Chapitre 17
♫ « Your Song » - Rita Ora ♫
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Ava
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Un rayon de soleil joueur et matinal se faufile entre les doubles rideaux et éclaire désormais la pièce jusque-là plongée dans une semi-pénombre. Il faut en général un certain temps pour que le jour transperce la hauteur des immeubles du quartier de Soho et pénètre la chambre. Allongée sur le ventre, je relève ma tête endolorie par une mauvaise position et observe Louis qui dort à mes côtés. Le drap arrive juste à la courbe de son fessier. Je reste un certain temps figée face à cette image digne d'un rêve. Lui au moins n'aura pas été perturbé par un sommeil fuyant. J'active l'écran de mon téléphone posé sous l'oreiller et m'aperçois qu'il est déjà presque midi. Je suis donc éveillée depuis près de trois heures.
Je bascule sur le dos et gémit de douleur. Une migraine lancinante vrille mes tempes, rappel vicieux de mes excès alcoolisés de la veille. J'aurais dû me rendormir au lieu de ruminer inlassablement. Pourquoi faut-il que je me fasse toute une montagne d'une discussion aussi normale dans un couple ? Les mots prononcés par Louis au petit matin à notre retour de soirée me percutent une nouvelle fois par leur écho. Il a demandé à ce que nous vivions ensemble. Sa question était si soudaine que je n'ai pas été en mesure de lui répondre quoi que ce soit, et je crois que je ne suis toujours pas capable de le faire. Pourtant, les éléments en faveur de cet emménagement sont plus que nombreux. Réfléchis, Ava. Tu l'aimes. Tu le trouves merveilleux. Il te rend heureuse depuis plus d'un an. Sans parler du fait que vous êtes parfaitement compatibles sur le plan sexuel. Il faut se rendre à l'évidence. Tous ces points me ramènent à la même conclusion. Je ne me vois pas faire ma vie sans lui.
En revanche, ce qui fait furieusement pencher la balance de l'autre côté est indéniablement le bien-être de ma meilleure amie. Joy vient tout juste de se sortir la tête de l'eau. Notre colocation nous offre des moments d'échange tellement précieux que je ne m'imagine tout simplement pas lui dire que je m'apprête sûrement à y mettre un terme dans les mois à venir. Blesser Joy ? Ou blesser Louis ? Suivre mon cœur ou ma raison ?
Mes yeux dérivent de nouveau sur mon bel amant endormi. Je ne peux définitivement pas me résigner à lui dire non. Seulement, un doute s'immisce dans mon esprit. Se souvient-il de sa demande ? Nous étions tous les deux ivres. Je ne suis pas certaine qu'il parlait en toute connaissance de cause. Notre dernière cuite légendaire et les bagues que nous nous sommes passées aux doigts peuvent en témoigner.
Perdue dans mes pensées, je fais tournoyer mon téléphone entre mes doigts et ce dernier finit par m'échapper. Il tombe à quelques centimètres du visage de Louis, ce qui le sort de son sommeil. Un long soupir lui échappe, comme s'il venait d'être happé hors de son inconscient.
- Honte à toi de m'avoir réveillé. Marmonne-t-il les yeux à demi-ouverts, sans même changer de position. J'étais en plein rêve.
Je glisse vers lui, repoussant volontairement le drap sur ses jambes. Son odeur entêtante m'absorbe toute entière.
- Tiens donc ? Et il racontait quoi, ce rêve si précieux ?
- Je ne suis pas sûr de pouvoir te donner un scénario bien défini. Répond-t-il en se tournant de façon à ce que je me niche dans ses bras. Tout ce que je sais, c'est que tu étais aussi nue qu'à l'instant présent et que ça n'avait rien de désagréable.
Un sourire prend forme sur mes lèvres et Louis me le rend. Les siens me coupent le souffle, et je n'exagère pas. Parfois, j'en oublie presque de respirer. Il s'empare à son tour de son portable et ouvre sous nos yeux un message reçu il y a quelques heures.
Harry, 9:52 : « Merci pour ta compagnie. Ce footing était vraiment édifiant. »
- Enfoiré. Souffle-t-il en riant. Vu son état d'hier soir, je demande à avoir des preuves qu'il soit vraiment sorti courir.
