Chapitre 18

♫ « Rebel Rebel » - David Bowie ♫


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Harry
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Perdu dans mes pensées qui s'agitent en permanence autour du même titre depuis des jours, je me rends compte avec effroi que j'ai presque effectué le trajet jusqu'à Shoreditch sans voir la route. J'ai roulé machinalement pendant près de quinze minutes, alors que je ne le fais jamais en temps normal. J'ai besoin d'entendre les moindres bruits de la circulation qui m'entoure et ne m'autorise d'ailleurs à écouter la musique que depuis peu.

Je baisse les yeux sur le siège passager et m'aperçois que la diode de mon téléphone clignote. Arrêté au feu rouge, j'en profite pour le saisir tout en gardant un œil sur la voiture qui me précède. J'ai un message vocal de ma mère. Je baisse le volume de la radio et active la lecture sur haut-parleur.

« Coucou mon chéri, j'espère que je ne t'ai pas réveillé. Tu me manques. Rappelle-moi quand tu peux. Je t'embrasse. »

Elle me manque à moi aussi. J'avoue l'avoir un peu négligée ces dernières semaines, ne parvenant pas à caler mon temps libre avec le sien. Étant donné que j'arrive au studio dans moins de deux minutes, je vais pouvoir la rappeler.

Le même cercle d'habituées entoure les grilles de l'entrée. Ma voiture a à peine tourné dans la rue qu'elles s'agglutinent aux vitres pendant que j'attends l'ouverture automatique du portail. Comme tous les jours, je leur adresse un petit mot une fois de l'autre côté.

- Comment allez-vous depuis hier ? Vous n'en avez pas marre de voir nos tronches tous les jours ?

Évidemment, les fans me répondent que non. Je leur souris et en profite pour les charrier un peu plus.

- Au fait, plus qu'une heure pour obtenir vos places pour la tournée...

- On sait ! Me répond l'une d'elles en brandissant son téléphone. On est déjà toutes en file d'attente !

- Bon courage.

Les pauvres. Je sais que ça va être la guerre dès l'ouverture de la mise en vente. Nos dates viennent d'être annoncées en début de semaine et depuis, les réseaux sociaux sont en ébullition. D'autant plus que nos choix de lieux ont fait jaser, puisque toutes les salles ont une capacité d'accueil très réduite comparé aux stades que nous avons pu remplir auparavant. C'est un souhait de notre part pour rendre nos futurs concerts plus intimistes.

En entrant, je lève instinctivement les yeux et aperçois Julian -qui squatte le studio depuis des semaines maintenant- s'étirant depuis le dernier niveau.

- Salut ! M'adresse-t-il en bâillant. Le patron est au téléphone.

Il m'indique le bureau de Louis, dans lequel j'entends effectivement sa voix résonner. Je ne l'ai jamais vu aussi matinal que depuis que nous enregistrons. Je grimpe les marches qui mènent au studio en pensant monter les rejoindre à l'étage au-dessus, mais lorsque j'arrive au premier, mes yeux se posent sur une chevelure blonde dans le fond de la pièce. Sasha est elle aussi très ponctuelle. Plongée dans une semi-pénombre, un casque sur les oreilles, elle semble s'imprégner d'un de nos titres récemment enregistré en chantonnant les gammes à voix basse. Elle retire ses écouteurs en me voyant approcher.

- Hey ! Comment ça va depuis hier soir ? Me demande-t-elle en me faisant une chaleureuse accolade.

- Super.

Ces jours-ci, le travail est tellement productif que j'ai l'impression que nous nous quittons juste pour dormir. Le boulot avec Sasha est vraiment édifiant. Elle est toujours aussi rayonnante et de bonne composition malgré l'amplitude horaire pas toujours évidente.

- Je monte prendre un café. Tu en veux un ?

- Volontiers. Répond-t-elle en souriant avant de se remettre au travail.

Louis sort de son bureau au moment où je m'apprête à redescendre avec deux tasses bouillantes dans les mains.

- Trois millions, mec ! S'écrie-t-il avec son smartphone sous les yeux. Trois millions !

- Sur ton compte en banque ?

- Trois millions de personnes sont en train d'attendre sur Ticketmaster pour avoir leurs places ! Reprend-t-il avec sérieux, sans même rire à ma blague. Le serveur est sur le point de planter !

On dirait que le fait d'être à l'origine d'un bug du site le réjouit. Il a l'air encore plus exalté que lorsque son équipe de foot favorite est en train de gagner un match.

