Chapitre 38
♫ « Wold Gone Mad » - Bastille ♫
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Louis
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- Quelle heure il est ? S'impatiente Niall en enlevant le casque d'enregistrement de ses oreilles.
- Dix-huit heures passées. Lui répond Liam, affalé sur la console de réglages, son portable sous le nez.
Je cesse les mouvements répétitifs de ma chaise pivotante et dévie mes yeux fixés au plafond depuis de longues minutes. Je me lève et décide de les libérer de cette session qui s'est avérée totalement inutile.
- On va en rester là pour aujourd'hui.
Mes amis capitulent et me saluent. Je ne saisis pas comment ce rendez-vous prévu depuis plusieurs jours a pu cafouiller à ce point.
Je gravis les marches menant au dernier étage pour rejoindre Ava qui s'octroie un moment de calme devant la télévision. Elle détourne les yeux et coupe le volume lorsque j'approche.
- Sasha ne viendra pas ? Me demande-t-elle en se redressant du canapé.
Je hausse les épaules.
- Aucune idée, mais si elle est en chemin, je lui dirai que c'est trop tard. Les autres rentrent chez eux.
Je me glisse près d'elle pour l'enlacer et un frisson la parcourt lorsque j'embrasse son cou. Un signal de message reçu retentit sur son téléphone. Je le saisis depuis la table basse et le lui tends. Ava s'assied en tailleur.
- Ah, enfin ! S'exclame-t-elle.
Je comprends sans avoir besoin de regarder qu'il s'agit certainement de nouvelles de Joy. Ma chérie semble lire le texto plusieurs fois. En un instant, son visage blêmit créant chez moi un nœud d'angoisse.
- Il s'est passé quelque chose... Dit-elle en pianotant frénétiquement quelques mots pour lui répondre. Il faut que j'aille la chercher.
Ava se lève en vitesse, ne réalisant probablement pas qu'elle me laisse dans l'incertitude. J'avance jusqu'à elle, tandis qu'elle recherche ses clés de voiture dans son sac.
- Attends ! Dis-moi ce qu'il se passe.
- Je n'en sais rien, mais Joy vient de quitter Harry.
Ses paroles se répercutent dans ma tête.
- Elle vient de quoi ?
- Ça paraît dingue, mais ce sont ses mots.
Elle me met le message reçu sous les yeux.
Joy, 18:07 : « J'ai rompu avec Harry. Peux-tu venir me chercher ? »
C'est totalement insensé. Comment ont-ils pu en arriver là alors qu'elle allait simplement le rejoindre ? Le « Où es-tu ? » qui succède à son message trouve rapidement une réponse.
Joy, 18:08 : « Je redescends Heath Street. »
Je prends l'initiative de répondre pour Ava.
Moi, 18:08 : « On arrive. »
J'ai mille questions qui se bousculent dans mon esprit, mais je tente de ne pas céder à la panique avant d'en savoir plus. Nous prenons rapidement la route.
Les minutes s'éternisent et pourtant, l'itinéraire indiqué sur le GPS est tout proche. Nous arrivons rapidement sur la longue avenue indiquée par Joy en tentant de la localiser.
- Elle est là ! S'écrie Ava en apercevant enfin notre amie au loin.
Plus nous approchons, plus je me mets à baliser en la voyant traîner des pieds de la sorte.
- Putain... Vite, arrête-toi là.
En pleine circulation, Ava bifurque et se gare à demi sur le trottoir à quelques mètres d'elle. Je sors rapidement de la voiture et accélère le pas jusqu'à Joy en réalisant que son état est vraiment inquiétant. Lorsque j'arrive à son niveau, elle lève furtivement vers moi ses yeux rougis par les pleurs. De grossières traînées noires soulignent ses joues. Elle me fend le cœur. Je lui tends une main qu'elle accepte immédiatement. Malgré la température relativement élevée, sa peau est glacée et elle tremble comme si son corps bataillait pour maintenir sa léthargie. Encore plus pâle que d'ordinaire, elle paraît morte de l'intérieur.