Ne voyant pas où il veut en venir, je l'interroge du regard.
- J'ai eu le malheur de parier que je le rejoindrai ce matin. M'explique-t-il.
- Quelle drôle d'idée.
Je le vois fouiller dans la liste des smileys pour lui envoyer celui qui traduit le mieux le fond de sa pensée. Ils ont vraiment l'art et la manière de se renvoyer la balle.
Je laisse filer ce délicieux moment quelques instants avant d'être rattrapée par mon inquiétude. Visiblement, Louis garde des souvenirs précis de la soirée, mais il faut vraiment que je sache s'il se rappelle de notre dernière conversation. Je prends la bouffée d'air nécessaire à mon inquisition.
- Te souviens-tu de ce que tu m'as demandé hier avant que nous allions sous la douche ?
J'attends patiemment qu'il réponde sans me détacher de lui, en espérant ne pas le mettre au pied du mur. Louis pose son téléphone et se relève sur les coudes pour bien me regarder.
- Hum... Je veux bien que tu me rafraîchisses la mémoire. Bredouille-t-il, légèrement soucieux.
J'avale ma salive en paniquant intérieurement. Je crains qu'il ne me rie au nez si ce passage a été gommé de sa mémoire. Tandis que je cherche mes mots, son sourire s'agrandit et déborde d'insolence. Ava, bon sang... Tu es si crédule. Je lui adresse une tape sur l'épaule.
- Tu es encore en train de te payer ma tête !
Je me redresse à mon tour et enroule le drap sur ma poitrine.
- Pourquoi voudrais-tu que j'ai oublié ? Me demande-t-il.
- Je ne sais pas... Je me suis dit que ça pouvait être des paroles en l'air, du genre que l'on prononce sans se douter de leur impact.
- Et quel genre d'impact ont-elles eues sur toi ?
Mes yeux sondent son regard. Comment lui dire que sa requête m'a totalement bouleversée ? Que je n'en ai pas fermé l'œil de la nuit ? Quelques longues secondes s'écoulent et Louis finit par rompre le silence.
- J'étais sérieux, Ava. Je veux que l'on soit ensemble tout le temps. Pas juste quand on parvient à caser deux ou trois nuits dans notre emploi du temps.
Il a raison. Lui comme moi avons clairement passé l'âge de préparer un sac avec des affaires pour passer la nuit chez l'autre. Vivre ensemble serait tellement plus simple et finalement plus logique.
- Viens vivre avec moi. M'implore-t-il de nouveau avec cette même spontanéité qui m'a laissée sans voix il y a plusieurs heures.
Une fois de plus, mon cœur se serre. J'ai ma décision au bord des lèvres, mais elle ne les franchit pas.
- Si ce sont des arguments qu'il te faut, j'en ai des tonnes en tête. Ajoute-t-il.
Il attise ma curiosité.
- J'aimerais beaucoup les entendre.
Sa bouche se pince pour réprimer une moquerie. Je le vois dans ses yeux rieurs. Louis finit tout de même par me prendre au mot. Il se redresse davantage dans le lit et se poste face à moi.
- Je veux pouvoir partir bosser en me disant que je te retrouve en rentrant le soir. Avoir du mal à me lever en sachant que je laisse ton corps chaud derrière moi. Entendre ta voix chantonner des chansons mielleuses depuis la salle de bains quand tu te prépares le matin...
D'emblée, une boule d'émotion pointe le bout de son nez à l'intérieur de mon ventre. Je n'aurais pas dû le pousser à me dire de telles choses. Il poursuit avec une fluidité qui me coupe le souffle une nouvelle fois.
- ... Je veux entendre ta clé tourner dans la serrure et savoir que dans les secondes qui suivent, tu vas te blottir dans mes bras. Je veux continuer à te faire rire inlassablement. Tous les jours. Toute ma vie.
Mon cerveau est en bouillie. Mon cœur sur le point d'exploser.
- Ava. Je ne peux plus me passer de toi.
Je me surprends à sourire bêtement, la gorge nouée, les yeux brûlants. Non, ne craque pas.
- Chut. J'ai envie de pleurer... J'ai vraiment envie de pleurer...
J'esquisse un piètre rictus, submergée par l'émotion.