Julian sort de sa douche express au même moment.

- Neuf heures ! S'écrie-t-il en regardant l'horloge murale. Timing respecté ! Allez, au boulot.

Je craignais que la vente des places nous perturbe, mais vu l'humeur de chacun, je pense que la journée va encore être très productive.

Niall vient tout juste d'arriver lorsque nous redescendons. Sa guitare sur le dos, il nous dit avec empressement avoir encore passé une bonne partie de la nuit à bosser sur les titres. Il ne manque plus que Liam pour commencer à se remettre au travail. Louis lui envoie un message auquel il ne répond pas et au bout d'un quart d'heure, nous décidons de débuter sans lui.

Julian s'enferme dans sa bulle et peaufine les derniers ajustements du titre le plus abouti que nous ayons enregistré, tandis que Sasha nous invite à revoir l'ordre de la setlist établie cette semaine pour la tournée.

- J'ai un peu réfléchi en réécoutant vos morceaux et je pense qu'il serait plus judicieux d'inverser quelques titres pour plus de cohérence. Nous explique-t-elle en mettant la liste sous nos yeux.

Munie d'un marqueur, elle souligne ceux sur lesquels son idée se porte.

- Je pense que « History » et « Overrated » seraient mieux placées après « Story of My Life » plutôt que l'inverse. Qu'en pensez-vous ?

Niall pointe du doigt le dernier titre que nous avons choisi pour le rappel de fin de concert.

- Où est passée « Best Song Ever » ? Demande-t-il, prouvant qu'il a visiblement loupé un passage.

- On l'a enlevée. Lui dit Louis.

- Quoi ? Mais depuis quand ? J'étais où quand on a fait ça ?

- Sûrement aux toilettes. Ajoute Louis pour se moquer.

- Elle a été remplacée par « Drag Me Down ». Lui explique Sasha.

Notre ami ne semblait pas au courant de ce changement. La difficulté à ce stade de notre carrière est de sélectionner une vingtaine de titres sur la centaine qui existe. Il y aura forcément des déceptions, mais Sasha a raison en disant que nous avons besoin de bousculer nos habitudes. « Best Song Ever » clôture tous nos lives depuis la sortie de « Midnight Memories ». Un peu de renouveau fera du bien à tout le monde, même si Niall déplore ne plus finir le show avec sa guitare à la main.

La porte d'entrée claque après le passage de quelqu'un et Liam apparaît enfin. Ses lunettes de soleil sur les yeux, il nous salue et ne prend pas la peine de s'excuser pour son retard. Ce n'est pas la première fois qu'il nous fait le coup.

- Tu es tombé dans les bouchons ? Lui demande ironiquement Louis, sachant très bien qu'il a tout simplement pris volontairement son temps.

Il va falloir mettre les choses au clair à ce sujet pour que nous soyons tous sur la même longueur d'onde et éviter que des tensions inutiles ne viennent nous perturber.

- J'avais besoin de sommeil. Répond simplement Liam.

- On est tous dans le même cas. Ça ne veut pas dire que chacun peut faire comme bon lui semble.

Mon intervention jette un froid. Comme toujours lorsqu'il sent que la discussion va mal tourner, Julian fait mine de ne pas avoir entendu et se tasse dans son siège à quelques mètres de nous.

- Il faut que l'on soit tous d'accord sur un point. La tournée commence dans peu de temps. Il ne va pas falloir que chacun fasse des horaires à sa sauce, surtout par respect pour Sasha et Julian qui sont là tous les jours avec nous.

- Ça va, c'est la première fois que ça arrive. Me reprend-t-il en souriant volontairement, comme s'il ne voyait pas où je veux en venir.

- Non, ce n'est pas la première fois et tu n'es pas le seul à qui ce soit arrivé, mais maintenant, nous n'avons plus le choix. Il faut de la rigueur.

- Il n'a pas tort. Acquiesce Louis. Et pourtant, la ponctualité n'a jamais été mon fort, et vous le savez.

Une notification apparaît simultanément sur nos téléphones. Silencieux jusque-là, Niall se lève en lisant ce qu'il a sous le nez.

- Les gars, on a tout vendu. Nous dit-il avec émotion. En moins de deux minutes.

Mon regard s'adoucit instantanément et la tension retombe. Liam m'indique d'un signe de main que mon message est néanmoins passé. Je ne désire pas me mettre l'un d'entre eux à dos en voulant recadrer les choses, mais je ne veux tout simplement pas que l'on se plante dans les semaines à venir. Beaucoup trop de monde nous attend au tournant.

