Chapitre 33
♫ « Say Something » - Justin Timberlake ft. Chris Stapleton ♫
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Harry
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J'avais pressenti dès le début que venir assister à cette cérémonie de remise de prix était une mauvaise idée. À force de relances de la part des organisateurs, Louis a fini par nous convaincre d'y participer afin de promouvoir notre nouveau single sur le territoire américain. Malgré le fait que je paraisse indéniablement à l'aise dans ce genre d'événements, ils n'en restent pas moins surfaits et à l'affût du moindre scandale à se mettre sous la dent.
Les blagues à notre sujet affluent depuis le début de la soirée et nous nous contentons de faire bonne figure, tout en sachant parfaitement que le mot d'ordre est de nous en faire baver dans le but d'alimenter les rumeurs. Est-ce vraiment une coïncidence si notre table est placée juste à côté de celle de Zayn ? Et en est-ce une autre si nous concourons dans la même catégorie ce soir ? Les gens s'attendent probablement à ce qu'une certaine animosité transparaisse de nos attitudes respectives, alors le moindre regard de travers est bon à prendre.
À peine descendus de scène suite à notre performance live qui a été acclamée avec ferveur, on nous demande de rejoindre rapidement nos places, car le prochain prix nous concerne.
- Oh mon dieu. Souffle une actrice de série télé venue annoncer la catégorie face à l'assemblée. Je crois que c'est le moment le plus excitant de toute ma vie !
- Rien que ça... Grogne Louis en se resservant un énième verre de Champagne.
Mon ami -bien que clairement alcoolisé- flaire une nouvelle fois que le discours de la jeune femme va nous placer au cœur d'une autre polémique. Rapidement, les caméras se braquent en effet sur nous, et d'autres sur Zayn. Nous tenons bon, tandis que les différents camps s'agitent dans la salle. La meilleure façon de faire profil bas a toujours été de sourire face aux affronts, et chacun semble avoir pris note de ce concept.
La jeune femme au micro laisse planer un suspense ridicule, alors que tout le monde sait que nous ne leur en donnerons pas pour leur argent. Elle finit par reprendre la parole.
- Les nommés pour le meilleur titre de l'année sont...
Les images défilent et durant ce court instant, je sais que les deux artistes censés concourir contre Zayn et nous sont déjà hors jeu. Le but de la cérémonie est clairement de nous voir nous affronter.
- L'American Music Award du meilleur titre de l'année 2020 revient à...
- Quoi qu'il arrive, souriez, les gars. Marmonne Louis entre ses dents.
S'il gagne, je sais qu'aucun de nous ne s'en réjouira. Zayn s'est bien gardé d'évoquer notre implication dans l'écriture de ce nouveau titre qui cartonne depuis des semaines. Cependant, ce n'est ni l'endroit, ni le moment pour régler nos comptes avec lui à ce sujet.
La salle retient son souffle. La jeune femme retire le cachet de l'enveloppe contenant le nom du gagnant. Les jeux de regards qui s'opèrent entre nous quatre parlent d'eux-mêmes. Nous savons tous que l'issue de ce prix est courue d'avance.
- ... Zayn ! S'écrie l'actrice, ravie d'endosser son rôle dans ce moment clé de la cérémonie.
Une pulsion soudaine m'incite à me mettre debout afin d'applaudir avec davantage de vigueur le triste gagnant. Mes amis en font de même.
- Enflure... Fulmine une nouvelle fois Louis en arborant ce même sourire indéchiffrable pour les gens qui nous entourent.
- Applaudissez, les gars, applaudissez. Renchérit Liam.
J'incite Niall à ne pas se laisser abattre en relevant discrètement les sourcils, ce qui déclenche chez lui un fou rire incontrôlable. La pilule a un peu de mal à passer. Aucun différend ne se lit toutefois sur nos visages. Zayn se dirige avec nonchalance vers la scène pour récupérer son trophée lâchement acquis et ne prend pas la peine de se retourner une seule fois vers nous. À peine rassis, je me sers moi aussi allégrement en boisson alcoolisée. Je tenais à avoir l'esprit au clair pour notre performance, mais maintenant qu'elle est passée, rien ne m'empêche de boire un peu plus.
