Chapitre 43
♫ « All I Want » - Kodaline ♫
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Ava
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Il existe des attentes qui changent le déroulement d'une vie. Ce genre d'attentes bénéfiques qui découlent de mois d'inertie afin de dévoiler des chemins meilleurs. Des temps de pauses qui vous permettent de faire le point, vous recentrent sur ce qui vous tient à cœur, ce pour quoi vous vous levez chaque matin.
En ce qui me concerne, ce temps qui avait pour objectif de me faire avancer dans la bonne direction commence en réalité à peser sur mes envies. Plus je me rends au boulot prémunie de mon éternel masque de bonne humeur, plus je prends conscience qu'il n'y a rien qui me fera évoluer au sein de cette entreprise où je m'enlise un peu plus chaque jour qui passe. Au bout d'un an entre ces murs, je suis forcée de constater que rien n'a vraiment changé. Les rêves que j'avais en arrivant se sont évanouis dans la nature, ou plutôt, ont été sévèrement piétinés par le patron le plus avide qu'il m'ait été donné de connaître.
Avec le temps qui défile, j'ai l'impression d'étouffer. J'ignore où je vais et ce qui est sûr, c'est que je chute un peu plus vers une lente passivité. La seule chose qui me fait tenir est l'envie de continuer à voir mon équipe se révéler, mais je suis fatiguée de courir sans cesse après mon désir d'épanouissement professionnel qui est désormais de l'histoire ancienne.
Le tintement suraigu de l'ascenseur me tire de mes pensées avec un léger sursaut. Je m'engouffre dans le couloir sombre du troisième étage avec une démotivation plus qu'évidente, mais je n'ai pas le temps de m'apitoyer sur mon sort qu'Andy surgit au loin et me rejoint au pas de course.
- Je peux te voir dans mon bureau ? Me demande-t-il à bout de souffle en minimisant sa voix pour ne pas alerter nos collègues.
- Bien sûr. Je reviens tout juste d'un rendez-vous client, j'ai deux, trois choses à régler. Accorde-moi cinq minutes.
- C'est plutôt urgent. Ajoute-t-il en me fixant avec insistance.
J'affiche à mon tour un air grave et le suis sans hésiter. Andy referme la porte derrière nous et se poste face à moi, en appui contre son bureau. Ses bras croisés et son hésitation à se lancer ne me disent rien qui vaille.
- Magnus te manipule depuis le début. Lance-t-il de but en blanc.
Sa déclaration fait l'effet d'une bombe.
- Qu'entends-tu par là ?
- Je ne croyais pas aux bruits de couloir te concernant disant qu'il t'a embauchée par pur intérêt pour l'entreprise, jusqu'à aujourd'hui.
Il se redresse et marche à travers la pièce.
- Je l'ai surpris en pleine discussion avec un de ses collaborateurs, et par respect pour toi, je ne répéterai pas les termes qu'il a employés pour te qualifier.
Il souffle, preuve que ce qu'il est en train de me confier lui pèse.
- Il a organisé un nouveau coup de folie pour faire parler de la boîte, et tu es son bouc émissaire.
- Un nouveau coup de folie ?
Andy remarque mon état de panique et pose une main sur mon épaule dans les secondes qui suivent.
- Il va faire venir des journalistes dans l'après-midi et te mettre en scène.
- Quoi ?
Mon esprit tourne en surrégime. Je secoue la tête et fixe désormais le sol. Andy poursuit tout de même ses explications.
- Les paparazzis devant chez toi il a quelques mois, c'était organisé par lui.
Le fait qu'il évoque cette histoire que j'ai laissée volontairement s'essouffler me ramène à cette période que j'avais occultée. Pendant trois mois, Louis m'a rabâché l'esprit pour que je sorte les vers du nez à Magnus et j'ai délibérément ignoré ses conseils. Ses mots me reviennent subitement en tête. « Ça a été ta journée ? T'as parlé à ton boss ? », « Quand est-ce que tu comptes parler à ton patron ? », « Il serait peut-être temps que tu parles à cette enflure. ».
Assaillie par le poids des révélations, je m'approche du sofa et m'assieds lourdement. Mon collègue me rejoint.
- Franchement, si j'ai un conseil à te donner... Commence-t-il avec sincérité. Quitte cet endroit au plus vite.