- Et bien pleure, trésor. M'autorise-t-il d'une voix calme avant de me serrer contre lui.
Il n'en fallait pas plus pour que les larmes que je tentais de réprimer s'expriment à leur manière. Rapidement, j'ai les joues inondées de gouttes salées qui viennent s'échouer sur l'épaule de mon chéri. Je l'aime tellement.
Il y a encore des choses que je n'explique pas, comme cette sensation de papillons dans le ventre lorsqu'il me regarde. J'ai l'impression que cette phase de totale connexion dans laquelle nous sommes ne se ternira jamais. Être près de lui m'offre un sentiment de plénitude que je n'ai jamais connu avec les hommes qui sont passés dans ma vie. C'est bon. Ma décision est prise.
- J'espère que ce chagrin n'est pas... Commence-t-il en écartant une mèche de cheveux qui me barre le visage.
Je le coupe immédiatement.
- C'est oui.
Contrairement à notre mariage qui relevait clairement du coup de tête, j'ai le sentiment que cette fois-ci, sa demande a été mûrement réfléchie. Un souffle de soulagement lui échappe.
- Tu es dure en affaires. M'avoue-t-il. Jamais je ne me serais cru capable de dire de telles choses un jour.
J'admets l'avoir clairement fait marcher pour qu'il me sorte ce qu'il a sur le cœur, car peu importe la tournure de notre échange, l'issue aurait été la même. Je suis décidée à entamer une vraie vie de couple avec lui, mais pas forcément dans les conditions qu'il entrevoit. C'est d'ailleurs sur ce point que je m'apprête à l'interroger.
- Donc... Comment s'organise-t-on ?
- Je pense que c'est tout vu. Répond-t-il rapidement. J'apprécie beaucoup Joy, mais je doute qu'elle accepte un second colocataire.
Mes spéculations étaient justes. Il veut que j'emménage chez lui. Seulement, même si c'est la solution la plus cohérente, j'ai du mal à me faire à l'idée que je vais m'installer dans un loft que je n'aurais pas choisi et dans lequel il a déjà investi tout l'espace. Je crois que j'ai besoin d'un changement radical.
- Idéalement, j'aimerais que l'on se trouve un endroit à nous.
Louis hoche plusieurs fois la tête et attend que je développe.
- Ne te vexe pas, j'adore ton appartement, je m'y sens bien, vraiment, mais...
- Mais ce n'est pas le tien. Conclut-il, sans la moindre contrariété apparente.
- Voilà. J'aurais le sentiment de venir vivre chez toi, de m'imposer.
- Tu sais très bien que je m'en fiche.
- Oui, je le sais. Mais je suis comme ça.
Je hausse les épaules et souris. J'ai conscience d'être assez vieux jeu sur cet aspect de la vie commune, mais c'est vraiment l'idée que je m'en fais. Depuis que nous nous connaissons, Louis contre-balance la plupart de mes concepts. Seulement, je tiens à ce que celui-ci soit honoré.
- Il nous faut un endroit que nous aurons choisi ensemble.
- Aucun problème.
Mon ventre se crispe d'impatience à cette idée. La poitrine débordante de bonheur, je lève les yeux vers lui. Je frissonne. De nouveau, des papillons. Louis soulève mon menton et se rapproche pour m'embrasser. Mes doigts effleurent ses cheveux bruns en bataille alors qu'intérieurement, je manque de m'évanouir. Notre baiser est tendre. Passionné. Amoureux.
Il se détache et pose son front contre le mien, ne me donnant accès qu'à une étendue bleue.
- Trésor ?
- Oui ?
- Je suppose que le moment est mal choisi pour te dire que c'était une blague ?
Je recule et le foudroie du regard.
- N'y songe même pas.
Un éclat de rire commun nous surprend. Maintenant, la partie la plus difficile de notre accord est devant moi. Je vais devoir annoncer à ma meilleure amie que je quitte notre cocon de Paddington.
- Par contre, tu n'y vois pas d'inconvénient si je l'annonce à Joy avant n'importe qui d'autre ?
- Pas du tout. Je tiendrai ma langue.
