Chapitre 40

♫ « Raise Hell » - Dorothy ♫


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Joy
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C'est la première fois que je tente une telle chose et j'espère que je ne suis pas en train de faire une énorme connerie. À voir la coloration dégorger dans le fond de ma baignoire, je me demande si je n'aurais pas mieux fait d'aller voir un vrai coiffeur. Si je me retrouve avec les cheveux verts, je ne pourrais m'en prendre qu'à moi-même. Heureusement, plus je les rince, plus je vois un joli brun apparaître.

Ma transformation risque d'en surprendre plus d'un, mais elle était nécessaire. Si la blondeur est un critère de sélection pour Harry, il fallait que je n'en fasse plus partie. Mon équilibre mental réclamait cette démarcation.

Je relève la tête après avoir enroulé ma tignasse débarrassée de mèches blondes dans une serviette. Face au miroir, les racines foncées que j'aperçois me prouvent déjà que je suis une autre femme. Après trois semaines de rupture, il était plus que temps.

Je m'empresse de les coiffer afin d'avoir un aperçu du rendu final. La présence d'Ava aurait clairement été un petit plus dans ce moment de transition. C'est sûr que ce n'est pas mon nouveau colocataire qui va s'extasier devant ma teinture de cheveux.

Je me scrute sous tous les angles en tournoyant la tête. J'ai le sentiment d'être différente, comme si cette projection de moi était enfin le reflet de quelqu'un qui n'éprouve plus la moindre souffrance. Ma nouvelle couleur est tout bonnement splendide. Éclatante. L'espace d'un instant, je me suis demandé si Harry aurait aimé me voir en brune, puis j'ai réalisé que je m'en fichais totalement. D'ailleurs, j'en ai plus qu'assez de tout ramener à lui.

Je saisis mon téléphone pour m'assurer que mon rencart ne me fasse pas faux bond.

Moi, 12:03 : « Ça tient toujours pour ce soir ? »

Je souris en expédiant mon message. J'associe très rarement le nom de famille à mes contacts dans mon répertoire, mais le sien était indispensable.

Finn Collins, 12:04 : « Bien sûr. À quelle heure veux-tu que je passe te chercher ? »

Moi, 12:04 : « On se retrouve directement à Soho. 20h, ça te va ? »

Finn Collins, 12:05 : « Tout me va. À tout à l'heure. »

Parfait. La soirée s'annonce bien. Hier au travail, nous nous sommes découvert une passion commune pour les tapas. L'invitation mutuelle qui a découlé de notre discussion tombait à pic, puisque j'envisageais depuis longtemps de le voir en dehors du boulot. Être célibataire facilite beaucoup plus ce genre de choses.

En sortant de la salle de bains, je me sens libre comme l'air, mais ne progresse pas davantage en découvrant qu'Owen n'a pas bougé depuis plus d'une heure.

- Tu n'es pas parti faire les courses ?

Mon colocataire pivote lentement la tête vers moi et écarquille les yeux.

- Depuis quand es-tu... Commence-t-il en cherchant ses mots.

Je l'aide à replacer ses pensées dans le bon ordre.

- Depuis quand suis-je si canon ?

- J'allais dire sexy, mais canon ça me va aussi.

Effet sur la gent masculine, validé. Je fais virevolter mes cheveux et suis rattrapée par une inquiétude concernant son programme.

- Tu m'avais bien dit que tu sortais ce soir, rassure-moi.

- Je passe le week-end à Croydon. Rétorque-t-il en passant une main sous son caleçon. Pourquoi cette soudaine inquiétude ?

- J'ai besoin de l'appartement.

- Ah bon ?

- Ce soir, il est fort possible que je baise.

J'accentue ma réplique par un jeu de sourcils.

- Oh oh... Je me trompe où tu remets le couvert avec Harry ?

Merde à la fin. Tout le monde me parle de lui, alors que l'innombrable liste de messages que je reçois chaque jour de sa part suffit amplement à me mettre en rogne. Je fais de mon mieux pour l'oublier en les ignorant.

- Tu te trompes.

Tout en traversant le séjour pour rejoindre ma chambre, je l'ordonne une nouvelle fois d'effectuer la seule tâche que je lui ai demandé.

- Tu n'oublieras pas de remplir le frigo, s'il te plaît. C'est ton tour cette semaine.

D'autant plus que mon compte en banque tire vraiment la tronche. Je suis fauchée et Monsieur bouffe comme un ogre. Mon premier salaire depuis ma reprise n'a clairement pas été suffisant pour renflouer mes dettes.

Je claque la porte pour marquer qu'il me gonfle un peu. Allongée sur mon lit, je souffle un bon coup. Dès que quelqu'un fait allusion à mon ex, je me mets dans tous mes états. D'ailleurs, pourquoi le qualifier de la sorte me paraît toujours aussi étrange ? Ma colère est palpable et mes doigts crispés sur mon téléphone en témoignent.