- Merde, mais qu'est-ce qu'il s'est passé ?!
Aucune réaction ne transparaît suite à ma question.
- Joy, bordel dis-moi ce qu'il t'a fait !
Je réalise que mon interrogatoire la brusque lorsqu'elle fronce davantage les sourcils. Impossible de lui faire prononcer le moindre mot. Elle ne bronche pas et ne cherche pas à retenir les larmes qui coulent sur son visage saccagé par le chagrin. Aussi dévasté qu'elle pour une raison qui m'échappe encore, je finis par l'attirer vers moi et la serre fermement dans un effort de protection. Son corps se relâche, elle s'agrippe à moi et pleure sans retenue.
Ava accourt vers nous et comprend en un rien de temps que ça ne sert à rien de chercher à la questionner maintenant. Je la garde blottie contre moi en progressant doucement jusqu'à la voiture. Joy prend place à l'arrière, figée telle une poupée de cire. Je saisis les clés dans la main d'Ava pour prendre le volant à sa place afin qu'elle reste attentive à elle.
- Paddington. M'indique calmement ma chérie en guise de direction à prendre.
En choisissant de la ramener chez elles, je sais que son but est de la sécuriser dans un environnement familier au sein duquel elle pourra se confier à nous. Durant le trajet, je ne cesse de lever les yeux dans le rétroviseur pour observer Joy, qui renifle inlassablement, mais qui ne nous a toujours rien dit. Au fil des minutes, mes mains se serrent de plus en plus sur le volant et je me mords inconsciemment l'intérieur de la joue. Qu'a-t-il bien pu faire pour qu'elle soit dans un tel état ?
Une fois arrivés, je laisse une marge d'avance à Ava afin qu'elle aille ouvrir l'appartement tandis que j'enveloppe Joy dans mes bras pour progresser jusqu'aux marches. Un furtif « merci » lui échappe lorsque nous franchissons la porte. Elle se dirige d'un pas lent jusqu'au canapé dans lequel elle se rassied. Ava et moi échangeons un regard déconcerté.
- Est-ce que tu veux boire quelque chose ? Demande-t-elle à notre amie.
Joy secoue simplement la tête. L'idée m'effleure que ma présence puisse la rendre mal à l'aise étant donné ma position d'ami proche de celui qui l'a mise dans cet état.
- Veux-tu que je m'en aille pour vous laisser discuter ?
Elle relève alors la tête pour me répondre.
- Non, reste. Je veux que tu entendes ce que j'ai à vous raconter et que tu me dises que tu ne savais rien de ce qu'il faisait.
Comment ça ce qu'il faisait ? La sentant enfin prête à nous confier ce qu'il s'est produit, nous nous approchons. Ava prend place près d'elle sur le canapé. Moi, je ne parviens pas à m'asseoir. Je suis bien trop sur les nerfs.
- Vas-y. L'encourage Ava en plaçant une main dans son dos. Raconte-nous tout.
Sur un ton soudainement détaché du moindre affect, Joy entreprend son récit en allant droit au but.
- Harry m'a trompée. Je l'ai retrouvé chez lui dans sa chambre. Avec Sasha.
Ses mots m'atteignent avec la précision d'un missile et pourtant, je ne parviens pas à les intégrer.
- Quoi ? Comment ça avec Sasha ?
- Il était nu près du lit alors qu'elle se planquait dans son dressing, nue elle aussi.
Stupéfaite, ma chérie porte une main à sa bouche pour atténuer son effroi. Je suis abasourdi, comme si je venais de recevoir un violent coup à la tête.
- Il la baisait tranquillement pendant que moi je m'inquiétais pour lui et sa famille. Ajoute-t-elle, avec la même froideur.
Immédiatement, la colère fait bouillir le sang dans mes veines. Je me mets à faire les cent pas en tentant de mettre mes pensées au clair, mais tout est embrouillé. Cent pas, c'est beaucoup d'allers-retours à travers la pièce, mais toujours insuffisants pour que je réussisse à comprendre. Je n'arrive tout simplement pas à y croire.