Son avis est d'un tel soulagement. Je ne pensais pas qu'il accordait une telle importance à ce que mon image ne soit pas ternie.
Je redresse la tête.
- Tu mérites tellement mieux qu'une entreprise qui se sert de toi. Ajoute-t-il. Tu as le potentiel de faire quelque chose de bien plus ambitieux.
Ma détermination qui s'était affaiblie refait surface.
- Tu sais quoi ?
Je me lève en laissant mon dossier derrière moi.
- J'en ai plus qu'assez de fermer les yeux sur quelque chose dont j'ai conscience depuis bien longtemps.
Déterminée, je regagne le couloir avec comme unique objectif celui de faire savoir le fond de mes pensées à Magnus Djaba.
Je descends les deux étages qui nous séparent à pied et fonce en direction de son bureau. La porte de celui-ci est fermée et j'espère vraiment que le patron véreux s'y trouve.
Je toque et n'attends pas la permission pour m'immiscer à l'intérieur. Il relève la tête avec sévérité, mais en m'apercevant, son expression change radicalement.
- Ava ! S'exclame-t-il en se levant. Vous tombez à pique.
Il ne croit pas si bien dire. J'entre davantage pour manifester ma volonté d'avoir une entrevue informelle avec lui.
- Je ne vais pas y aller par quatre chemins.
Cet homme est tellement sûr de lui qu'il se met à ricaner malgré mon air grave. Je ne compte pas me démonter cette fois-ci.
- Je viens vous informer de ma démission immédiate.
- Pardon ? S'étouffe-t-il en me riant au nez. Vous êtes sérieuse ?
- Absolument. Je ne resterais pas une journée de plus entre ces murs. Vous allez devoir vous passer de moi.
Face à ma volonté, Magnus se dirige vers la porte et la referme.
- C'est une décision un peu précipitée, vous ne pensez pas ?
- Au contraire. Je pense avoir eu le temps d'y réfléchir amplement.
Les mains dans les poches de son costume, il arpente la pièce.
- Si je comprends bien, vous préférez vivre aux crochets de votre chanteur... Insinue-t-il avec mépris.
- Ma vie personnelle n'a rien à voir avec ce que je suis en train de vous dire.
À chaque discussion entre quatre yeux que j'ai pu avoir avec lui, il a toujours fait allusion à mon couple avec Louis.
- Ne soyez pas naïve. Rétorque-t-il. Pourquoi croyez-vous que j'ai choisi une jeune femme inexpérimentée pour un poste si haut placé ?
Une furieuse envie de lui cracher au visage me saisit.
- Votre façon de diriger cette entreprise est répugnante. Ce sont vos agissements qui la tirent vers le bas et vous ne vous en rendez même pas compte.
Il tente de jouer de sa hauteur pour m'intimider, mais ce stratagème n'a plus aucun effet sur moi.
- Depuis un an, je me donne corps et âme dans ce poste et je n'ai jamais eu un semblant de reconnaissance de votre part.
Il rit de nouveau, contourne son bureau et se rassied dans son fauteuil.
- Ce que vous faites de votre journée m'importe peu. Déclare-t-il en croisant les doigts sur son ventre en s'affalant en arrière avec un léger balancement. Les médias sont à vos pieds. Vous étiez une candidate de choix pour faire parler de nous et ça a fonctionné.
Cet enfoiré m'avoue clairement que je n'étais qu'un pion sur son échiquier. J'ouvre la bouche pour rétorquer, mais il ne m'offre pas la possibilité de répondre.
- Vous savez, dans ce métier, il faut savoir tirer parti de tout ce que l'on peut avoir sous la main.
Désabusée moi aussi, je me dirige vers la porte pour partir une bonne fois pour toutes. Au moment d'enclencher la poignée, je ne peux m'empêcher d'ajouter quelques mots.
- Si cette boîte a mauvaise réputation, vous en êtes l'unique responsable.
La porte à peine refermée, je l'entends bredouiller dans mon dos.
- Dîtes à Andy qu'il devra aligner les heures supplémentaires par votre faute...
D'un claquement sec et vigoureux, je romps tout contact avec cet être infâme que je ne souhaite plus jamais croiser de ma vie. En rouvrant les yeux, j'ai du mal à réaliser que je viens de me délivrer en l'espace de quelques minutes. Ce n'était pas si compliqué que cela finalement. Les personnes qui me croisent semblent s'interroger sur mon état, mais aucune d'elles ne s'arrête pour autant, preuve qu'ici, c'est vraiment chacun pour soi.
