Chapitre 20

♫ « Talking To Myself » - Linkin Park ♫


△▲△
Louis
_

Le Suntory Hall de Tokyo. À mes yeux, c'est vraiment l'endroit parfait pour débuter cette tournée. Célèbre, iconique et intime à la fois. Habituellement dédié aux concerts classiques, nos live bookers sont parvenus à nous dégoter deux dates d'affilée dans cette petite salle pouvant accueillir cinq mille personnes. Autant dire que cela fait très longtemps que nous ne nous sommes pas produits face à une audience si restreinte.

Sur scène pour les balances, j'ai du mal à me dire que d'ici une poignée d'heures, chaque siège vide sera occupé par un visage inconnu. La disposition est idéale pour que chaque spectateur puisse bien voir le show et que nous puissions également bien les voir en retour.

Rapidement, l'harmonie avec nos musiciens refait surface. Nous leur faisons entièrement confiance depuis le début de notre carrière et leur professionnalisme n'est plus à prouver. Ils sont parfois bien plus concentrés que nous d'ailleurs.

- Louis !

Mon prénom résonne dans la salle et je cherche des yeux la personne qui vient de le scander pour me rappeler à l'ordre, tandis que je commençais à m'éparpiller. Je finis par tomber sur le regard noir du tour-manager. Je rallume mon micro.

- Pardon. On reprend.

Josh, notre batteur, donne le rythme de départ et les notes de « No Control » reprennent de nouveau. Je retrouve peu à peu les sensations qui m'avaient manquées. La musique emplit la salle, résonne contre les murs. Le challenge ici est de parvenir à occuper la scène de façon équitable et avoir sans cesse conscience d'où se trouve chaque membre du groupe. Il y a un petit côté assez excitant dans le sens où nous ne nous sommes pas vraiment préparés à la configuration de la salle et à ses exigences. Ça rajoute un peu de piment, ce qui n'est pas pour nous déplaire.

Durant nos prises de son, la salle grouille de roadies faisant rouler de lourds flight cases contenant les jeux de lumière et les éclairages se mettent tranquillement en place. Il y a encore un bordel monstre sur scène, mais je sais que d'ici quatre d'heures, tout sera parfait. Le décor sera sobre, voire inexistant. Nous n'avons pas développé de visuel pour cette tournée puisqu'aucune identité n'a été créée pour l'album en cours de création. Celui-ci étant toujours en phase d'enregistrement, nous aurons tout le temps de nous pencher là-dessus une fois l'ensemble des titres peaufinés.

Les balances s'achèvent au terme d'une bonne heure de réglages en tout genres. J'aurais préféré passer le reste de l'après-midi à me reposer en vue du show, mais c'était sans compter sur le planning ultra millimétré qui nous attend. Nous devons rencontrer une poignée de journalistes pour répondre à leurs questions. J'espère garder l'esprit lucide malgré mon manque évident de sommeil. Je n'ai pas beaucoup fermé l'œil ces trois derniers jours. L'organisation d'une tournée est tellement prenante que je craignais que l'on passe à côté de certains détails.

Un doux chaos règne désormais en coulisses avec son effervescence familière qui rend l'atmosphère encore plus électrique. Je sais qu'après une semaine sur les routes, tout sera parfaitement installé dans une routine confortable : voyage, installation du matériel, concert, démontage, voyage.

Durant ces quinze jours en Asie, nous avons opté pour l'option du tour-bus pour ne pas perdre de temps dans les différents aéroports, mais aussi pour une proximité optimale avec notre équipe. Ainsi, trois bus vont arpenter les villes avec à leur bord tous ceux qui font partie de notre cercle, allant des gardes du corps, à Lou, notre coiffeuse, en passant par les techniciens. Pas de différence. Tous dans le même bateau.

J'interpelle le chef des opérations avant de pénétrer avec les autres dans la pièce pour la première interview de l'après-midi.

- J'ai le temps de m'en griller une avant de commencer ?

- Les journalistes sont déjà en place. Me répond-t-il, navré de pouvoir m'accorder cette pause que je réclame.

Il ouvre la porte, et au même moment, une personne munie d'un micro et d'une caméra se rue sur nous depuis le couloir. Surpris, nous nous figeons un instant, avant de réaliser qu'il ne s'agit pas d'un journaliste musical, mais d'un célèbre interviewer pour TMZ, le plus gros tabloïd américain, réputé pour ses torchons merdiques.

- Louis, un petit mot sur votre vie de jeune marié avec Ava !