- Quel...
Je ne parviens même pas à trouver un mot suffisamment fort pour qualifier l'attitude de celui que je considère comme mon meilleur ami. J'inspire lourdement. Plusieurs fois.
- Seigneur... Souffle Ava. Je n'en reviens pas... Avec Sasha...
Leurs regards à toutes les deux sont désormais sur moi, comme si elles attendaient que je leur fournisse une explication.
- Je vous assure que je n'en savais rien. Jamais je n'aurais toléré ça.
Je lis dans le regard de Joy qu'elle me croit sur parole. L'enfoiré. Je n'en reviens pas.
- Le pire dans tout ça, c'est que ce n'est pas arrivé qu'une seule fois. Ajoute Joy. Ils s'envoient en l'air depuis votre semaine de pause au mois de juillet.
Les yeux d'Ava vacillent entre elle et moi.
- D'où le fait qu'il ne soit pas rentré. Suppose-t-elle, se souvenant probablement de notre échange à ce sujet.
Au moment de quitter Los Angeles, j'avais flairé quelque chose d'anormal. Si j'avais su, je l'aurais forcé à prendre cet avion de retour avec nous ce jour-là.
Par automatisme, je me dirige vers la cuisine, ramasse le premier ramequin qui me tombe sous la main et reviens le poser sur la table basse. Je m'assieds dans le fauteuil et brandis une clope. Trop besoin de m'en griller une. Le regard de ma chérie se tourne vers moi à l'entente de la molette qui active la flamme de mon briquet, mais je comprends immédiatement qu'elle ne me tiendra pas rigueur de fumer dans leur salon.
Les filles continuent d'émettre des suppositions entre elles, tandis que moi, je suis tout simplement rongé par l'incompréhension. Les premières bouffées de nicotine canalisent légèrement mon irritation, mais pas au point de me procurer un apaisement radical. Même assis, mes jambes ne trouvent pas le moindre repos.
L'air maussade de Joy revient au fil de la conversation.
- J'ai certainement dû mal m'y prendre... Marmonne-t-elle, comme si sa propre culpabilité faisait soudainement surface.
- Non, ne pense surtout pas une telle chose ! La console Ava en lui caressant les cheveux. Tu n'as rien fait de mal. De toute évidence, Harry a un sérieux problème avec les femmes.
Je m'affale un peu plus dans le fauteuil et ne peux retenir ma pensée.
- Un sérieux problème, ouais putain.
Je ne pourrais jamais me pardonner d'avoir été à ce point aveugle. Je n'ai rien vu. Je n'ai rien suspecté de leurs agissements alors qu'ils faisaient ça à l'insu de tout le monde pendant la tournée.
- Je ne sais plus quoi faire... Soupire Joy. Je n'ai plus aucune force.
- Va t'allonger. Lui conseille Ava.
Elle essuie ses larmes et se lève lentement pour appliquer ce conseil bienveillant.
- Et si jamais il venait jusqu'ici ? Renchérit-elle, affolée à l'idée d'être de nouveau confrontée à Harry.
Je secoue la tête et me redresse à mon tour.
- Il ne viendra pas. Il a trop conscience qu'on lui tombera dessus.
Je m'approche d'elle et lui frotte le dos.
- Essaie de dormir. On tentera d'y voir plus clair d'ici demain.
Les yeux de la blonde sondent mes pensées, comme si elle espérait se réveiller d'un insupportable cauchemar. J'ai le sentiment que l'on vient de blesser une de mes petites sœurs. C'est exactement pareil. Ava dépose un baiser sur son front, puis Joy rejoint sa chambre, vidée de toute dignité. Nous ne la quittons du regard qu'au moment où elle pousse la porte.
De nouveau seuls, ma chérie pivote vers moi et s'engouffre dans mes bras. Cette étreinte silencieuse vaut tous les mots que nous pourrions échanger. Mes bras s'emportent comme s'ils ne voulaient plus la quitter. C'est un moment très long. Très lent. Très calme. Je ne veux pas qu'elle s'imagine que nous sommes tous les mêmes.
