Chapitre 41
♫ « Berlin » - RY X ♫
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Harry
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Le courant d'air me frappe de plein fouet lorsque la porte se referme violemment devant moi. J'appose quelques secondes mon front contre le bois froid, inspire un grand coup et actionne la poignée pour pénétrer dans l'appartement où je ne suis plus le bienvenu. J'ai conscience de braver l'interdit, mais l'état de Joy me préoccupe bien trop pour faire demi-tour.
Elle a déjà traversé la pièce au moment où je passe le seuil. D'un bond, elle se retourne vers moi, visiblement surprise que j'ai osé franchir cette limite.
- Va-t'en. M'implore-t-elle d'une voix faible en maintenant ses distances.
Je ne tiens pas compte de cet ordre et referme la porte derrière moi. Des vapeurs d'alcool flottent dans l'air, validant ma théorie sur son ébriété que j'ai décelé dès l'instant où je l'ai vue marcher dans la rue. Pâle comme si elle avait évité la lumière du jour depuis des semaines, elle ne m'a pourtant jamais parue si belle. Mes yeux impriment chaque détail de son allure avec ses cheveux teints d'un noir qui lui va parfaitement. Seules les larmes qui coulent le long de ses joues ternissent le tableau, sauf que cette fois-ci, celui qui l'a mise dans cet état vient de filer sous mes yeux. Si j'avais su, je n'aurais pas hésité un instant à lui mettre la main dessus.
- Je m'en vais uniquement si tu me dis ce que ce type t'a fait.
Joy se fige, puis se met à rire vivement en levant les yeux au plafond. Elle secoue ensuite la tête pour souligner le côté pathétique de cette situation. J'avance d'un pas en sa direction et réitère ma demande.
- Est-ce qu'il t'a fait du mal ?
- Du mal ? Répète-t-elle en changeant totalement d'attitude.
Ava m'avait dit qu'elle surmontait fièrement notre rupture, mais je la connais trop pour ignorer qu'elle va tout sauf bien. Ce soudain changement de look en est la preuve flagrante. Usant d'une démarche lente, elle se dirige vers moi et couvre ses émotions d'un dédain que je n'avais pas pressenti.
- Si tu savais ce qu'il m'a fait... Dit-t-elle d'une voix suave, suivi d'un gloussement déconcertant.
Je déglutis péniblement, conscient que je dois absolument rester de marbre pour qu'elle cesse son stratagème, mais un frisson me parcourt tout entier. Je sais ce qu'elle essaie de faire et tente de conserver une expression impénétrable, alors que cette simple attitude qu'elle adopte me perturbe plus que de mesure.
- On s'est envoyé en l'air et j'ai pris mon pied comme jamais !
Joy me regarde d'un air de défi et attend que je réplique. Je ne crois pas un seul mot de cette manœuvre dont le but est clairement de susciter ma jalousie.
- C'est faux.
Ravie que je riposte enfin, son regard s'assombrit davantage.
- Il m'a baisée, ici, sur le canapé. Continue-t-elle, m'infligeant ce qu'elle considère être une correction.
Plus elle progresse vers moi, plus ma ténacité se dérobe. Elle semble si sûre d'elle, si inflexible, que ses mots m'atteignent malgré l'effort dont je fais preuve pour ne pas succomber.
Elle est désormais presque face à moi. Ses yeux bleus meurtris sont terrifiants de franchise.
- Il n'a rien à t'envier, tu sais. C'est plutôt le contraire d'ailleurs.
Elle déambule dans son salon et m'assigne tous les coups qui lui sont permis.
- Lui au moins, il sait bander. Affirme-t-elle d'un ton implacable.
Chaque reproche est une nouvelle pointe lancinante dans ma poitrine, parce qu'ils sont également une vérité que je refuse d'affronter.
- Tu mens. Je ne te crois pas.
- On a déjà décidé de remettre ça demain. Enchaîne-t-elle sans ménagement.
- Arrête.
Je baisse la tête, vaincu, incapable de me révolter face à ses mots. Si son but est de me faire ressentir la douleur qu'elle a endurée par ma faute, je dois dire qu'elle s'y prend comme il faut.
- J'aime sa façon de faire l'amour... J'ai encore son haleine sur ma langue.
- Je t'en supplie. Arrête.