Pendant que Louis retravaille une partie solo, j'en profite pour regarder mon téléphone et me souviens que j'ai totalement oublié de rappeler ma mère. Deux messages de Joy m'y attendent.

Joy, 10:37 : « Ne sois pas vexé, mais je ne me sens pas encore prête à le faire. »

De quoi parle-t-elle ? Prête à faire quoi ? Nos derniers mots échangés un peu plus haut datent de trois jours et n'impliquent en rien une telle réponse. Le second texto répond à mes questions.

Joy, 10:37 : « Oups, désolé mon cœur. Je me suis trompée de destinataire. »

Je m'apprête à lui répondre un « ça ne fait rien », mais lis et relis plusieurs fois ses mots. « Ne sois pas vexé... ». « Vexé ». Au masculin. À qui s'adresse-elle ? Qui est cet individu avec qui elle n'est pas prête à faire quelque chose ? Interloqué, je finis par laisser tomber lorsque Niall m'interpelle pour les rejoindre sur le refrain. Me triturer les méninges avec cette histoire n'avancera à rien et ne fera au contraire que me perturber.

C'est exactement ce que je craignais. Je ne fais qu'y penser. Les heures défilent beaucoup plus lentement et je ne suis pas aussi impliqué que je le voudrais. Après une rapide pause déjeuner, je ressaisis alors mon portable dans le but de lui demander à qui elle destinait ce message, au risque de passer pour le pire des jaloux. Joy m'a répondu entre temps, mais pas ce à quoi j'aspirais.

Joy, 14:22 : « Putain ! Je viens de voir que vous aviez tout vendu ! »

Une nouvelle fois, l'envie me démange de composer un tout autre message, mais je lui renvoie simplement une émoticône qui lève les bras.

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- Il y a beaucoup de changements de hauteur, c'est sacrément ambitieux de tenir ça en concert. M'adresse Sasha au micro de l'autre côté de la vitre.

Je lève les épaules.

- Si je le fais ici, je ne vois pas pourquoi je n'y arriverais pas en live.

Elle me rend mon sourire et acquiesce d'un léger hochement de tête. Je sais que j'en suis capable et j'aime casser les codes qui prédéfinissent ce que les gens considèrent comme nos limites. Je ne veux plus que l'on se bride. La nouveauté éveille en nous un pouvoir créatif infini que nous n'avions jamais entrevu de la sorte auparavant.

Julian lance une nouvelle fois la bande-son sur laquelle je dois caler ma voix de la même manière qu'il y a quelques instants. J'y parviens avec une fluidité qui me surprend moi-même et lorsque je rouvre les yeux, ils s'ancrent à ceux de notre coach qui me gratifie d'applaudissements. Ceux-ci s'intensifient soudainement de façon fulgurante et c'est alors que j'aperçois quatre nouvelles silhouettes derrière mes acolytes. Elles approchent un peu plus vers la lumière et je me rends compte qu'il s'agit de Joy, Ava, Maureen et Sophia.

Je retire mon casque tandis qu'elle saluent les autres et les rejoins de l'autre côté. Leur visite n'était pas prévue au programme. Je me demande bien ce qu'elles ont dans la tête, mais un seul regard de Joy suffit à gommer mon irritabilité.

Elle dépose son sac au sol et se dirige vers moi. Ses avant-bras encerclent mon cou et je m'empare de sa bouche dans un baiser dévorant. Son baume pour les lèvres glisse sur les miennes et y laisse un goût sucré. Je me sens terriblement soulagé par cette marque d'affection qu'elle me témoigne suite à mon ruminement incessant de la journée.

- Où est ma femme ? Déplore Julian avec humour en mimant sa peine.

Il ne voit plus beaucoup sa famille par notre faute.

- Que nous vaut cette visite surprise ? Leur demande Louis.

- On voulait vous féliciter, en quelque sorte. Répond Sophia en se lovant dans les bras de son mari.

- On a apporté de quoi fêter votre succès d'aujourd'hui pour la vente des billets. Ajoute Ava.

- Et on avait surtout très envie d'avoir un peu d'exclusivités à se mettre sous la dent. Complète Maureen.

On avoue être plutôt secrets concernant notre travail ici. Aucune chanson n'est sortie de ces murs depuis que nous enregistrons. Nous ne les faisons même pas voyager sur nos boîtes mails qui peuvent être à tout moment piratées. Les filles n'ont donc pratiquement eu aucun aperçu de nos créations musicales.