Comme si elle venait une nouvelle fois de sonder mes pensées, Ava me chuchote des mots rassurants au creux du cou.
- Je sais que tu n'es pas comme lui.
Elle désunit nos bras et rejoins le canapé afin que nous discutions ensemble.
- Qu'est-ce qu'on va faire ? Me demande-t-elle au bord des larmes.
Sa peine menace de flancher maintenant que Joy est dans l'autre pièce.
- Qu'est-ce qu'on va faire ? C'est simple. Je vais aller lui expliquer la vie.
- J'espère qu'il en bave autant qu'elle, si ce n'est plus. Ajoute-t-elle d'un air grave en croisant les bras.
- Tu n'as pas relevé ce que je viens de dire ?
- Je parle sérieusement, mon cœur.
Moi aussi. Je suis on ne peut plus sérieux. Cependant, elle a raison. Il va falloir que l'on réfléchisse, car nous sommes dans une position clairement bancale. Notre couple d'amis le plus proche est désormais déchiré et j'ai le sentiment qu'une partie de nous vient de s'évanouir avec leur rupture.
- Tu te rends compte que je quitte cet appartement dans sept jours et que je l'abandonne ici toute seule ?
Une pensée me traverse l'esprit.
- Ce qui est fou c'est qu'il nous fait tous ressentir une certaine culpabilité alors qu'il est le seul fautif dans l'affaire.
Le temps s'éternise tandis que je la garde blottie contre moi. Le son intarissable des aiguilles de l'horloge résonne autour de nous, en totale synchronisation avec les battements de son cœur. Il est à peine vingt heures et j'ai le sentiment que cela fait déjà plusieurs heures que nous affrontons ce problème.
Notre échange se prolonge à voix basse jusqu'en milieu de soirée. Une chose est sûre. Nous avons encore plus conscience de l'attachement qui nous lie après cette épreuve.
Ava se relève et étire ses membres engourdis.
- Je vais m'assurer qu'elle dort bien. Me dit-elle.
Nos mains ne se désunissent qu'au tout dernier moment, comme si ce contact permanent était la preuve que le lien qui nous unit est extrêmement fort. Alors qu'elle pénètre dans la chambre, mon premier réflexe est de saisir mon téléphone pour vérifier si cet enfoiré a essayé de m'appeler. Rien. J'ouvre notre fil de discussion à la recherche d'indices qui auraient pu me mettre sur la voie. Nos derniers messages échangés ne relèvent que de soucis d'organisation par rapport à la tournée ou évoquent simplement l'album. Cependant, d'autres détails me reviennent à l'esprit si je cherche bien.
Bizarrement, il était le seul à être constamment au courant des heures d'arrivée de Sasha sur le lieu des concerts. Il était d'ailleurs un des seuls avec moi à avoir son numéro personnel et ça n'a mis la puce à l'oreille de personne. Je suis presque certain désormais qu'ils s'échangeaient même des textos sous notre nez pour se mettre d'accord sur des lieux de rendez-vous. Ça me donne envie de gerber. Au final, il y avait plein de signes, mais mon cerveau de mec n'a pas su les analyser correctement.
Ava met un temps fou à réapparaître si bien que je finis par me lever pour aller voir ce qu'il se passe derrière la porte entrouverte. Je tente de jauger de là où je suis si je peux me permettre d'aller plus loin. Leurs respirations amples à toutes les deux semblent indiquer qu'elles se sont endormies. Je pousse légèrement la porte qui se met à grincer, mais ne sort en aucun cas les deux beautés de leurs songes. Bien qu'il fasse déjà nuit, je discerne leurs visages dans la pièce légèrement éclairée par une bougie sur la table de chevet. À pas feutrés, je m'avance afin d'éteindre la source de lumière désormais inutile.
Je décide de les laisser seules cette nuit. Je sais que si je reste, je vais continuer à tourner en rond dans l'appartement et risquer de les réveiller. Contraint de me servir de la voiture d'Ava pour rentrer, je me dis que je reviendrai tôt demain matin en leur apportant le petit déjeuner.