Maintenant que je vois Zayn sur scène, je me dis que je n'aimerais probablement pas être à sa place. Tout le monde l'attend au tournant et son discours va être décortiqué à la loupe.
- Wouaw. S'exclame-t-il, laissant les hurlements de la foule s'étendre à leur apogée. Ce fut une année exceptionnelle. Vraiment.
- Tu m'étonnes... Grommelle Liam.
Je me retiens de lui adresser un coup de pied sous la table.
- Je tiens tout d'abord à remercier les personnes avec qui j'ai collaboré ces derniers temps...
Les pensées qui m'assaillent à ce moment-là sont une réelle torture.
- ... ainsi que mes proches, sans qui je n'aurais pas gardé la tête sur les épaules.
- Hypocrite. Ajoute Louis dans une quinte de toux forcée.
Le regard de Zayn divague en permanence d'un bout à l'autre de la salle, mais son but est clairement de nous évincer de son champ de vision.
- Et bien évidemment, un immense merci à mes fans qui sont toujours là quoi qu'il arrive. Conclut-il en agitant le prix conique en verre. Merci de continuer à croire en moi, merci d'avoir voté ce soir. Je vous aime tous. Merci.
Dans le mille. Pas un seul mot sur nous. Mauvaise pioche.
La suite de la cérémonie n'a été qu'un enchaînement de malhonnêteté à vous en donner le tournis. Plus mes verres descendaient, plus j'avais envie de déguerpir et plus mon envie d'avoir un entretien entre quatre yeux avec Zayn se faisait forte. Maintenant que nous sommes au fameux « after » qui fait suite à la soirée, je croise les doigts pour parvenir à lui sortir les vers du nez.
D'ailleurs, il aurait mieux fait de se la jouer sobre à ce propos. Le retrouver d'emblée en pleine discussion avec Niall à l'autre bout de la pièce provoque ma capacité de résistance et met mes nerfs à rude épreuve. Pour éviter l'esclandre, je rejoins Louis et Liam près du bar et décide de prendre un nouveau verre.
- Un Dry Martini, s'il vous plaît.
Mes amis sirotent leurs boissons en compagnie de quelques artistes que nous connaissons bien. J'attire l'attention de mes deux potes.
- Vous avez vu ce qu'il se passe là-bas ?
J'incline la tête de façon à cibler l'aparté qui a lieu à l'écart de la pièce.
- Putain ! S'exclame vivement Louis. Il va l'embobiner, c'est sûr !
Il engloutit d'une traite son verre pourtant presque plein et progresse à travers la salle blindée de célébrités. Liam et moi échangeons un regard et décidons de le suivre. J'ai le sentiment qu'ils sont à des kilomètres de nous tellement notre avancée s'éternise. Mon champ de vision s'est rétréci pour ne voir que cette cible qu'est désormais Zayn. Des mains tapotent régulièrement mes épaules pour m'interpeller, mais je ne prends pas la peine de me retourner vers ces personnes qui désirent me parler. Tout ce qui se trouve en dehors de l'endroit où nous allons me paraît crypté.
Lorsque nous arrivons à leur niveau, je sais pertinemment que Zayn nous a repérés et sa réplique ne fait que confirmer mon impression.
- De toute façon, tu as mon numéro.
Il adresse un clin d'œil à Niall -qui fronce immédiatement les sourcils d'incompréhension- et tente de filer en douce.
- Hop, hop, hop ! Le retient Louis en posant fermement la main sur son épaule.
- Ne pars pas avant que l'on t'ait félicité ! Ajoute Liam en souriant exagérément.
Zayn perçoit l'ironie et se met à ricaner.