Inconsciemment, j'espère qu'elle passera le week-end entier chez Harry pour me permettre de réfléchir à la meilleure façon de le lui dire. Je vais être contrainte de passer prendre des affaires chez nous et si je pouvais ne pas l'y croiser, ça me donnerait une journée supplémentaire pour peser mes mots. J'espère qu'elle comprendra. Je pense qu'elle comprendra.
_____
- L'astuce c'est de ne jamais déplacer tous tes plans en même temps. Tu les sélectionnes un à un et ainsi de suite.
Mon collègue prend note de mes conseils et les met en application devant moi.
- Parfait. Tu penses que ça va le faire ?
- Il y a beaucoup de choses à absorber, mais ça va. Me répond Matt en souriant.
Lorsque je relève la tête de son ordinateur, le silence plombe soudainement l'intégralité du pôle. Je constate que tous les regards sont désormais rivés en direction du couloir dans mon dos. Je me retourne vivement, m'attendant à y voir le grand patron et sa tête de mal luné, mais au lieu de cela, une silhouette familière s'impose à moi. Mais que fait-elle ici ?
Joy progresse vers nous à pas de loup, les yeux divaguant sur ce qui l'entoure. Un sandwich à la main, elle a tout d'une touriste visitant une galerie. Je ne saisis pas ce qu'elle a bien pu comprendre de travers dans mon message de ce matin. J'étais pourtant suffisamment claire en lui proposant que nous nous rejoignions au restaurant à midi et sa réponse m'avait parue logique. Il n'est pourtant que onze heures et la voilà qui arpente le studio de création.
J'abandonne la tâche que je tentais de résoudre avec Matt et la rejoins rapidement avant qu'elle ne pénètre dans la grande salle. Ses yeux se posent enfin sur moi.
- Bordel ! Vous avez une de ces pimbêches à l'accueil ! S'écrie-t-elle, sans se soucier de déranger ceux qui bossent autour d'elle.
Elle prend une posture caricaturale et se met immédiatement à imiter Helen, notre mégère de standardiste.
- « Je ne suis pas habilitée à vous laisser passer sans prise de rendez-vous ». La mime-t-elle à la perfection en prenant une voix haut perchée. Elle n'a pas eu le temps de contourner son bureau que j'avais déjà filé dans l'ascenseur !
- Tu... Tu n'as quand même pas forcé le passage ?
- Il n'y avait pas le moindre vigile en vue, alors j'ai foncé ! Répond-t-elle en haussant les épaules. D'ailleurs, tu pourras en toucher deux mots à la direction. C'est hyper dangereux ! N'importe quel cinglé peut pénétrer dans le bâtiment !
Je lui offre un sourire exagéré.
- Tu m'en diras tant.
Absolument pas offensée, Joy mord à pleines dents son morceau de pain garni, recouvrant le sol d'une multitude de miettes. Mes yeux s'arrondissent à la vue de la moquette sur laquelle il est possible de la suivre à la trace.
Je nous écarte un peu des oreilles indiscrètes.
- On ne devait pas se retrouver chez Kimchee à 12h30 ?
- Si, mais tu n'as pas eu mon message ?
- Quel message ?
- Celui que je t'ai envoyé il y a une heure.
- Joy... Je n'ai pas regardé mon téléphone. Je t'aurais répondu sinon.
- Je m'ennuyais, alors j'ai décidé de venir un peu plus tôt.
Lorsque je travaillais encore chez Bread Collective, il lui arrivait de passer de temps en temps à l'improviste et ça ne dérangeait personne. Ici, c'est très différent. Les règles sont plus strictes concernant les visites non professionnelles.
- Je suis désolée, si j'avais eu ton message, je me serais arrangée pour finir un peu plus tôt.
Surprise par ma réplique, elle ne répond rien.
- Tu peux m'attendre dans mon bureau, si tu veux. Je termine une bricole ici et je te rejoins.
Un sourire prend forme sur son visage.
- D'accord. Me dit-elle en fouillant dans son énorme sac. J'ai apporté de la lecture pour patienter.
Elle en sort trois magazines de presse à scandales sur lesquels Louis apparaît en gros plan en couverture. Je manque de m'étouffer en avalant ma salive. Les clichés sont ceux qui ont été pris par les paparazzis vendredi dernier lors de notre sortie du Libertine. J'étais dans la voiture à ce moment-là et n'avais pas vu qu'il leur avait adressé ce geste qui lui échappe régulièrement quand il est énervé.