Si elle continue, je vais avoir tout le mal du monde pour ne pas retrouver ce type et lui exploser toutes les dents. Joy ne réitère pas de nouvelle tentative de pression. Je pense qu'elle a saisi que mon seuil de tolérance est arrivé à sa limite.
- Si prendre du plaisir avec le premier venu est ta façon de me faire payer, alors dis-toi que c'est réussi.
- Détrompe-toi. Finn n'est pas le premier venu. D'ailleurs, si j'avais su plus tôt que tu te fichais de moi, je n'aurais pas hésité une seule seconde à succomber à ses avances.
Quoi ? De quoi parle-t-elle ? Finn. Ce prénom me dit quelque chose.
- Depuis quand te tourne-t-il autour ?
- Si tu savais... Souffle-t-elle. Mais lui au moins, il fait partie de ceux qui savent retenir leurs pulsions.
Mes idées se remettent en place. Je me souviens alors d'un message étrange qu'elle lui avait destiné, mais qui m'était malencontreusement parvenu.
- C'est donc lui ce collègue avec qui tu échangeais des textos après notre retour ?
- Bingo. Tu vois quand tu veux, tu n'es pas si bête.
Joy plaque de nouveau un faux sourire sur son visage. À ce point de tension extrême, j'émets un signe de demande de trêve, presque imperceptible, mais elle le remarque. Son regard jusque-là appuyé retrouve une certaine douceur et renverse crescendo ma douleur. Elle tente de me faire croire qu'elle a prémédité son coup depuis longtemps, alors que je sais très bien qu'elle cherche uniquement à me blesser. Qu'espère-t-elle ? Pourquoi me balancer tout cela maintenant ? La voir l'embrasser à deux reprises sous mes yeux m'a suffi à comprendre qu'elle sonde la résistance de mon amour.
- Que ce soit Finn ou un autre, il faut que tu te mettes dans la tête que ça ne change absolument rien à la situation. Dit-elle posément. Nous deux, c'est fini.
Un nouveau frisson se propulse dans ma colonne vertébrale en intégrant ces derniers mots. Ces mots que je me suis interdit de croire durant trois semaines.
- Je suis libre de faire ce que je veux désormais.
- Pourquoi m'as-tu demandé de venir ?
- Ça fait mal, hein ? Enchaîne-t-elle en guise de réponse.
Avec les répliques qui s'enchaînent, j'ai à peine remarqué sa progression. Elle est si proche de moi désormais que j'en perds mes mots. Joy sait parfaitement que je souffre de cette scène qu'elle m'a imposée tout à l'heure, même si j'ai conscience de lui avoir infligé cent fois pire.
En recevant son message ce matin, j'avoue que je m'étais mis en tête un tout autre scénario. Depuis presque un mois, je suis resté reclus à Hampstead, à ne voir presque personne, en me raccrochant à mon téléphone, à mes souvenirs, en espérant qu'elle me recontacte. Discuter de la situation avec elle devient plus que vital.
- Écoute, j'ai besoin que tu entendes certaines choses, même si je suis impardonnable de les avoir commises.
- Je ne veux pas les entendre.
J'ignore si j'aurais encore l'occasion de le faire, alors je ne tiens pas compte de son avertissement. Il faut que je lui dise ce qui me pèse. J'ai conscience de remuer le couteau dans la plaie, mais c'est vraiment nécessaire pour m'expliquer.
- Mes sentiments pour toi n'ont jamais faibli, au contraire. Ils n'ont fait que s'accroître et j'ai été pris de court. Je n'ai jamais ressenti quelque chose d'aussi fort pour quelqu'un avant et j'ai totalement paniqué. Quand nous sommes revenus de voyage, j'ai réalisé que j'avais accompli ma tâche. Tu avais remonté la pente et tu n'avais plus vraiment besoin de moi.
Joy inspire profondément, mais m'écoute néanmoins avec attention.
- J'ai grandi en pensant avoir un certain contrôle sur mes sentiments, en me disant que l'opinion que les autres ont de moi est forcément le reflet de ce que je suis vraiment. Inconsciemment, je suis rentré dans ce jeu de rôle qui a fait de moi un homme qui prend du plaisir à séduire, jusqu'à me retrouver piégé dans une réalité que je ne maîtrise pas. Quand Sasha est arrivée, elle faisait face à des problèmes personnels que je ne suis parvenu à ignorer. Je me suis octroyé le droit de l'aider elle aussi. C'était maladroit. C'était déplacé, mais je n'ai pas vu venir ce qu'il s'est passé. Je te l'assure. J'ai fait tout cela pour de mauvaises raisons et je t'affirme que je n'ai jamais voulu te nuire un seul instant.