Moi, 12:12 : « Chez moi. 23h ce soir. »

On dirait une vieille habitude qui refait surface. La réponse qui me parvient une poignée de secondes plus tard ne me surprend guère et me donne l'impression qu'une lame acérée s'enfonce dans mon cœur.

Harry, 12:12 : « C'est noté. »

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- Non, tu plaisantes ? Elle était vraiment « à poil » ?

- Oui, je t'assure. Me répond Finn, presque aussi hilare que moi de replonger dans cette anecdote démente du boulot. Elle avait absolument tout retiré et elle m'attendait sagement sur la table d'examen, en sachant pertinemment que j'allais revenir.

Il termine sa bière après sa réplique.

- Je n'en reviens pas... C'est fou ! Et en même temps... je trouve ça logique.

Ma main rejoint sa cuisse.

- Tu es plutôt craquant dans ton genre.

Finn rougit légèrement suite à mon geste, puis soutient longuement mon regard. Ce soir, sous l'effet de l'alcool, je me sens séduisante et insouciante. Cela faisait longtemps que ça ne m'était pas arrivé. Je fais tout pour ne pas remarquer ses fossettes identiques à celles de Harry qui se creusent en même temps que son charmant sourire.

- J'espère au moins que tu avais pris son numéro.

- Elle avait l'âge d'être ma mère ! Répond-t-il offusqué par mon immoralité.

Je hausse les épaules et vide moi aussi ma quatrième pinte de la soirée. Je jette un coup d'œil à mon téléphone pour m'assurer que le temps ne me file pas entre les doigts. Il n'est pas encore vingt-deux heures.

L'envie de soulager ma vessie se fait de plus en plus pressente. Je décide d'abandonner Finn un instant et au moment de toucher le sol, un léger étourdissement me saisit. Il s'en rend compte et effleure mon bras, comme s'il se retenait de me toucher davantage.

- Tu m'excuses, je dois aller faire quelque chose que tu ne peux pas faire à ma place.

J'espère qu'il ne va pas penser que j'y vais pour la grosse commission.

- Je parlais de faire pipi !

Mon rencart se met à rire.

- J'avais compris. Me dit-il en ajustant les manches de sa chemise.

En lui tournant le dos pour me diriger vers les toilettes, je me surprends à me demander s'il me regarde toujours. Je suis persuadée que c'est le cas et accentue mon déhanché.

Une fois délestée de ce poids, je me contemple une nouvelle fois dans le miroir et en profite pour me refaire une beauté. Je suis définitivement fan de mon nouveau look. Je rajoute un peu de khôl sous mes yeux qui ressortent désormais de manière insensée et dompte mes cheveux entre mes doigts.

Lorsque je reviens, Finn est en train de réceptionner deux nouveaux verres. Il les a à peine posés sur le comptoir qu'il détourne les yeux dans ma direction. L'ambiance latine et festive qui règne à Señor Ceviche accompagne parfaitement ma confiance en moi. Je lui souris, tandis qu'il s'essuie les mains contre son jean en signe de nervosité. Je trouve ça absolument adorable.

- Mon cher Finn, ne serais-tu pas en train d'essayer de me saouler ?

- Vu ta démarche, je pense que c'est en bonne voie...

Il plaisante ? Je faisais un effort surhumain pour marcher droit. Mes yeux se plissent suite à sa pique et je porte volontiers ce cinquième breuvage à mes lèvres.

Les minutes qui suivent sont aussi agréables que les précédentes. Le volume de la musique monte crescendo tout comme nos voix et nos éclats de rire. Je suis ravie d'apprendre enfin à le connaître sous un autre angle et me rends compte qu'il a un humour à toute épreuve. Un peu comme Harry. Mais merde. À croire que même mon cerveau est dans le coup.

D'ailleurs, cette pensée me fait réaliser que j'ai un peu perdu le fil de notre échange. Finn est lancé dans une tirade dont j'ignore le sujet. J'enclenche furtivement l'écran de mon téléphone et lui coupe la parole.

- Est-ce que ça te dirait que l'on aille chez moi ?

Un peu décontenancé, Finn interrompt son explication et se frotte la tête.

- Hum... Si tu préfères, aucun souci.

- Je crois que j'en ai vraiment envie, oui.

Sa pomme d'Adam roule péniblement, comme s'il avait le plus grand mal à déglutir. D'un signe de main, il réclame l'addition au barman, tandis que j'engloutis les dernières gorgées de ma bière ambrée.

Nous rejoignons l'extérieur pour nous diriger vers le métro. Carnaby Street est aussi enflammée que nous en ce vendredi soir. Je me sens exaltée et fébrile à la fois. Finn est vraiment d'excellente compagnie et j'espère lui rendre la même sincérité.