En regagnant le pôle, un sentiment de liberté m'envahit. Je me sens bien plus légère et dotée d'une assurance nouvelle, comme si ma confrontation avec Magnus m'avait ouvert les yeux. J'espère néanmoins que cette manie ne va pas me prendre chaque année à mon anniversaire.
Le studio de création est silencieux lorsque j'y pénètre. Chacun est plongé dans son travail, mais ça n'empêche qu'à chaque fois que j'arrive, une vingtaine de paires d'yeux me scrutent avec attention. Je me positionne au centre, de manière à ce que ma voix porte suffisamment et attends que certains retirent leurs écouteurs pour prendre la parole en essayant de ne pas être trop solennelle.
- La nouvelle va certainement faire le tour des étages d'ici peu de temps, alors je tiens à vous informer avant tout le monde...
Je marque une pause pour reprendre ma respiration.
- Je quitte mon poste chez Saatchi&Saatchi dès aujourd'hui.
Une stupéfaction générale perce le silence.
- Et sachez que vous serez bien les seuls à me manquer une fois que j'aurais passé la porte.
Je déglutis péniblement. Ne pleure pas, Ava. Ne pleure pas.
- Je vous remercie de m'avoir acceptée et de toujours avoir été réceptifs aux changements que j'ai instaurés ici.
Un sondant les regards qui m'entourent, je croise celui de Matt, dont les yeux commencent à briller. Prise de court par cet afflux d'émotions si soudain, je tente de garder la tête haute.
- N'oubliez jamais que vous faites un travail formidable.
Certains portent une main à leurs cœurs en m'écoutant, touchés par mon annonce et ce qu'elle risque d'engendrer. Derrière moi, la silhouette d'Andy apparaît.
- Mais pas de panique, les gars. Leur dit-il avec une douce ironie en approchant. Nous sommes sauvés, je suis toujours là.
Un éclat de rire général apaise les esprits. Émue, je ressens le besoin de m'exiler quelques instants pour souffler et me retire dans mon bureau pour le débarrasser de mes effets personnels. Ce qui est sûr, c'est que tout tiendra dans un minuscule carton. Je ne me suis jamais approprié les lieux. C'était probablement un signe.
Andy toque à la porte après m'avoir accordé un répit nécessaire.
- Tu as pris la bonne décision. N'en doute jamais.
Il s'avance vers moi et me frotte le dos en guise de réconfort. Je me retourne et lui souris.
- Je suis navrée de te laisser une telle charge de travail sur les épaules.
- Une ou deux heures de plus chaque jour... Ma femme ne devrait pas m'en tenir rigueur.
J'ai le sentiment que son couple bat un peu de l'aile depuis quelque temps et qu'il se complaît dans cette exigence de travailler tard. Il semble même prendre ça avec légèreté.
- Je suis persuadé que dans peu de temps tu seras à la tête de ta propre boîte. Tu as l'étoffe d'une dirigeante, Ava.
Recevoir ce genre de déclaration venant de quelqu'un qui a autant d'influence que lui dans le métier est très flatteur, mais dans l'immédiat, je ne souhaite pas me projeter dans une voie si ambitieuse. Tout ce dont j'ai envie à l'instant présent, c'est d'aller annoncer ma décision à l'homme de ma vie.
Je termine mon carton et le soulève en inspirant profondément.
- Si je m'éternise, je vais finir par craquer.
Andy s'écarte de la porte pour me laisser franchir le seuil de ce bureau impersonnel qui ne me manquera pas. En passant dans le couloir, je me retourne une dernière fois vers l'équipe. Celle-ci, au grand complet, s'est mise debout et regarde en ma direction. Un premier écho d'applaudissements résonne dans la pièce suivi d'une flopée d'autres. Leurs acclamations ont raison de mon émoi. Pitié, ne faites pas ça. Ce son accompagne mes pas jusqu'à l'ascenseur à l'intérieur duquel je leur adresse un dernier au revoir.
