les bourrasques de vent. Deux grooms s'approchent rapidement pour se charger de nous escorter jusqu'au parvis abrité, où des femmes en tenues traditionnelles nous attendent pour nous accueillir avec leur joie de vivre légendaire malgré le temps merdique. Chacun se retrouve affublé d'un collier de fleurs colorées, ce qui nous plonge un peu plus dans l'esprit exotique de ce périple. Joy s'en donne à cœur joie et scande « aloha » -certainement l'unique mot hawaïen qu'elle connaît- à chaque personne qui croise notre route.
Nous prenons possession de la clé de notre bungalow jusqu'auquel nous conduit une voiturette recouverte d'une protection anti-pluie. Les pavillons sont identifiés par une plaque en bois. L'employé nous explique que chaque nom correspond à celui d'une divinité hawaïenne. Nous avons tous échangé un regard dérouté en apprenant que le nôtre portait le nom de « Haumea », déesse de la fertilité et de la naissance. C'est une vaste blague ? Après un mariage foudroyant, j'espère ne pas avoir à assumer une tout autre responsabilité par un simple concours de circonstances.
L'habitation sur pilotis se divise en deux parties. Sans nous concerter, chaque couple emprunte naturellement une direction sans avoir besoin de déterminer qui prendra quelle chambre, dont la particularité est qu'aucune porte ne les sépare de l'espace commun, mais de simples rideaux en bois. Nous écopons de celle où trône une immense toile représentant l'allégorie de la divinité féconde en question, nue et arborant un ventre bien rond.
Je pose nos sacs et parcours la pièce, alors qu'Ava se laisse tomber sur le lit.
- Je crois que je vais dormir jusqu'à demain matin...
Je jette un coup d'œil à mon portable pour avoir une idée de l'heure qui s'est calée sur le fuseau horaire local. Il est à peine dix-neuf heures. Je m'allonge à côté d'elle et valide son programme.
- Vu le temps qu'il fait, on n'a pas vraiment d'option plus attrayante.
Ava roule sur elle-même pour se retrouver contre moi. Elle niche son nez dans mon cou, comme elle a l'habitude de le faire quand elle est fatiguée après une longue journée de boulot. Je crois qu'elle pourrait s'endormir instantanément dans cette position. Je la serre dans mes bras.
Les perles en bois du rideau s'entrechoquent pour laisser passer Harry et Joy.
- Bon, comment on s'organise pour ce soir ? Nous demande cette dernière.
- Pardon ? S'exclame Ava en relevant la tête un court instant, les yeux déjà ensommeillés. Mon programme est déjà tout vu.
Elle repose sa tête à son endroit initial.
- C'est dommage, on aurait pu... Commence Joy en réfléchissant à une stratégie tout en regardant l'orage depuis la fenêtre.
Harry lève les yeux au ciel et la saisit par les épaules.
- Laisse-les. Tente-t-il en la guidant en dehors de la pièce. Tu vois bien qu'on est tous trop crevés pour faire quoi que ce soit.
Joy argumente des choses inaudibles et finit par capituler en nous laissant profiter du calme. Ava se redresse pour se débarrasser de ses chaussures et se réinstalle sur le lit presque aussitôt. J'ignore si elle parvient à faire totalement abstraction de la polémique qui enfle sur Internet nous concernant, ou si la fatigue a pris définitivement le dessus, mais il est inutile de se prendre la tête avec ce genre de détail pour le moment. Demain est un autre jour, mais n'en reste pas moins un avenir sur lequel je n'ai plus le droit de faire fausse route.
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Le sommeil n'est pas parvenu à m'emporter cette nuit. Je n'ai fait que somnoler, pris dans mes réflexions bercées par le tonnerre qui a été particulièrement virulent à l'extérieur. Ava n'a rien entendu et n'a pas bougé une seule fois.
Il est seulement sept heures et je sais que je ne parviendrai plus à fermer l'œil. Une pulsion me sort du lit et je me mets à feuilleter les brochures déposées sur une des tables du bungalow. Mes yeux sont rapidement attirés par les horaires d'ouverture de la salle de sport. Parfait, elle vient d'ouvrir. J'ai besoin d'évacuer toute la fatigue qui pèse sur mon corps en la poussant dans ces derniers retranchements.
Lorsque j'entrouvre le volet pour laisser passer les premiers rayons du jour, je constate avec étonnement que la pluie a cessé, laissant place à un début de matinée ensoleillé. Joy va être furieuse de ce changement soudain de météo.