- Si c'est la statuette que vous voulez, je vous la donne volontiers.
Mes traits se durcissent face à sa provocation.
- Tu sais parfaitement que le problème ne vient pas de là.
- Par contre, j'applaudis le fait que tu aies osé la chanter devant nous. Lance Liam en tapant des mains sous son nez.
Niall, qui pense avoir provoqué cette vive discussion, se met en retrait.
- Sinon, ça va ? Renchérit Louis. Tu arrives à dormir sur tes deux oreilles ?
Agacé, le brun repousse nos accusations d'un revers de main. Il tente une nouvelle fois de s'éloigner.
- Tu n'es qu'un dégonflé.
Les mots qui sont sortis de ma bouche semblent surprendre tout le monde. Louis s'en réjouit en se frottant les mains.
- Moi, un dégonflé ? Dit-il en se retournant vers nous.
Il secoue les épaules en réajustant sa veste pour récupérer un peu de consistance. J'en rajoute une couche.
- Les tricheurs ne peuvent pas tout le temps gagner.
En appuyant ma réplique, je m'aperçois que je tangue quelque peu. Je me redresse pour tenter de masquer les signes de mon ivresse. La panique se lit dans le regard de notre rival. Du moins, c'est ce que je crois.
- Allez tous vous faire foutre ! Rage-t-il en accentuant le ton à chaque mot.
J'avais raison. Il pense se dépêtrer en nous crachant des insultes à la figure.
- Vous ne pouvez rien contre moi.
« Vous. Ne. Pouvez. Rien. Contre. Moi ». Ses mots ébranlent mon esprit. Le martèlent. Se font écho.
- Personne n'est intouchable, mon cher ami. Répond Louis en lui assignant une accolade qui n'a rien d'amicale.
Mon esprit embrumé par les différents alcools n'analyse plus clairement ce qu'il se passe ensuite. Les mélanges ingurgités en l'espace de quelques heures me font perdre le sens des réalités. J'ai la gerbe. Mon sang bouillonne. Mes méninges s'entrechoquent. Je m'éloigne pour tenter de canaliser l'afflux d'informations qui me parvient d'un coin bien rangé au fin fond de ma mémoire. Cette phrase. Je l'ai déjà entendue. Il l'a déjà prononcée. De cette manière. Devant moi. Aucune image ne me parvient précisément. Juste des sensations désagréables. Un picotement dans les jambes. Une aiguille dans mon bras. Un tube dans ma gorge. « Vous ne pouvez rien contre moi ».
Je me pince fortement l'arrête du nez enfin de refaire surface et lorsque mes yeux se posent sur mes amis, la discussion a pris une autre tournure.
- Répète un peu ce que tu viens de me dire ?! S'emporte Louis en poussant Zayn en arrière.
Une foule s'est amassée autour d'eux en un rien de temps. Le brouhaha incessant qui résonnait dans la pièce depuis le début a totalement cessé.
- Joue pas au con, tu m'as parfaitement entendu ! Lui répond-t-il en le rejetant à son tour.
Louis est retenu de justesse par Liam, et Niall peine à les écarter. Je m'approche un peu plus tout en bridant ma rage pour venir en aide à mon ami.
- Si vous aviez engagé les bonnes personnes pour vous manager, vous n'en seriez probablement pas là. Crache-t-il en fusillant Louis du regard.
Je repousse l'assaillant, mais ses paroles à peine prononcées me font sortir de mes gonds. Ma colère ne m'obéit plus. Elle n'a nul besoin de mon feu vert pour s'extérioriser. Sans réfléchir davantage, je propulse Zayn contre le mur le plus proche et le maintiens bloqué en plaçant fermement mon avant-bras sous sa gorge. J'ai conscience de ne pas y aller de main morte, mais qu'importe. Il faut que j'efface ce sourire narquois de son visage.
- Depuis le premier jour où tu es parti, tu avais en tête de nous anéantir !