Ce n'est qu'une fois camouflée dans ma voiture que les larmes coulent, non pas parce que je suis triste, mais parce que je suis soulagée d'avoir eu le cran de partir. Je sais d'avance que les semaines à venir vont me servir à faire le point, me recentrer sur ce qui est important pour moi. Je viens à peine d'emménager dans ma maison et j'aspire à pouvoir en profiter. Sans parler du fait que j'ai l'impression de ne pas passer suffisamment de temps avec Louis, dont l'emploi du temps plus que chargé l'empêche lui aussi de se recentrer sur l'essentiel. Et Joy. J'ai le sentiment de l'avoir négligée depuis sa rupture. Un nouvel avenir s'ouvre devant moi, avec toute son incertitude et je n'ai jamais été si emballée de découvrir ce qu'il recèle.
En arrivant, je suis ravie de constater que la voiture de Louis est garée devant chez nous. Après avoir parcouru la pièce de vie sans le trouver, je m'empresse de monter les marches jusqu'à l'étage. À la vue du survêtement délaissé sur notre lit, j'en conclus qu'il vient probablement de terminer une séance de sport. Le jet de la douche ne tarde pas à résonner dans l'autre pièce. Je sais qu'il laisse toujours couler l'eau chaude quelques instants avant d'y entrer. Parfait. Je vais pouvoir l'y rejoindre.
Je me débarrasse rapidement de la totalité de mes vêtements et progresse vers la salle de bains. Face au miroir, mon amour se retourne vivement et m'examine d'un air étonné. Entièrement nu lui aussi, il ne s'attendait probablement pas à me voir rentrer si tôt. Un sourire béat se greffe à mon visage.
- J'ai une grande nouvelle à t'annoncer.
Je m'avance d'un pas déterminé et l'embrasse tendrement.
- Mais d'abord...
Je caresse ses muscles du regard et ne me gêne pas pour contempler ouvertement l'intégralité de son corps. Je me dirige en direction de la douche et attends qu'il m'y retrouve.
- Trésor, continue de me regarder ainsi et il ne faudra pas venir te plaindre si tu es fatiguée pour aller travailler demain... Me dit-il d'un timbre de voix exquis.
Je secoue brièvement la tête tandis qu'il approche.
- Aucune crainte.
Louis entre, tandis que je me glisse sous l'eau chaude. Il écarte les mèches qui me couvrent les épaules et dépose un baiser dans mon cou. Un frisson me parcourt toute entière. Il semble déjà plus qu'excité à la vue de mes seins qui pointent malgré la chaleur ambiante. Ses petits pamplemousses, comme il les appelle. L'eau a à peine atteint ses cheveux qu'il recule vivement jusqu'au mur, en plaquant la paume de sa main contre son oreille droite. Un premier gémissement, puis un second accompagnent les crispations significatives de son visage.
- Louis... Tu... Ça ne va pas ?
Il ne répond rien et ferme les yeux. La résonance de ma voix dans la cabine de douche doit lui demander un effort considérable. Ses paupières se plissent de plus en plus. Je m'approche et pose délicatement une main contre son torse. Sa respiration est bloquée et la mienne se fige à son tour. Je tente d'analyser ce qui a bien pu se produire et décide de couper le jet d'eau à l'origine de cette soudaine douleur.
Mon regard se détourne de lui une brève seconde pour effectuer cette manœuvre lorsqu'un cri foudroyant lui échappe.
- Louis !
Ce son abominable a eu raison de sa résistance. Il se laisse tomber au sol, hermétique à tout ce qui l'entoure tellement son malaise est puissant. Je le retiens pour qu'il ne s'effondre pas trop brusquement et tente de garder mon sang-froid malgré la panique qui me saisit.
- Regarde-moi, mon amour ! Regarde-moi !
Les secondes s'apparentent à des heures. Louis semble perdre connaissance. Je le sers contre moi, impuissante et démunie en percevant que ses forces l'abandonnent. Un autre cri, aussi brutal que le premier, surgit de sa gorge. Son corps se raidit brusquement comme s'il avait reçu une décharge avant de s'avachir totalement dans mes bras.
- Non, non, non ! Reste avec moi !
Mes prières sont vaines. Je me retrouve immobile et tremblante sous son poids, tiraillée par l'envie de ne pas le quitter et d'appeler au plus vite les secours. Mes larmes coulent sur son visage inerte. Je me mets à hurler à mon tour, terrorisée à l'idée de ne plus jamais revoir ses yeux.
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