Respire, Louis. Et souris. Mais surtout, respire. Je me mets à rire nerveusement et entre dans la pièce où les vrais journalistes patientent.

- Vous allez vous faire sortir de force et vous le savez !

Ne prenant pas note de ma remarque, il persiste en se rapprochant cette fois-ci de Harry.

- Des rumeurs enflent sur votre petite amie, Harry. On la dit droguée, marginale. Avez-vous un mot à dire à ce sujet ?

Bordel. On vient à peine de reprendre le cours de notre carrière qu'on nous casse déjà les couilles. Comme toujours lorsque l'un de nous est ciblé de la sorte, les trois autres font barrière et l'extirpent de cette mauvaise position. Harry reste stoïque et entre à son tour dans la pièce, puis la sécurité arrive rapidement pour évacuer les individus indésirables. Au moins, le message est clair pour l'ensemble des journalistes présents face à nous. Une clause a été mise au point pour éviter ce type de questions exécrables et toute personne qui ne s'y tiendrait pas risque de voir son article exclusif s'envoler. Nos vies personnelles et les rumeurs qu'elles alimentent sont pour nous le pire cas de figure en interview. Nous devons garder notre calme et évincer la question comme si elle ne nous atteignait pas. Alors qu'en règle général, on a juste envie de faire avaler son micro à la personne qui les prononce.

_____

J'ai l'impression d'être un sale gosse qui tente d'échapper à sa mère à l'heure du bain. Lou me cherche partout depuis près d'un quart d'heure pour tenter de faire quelque chose avec mes cheveux. J'ai toujours détesté ce genre de moment avant, ce n'est pas maintenant que ça va changer.

Je pense enfin avoir trouvé un endroit calme qui va me permettre d'appeler Ava comme je le lui ai promis. Elle a passé la matinée à visiter des appartements et je sais qu'elle doit trépigner d'envie de me faire part de ses impressions.

Je referme la porte du petit local de ménage et lance l'appel vidéo, car j'ai vraiment besoin de voir son visage. Elle décroche rapidement... ou plutôt quelqu'un d'autre décroche pour elle. Visiblement surprise par l'angle de vue qu'elle affiche sur l'écran, Joy se redresse vivement et positionne le portable vers le haut.

- Hey ! S'exclame-t-elle en souriant. Ta femme est aux chiottes ! Content de me voir ?

Elle fait bouger ses sourcils de haut en bas.

- Tu sais si elle en a pour longtemps ?

- Elle arrive ! Hurle-t-elle en pivotant la caméra sur son amie. Visiblement, c'était la petite commission !

Ava tire une tronche désabusée suite à sa remarque. Un vrai rayon de soleil. Elle s'empare de son téléphone et son regard change totalement lorsqu'elle m'aperçoit enfin.

- Alors, comment tu te sens ? Me demande-t-elle d'emblée.

- Je gère à mort.

En réalité, j'ai les fesses qui font bravo, mais à part ça tout va bien.

- Tu as fait de bonnes visites ce matin ?

Joy réapparaît dans le champ de vision, un sachet de frites d'un célèbre fast-food entre les mains.

- C'était totalement miteux ! S'exclame-t-elle la bouche pleine.

Ava lève les yeux.

- Non, ce n'était pas « miteux »... La reprend-t-elle. C'était... Dans une gamme de prix raisonnables.

- Je traduis d'une autre manière : c'était pourri ! Ajoute Joy, peu craintive de subir les foudres de sa meilleure amie.

Elle repart de son côté et Ava recentre l'écran. Elle esquisse un léger sourire, consciente qu'elle n'a pas mis mes conseils en application.

- Je t'ai déjà dit de ne pas te restreindre là-dessus.

- Oui, mais... Commence-t-elle pour argumenter.

- Trésor. Choisis un endroit dans lequel tu te sens bien.

Je comprends d'une certaine manière son appréhension d'aller dans l'excès, mais je lui ai bien dit de ne pas réduire ses recherches d'un point de vue budgétaire.

- Et si possible avec jacuzzi, spa et piscine ! Surenchérit la voix de Joy en arrière-plan, avec le plus grand sérieux.

J'en connais une qui a déjà prévu de venir squatter. Soudain, la poignée du local dans lequel je me trouve se baisse avec vigueur.

- Ah ! S'écrie Lou. C'est ici donc que tu te caches !

Armée d'une brosse, elle s'apprête sans doute à me bondir dessus avant que je ne lui échappe une nouvelle fois.

- Je suis très bien comme ça.

L'appel vidéo étant toujours en route, je recherche l'aide d'Ava.