Nous arrivons à Paddington dans un timing parfait. Dès la sortie du souterrain, je prends les devants et me rapproche significativement de lui tout en continuant à marcher. La réaction de Finn est tout simplement inattendue et créée en moi une certaine agitation. Son bras vient se poser autour de mes épaules, alors que jusqu'ici, il marchait les mains dans les poches. J'ai l'impression d'être de nouveau enveloppée d'un sentiment protecteur. Celui qui me fait défaut depuis trois semaines. Son parfum léger et frais embaume mes sens. Silencieuse, je suis émerveillée par le confort que j'éprouve dans ses bras.

Au tournant de ma rue, je réalise que le plan auquel je ne pensais pratiquement plus fonctionne finalement à merveille. Il est là, à l'intérieur de sa voiture qui surplombe celles qui sont garées devant lui et j'espère que malgré mon changement de look, il m'a reconnue. Je suis certaine que c'est le cas et sais que désormais il ne sortira pas de son Range Rover. Je me colle davantage à Finn et me mets à déployer mes cordes vocales en riant à une de ses blagues.

J'arrête notre progression au pied des grilles, sous un réverbère qui nous éclaire parfaitement, comme s'il avait été planté là juste pour nous mettre en scène. Surpris, Finn s'interroge.

- Je te sens étrange tout à coup... Souffle-t-il avec un petit sourire aguicheur tout en se rapprochant de moi.

Dans ma tête, je souhaitais surtout que mon ex nous voit bien, mais la tournure de ses actes me fait entrevoir une tout autre issue. D'un geste extrêmement doux, Finn écarte une mèche de mon visage pour la passer derrière mon oreille. Ses mains agiles enveloppent ensuite mes joues et ses yeux sont désormais rivés sur leur cible. J'ai à peine le temps de réaliser ce qu'il se passe que ses lèvres touchent délicatement les miennes. Finn m'offre un baiser des plus inattendus par son honnêteté. Je me surprends à vraiment aimer ce rapprochement et pas uniquement parce que nous sommes observés.

Lorsque nos bouches se quittent, son souffle qui s'éloigne me laisse tremblante. J'ai toujours les yeux clos, comme si je n'arrivais pas à atterrir.

- Désolé si je t'ai brusquée. Murmure-t-il en me sentant désarmée.

J'ouvre les paupières. Il est en train de jauger ma réaction.

- Non, pas du tout.

J'attrape vigoureusement sa main.

- Viens, on monte.

Nous grimpons les marches qui mènent à mon appartement, transportés par notre échange et par l'alcool. J'allume la lumière et m'assure que le rideau soit suffisamment ouvert pour que n'importe qui puisse nous voir d'en bas.

- Wouaw ! S'exclame mon prétendant. C'est vraiment sympa chez toi.

Sa réplique à peine prononcée, je ne lui accorde pas le temps de reprendre son souffle et l'entraîne avec moi dans un nouvel élan passionné, bien plus ardent que le précédent. Mon cœur bat à une vitesse folle. Je m'assure que nous soyons bien placés face à la fenêtre. Mes mains s'agrippent à ses cheveux courts, tandis que les siennes se plaquent dans mon dos. La fougue de notre baiser emporte sa raison et il s'autorise à descendre jusqu'à la naissance de mes reins. Avec fermeté, il s'empare de mes hanches et me soulève. Je n'en reviens pas qu'il se montre si entreprenant, comme si la frustration accumulée depuis plus d'un an faisait subitement surface. Mes jambes s'enroulent autour de sa taille. La chaleur qui émane de lui est saisissante et m'excite d'une certaine manière. D'ailleurs, il n'y a pas que moi qui suis excitée visiblement. La raison me rattrape violemment. Joy, redescends sur Terre. C'est injuste, je n'ai pas le droit de continuer à me servir de lui.

- Attends.

Confus, Finn interrompt ses gestes. Pour le rassurer, je dépose un baiser plus tendre au bord de ses lèvres. Ses mains m'abandonnent et je retrouve le sol. Je cherche par tous les moyens à mettre fin à cette scène et finis par avoir une idée. D'un geste de la main, je suggère que l'on avance jusqu'au canapé.

- Je te sers quelque chose à boire ?

- Oui, volontiers. Répond-t-il sans la moindre vexation.

Il se dirige vers le salon. Je lui tourne le dos afin de refermer le rideau.

- Installe-toi...