Je reprends instinctivement la route de Shoreditch. Étrangement, les épreuves difficiles m'ont toujours rendu très productif. Si ça pouvait au moins me servir à boucler une chanson ce soir, je n'aurais pas perdu ma journée.
Le studio est resté entièrement éclairé depuis notre absence. Je m'apprête à y mettre les pieds lorsque mon regard est attiré par une enveloppe délaissée devant la porte d'entrée. Les premières pensées qui m'assaillent lorsque je me penche pour la ramasser me terrifient. Ne me dites pas que ce crétin a décidé de tout lâcher maintenant. Si Harry quitte le groupe au stade où on en est, on ne se relèvera jamais et il en sera fini de notre carrière. Et d'un autre côté, je prends conscience que c'est probablement ce que son erreur va engendrer.
Je m'empresse d'ouvrir la lettre et constate que l'écriture n'est pas la sienne.
« Louis,
Je pense que tu as eu vent de ce qu'il vient de se produire et que tu comprendras ma décision. Je mets un terme à notre collaboration artistique dès aujourd'hui et espère grandement que votre nouvel opus connaîtra la gloire qu'il mérite. Ce fut un plaisir de vous accompagner durant ces quelques mois prometteurs quant à votre avenir. Je ne me fais absolument pas de souci à ce propos et sais que votre maturité musicale vous mènera loin.
Je ne désespère pas de recroiser un jour ta route au cours de ma carrière et être fière d'avoir été témoin de ton ascension à la tête de 28 Records.
P.S. : J'ai glissé ma télécommande du portail dans la boîte aux lettres.
Amicalement,
Sasha. »
Peu surpris par ma lecture, je suis presque soulagé que son départ se passe de cette manière. Je ne serais pas parvenue à garder mon calme face à elle dans d'autres circonstances et la mettre à la porte alors que le coupable est mon meilleur pote n'aurait pas été juste non plus. En revanche, même si ces mots ont effacé mes craintes de voir le groupe se disloquer, le fait que ma première pensée ait été adressée à Harry me prouve que j'ai clairement besoin d'avoir une discussion avec lui. Je reviens sur mes pas et repars au volant de ma Porsche.
Ma vitesse sur la route est clairement le reflet de ce qu'il se passe dans ma tête. Les vibrations du moteur résonnent jusque dans mes tympans, dont la douleur n'est plus qu'un lointain souvenir comparé au chahut interminable qui occupe mes pensées. À toujours vouloir me pencher sur les problèmes des autres, j'en oublie que je ferais mieux de régler les miens. Cette facette de ma personnalité n'a pas fini de me jouer des tours.
Je décélère petit à petit en arrivant sur Spaniards Road et pars à la recherche de la télécommande de son portail à l'intérieur de ma boîte à gants. Les yeux rivés sur la route, je mets un certain temps à mettre la main dessus. Tandis que je bloque la circulation sur cet axe passant, des appels de phares derrière moi me font comprendre que je barre la route aux fêtards qui quittent la banlieue. Ce n'est vraiment pas le moment de me chauffer. Mon majeur menace de se hisser jusqu'au rétroviseur.
J'entre dans la propriété de Harry en accélérant d'un coup sec pour marquer mon énervement. Sa voiture est encore là. Parfait. En posant le pied au sol, je m'aperçois que le temps s'est considérablement alourdi depuis mon départ de Paddington, contrastant avec la pénombre qui couvre désormais le ciel.
À pas décidés, je traverse l'allée bétonnée. Je frappe à coups sourds contre sa porte d'entrée et attends que le verrou tourne. Son portail électrique se referme automatiquement sur moi. Les mains dans les poches, je me balance nerveusement d'avant en arrière. Plusieurs secondes s'écoulent sans qu'il n'y ait le moindre mouvement de l'autre côté. L'éclairage extérieur se coupe, me replongeant dans la pénombre. La lumière qui traverse les fenêtres de son salon et la musique que j'entends résonner me prouvent qu'il est bien chez lui. J'enclenche la sonnette qui couvrira certainement mieux le brouhaha intérieur et accompagne mon action de quelques mots.