- Vous pourriez leur faire écouter « Warning Signs » ? Suggère Sasha, se ralliant à la cause féminine.

- Excellente idée ! Acquiesce Joy en pointant solidairement l'autre blonde du doigt.

Nous n'avons d'autre alternative que d'accepter. J'ignore pourquoi, mais j'ai comme l'impression qu'elles ne sont pas venues pour cela. Je suis sûr qu'elles sont toutes ici dans l'unique but d'enfin se faire une idée sur notre collègue. Cette visite est clairement une embuscade. Elles se sont liguées, ça se voit. À tour de rôle, chacune scrute avec attention l'allure de Sasha du coin de l'œil.

- Vous avez de la chance, le mastering vient tout juste d'être terminé. Leur dit Julian. Mais d'abord, il va falloir montrer vos arguments, Mesdemoiselles.

Maureen sort alors un pack de bières qui était dissimulé dans un sac de courses.

- Ok, ça suffira. Lui dit-il en avançant sa chaise vers la table de mixage.

Je me propulse en arrière dans l'imposant sofa et invite Joy à m'y rejoindre. Elle passe ses jambes entre les miennes et s'assied sur mes genoux afin de libérer de la place aux autres. Une fois qu'il n'y a plus aucun bruit dans la pièce, Julian lance solennellement la chanson en question.

Je ne suis pas forcément fan de ce genre de moments. J'ai toujours peur du jugement des oreilles extérieures, comme n'importe quel artiste qui expose ses œuvres. Le titre, aux sonorités à la fois rock et groovy, emporte l'attention de chaque personne présente. Je m'immerge à mon tour totalement dans cette écoute en me mettant dans mon monde, les yeux fermés, Joy fermement enlacée contre moi. Une de mes mains passe innocemment sous son chemisier et effleure sa peau douce et chaude. La chair de poule finit par recouvrir son dos au contact de mes doigts. Je suis réconforté de voir que ce simple rapprochement éveille quelque chose en elle.

À l'issue de la chanson de près de cinq minutes -format relativement rare pour nous- nos petites amies semblent conquises. Et il faut avouer que nous aussi.

- Vous savez ce qu'on devrait faire ? Nous demande Louis en se levant précipitamment.

Nous le regardons avec attention et secouons la tête unanimement.

- On devrait la balancer. Dit-il en pointant l'enceinte d'où viennent de sortir les dernières notes de « Warning Signs ».

- Comment ça ? Lui demande Julian.

- Tu veux dire, la publier ? Enchaîne Liam, dubitatif.

- Exactement. Conclut Louis en croisant les bras.

J'avoue que son idée n'est pas mauvaise. Nous nous regardons tous les quatre pour jauger l'avis de chacun. Tout le monde semble partant.

- Vous êtes sûrs de vous ? Nous demande Sasha en se redressant. Ça se prépare ce genre de chose d'habitude.

- Tu es la première à nous dire de casser ses habitudes justement. Lui dit Niall.

Avant, jamais nous n'aurions eu la possibilité de faire quelque chose d'aussi fou. Il aurait fallu en référer à Modest Management, puis au label. Maintenant, ce genre de questions ne se pose plus.

- Désormais, on est libres de faire ce que l'on veut, ne l'oubliez pas. Ajoute Louis. Je pense qu'il faut en profiter.

Une hilarité soudaine succède à ses mots. Pas parce que l'on trouve l'idée stupide, mais parce qu'au contraire, elle est tout à fait juste. Personne ne se lance, alors je finis par le faire.

- Allez, c'est parti.

L'euphorie submerge le studio. Aussitôt, Julian fait glisser sa chaise de bureau jusqu'à son iMac et se connecte à Spotify. La surprise qui attend nos fans risque de créer de sacrés émois.

Toujours sur mes genoux, Joy est elle aussi emportée par les rires du groupe et je ne perds pas une miette de son ravissant sourire.

- Prêts ? Nous demande Julian, créant un silence de circonstance dans la pièce.

Les souffles se coupent. Les regards se jaugent. En un seul clic, notre titre sera à la disposition de la Toile. C'est presque vertigineux quand on y pense. Une boule d'excitation me soulève l'estomac lorsque Louis, impatient, prend les commandes.