Ma voix se coupe instantanément lorsque mes yeux interceptent au loin ceux de celui que je cherche à blesser. Le regard fixé sur moi, Harry me dévisage, les bras croisés, appuyé contre la portière de sa voiture. Son air impénétrable me glace et mes mains n'osent plus entreprendre le moindre élan. La mâchoire serrée, il conserve intérieurement sa colère qui s'exprime par ses traits fermés, puis se détourne pour rentrer dans son véhicule. Ces quelques secondes suffisent à me tordre les boyaux et une boule se forme dans mon estomac.

D'un geste franc, je viens au bout de mon geste initial, en tentant de faire abstraction de la peine qui se propage dans tout mon être. Finn est en train de retirer sa veste et ne se doute en aucun cas du stratagème qui l'a mené jusqu'ici.

Je trace mon chemin jusqu'à la cuisine, malmenée par des pensées tiraillantes. Plus ma douleur gagne en intensité, plus je me sens faible et détestable.

J'ouvre mécaniquement le réfrigérateur et une fois camouflée par la porte, je m'effondre en larmes. En tentant d'atténuer mes sanglots, je frôle l'étouffement et finis par perdre tout contrôle. Dans les secondes qui suivent, Finn est derrière moi. Il referme le frigidaire à ma place et semble totalement démuni par ma réaction.

- J'ai fait quelque chose qui ne fallait pas ? Me demande-t-il, persuadé qu'il est à l'origine de mon état.

Écrasée par la honte, je secoue la tête.

- Non, c'est moi.

Je fonds dans ses bras. Il m'enserre de toutes ses forces tout en caressant mes cheveux. Devant tant de gentillesse, je me sens d'autant plus minable.

- Veux-tu que l'on parle de Harry ? Me demande-t-il sans pour autant relâcher son étreinte.

- Surtout pas !

Il souffle timidement contre ma tempe et semble esquisser un sourire.

- Le problème vient donc de lui... Conclut-il, tandis que je me dérobe lentement.

Désormais démasquée, je n'ai d'autre choix que de lui raconter la vérité. Alors, j'avoue tout, en pleurant sur mon égoïsme envers lui, lui décrivant ma ruse de l'avoir ramené chez moi alors que Harry était en bas. Des crampes d'estomac me saisissent tellement mon insensibilité me retourne le bide. Finn se décompose en découvrant mon petit jeu et ne dit plus un mot.

- Je suis vraiment, vraiment désolée.

Il dévie le regard et recule de quelques pas.

- Tu es un chic type, j'ai passé un excellent moment avec toi...

- Mais je ne suis pas lui. Me coupe-t-il, blessé.

Sa réplique me touche en plein cœur et mon silence face à elle le blesse d'autant plus.

- Finn...

Il commence à s'éloigner.

- Écoute, je n'avais pas prévu de te laisser seule ce soir et encore moins dans un tel état... Commence-t-il en marchant dos à moi pour récupérer sa veste. Il faut que tu réfléchisses à tout ça. Pose-toi les bonnes questions et...

Il me regarde de nouveau.

- ... et sache que l'infime espoir que tu m'as offert suffit à me faire entrevoir qu'il peut y avoir quelque chose entre nous.

Finn revient sur ses pas et dépose un baiser sur mon front.

- Bonne nuit, Joy.

Il regagne l'entrée sans se retourner, me laissant seule avec mon cœur qui bat la chamade et une succession de frissons dans tout le corps.

Je tente d'apaiser ma respiration qui me donne la nausée et grelotte de froid, alors que l'appartement paraît surchauffé. Une contraction de mon estomac m'offre un premier signe d'alerte pour progresser vers la salle de bains. Je sens l'écœurement monter par saccades au bord de mes lèvres et pose les mains sur mon ventre pour me calmer, mais l'effluve du tourment est plus fort.

D'un pas précipité, je m'élance jusqu'aux toilettes et me penche au-dessus de la cuvette en porcelaine. À la surface de l'eau, mon reflet dévasté par les pleurs ne fait qu'accentuer mon état nauséeux. Je suis aussi répugnante que lui. Le torrent qui quitte mon ventre dans les secondes qui suivent est aussi nauséabond que mes actes.

Je me relève, tire la chasse et fais couler l'eau du lavabo pour me rincer la bouche. Dans le miroir, la femme sûre d'elle de tout à l'heure n'a plus lieu d'être. Je plonge la tête dans mes mains jointes sous le jet d'eau et rafraîchis mon visage. J'ai à peine le temps de m'emparer d'une serviette que des coups sourds contre ma porte d'entrée retentissent.

Certaine qu'il s'agit de Finn, je m'empresse d'aller ouvrir pour tenter de me racheter de mes conneries. Prise d'un sursaut, mon cœur cesse de battre en découvrant la large stature qui me fait face. En réalisant que je suis en larmes, les yeux verts de Harry s'écarquillent et sa bouche s'entrouvre, mais je ne lui accorde pas le temps de répliquer. Ma porte se referme avec fracas juste sous son nez.

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