Zayn tente de m'éloigner, mais relâche la pression face à ma détermination. Il finit par s'immobiliser et semble se questionner. Seulement, cette absence soudaine de résistance de sa part est une façon silencieuse de préparer d'autres attaques verbales.
- Ça y est, tu as retrouvé tes forces, à ce que je vois. Profère-t-il avec mépris.
Sa voix calme et lente me nargue malgré la pression significative que j'exerce sur sa poitrine.
- Il n'y a pas que ça que j'ai retrouvé.
J'ai la voix qui tremble, boosté par l'adrénaline.
- Comment as-tu pu profiter que je sois dans le coma pour me dire de telles choses ?
J'accentue la pression de mon bras pour qu'il réponde. Zayn peine de plus en plus à déglutir.
- Je ne vois pas du tout de quoi tu parles.
Putain. Un profond désir de lui faire sauter toutes ses dents une à une me saisit. Ma mâchoire se crispe à l'extrême. Je n'ai plus de mots. Je fulmine, à tel point que je parierais presque que de la fumée me sort par les naseaux. Mes poings me supplient de finir cette discussion à leur manière.
Je desserre mon emprise face à l'incitation de Louis qui me tire en arrière, alors qu'il y a deux minutes, c'était totalement l'inverse. La situation part littéralement en couille.
- Attends, c'est quoi cette affaire ? Me demande-t-il, en ne lâchant pas ma veste.
D'un simple regard, je lui demande de me laisser reprendre mon souffle et analyser ce que je ressens.
- Ce bel enfoiré avait ficelé son coup il y a plus d'un an ! Il avait déjà notre chanson sous le coude.
Zayn est près de la sortie au moment où je m'apprête à poursuivre la discussion avec lui. Il ne brille vraiment que par sa lâcheté légendaire. Un silence s'opère jusqu'à ce que Niall ne s'approche davantage de nous pour poser la question qui tourne certainement dans la tête de mes trois amis.
- Mais... Pourquoi tu ne nous l'as pas dit plus tôt ?
Sa suspicion, bien que légitime, n'apaise en rien ma culpabilité de ne pas m'être souvenu de ce monologue avant que le mal ne soit fait. Je mens tellement ces temps-ci qu'une réaction pareille pourrait être justifiée par mon manque de clairvoyance. Le visage crispé de Louis me fait craindre qu'il ne doute de ma sincérité.
- Il m'avait confié toutes ses intentions quand j'étais dans la pire posture de ma vie. Je suis désolé, je viens tout juste de m'en souvenir.
- Tu n'as pas à te reprocher quoi que ce soit. Me rassure Liam. Ce n'est pas à toi de payer pour ce qu'il a fait.
Les visages sont désormais fermés, plus personne n'a le cœur à s'amuser. Louis est particulièrement sur les nerfs et le justifie en pestant entre ses dents.
- Celui qui aurait dû payer a filé et on vient de manquer l'unique occasion de lui refaire le portrait.
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Ce lendemain de cérémonie est certainement le pire revers de gueule de bois que j'ai eue depuis des siècles. Ma tête est aussi embrumée par le reste des vapeurs d'alcool que par la culpabilité qui me ronge. Ma nuit a de nouveau été perturbée par des réveils intempestifs, mais pas vraiment ceux que je connais depuis près de quinze jours. Gerber mes tripes à trois reprises ne m'a jamais fait autant de bien. Je l'ai vraiment pris comme une punition bien méritée pour avoir commis l'impensable.
Je demanderais bien à Jeff de passer me voir, mais je crois que finalement, je vais rester seul avec moi-même aujourd'hui. Je n'ai pas envie d'avoir à justifier mon attitude d'hier soir envers Zayn, car il a clairement mérité ce qui lui est tombé sur la gueule.