- Trop de suspens ! S'écrie-t-il en poussant notre ami qui n'en revient pas d'avoir été rejeté de la sorte. C'est en ligne !

Un élan d'applaudissements de la part des filles et de nos alliés musicaux vient ponctuer son geste. Tout le monde se met debout et commence à sortir de quoi fêter cet événement. Les bières s'entrechoquent. Je m'approche de Sasha pour trinquer avec elle afin de la remercier d'une certaine manière pour son travail. J'espère qu'elle a conscience que l'on tient à faire un bout de chemin en sa compagnie. Elle lève les yeux de son téléphone et comprend mon intention en avançant sa bouteille vers la mienne. Son regard pétille lorsqu'elle verrouille son smartphone. J'imagine qu'elle a dû l'annoncer avec fierté à son entourage.

- Mon fils était curieux d'entendre ce que ça allait donner. M'avoue-t-elle. Je lui ai dit d'aller écouter.

Ses yeux dérivent dans l'instant qui suit en direction de Joy, qui vient encercler mon buste avec ses bras. Je la rapproche un peu plus de moi, tout en continuant ma conversation avec notre coach vocale.

- En tout cas, tu peux être fière. Sans toi, ce titre ne serait pas si abouti.

Elle reçoit mon compliment en baissant timidement la tête.

- Je crois que vous vous sous-estimez. Commence Sasha. Le travail que vous...

- Ah ça c'est sûr, ils sont plutôt modestes en ce qui concerne leur musique ! La coupe Joy, souhaitant prendre part à notre échange.

Sasha semble chercher les mots que Joy lui a subtilisés en intervenant de la sorte. Je serre davantage ma petite amie contre moi.

- Votre façon de travailler relève d'un sérieux sans égal comparé à...

Joy la coupe une nouvelle fois.

- Tu n'as pas bossé avec Taylor Swift dernièrement ? Lui demande-t-elle. Parce que c'est une de ses ex.

Sasha balade ses yeux entre Joy et moi, puis me considère avec interrogation. Mais qu'est-ce qui lui passe par la tête pour demander une chose pareille ?

- Non... Je n'ai jamais travaillé avec elle. Répond-t-elle tout de même en ne quittant pas mon regard, un peu gênée par le franc-parler de ma petite amie.

- Mais, chaton, qu'est-ce que ça vient faire dans la conversation ?

Vexée, Joy se détache de notre étreinte et se mure dans un silence, nous laissant reprendre le fil de notre échange. Ne souhaitant pas qu'elle s'éclipse, je prends sa main dans la mienne le temps que nous rejoignons le reste du groupe.

Au fur et à mesure de la soirée imprévue, les filles font davantage connaissance avec Sasha, mais par moment, ça ressemble presque à un puéril règlement de compte. La pauvre n'a certainement aucune conscience d'attiser à ce point leur inquiétude et répond avec le plus grand naturel, jusqu'à ce qu'une question ne me mette une fois encore hors de moi. Et malheureusement, c'est ma chérie qui franchit la limite de l'acceptable.

- Et, tu as quelqu'un dans ta vie ? Lui demande Joy.

Je bondis aussitôt.

- À quoi ça rime toutes vos questions ?!

Joy me lance un regard interrogatif.

- Ce n'est rien, Harry. Me reprend Sasha en souriant. Je trouve normal qu'elles cherchent à savoir avec qui vous passez tout votre temps.

Elle pivote un peu plus vers ma curieuse petite amie, tandis que je détourne le regard pour paraître détaché de leur inquisition.

- Donc, pour te répondre, non, je n'ai personne dans ma vie. Je suis divorcée et j'ai un fils, Trevor. Il a dix ans.

Ma jambe droite se met à bouger frénétiquement. Toujours assise près de moi, Joy plaque une de ses mains sur ma cuisse pour calmer ce mouvement nerveux. Lorsque ses yeux tombent dans les miens, je me mets étrangement à repenser à son message de ce matin. J'ai le sentiment qu'elle fait comme si rien n'avait eu lieu.

Plus la discussion avance, plus je me sens mal à l'aise. Mes potes n'ont pas pris part à tout cela. Ils sont un peu plus loin, hilares avec Julian près de la table de mixage. J'ignore pourquoi, mais ces temps-ci, je suis pire qu'un aimant avec Joy. Le lien que nous avons rompu en rentrant de notre voyage me fait toujours défaut.