Le regard de mes collègues se fait de plus en plus intéressé par la scène qui se joue devant eux. Je camoufle rapidement les images et avance en direction de mon bureau.
- Viens, c'est par ici. Je te rejoins dès que j'ai fini.
Tandis que je l'invite à me suivre, la sonnette de l'ascenseur se fait entendre. Je frémis rien qu'à l'idée qu'il puisse s'agir de Monsieur Djaba. Il ne me louperait pas sur ce coup. Heureusement, Charlie en sort dans les secondes qui suivent. Galbée dans son tailleur sur-mesure, elle avance vers moi avec empressement. Ai-je vraiment dit « heureusement » ? Son regard mesquin me liquéfie sur place.
- Ava. Dit-elle d'un ton autoritaire en progressant perchée sur ses talons de quinze centimètres.
Je sursaute légèrement. J'entends Joy marmonner un truc dans mon dos et déplore qu'elle n'en ait pas profité pour continuer sa route jusqu'à l'autre pièce.
- Oui ?
- Je n'ai toujours rien reçu de la part de vos équipes concernant le projet Macpherson. Aboie-t-elle les bras croisés en regardant d'un mauvais œil mes associés éparpillés comme bon leur semble.
Je sais que notre nouvelle méthode de travail fait beaucoup d'émules au sein de l'entreprise et qu'elle est l'une des premières à la critiquer ouvertement.
- Il est en bonne voie. J'ai mis quatre graphistes sur le dossier. Ce sera prêt dans les temps impartis.
- Comment se fait-il que nous n'en ayons encore pas vu le moindre jet ? Ajoute-t-elle, mesquine, en insistant exagérément sur la portée de sa voix pour que tout le monde l'entende.
- Nous attendons d'avoir quelque chose d'abouti à présenter, voilà tout.
Joy, qui était jusque-là camouflée derrière moi, se racle la gorge et avance d'un pas vers elle.
- Hum, excusez-moi. Lui dit-elle en tendant la main. Nous n'avons pas été présentées.
Sur la retenue, elle analyse un moment l'allure de ma meilleure amie et met un certain temps avant de répondre à son geste.
- Joy Benett, responsable du comité de recherche sur le bien-être au travail.
Oh Seigneur. Bâillonnez-là. Je m'apprête à intervenir, mais Charlie lui rend sa poignée de main avant de sourire exagérément.
- Charlie Burke, directrice de communication au sein du pôle édition.
- Enchantée, Madame Burke.
Elle sort un carnet de son sac et ne se démonte pas, alors que l'énorme flamant rose qui le recouvre manque de la discriminer sur-le-champ.
- Je viens mener une étude sur les merveilleuses initiatives mises en place par Mademoiselle Miller au sein de son service et qui font déjà énormément parler. Invente-t-elle avec le plus grand sérieux.
Elle gribouille la page vierge qu'elle a sous le nez.
- Je prends dès à présent note de la scène qui vient d'avoir lieu et ne manquerait pas de mentionner un petit encart sur le respect d'autrui dans mon compte-rendu.
Charlie est totalement bouche bée et Joy en rajoute une couche en se rapprochant d'elle.
- Compte-rendu qui sera, bien entendu, directement adressé aux dirigeants les plus haut placés. Chuchote-t-elle.
Miss prétentieuse se décompose. Je jubile intérieurement.
- Si vous voulez bien me montrer votre bureau, Mademoiselle Miller ? Enchaîne-t-elle, conquérante. J'ai vraiment hâte que vous m'en disiez davantage.
- Je... Je repasserai jeudi matin, Ava. Bafouille Charlie avant de déguerpir à toute allure.
Je n'attends pas qu'elle ait atteint le bout du couloir pour attraper le bras de Joy et referme la porte de mon bureau derrière nous.
- Qu'est-ce qu'il t'a pris ?
- Je n'allais tout de même pas la laisser te démonter sur place sans rien dire !
- Tu ne te rends pas compte, si jamais elle en parle au patron ?