Je quitte mon lit sans grande conviction sur mon programme de la journée. Dans le couloir, je me rends compte que la veste de costume et les chaussures délaissées au sol ne m'appartiennent pas. En poussant la porte d'une pièce d'où proviennent des ronflements, je retrouve Liam et Niall, endormis chacun dans un des lits jumeaux de la chambre d'amis. Je n'ai pas souvenir que nous soyons rentrés ensemble, mais c'est en découvrant Louis affalé dans mon canapé en bas que des bribes d'images me reviennent. Je me rappelle notamment avoir glissé un seau près de lui avant de monter me coucher en le menaçant de ne pas ruiner mon salon. Il n'a visiblement pas subi les mêmes conséquences de son ivresse que moi. Je pense qu'il s'est d'ailleurs endormi dans la position exacte dans laquelle il s'est mis en arrivant. Assoupi les bras ballants dans le vide, il tient toujours son téléphone dans une main et a simplement desserré sa cravate.
Mon regard se pose ensuite sur mon téléphone oublié depuis cette nuit sur le meuble de l'entrée. Je suis persuadé que des dizaines de notifications m'y attendent suite à l'altercation avec Zayn. Bien vu. Je n'ai même pas envie de les ouvrir, jusqu'à ce que le nom d'un destinataire ne m'interpelle.
Aaron F., 9:40 : « Je passe chez toi dans la matinée. »
Oh non, surtout pas. Un vent de panique s'abat sur moi en réalisant qu'elle pourrait parfaitement être sur la route ou bien prête à sonner à ma porte. Je me rapproche de l'entrée pour regarder dehors et m'empresse de lui envoyer un message.
Moi, 10:31 : « Il y a du monde chez moi. Ce n'est pas possible. »
Cette mascarade entre nous a assez duré. Il est vraiment temps que l'on mette un terme à notre liaison. Je ne veux pas passer mon temps à craindre que quelqu'un ne découvre ce que nous faisons.
Aaron F., 10:32 : « Ok. »
Je sais qu'elle est froissée, mais nous ne pouvons plus continuer comme cela. Trois jours que Joy est rentrée sur Londres et trois jours que le moindre contact avec Sasha est devenu insoutenable. Chaque fois que nous sommes dans la même pièce et qu'il nous arrive de nous retrouver seuls, je fuis lamentablement, rendant les choses encore plus suspectes qu'elles ne le sont déjà. Je ne peux pas repousser davantage l'échéance de lui parler.
Le bruit de mes pas ne réveille aucun de mes compères, alors, après avoir englouti ce qu'il me reste de jus d'orange, je décide d'enfiler un jogging et sors m'aérer la tête. Ce footing matinal ne m'aide absolument pas et pourtant j'accélère mon allure, comme si courir plus vite pouvait me permettre de fuir ce foutu bordel. Cela fait plus d'une heure que j'avale les kilomètres, mais le tumulte de mes pensées ne s'est pas apaisé. Je n'ai jamais eu pour habitude de courber l'échine à ce point face à un problème, mais là, tout me dépasse. Le téléphone qui accompagne ma course en musique se met à sonner et je ne prends pas la peine de décrocher. Sans même regarder de qui il s'agit, j'enclenche immédiatement le rejet d'appel pour qu'on me laisse en paix.
L'âpreté de la réalité me revient en pleine face. Je tente de rassembler mes idées et d'examiner la situation le plus objectivement possible, même si l'affectif se mêle indéniablement à mon analyse. Sasha m'attire plus que de raison, c'est un fait. Elle a un charme fou et mérite vraiment que quelqu'un prenne soin d'elle. En revanche, j'aime Joy comme un fou et elle suscite en moi des émotions qui me dépassent totalement.