Le fait de prononcer le prénom de celle qui nous a détruits provoque chez Joy un frisson d'aversion. Je n'aurais probablement pas dû aller si loin et pourtant, elle semble réclamer davantage de mon raisonnement.
- J'ai eu envie d'elle parce qu'elle représentait une échappatoire auquel j'ai eu souvent recours auparavant pour combler un besoin de me sentir utile. Je n'ai réalisé que trop tard qu'en agissant de la sorte, non seulement je m'éloignais de celui que je suis réellement, mais je te détruisais à petit feu.
Dévastée par mes mots, Joy secoue vivement la tête, mais je poursuis tout de même.
- J'accepte volontiers que tu m'en fasses baver. Je le mérite amplement. Mais je refuse d'admettre que notre histoire soit terminée.
- Pourtant elle l'est, Harry.
Sa voix s'éraille. Même si elle dit vrai, ses propos n'en restent pas moins difficiles à encaisser. Nos regards se croisent et se contemplent, un long et douloureux moment.
- J'ai tout fait foirer et je ne m'en excuserai jamais assez, mais s'il te plaît, ne me raie pas de ta vie.
Je n'entends presque pas ma voix. Je crois que je gémis. Je crois. Je pense que si je bouge encore d'un pouce, tout va s'écrouler, s'effondrer. Il ne restera plus qu'un tas de poussières de nous. La poussière des souvenirs, passée au tamis de la vérité.
- Tu m'en demandes trop. Répond-t-elle immédiatement.
À cette distance, je discerne son odeur qui me manque à tel point que j'ai simplement envie d'effacer cet espace infime qui nous sépare, mais je ne peux pas. Je ne peux plus. Un simple effleurement de ma main sur la sienne semble l'électriser. Joy recule vivement et croise les bras. J'aimerais avoir le pouvoir de figer le temps et le remonter patiemment sans que personne ne souffre.
- Après tout ce qu'on a vécu...
- Justement, après tout ce qu'on a vécu... Répète-t-elle lentement.
J'avance d'un pas. Je fais tout mon possible pour ne pas lui montrer de faiblesse, alors que j'arrive au bout de ma résistance.
- S'il te plaît, Joy.
Elle hésite et quelque chose dans son regard me donne un minuscule espoir. Je suis en train d'abattre mes dernières cartes pour la convaincre. Je suis prêt à tout. À me mettre à genoux s'il le faut. L'idée m'a à peine effleuré l'esprit que je la mets à exécution. Elle détourne les yeux.
- Lève-toi, c'est ridicule. Me dit-elle.
Mon regard est braqué sur elle.
- Je t'en prie, dis-moi ce que je dois faire pour que tout rentre dans l'ordre.
Dans un élan de désespoir, mes bras encerclent sa taille. Joy se fige et décroise les siens. Je crains qu'elle ne me repousse, mais elle n'en a visiblement pas la force. Des larmes quittent la barrière de mes yeux et coulent abondamment sur son t-shirt.
- C'est trop tard. Murmure-t-elle en reniflant à son tour.
Ses mains se posent sur mes épaules et hésitent entre me dégager ou me retenir. Je suis relativement surpris de constater que ses gestes sont finalement plus doux que ses mots. Son ventre se met à trembler sous le poids du chagrin.
- Je ne peux pas vivre sans toi.
Je ne peux pas me faire à cette idée. Je ne suis plus rien. Plus personne.
- Il fallait y penser avant.
Je relève les yeux vers elle. Ma vision est totalement brouillée. Je crois bien ne m'être jamais mis dans un tel état.
- Je vais me racheter. Te faire oublier mes erreurs.
- C'est impossible. Chuchote-t-elle. Maintenant, tu es un étranger à mes yeux. Je ne te connais plus.
De nouveau, une douleur insupportable me prend aux tripes et mes spasmes s'intensifient. Ses doigts se perdent dans mes cheveux et les recoiffent dans un mouvement presque mécanique.
- Donne-moi une seconde chance.
Elle se détache de moi à l'entente de cette énième demande qui est visiblement de trop. Je ne parviens pas à défaire mon emprise.
- Une seconde chance pour m'humilier encore ? Renchérit-elle en me repoussant plus activement.