- Harry, il faut qu'on parle.
De nouveau, le calme plat. Il refuse simplement de se confronter à moi. Je tape une nouvelle fois fortement contre sa foutue porte avec le plat de ma main.
- Putain, mais qu'est-ce que tu attends ? Ouvre cette porte !
Ma voix gagne en volume.
- Je ne bougerais pas d'ici jusqu'à ce que tu ouvres !
Totalement hors de contrôle, je crie au beau milieu de sa cour. Je marche nerveusement de long en large et perds patience, remarquant à peine la goutte de pluie inattendue qui se brise sur mon avant-bras. S'il ne capitule pas très vite, je sens que je vais définitivement péter un câble.
- Réfléchis bien ! C'est vraiment ça que tu veux devenir ? Un putain de connard qui préfère se planquer plutôt que d'affronter la vérité en face ?
Un coup de tonnerre retentit au-dessus de ma tête comme si le ciel m'accompagnait dans ma colère. Je dois me calmer, prendre sur moi, mais c'est totalement impossible. Joy est en train d'en baver à cause de ce lâche qui se planque dans sa piaule. Je boue littéralement de l'intérieur.
- Comment as-tu pu la trahir de la sorte ? Hein ? Qu'est-ce qui ne tourne pas rond chez toi pour que tu ressentes le besoin de la blesser après l'avoir sauvée ? Tu pensais peut-être qu'elle passerait gentiment l'éponge après que tu aies fourré ta queue dans une autre ?
Je marque un temps d'arrêt pour reprendre mon souffle. Le temps tourne au vinaigre et plusieurs gouttes annoncent désormais l'orage qui menace d'éclater.
- Je n'aurais jamais cru dire ça de toi un jour, mais t'es vraiment le dernier des enfoirés ! Je suis écœuré.
Un éclair transperce les nuages noirs que je ne distinguais que très peu jusqu'ici. La pluie s'accentue et martèle le bitume à mes pieds.
- As-tu au moins été honnête une seule fois avec elle ?
J'espère que mes mots finiront par le faire réagir.
- Sasha n'était peut-être pas la première avec qui tu l'aies trompée !
Le déluge s'abat sur moi. Je trouve refuge sous le porche et me laisse glisser le long de la porte après m'y être adossé. Par réflexe, une cigarette me tombe une nouvelle fois dans la main.
- Tu sais, on commet tous des erreurs... J'étais le premier à avouer les miennes quand j'ai joué au con l'année dernière...
Je tire une taffe.
- ... mais là... Honnêtement, tu n'as pas à espérer pouvoir réparer tes conneries. Tu t'es tiré une balle dans le pied tout seul.
À ce stade, j'ignore toujours si mes mots parviennent à ses oreilles, mais j'espère vraiment que c'est le cas.
Un second coup de tonnerre s'abat sur la ville. Je termine ma clope en quelques bouffées et lance mon mégot dans une flaque qui s'est formée devant moi.
- Bordel... Tu n'avais pas le droit de lui faire ça...
Je crache mes paroles entre mes dents serrées par la rage et me remets debout. Sous la pluie torrentielle, je contourne son jardin. Trempé en quelques secondes, je tente d'apercevoir quelque chose depuis les vitres embuées de sa véranda, verrouillée elle aussi. C'est alors que je distingue la silhouette de Harry, assis lui aussi dans la même position que moi il y une minute à peine, dos à sa porte d'entrée. Je crois bien qu'il est en train de se saouler si ce que je discerne à ses pieds est bien une bouteille d'alcool.
À le voir avachi de la sorte, la mine sombre, démoli par ses actes, l'espace d'un instant je pourrais presque avoir pitié de lui. Seulement, mon élan de compassion se fait la malle dans la seconde où les paroles de Joy me reviennent en tête. Harry ne perd rien pour attendre, mais je sais qu'il déguste. Il a eu son compte pour aujourd'hui.
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