Agacé, je ralentis le pas jusqu'à m'arrêter totalement. Je prends appui sur mes genoux pour tenter de reprendre mon souffle après l'effort. En fermant les yeux, mes pensées se détournent vers elle... Joy. Je me relève, bascule la tête en arrière avant de contempler le ciel dépourvu du moindre nuage. Je suis dans une impasse. J'ai beau me débattre, le sort me provoque et m'attire irrémédiablement dans ses filets, tout comme mon désir me pousse sans cesse dans les bras de Sasha. Cet enfoiré m'englue dans des sables mouvants dont il m'est difficile de me dépêtrer. Difficile, mais pas impossible. Il faut que je le fasse. Pour Joy. Parce que je l'aime.
Je regagne ma villa un peu avant midi et retrouve mes trois amis attablés autour de l'îlot central de la cuisine. Ils ont visiblement vidé mes placards pour se faire un gueuleton tout sauf diététique. Niall tape du poing en m'apercevant.
- Bordel, mais t'étais où ?! S'exclame-t-il, me faisant comprendre que les coups de fil incessants venaient sûrement de lui. Tu ne peux pas répondre quand on t'appelle ?
Je lève les sourcils pour lui signifier que mon look devrait suffire à lui fournir la réponse qu'il attend.
- Il était sur le point d'appeler les flics pour te porter disparu ! Me dit Liam en se foutant de la frousse maladive de notre ami.
Louis recule un des sièges pour m'inciter à les rejoindre. J'ai l'impression de me faire inviter à manger dans ma propre maison. Je m'assieds volontiers et réalise que le fait de les avoir tous les trois face à moi en dehors du boulot est assez exceptionnel ces derniers temps.
Notre discussion tourne rapidement autour des événements de cette nuit. Aucun d'entre nous ne semble éprouver de regrets au sujet de cette dispute qui pendait au nez de notre ancien associé. Louis s'amuse à scruter les réactions sur les réseaux sociaux et nous les rapporte. Tout va tellement vite sur la toile. Tellement vite qu'un seul faux pas est capable de tout foutre en l'air. Je suis en train de tout foutre en l'air.
Rattrapé par ma situation, je meurs d'envie de vider mon sac face à eux. Ça ne les regarde en rien, mais c'est irrémédiablement lié au groupe dans un certain sens. Leur en parler n'effacera pas ce que nous avons fait, mais allégerait peut-être un petit peu ma conscience. Je profite d'un moment d'accalmie dans le débat pour prendre une inspiration, mais je n'ai aucune idée de la façon d'aborder le problème. Les mots m'obstruent la gorge et aucun ne semble vouloir sortir. En tout cas, pas les bons.
- Vous n'avez pas envie de rester cet après-midi ?
Ma proposition les prend un peu de court, mais ils acceptent volontiers de me tenir compagnie. Je me dis qu'avec un peu de courage, je parviendrai à leur en parler à un autre moment.
_____
Mes amis viennent de partir et je ne suis toujours pas parvenu à évoquer ce qui me tord le bide. Pourtant, ce ne sont pas les occasions qui ont manquées, mais une fois encore, écrire dans mon carnet est la meilleure solution pour noyer mes pensées obsédantes.
Quand je relève le nez, la nuit tombe doucement et je me félicite d'être venu à bout de cette journée. L'horloge indique vingt-trois heures passées. Je me prépare une soupe chinoise et la mange devant la télé, sans prêter vraiment attention à ce que je regarde.
Vers deux heures, je me résous à monter me coucher, mais allongé sous le drap dans le silence total, je rumine une fois encore. Une brise s'infiltre par la fenêtre et rafraîchit la pièce qui a accumulé la chaleur. Malgré la température très agréable, mon corps bouillonne. Des souvenirs de celui de Joy reviennent marteler mon esprit. Elle est repartie il y a plus de trois jours et j'ai pourtant l'impression de toujours avoir son goût sur ma langue. Je perçois encore les frissons lui parcourir la peau à chaque étreinte échangée. Je sens encore sa poitrine nue se coller à moi et ma queue ne pas suivre le mouvement. Quel con. Mon corps me punit pour mes mensonges et je sens que ce problème ne sera pas résolu tant que je n'aurais pas mis les choses au clair avec Sasha.