Habituellement, me lever tôt pour faire souffrir mon corps relève de la double peine. Je suis plutôt du genre à sauter du lit au dernier moment et à réenclencher mon réveil pour dix minutes de sommeil supplémentaires. Mais ce matin, déterminé à appliquer mes bonnes résolutions, je me sens bien plus volontaire et énergique. J'enfile un short et un t-shirt, en prenant soin d'être le plus discret possible et me faufile à l'extérieur. Il fait plutôt frais, mais on sent déjà que la journée s'annonce très belle.
Après quelques minutes de marche, j'atteins la salle en question, où visiblement je suis le seul à avoir eu le courage de m'y aventurer si tôt. Fier de mes efforts, je dépose mon sac près d'un appareil. Mon iPod relié à mes oreilles, mes anciens réflexes refont surface et je m'impose une petite série d'étirements avant de rejoindre le banc de musculation. J'ignore si reprendre le sport en faisant travailler mes biceps soit le meilleur moyen de m'y remettre, mais au bout de quelques séries, je pense avoir ma réponse. Je suis épuisé, rouge écarlate et totalement découragé lorsqu'un colosse s'empare de la machine d'à côté pour enchaîner une succession de tractions sans le moindre signe de souffrance. J'abandonne donc cette activité pour une autre moins pénible.
Je suis parvenu à maintenir ma concentration pendant près de trois quarts d'heure de course sur un vélo elliptique. Je délaisse l'appareil et étire avec vigueur mes muscles endoloris, à tel point que je laisse échapper un gémissement de contentement. J'ai le sentiment d'avoir éliminé toutes les toxines accumulées depuis la dernière soirée.
En arrivant à la chambre, je constate que les trois autres sont debout, mais qu'aucun d'eux n'a cherché à savoir où j'étais parti. Je les rejoins sur la terrasse, où le soleil commence déjà à taper fort.
- Ben, t'étais où ? Me demande Joy.
Ils m'observent tous avec questionnement. Je lâche alors mon sac au sol et avance vers eux en bombant le torse pour les mettre sur la piste.
- Devine.
- Au Mcdo ? Réplique la blonde du tac au tac.
Harry explose de rire et j'ai l'impression qu'Ava se retient d'en faire de même. Quelle bande d'enfoirés. Ma chérie finit par se lever pour me réconforter. Lorsqu'elle s'approche et constate que je suis couvert de sueur, elle refrène son envie de m'enlacer, mais tente de sauver mon ego.
- Il faisait du sport ! Ça se voit, non ?
- Vous êtes les rois de la mauvaise foi, vous savez ?
Je ris à ma propre réplique en les voyant se liguer gentiment contre moi.
- Quoi qu'il en soit, on t'attendait pour déterminer le programme de la journée. Me dit Harry, une multitude de brochures face à lui.
- Rien de trop crevant. J'ai déjà assez donné ce matin.
Ils se lancent un regard complice.
- Pas de chance. Je crois que tu vas devoir t'habituer à tes courbatures. Ajoute-t-il.
Et il ne croyait pas si bien dire. Après avoir déjeuné et pris une douche, nous nous sommes rendus sur la plage pour notre première activité de la journée, à savoir le ski nautique. À tour de rôle, nous avons bravé les vagues, tractés par un Zodiac qui ne nous laissait aucun répit. Pris dans un tourbillon d'adrénaline, nous avons enchaîné avec un parcours en jet ski. Ava était la plus réfractaire de nous quatre, mais s'est finalement prise au jeu en se mettant devant moi pour mener la course. J'ai eu bien du mal à me maîtriser en la voyant entre mes jambes dans cette combinaison moulante en position très suggestive.
Le reste de la journée, nous avons rejoint une des plus belles plages de l'île pour profiter du soleil. Un ballet incessant de parachutistes a fini par me donner envie de tester cette activité que je n'ai jamais pris le temps de faire.
- C'est le fait d'avoir une bague au doigt qui te donne envie de braver tous les dangers ? Me demande Ava tandis que je tente de convaincre l'un d'eux de sauter le pas avec moi.
Peut-être bien. En réalité, je crois que je me sens vivant, tout simplement. J'ai envie de profiter de tous les instants, oublier que rien ne dure. C'est étrange, car j'aurais pu vivre ces instants des millions de fois auparavant, mais je n'en ai jamais profité aussi pleinement qu'aujourd'hui. J'ai la sensation d'être chanceux, comme si une aubaine impromptue venait soudainement de s'installer dans ma vie.
- Je te suis. Me dit Harry en levant la main pour valider ma requête.
Joy le foudroie des yeux.
- Hors de question ! Lui dit-elle. Je ne tiens pas à me retrouver célibataire à l'aube de mes vingt-sept ans !
- Ça ne craint rien.