Je m'enfonce dans le canapé pour m'écarter de la discussion des filles tout en maintenant un contact avec Joy. La douceur de sa cascade de cheveux m'apporte un réconfort de courte durée lorsque mes doigts s'entremêlent dans ses mèches dorées. En réactivant l'écran de mon téléphone, je tombe de nouveau sur ses derniers sms et mes questionnements refont surface. Putain, mais c'est qui ce type ? Est-ce qu'elle parle de ses médicaments ? Songe-t-elle à en reprendre ? Ou pense-t-elle simplement à me tromper ? Ça serait plausible. Elle passe toutes ses journées seule. Je me raisonne alors. Sorti de son contexte réel, ce message peut vouloir dire tout et n'importe quoi.

Je sens que mes nerfs sont tendus à craquer et ne vois qu'une solution pour y mettre fin. Je me lève tout en agrippant la main de Joy pour qu'elle me suive. J'avance jusqu'au bout de la pièce et la plaque délicatement contre le mur le plus proche. C'est presque un soulagement de pouvoir enfin avoir un aparté avec elle, même si j'ai conscience que nos amis ne sont pas loin. À cette distance, ils n'entendront pas ce que j'ai à lui dire et je n'aurais pas à me censurer.

Joy semble surprise, mais se laisse faire. Mes mains la maintiennent en douceur, tandis que j'autorise uniquement ma bouche à témoigner ma colère. Nos visages entrent en collision. Mes dents mordillent sa langue qui se frayait un chemin jusqu'à la mienne. La goûter de la sorte chasse presque toutes les mauvaises pensées qui m'ont torturé l'esprit. Je presse ensuite mes lèvres contre sa tempe et les descends près de son oreille.

- À qui destinais-tu ton message ce matin ?

Le ton de ma voix a changé. Je maintiens un regard autoritaire sur elle et lis presque un sentiment de peur dans ses yeux. J'y vais peut-être un peu fort. Sa salive semble lui obstruer la gorge et Joy peine à déglutir.

- Tu n'es pas sérieux ? Finit-elle par me demander. Ne me dis pas que tu es dans cet état à cause de ça ?

- Prouve-moi que j'ai tort de m'inquiéter alors.

Joy recule légèrement et pose lourdement sa tête contre le mur. En voyant son regard attristé, je ne sais même plus pourquoi je suis si énervé. Ses yeux bleus semblent se consumer avec ma réaction débile.

- Ce message était destiné à un collègue. Me dit-elle finalement, comme si elle crachait ses mots. Ce même collègue dont je t'ai parlé il y a quelques jours. Il me demandait si je me sentais prête à venir leur rendre visite à l'hôpital. Je lui ai dit que non. Point. Ça ne va pas plus loin, Harry.

Un long souffle s'échappe de mes narines et mes yeux fixent désormais le sol. Stupide. Je suis totalement stupide de m'être fait des idées. La main de Joy vient se poser sur mon visage pour me forcer à relever la tête. Un sourire est apparu en quelques secondes. J'ai l'impression d'avoir jonglé entre deux personnalités différentes aujourd'hui.

- Qu'est-ce que tu as bien pu t'imaginer ? Me demande-t-elle calmement cette fois-ci.

- Je vais essayer de garder mes couilles, si tu veux bien.

Joy s'esclaffe vivement et m'attrape par mon pendentif pour m'attirer vers elle. Notre baiser adoucit nos lèvres enflammées par le précédent contact ardent que nous avons eu. Comment ai-je pu douter d'elle ?

Nous mettons fin à notre tête-à-tête de la sorte et rejoignons les autres, qui se sont tous réunis pour écouter un nouveau titre. Personne ne semble avoir prêté attention à nous.

J'ai la gorge sèche. Joy s'assied près d'Ava tandis que j'avance encore de quelques pas pour m'emparer d'une nouvelle bouteille. J'humecte mes lèvres en me relevant et mes yeux se heurtent à ceux de Sasha. Troublé, je reste un moment immobile, cherchant à traduire ce que peut bien vouloir signifier ce regard rivé intensément sur moi. J'avale ma bière à grandes goulées, tout en maintenant un contact visuel avec elle jusqu'à me retrouver dans une situation très inconfortable. Je baisse les yeux en premier et retourne sur mes pas. Immédiatement, je ne vois plus que les lèvres de Joy. Ses lèvres qui me ramènent à notre baiser. Mon jean me paraît soudainement plus serré qu'à la normale et je ne sais pas qui accuser. Cette bouche ? Ou ces yeux que je sens toujours braqués dans mon dos ?

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