Trente minutes plus tard, je suis au pied de son immeuble. Cette fois-ci, j'ai pris davantage de précautions pour passer inaperçu. Ce n'est pas le moment pour me faire griller, alors que je m'apprête à tout arrêter avec elle. La lumière provenant de sa chambre prouve qu'elle ne dort pas.
Moi, 02:33 : « Il faut qu'on parle. Je suis devant chez toi. »
Dans le silence complet qui règne sur la rue, je perçois le bruit de sa serrure, signe que mon message a bien été lu. Je sors de ma voiture, camouflé dans un sweat à capuche et entre dans son appartement dont la porte est déjà entrouverte. Sasha m'y attend, les bras croisés sur la poitrine, l'air grave.
- Insomnie ? Me demande-t-elle lorsque je referme derrière moi.
- On peut dire ça comme ça.
Appuyée contre la table de sa pièce de vie, elle se redresse.
- Je te prépare un thé ? Chuchote-t-elle, comme si elle craignait de ne faire trop de bruit en cette heure tardive.
- Je ne reste pas.
Je me rapproche après avoir retiré ma capuche. Sasha pivote et me facilite la tâche en abordant directement le sujet qui m'a fait me déplacer jusqu'ici. Elle hausse les épaules et regarde le sol.
- C'était inéluctable. On ne pouvait pas continuer.
Sa voix est posée et calme. Elle n'éprouve aucune colère contre moi, mais je ressens tout de même le besoin de m'excuser.
- Je suis désolé de t'avoir mêlée à une situation aussi inconfortable.
- N'en fais pas toute une histoire. On arrête là.
Elle relève les yeux. Sa main se pose sur mon épaule et effleure mon bras dans le but d'appuyer les mots qui devraient me soulager, mais qui bizarrement ne me procurent aucun apaisement. Au contraire, j'aurais préféré percevoir une certaine rancœur de sa part. Si je pouvais être en mesure d'expliquer pourquoi mon corps frissonne à son contact, j'arriverais peut-être à mettre un peu plus d'ordre dans ma tête.
Ses yeux quémandent une réponse, mais je ne vais pas lui fournir celle qu'elle attend.
- C'est dommage, je n'ai aucun souvenir de notre dernière fois.
Sasha plisse les yeux, comme si elle ne me croyait pas.
- La dernière fois, c'était quelques heures avant que ta copine ne te rejoigne à Orlando.
Sa main qui était sur mon bras il y a quelques secondes est désormais sur mon torse.
- Tu m'as rejoint dans ma chambre au beau milieu de la nuit. Poursuit-elle en baladant ses doigts de haut en bas. Inconsciemment, je ne dormais que d'une oreille, car je t'ai ouvert immédiatement.
J'aimerais qu'elle cesse de me remémorer cette heure torride, mais rien ne sort de ma bouche.
- Nous n'avons prononcé aucun mot, car ils n'étaient pas nécessaires. Nos gestes ont parlé à notre place.
Plus elle avance dans son récit, plus je minimise l'espace qui nous sépare.
- Tu m'as baisée en silence, tandis que moi j'ai eu le plus grand mal à minimiser mes cris.
Pour la première fois depuis une dizaine de jours, une érection démesurée s'empare de moi. Mon désir est tellement fort que mon bas-ventre vient se frotter contre la nuisette qui lui recouvre la peau. Sa respiration devient soudainement plus ample.
Sasha conclut son souvenir au raz de mes lèvres, en murmurant encore plus qu'elle ne le faisait déjà.
- J'imagine que si on avait su que c'était notre dernière fois, on aurait fait les choses autrement.