Malgré les inquiétudes formulées par les filles de nous voir faire le grand saut sur un coup de tête, notre décision reste ferme. Nous réservons notre place et patientons sagement dans un immense hangar où sont entreposés les avions servant à cette activité potentiellement dangereuse et impressionnante. Les règles de sécurité très strictes sont néanmoins rassurantes, faisant de ce sport extrême un gage de sûreté.
Ava et Joy sont contraintes de nous laisser au moment où un employé nous rejoint pour nous faire enfiler nos tenues. Leurs craintes se transforment alors en encouragements, accentuant mon stress.
Lorsque nous arrivons à hauteur du petit avion qui va nous conduire à plus de trois mille mètres d'altitude, je me demande vraiment dans quoi nous nous sommes embarqués, mais ma fierté reprend rapidement le dessus. Impossible de faire machine arrière désormais et je pense que Harry se faisait la même réflexion avant de s'adresser à moi en parlant entre ses dents.
- On monte et on se jette, point. Me dit-il avec une certaine fébrilité. Il ne faut pas commencer à cogiter, sinon on est foutu et on va en entendre parler pendant des mois.
Je suis comme dans une semi-inconscience lorsque l'on me passe le parachute sur le dos et le casque sur la tête. Physiquement, je suis bien là, mais psychologiquement, je suis ailleurs. Un des moniteurs nous explique que nous allons sauter en tandem, chacun harnaché à l'un d'entre eux. Tout en resserrant les harnais que j'ai aux cuisses et aux épaules, il nous renseigne sur le saut que nous nous apprêtons à faire. Mon cœur bat comme un marteau piqueur en écoutant ses instructions. Je dois avouer que j'ai un peu les chocottes en pensant que dans quelques minutes, je vais plonger dans le vide au-dessus de l'océan Pacifique.
Les hélices de l'avion s'activent, marquant le point de départ de cette aventure. Nous sommes invités à y grimper sans attendre et il s'élève dans les airs quelques minutes après. C'est vraiment débile, mais c'est dans ce genre de moment où l'on se demande par quoi notre choix a été motivé. Je crois que dans mon cas, il n'y a pas vraiment de raison particulière. Juste une envie de repousser mes limites.
Le pilote fait signe à ses collègues que nous avons atteint la bonne altitude. La vue sur l'île est totalement démente.
- Ça va bientôt être à vous, messieurs.
Un frisson d'appréhension descend le long de ma colonne vertébrale et mes boyaux semblent se retourner dans mon bide. Je me fige totalement lorsque le type qui va se propulser avec moi dans les airs m'explique qu'il va falloir me tenir prêt.
Harry est le premier à s'avancer en direction de l'ouverture latérale de l'avion. Voulant masquer son anxiété, il se met à rire en se tournant vers moi. Je tente alors de lui mettre un énième coup de pression.
- Toi en premier ! Je regarde comment tu sautes et après, je te suis... Ou pas !
Je suis contraint d'élever la voix pour qu'il m'entende. Le vent qui s'engouffre dans l'appareil créé une atmosphère assourdissante.
- C'était ton idée, enfoiré ! Réplique-t-il en hurlant à son tour.
Mais pas le temps de réfléchir, son partenaire lui fait signe d'y aller et en moins d'une seconde, ils disparaissent de mon champ de vision. Je ravale ma salive. La lumière verte passe au rouge immédiatement après leur saut. Je reste attentif un instant, espérant l'entendre hurler, mais je ne discerne aucun son de la part de mon ami. Je ne le vois d'ailleurs plus du tout depuis l'avion. Suite à la requête du moniteur qui m'accompagne, mes pieds m'entraînent sans grande conviction jusqu'à l'ouverture et mes yeux fixent l'horizon, comme on nous a indiqué de le faire avant le vol. Mes pupilles s'ancrent à la lumière qui va lancer le top départ de mon saut. Lorsqu'elle passe au vert, je ne réfléchis pas et propulse mes jambes en avant.
Je ne cligne pas des yeux une seule seconde et admire le vide en dessous de moi. La chute vertigineuse est étrangement stable. Je pensais que j'aurais été davantage ballotté dans les airs. Ce qui est d'autant plus surprenant, c'est le silence absolu qui nous entoure. Le bruit de l'avion devient rapidement lointain et inaudible, si bien que j'ai le sentiment d'être assis sur le toit du monde en observant le sol à mes pieds. Tout paraît tellement infime, même la peur que j'ai ressentie en me lançant. Le mutisme du vent est comme une musique paisible qui conduit à l'euphorie lorsque je prends vraiment conscience de ce que je suis en train de faire. Je crois que cet instant est aussi jouissif que de conduire un projet à terme. On savoure avec un plaisir fou ce saut vers l'inconnu, ce moment de réussite. Comme lorsqu'une bonne nouvelle arrive. Lorsque l'on rencontre la bonne personne. Peu importe si ces réussites sont infimes ou immenses. Ce qui compte, c'est l'éclaircie qu'elles apportent et cet énorme sentiment de vivre pleinement, car c'est celui qui nous permettra de tenir dans les difficultés futures.