- Hein, dis-lui que ça ne sert à rien !

Elle lève une épaule et se pince les lèvres.

- Tu aurais au moins pu te raser... Balance-t-elle, créant chez notre coiffeuse un élan de satisfaction.

- Merci Ava ! S'écrie Lou en tenant la porte afin que je sorte pour rejoindre la loge dans laquelle elle a installé son matériel.

Je capitule en grognant.

- Satanée solidarité féminine !

Tout en longeant le couloir des coulisses, je continue de discuter avec ma traîtresse de petite amie. J'essaie de faire abstraction du brouhaha qui commence à percer depuis la salle blindée de monde, mais mon mal de bide s'accentue malgré tout. Je mets donc Ava à contribution pour tenter de me calmer.

- Dis m'en plus sur les visites.

- Il n'y a vraiment rien à dire en fait... Les deux appartements étaient dans un piteux état et la maison était minuscule.

Je m'assieds face au miroir et positionne mon portable de manière à ne pas perdre contact avec elle. La voir et entendre sa voix amenuise mon état de stress. Le bruit de la foule au-dessus de nos têtes continue de prendre une ampleur impressionnante. On s'en rend d'autant plus compte que la salle est très insonorisée, ce qui crée un vacarme assourdissant. Pourtant, le public japonais n'est pas réputé comme étant le plus expansif.

Percevant l'effervescence qui règne ici, Ava change rapidement de sujet.

- On va suivre le concert en direct sur YouTube. Me dit-elle. Enfin, si Joy parvient à faire les branchements sur la télé.

- Ce n'est pas de ma faute ! Scande la blonde. Qui a inventé un ordinateur sans prise HDMI ?!

Notre live va effectivement être retransmis en direct sur notre chaîne officielle. Je n'y pensais plus du tout et ça me rajoute une petite tension supplémentaire.

Joy finit par rejoindre le cadre, visiblement victorieuse de son installation.

- Bon, navrée de te l'apprendre, mon cher Louis, mais on a un programme bien chargé de notre côté ! Me dit-elle, une télécommande à la main. Tout ne tourne pas en permanence autour de vous !

Elle vient soudainement coller son nez à l'écran.

- Est-ce que c'est Harry que j'aperçois derrière toi ?

Je me retourne brièvement, faisant pester Lou qui tentait de faire quelque chose de ma toison indisciplinée. Harry et Sasha sont effectivement concentrés au bout de la pièce.

- Il s'échauffe la voix.

- Dis-lui de venir !

- Harry ! Ramène-toi !

Mon pote finit par arriver en marchant comiquement. Je le retrouve dans ce même état euphorique d'il y a deux ans lors de notre dernière tournée. Il m'indique le fond de la salle.

- À ton tour ! Me dit-il. Une clope ne suffira pas à préparer ta voix.

Lou appose une couche importante de laque sur ma tête en scandant qu'elle ne pourra pas faire mieux. Je me lève et Ava me souhaite bonne chance. Gonflé par ses encouragements, j'en oublierais presque que mes boyaux se tordent à chaque clameur de la foule. Presque. J'accorde à Harry le droit d'accaparer mon portable pendant que je rejoins Sasha. Elle me donne un tempo et m'accompagne sur le refrain d'une de nos chansons pour préparer ma voix.

Au terme de ce moment, notre tour-manager passe la tête dans la pièce où nous nous trouvons tous.

- Sur scène dans dix minutes, les gars !

Il est temps de nous rapprocher de l'entrée de la scène. Niall est le premier à quitter la loge. Son rire nerveux fait son grand retour et résonne dans les entrailles du Suntory Hall. Liam le suit tête baissée, absorbé par la concentration qu'il travaille depuis plusieurs minutes. À partir de ce moment, tout le monde sait qu'il est inutile de lui adresser la parole. Je rejoins le couloir à mon tour et laisse Harry remercier les personnes présentes en coulisses, comme il a l'habitude de le faire. Pour ma part, je reboutonne le bouton de mon pantalon et ajuste mon t-shirt noir qui colle déjà à ma peau.

Postée au bas des marches qui conduisent à la scène, notre coach vocale nous tend nos oreillettes attitrées et nous prodigue ses derniers conseils.

- N'oubliez pas que l'acoustique ici n'est pas celle des grandes salles dans lesquelles vous jouez habituellement. Gardez bien vos oreillettes, c'est important. Surtout en début de tournée.