La collision qui résulte de ces mots est aussi violente que salvatrice. Mêler nos bouches devenait clairement inévitable. Tout comme soulager cette envie qui nous submerge. Mon amante ravale un soupir lorsque mon corps s'empare du sien. Mes mains soulèvent avec impatience le tissu qui camoufle ses hanches, sous lequel je retire immédiatement sa culotte. Sasha trouve appui là où elle peut et saisit la boucle de ceinture qui retient ce qui nous fera une fois de plus basculer vers l'inavouable. Quelques secondes suffisent à ne plus avoir la force de faire marche arrière. Me voilà en elle. Pour la toute dernière fois.
_____
Un courant d'air me réveille. Je grogne légèrement, bascule sur le dos et constate que j'ai dormi dans un lit qui n'est pas le mien. En passant la main sur la place vide à côté de moi, je remarque qu'elle est encore tiède. Sasha réapparaît dans mon champ de vision. Elle noue un léger peignoir à sa taille et sourit en constatant que je la regarde.
- Bonjour.
- Bonjour.
Elle s'avance vers la fenêtre et relève de moitié le volet afin de faire rentrer la clarté du jour dans la pièce. Je me redresse et attrape mon boxer pour l'enfiler. Malgré la sérénité qui transparaît de nos attitudes respectives, il n'en reste pas moins qu'une pointe d'amertume se disperse dans mon esprit, même si je sais que nous avons pris la bonne décision.
Le reste de mes vêtements est resté dans sa pièce de vie. Je la suis lorsqu'elle quitte sa chambre et ne constate la présence d'une tierce personne qu'au moment où le bruit d'une cuillère qui s'entrechoque contre un bol résonne depuis la cuisine. Je me retourne vivement. La panique m'emporte en constatant qu'un jeune garçon est en train de déjeuner sur l'îlot central. Figés tous les deux, il est le premier de nous deux à baisser les yeux, au moment où Sasha s'approche pour lui déposer un baiser sur la tête.
- Bonjour mon chéri. Tu as passé une bonne nuit ?
- Oui ça va. Répond-t-il à sa mère, sans s'offusquer davantage de découvrir un homme qu'il ne connaît pas chez lui.
Le gamin mange ses céréales à l'endroit même où j'ai baisé sa mère cette nuit. Je me frotte nerveusement la tête et réalise que je suis peu vêtu. Je saisis mes affaires en vitesse et Sasha capte enfin mon malaise. Je lui indique sa chambre du regard.
- Je peux te parler une minute ?
Elle repose la tasse de café chaud qu'elle venait de se servir et me suis. En refermant la porte, elle s'y adosse et attends que je lui expose mon effarement.
- Ton fils était ici hier soir et tu ne m'as rien dit ?
- Calme-toi. Je suis sûre qu'il n'a rien entendu.
Atterré qu'elle le prenne avec autant de sérénité, je tente de lui exposer ce que je ressens.
- Rien entendu, peut-être, mais je ne suis pas sûr que me voir sortir à moitié nu de la chambre de sa mère soit la meilleure manière d'être présenté à lui.
- Je t'assure qu'il s'en fiche.
Je me mets à déambuler de long en large dans la pièce.
- Et s'il en parlait à quelqu'un ?
- Il n'a que dix ans ! Au pire, il en parlera à un copain de classe. Ça n'ira pas plus loin !
- Tu es sûre de ça ?
- Certaine.
Sasha s'approche de moi pour me canaliser.
- Il n'en parlera à personne.
J'aimerais croire qu'elle dit vrai, mais je ne peux être sûr de rien. Les rumeurs peuvent rapidement enfler. Même si elles sont colportées par un enfant. Je n'aurais jamais dû succomber à cette dernière fois à laquelle nous n'avons su résister. Don Juan. Tombeur. Déloyal. Infidèle. Tous ces adjectifs vont rejoindre le lot de ceux dont m'affublent déjà les médias. Et ils auront bien raison. Je n'ai pas changé. Je suis tel qu'ils l'ont toujours dit. Joy ne mérite pas ce qui va lui tomber dessus. Je ne suis pas digne d'elle. En voulant exorciser ses démons, ce sont les miens qui sont revenus au galop.
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