Je me remets péniblement à son niveau et tente de capter son attention, mais elle baisse aussitôt les yeux. Je relève son menton.
- Non. Une chance de t'aimer comme tu mérites que je t'aime.
Joy inspire profondément, tourne une nouvelle fois la tête au loin et essuie ses larmes qui coulent à flots.
- Tais-toi. Ne prononce pas des mots que tu ne penses pas.
Elle pivote et s'éloigne de moi. Je la rattrape par le poignet, l'incitant à me faire face.
- Joy, écoute-moi.
- Non.
- Je t'aime.
- Non !
Elle hurle et son cri me percute en plein cœur, mais je préfère m'attirer ses foudres amplement méritées, plutôt que de la voir triste. Ses yeux perçants sont rivés dans les miens. Ils ne me dissuadent pas pour autant de ne pas insister davantage.
- Je ne plaisante pas. Je t'aime tellement.
- Arrête ça tout de suite !
Son souffle se fait court, signe que sa colère reprend le dessus. Je tente de l'apaiser en plaçant mes mains de part en part de ses épaules.
- Que tu le veuilles ou non, c'est la vérité. Je t'aime comme un fou.
Elle se débat.
- Regarde-moi.
- Non.
- Je t'en prie, regarde-moi.
Elle relâche soudainement la pression et effectue un geste totalement inattendu. Sa tête se pose contre mon torse. Elle ne fait plus aucun mouvement et se laisse tomber dans mes bras.
- Si je te regarde, je vais craquer, encore une fois. M'avoue-t-elle. Et je ne veux pas craquer.
Malgré ses mots, les larmes jaillissent une nouvelle fois de ses yeux. Je l'encercle en sentant qu'elle accepte enfin mon contact. D'ailleurs, ses bras ne tardent pas à faire le tour de ma taille pour me serrer. Me serrer très fort.
Le silence pesant qui nous entoure plane un long moment. Aucun de nous ne faiblit et cette étreinte est l'instant le plus incroyable de notre échange. Elle s'étend sur de longues minutes, confirmant encore plus que je suis dingue de cette femme.
- Toute ma vie... Commence-t-elle d'une voix hésitante.
Ses yeux sont inondés de tristesse, mais elle semble déterminée à me confier quelque chose à son tour.
- ... j'ai fait en sorte de ne pas me laisser envahir par les sentiments. Dès que je commençais à baisser ma garde, le revers de la médaille me revenait en pleine tronche. L'amour était synonyme de chaos. Jusqu'à ce que je te rencontre... J'ai eu l'impression d'enfin devenir une véritable femme.
Le fait qu'elle emploie le passé me percute autant que ses confessions.
- D'après ce que tu dis, il ne s'agit ni plus ni moins d'un mode opératoire pour toi et j'ai le sentiment d'avoir été bernée sur toute la ligne. Tu as tout gâché et anéanti le peu de confiance en moi que j'avais réussi à acquérir.
Ses mots sonnent si juste qu'ils enfoncent davantage les clous que je me suis mis moi-même en plein cœur.
- Je suis désolé. Si tu savais comme je m'en veux d'avoir été si minable.
Joy part en sanglots nettement plus francs, preuve que mes piètres excuses lui sont enfin parvenues.
- Il faut que tu tires définitivement un trait sur notre relation. Soupire-t-elle à demi-mot. Je ne reviendrai pas.
Mon torse se soulève dans un effort de retrouver l'air qui lui fait défaut. À en juger par ses paroles, son corps plaqué fermement contre le mien ne réclame qu'à s'enfuir, alors qu'elle résiste et maintient son appui.
Le message de mon amour pour elle tourne inlassablement dans ma bouche, comme une incantation censée conjurer le sort.
- Je t'aime, putain, je t'aime.
Je t'aime. Je t'aime. Je t'aime. J'ignore combien de fois je prononce ces trois mots, étouffés contre sa chevelure d'ébène.
Même si désormais notre amour se conjugue à l'imparfait, à l'incomplet, à l'impropre, j'ai pleinement conscience de l'aimer démesurément au point de ne pas lui imposer de revenir vers moi. Je respecterai sa volonté et m'effacerai le plus possible pour la débarrasser du fardeau que je suis devenu, mais une chose est sûre, je ne cesserai jamais de m'en vouloir d'avoir ruiné ma plus belle histoire, avec la seule personne qui a su me faire connaître l'amour.
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