Nos musiciens se tiennent prêts à y aller. Nous leur adressons une accolade à chacun. Soudain, la salle se met à vibrer au son des premières notes de notre toute nouvelle intro. Julian a eu l'idée de mixer divers passages de nos plus grands tubes pour créer une sorte d'ambiance à la fois nostalgique et enivrante. Il a également inclus quelques sons inédits. Chaque morceau s'évapore après des brèves secondes et la musique grimpe en intensité. L'adrénaline avant de monter sur scène est terriblement forte. C'est un véritable pic à vous coller des frissons.

Avec ce fond sonore assourdissant, il suffit de fermer les yeux pour imaginer ce qu'il se passe dans la salle blindée de monde. Des fans qui crient, rient, applaudissent, pleurent, s'impatientent. Des corps qui se poussent, se bousculent, tentent d'apercevoir quelque chose sur scène. L'atmosphère est certainement déjà moite, chargée d'ondes positives. Nos musiciens arpentent les marches. À partir de cet instant, nous savons qu'il ne nous reste qu'une poignée de secondes avant que ce ne soit notre tour. Je passe mes oreillettes et désormais, l'impatience me gagne. Je sautille sur place. Harry nous rejoint enfin. Sasha lui tend ses protections d'oreilles. Il la prend dans ses bras et arrive vers nous.

Liam nous invite à réunir nos mains, comme nous le faisons depuis dix ans maintenant. J'appose la mienne en dernier, au-dessus de celles de mes amis. Peu importe les circonstances, nous avons toujours respecté scrupuleusement ce rituel sacré. Le premier qui lève son micro est celui qui se charge de dire quelques mots. Le non-sens est souvent de mise et peu importe ce qui lui passe par la tête, cette petite phrase improvisée fait office d'encouragements. Ce soir, c'est Harry qui s'y colle.

- « Won't turn our backs to the warning signs ». Dit-il en l'honneur de notre tout nouveau single.

Nos mains se lèvent en harmonie et chacun est totalement percuté par l'énergie des trois autres. Pour les heures à venir, nous ne formons plus qu'une seule et même entité. Notre groupe.

Nous grimpons à notre tour les marches menant à la scène, galvanisés par la foule qui nous acclame dès l'instant où nous apparaissons. Les premiers malaises surviennent aux premiers rangs et les malheureuses personnes sont évacuées par les secours qui se tenaient prêts à ce cas de figure. Quand le vacarme est tel qu'on a l'impression que le plafond va s'écrouler, Josh, lance alors les premières rythmiques de « Warning Signs ». À chaque basse qui résonne, nos corps tremblent, vibrent au son de ce premier titre qui ouvre officiellement cette nouvelle tournée. Les fans euphoriques connaissent déjà chaque mot à la perfection. C'est à ce moment plus qu'à n'importe quel autre que je réalise que nous n'avons pas le droit à l'erreur.

Les projecteurs se coupent. Durant un long moment, l'écho des dernières notes résonne encore autour de nous.

- Bonsoir à tous ! S'écrie Liam lorsque les lumières se braquent de nouveau sur nous.

Les cris atteignent leur niveau de frénésie habituel, si ce n'est plus. Notre régisseur éclaire alors l'ensemble du public. Je retire une de mes oreillettes pour mieux les entendre.

- Nous sommes heureux d'être de retour. Ajoute-t-il. Ça fait un bien fou de vous revoir.

Les notes d'un de nos tubes les plus célèbres retentissent. La salle devient complètement folle et nous guide dans son euphorie. Au fil des titres, nous retrouvons nos habitudes. L'interaction avec les gens est d'autant plus vive qu'il nous est possible pour une fois de vraiment avoir un aperçu global de tout le monde. Notre parti pris de jouer dans des salles si petites est largement récompensé.

Quand je vois tout ça, je ne peux m'empêcher de me dire que j'ai été béni d'en arriver là. J'aime mon métier plus que tout. Je retire une telle satisfaction à rendre les gens heureux lorsque je suis sur scène que les points négatifs qui me contrarient parfois me semblent totalement futiles. Il n'existe aucune routine. Chanter devant une audience différente chaque soir apporte son lot d'inédits. Les ambiances diffèrent d'un soir à l'autre. Ce ne sont jamais les mêmes visages que nous apercevons. Des choses que je n'ai encore jamais expérimentées dans ma vie sont juste devant moi. À chaque tournée. À chaque concert.

La musique est mon âme, mais lorsque je suis témoin des émotions qu'elle est capable de soulever en chacun, je réalise qu'elle fait en réalité partie de nos âmes à tous. 

▽▼▽

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top