Le sol se rapproche et la réalité refait surface. Dans mon casque, mon coéquipier m'avertit de me préparer à l'atterrissage. Je regarde l'altimètre à son poignet et me souviens qu'il doit l'activer à 1200 mètres du sol. Les chiffres défilent. Nous nous en rapprochons, et soudainement, le parachute s'ouvre. La pression du harnais me coupe le souffle et j'ai l'impression d'être happé par le ciel. Le reste de notre chute libre est ensuite beaucoup plus calme. J'aperçois notre point de chute lorsque les voiles nous dirigent en direction de la longue plage de Manini'owali où nous attendent Ava et Joy. Harry vient de toucher le sol et je distingue immédiatement la blonde se jeter sur lui. J'imagine que la même récompense m'attend lorsque j'aurai terminé ma descente.
Nous atterrissons en douceur quelques secondes plus tard. Mes jambes me paraissent encore flotter lorsque le sable se fait sentir sous nos pieds, si bien que je ne tente pas de les maintenir tendues. Mon coéquipier est alors contraint de faire cet effort pour nous deux. Une fois fermement posé au sol, je m'excuse auprès de lui d'avoir manqué de nous faire atterrir convenablement, mais il sourit et me tape dans le dos après avoir défait nos armatures.
Ava ne perd pas une seconde pour me rejoindre. Elle semble toute retournée, mais ravie à la fois. Je retire mon casque pour l'embrasser. Son regard pétille encore plus en découvrant mes cheveux totalement hérissés en dessous.
- Alors, comment c'était ? Me demande-t-elle en riant de ma tentative pour me refaire une coiffure express.
- Indescriptible ! Je crois qu'il faut vraiment le faire pour savoir.
- Hem... Non merci !
Harry et Joy nous rejoignent. Mon pote semble être dans le même état d'exaltation que moi et m'offre une accolade pour avoir eu le cran de le faire. Nous laissons de nouveau Ava et Joy le temps de rendre le matériel tout en échangeant nos impressions. Mes jambes mettent un certain temps à retrouver leur rigidité.
Le soleil commence à faiblir lorsque nous regagnons la plage. Cette première journée à Hawaï m'a totalement épuisé. Je mets un certain temps à localiser ma douce qui n'est plus en compagnie de Joy. Ava marche en bordure de mer, ses chaussures à la main. Les cheveux au vent, les pieds bercés par les vagues, dans sa robe colorée, elle ressemble à une déesse, à la fois sexy, impressionnante et inaccessible. Je reste un long moment la regarder, hypnotisé. Tout ce que je veux, c'est être digne d'elle et la rendre heureuse. Qu'elle se sente en sécurité dans mes bras. Et c'est cette pensée qui me met soudainement en mouvement pour aller la retrouver. Arrivé à son niveau, j'attrape sa main et l'attire vers moi.
À l'heure des bilans, je réalise que j'ai envie de faire encore plus de projets. Des projets d'avenir pour moi, mais pas seulement. J'en envisage des tas avec elle. Je suis devenu suffisamment mûr pour ne plus penser qu'à moi. Ava a fait de moi un autre homme. Moins anxieux, moins nerveux, réconcilié avec lui-même. À chaque instant où mon regard croise le sien, mon être tout entier me martèle à quel point j'aime cette femme. Elle est mon équilibre qui me fait me lever le matin, qui me donne envie de travailler chaque jour avec enthousiasme et entrevoir l'avenir avec toutes ses promesses.
J'aime m'endormir le soir à ses côtés, rassuré de savoir qu'elle sera là à mon réveil, toujours aussi belle, douce et désirable. Je ne suis pourtant pas aussi romantique qu'on ne le pense. Ce sont les chansons que je chante qui le sont. Pas moi. Je laisse le soin à d'autres de savoir extérioriser ce genre de sentiments de vive voix. J'ai du mal à exprimer ce que je ressens et je me contente de vivre au présent en prenant ce qui est bon à prendre, sans jamais me mettre la pression.
Je sais que notre quotidien comme il est actuellement nous rend déjà heureux et je ne me suis jamais demandé si le fait de l'épouser pouvait décupler ce sentiment. Qu'est-ce qu'une union peut apporter de plus après tout ? Mais je crois que désormais, je souhaite davantage que ce qui nous guide au jour le jour. Ava doit savoir qu'elle est unique. Que je l'ai choisie elle et aucune autre.
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Envie de vous replonger dans ce chapitre en images ?
https://youtu.be/LybeWST4qsg
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