- Elle vient d'être humiliée devant plus de vingt personnes. Crois-moi, elle ne le fera pas.
Le stress retombe instantanément et je ne suis plus en mesure de refréner l'éclat de rire qui me pend au nez. Joy rit avec moi pendant une bonne minute à ne plus pouvoir reprendre notre souffle. Ça fait un bien fou.
- Bon, tu m'attends ici, je reviens vite.
- Ça marche ! Dit-elle avec un clin d'œil. Bordel, quand j'y repense, j'ai été épatante !
Je ris de plus belle.
- Oui, et s'envoyer des fleurs n'a jamais fait de mal à personne.
- Absolument !
Je l'abandonne pour retourner à ma tâche brusquement délaissée et suis de retour dans mon bureau sur les coups de midi. Joy a pris ses aises en s'affalant dans le petit canapé. C'est clairement une activité qu'elle aurait pu poursuivre en étant à l'appartement ou chez Harry, mais j'ai le sentiment qu'à présent elle redoute de plus en plus les moments de solitude. Cette fragilité à fleur de peau qu'elle tente de dissimuler me fait redoubler de doutes concernant ma décision d'emménagement avec Louis. Tu n'as plus le choix. Il faut le lui dire.
- On décolle ?
Joy se redresse à l'entente de ma voix et s'étire. Elle est visiblement venue à bout de l'intégralité des articles qui l'intéressaient et a entamé une partie de mots croisés.
- Je n'attendais plus que toi, ma belle. Répond-t-elle en réajustant son chignon indiscipliné.
Je jette un coup d'œil à l'extérieur depuis le vasistas entrouvert qui donne sur la rue. Visiblement, le mauvais temps semble définitivement avoir décampé. Nous allons pouvoir aller à pied jusqu'au restaurant asiatique où je nous ai réservé une table.
Joy m'emboîte le pas tandis que je referme la porte. Mes collègues ont également gagné une demi-heure sur leur pause de midi. Je ne me voyais pas décamper avec ma meilleure amie sous le bras en leur disant de rester. Ils rejoignent tous l'ascenseur à leur rythme.
- Au fait, il est où le beau-gosse dont tu m'as parlé ? Me demande Joy en modérant sa voix.
Pensant qu'il pourrait s'agir d'un membre de l'équipe de créatifs, elle ne se doute pas qu'Andy, dont le bureau est ouvert juste à côté de nous, a certainement perçu sa demande. Lui qui n'était pas là il y a une demi-heure vient de rentrer d'un rendez-vous professionnel. J'ai envie de me taper la tête contre le mur. Pitié, faites qu'il ait eu le temps de quitter l'étage. Ma question est rapidement balayée lorsque son timbre grave parvient jusqu'à nous. Une bouffée de chaleur me monte aux joues.
Joy perçoit mon malaise et je lui indique d'un mouvement de tête que celui dont elle parle est tout proche. Sa bouche s'arrondit et je lui attrape le bras pour déguerpir d'ici au plus vite.
- Mais attends ! Proteste-t-elle en se retournant. Je ne l'ai même pas vu !
- Tu taperas son nom dans Google, ça fera l'affaire.
Elle grogne, tandis que nous attendons l'ascenseur. J'aurais dû nous faire emprunter les escaliers puisque dans l'instant qui suit, Andy fait son apparition et nous rejoint pour descendre lui aussi. Si je pouvais disparaître sur-le-champ, ça m'irait très bien. Vu son sourire, je sais parfaitement qu'il a pris pour lui la question de mon amie. Moi qui manque clairement de crédibilité ici, je viens de faire un sacré bond en arrière.
Par politesse, je les présente l'un à l'autre. Joy semble adhérer au fait que mon collaborateur est effectivement un homme charmant et Andy joue de ses atouts encore plus vaniteusement que d'habitude. Il m'adresse un de ses sourires charmeurs dont il a le secret avant de filer vers le self, écrasant immédiatement le peu de candeur qu'il me reste. Bon sang, je suis fichue.
_____
Elle qui m'a confié sur le chemin ne pas avoir très faim après son sandwich avalé en fin de matinée, semble avoir changé d'avis. Elle revient du buffet à volonté avec une énorme assiette remplie d'un assortiment copieux de mets en tout genre. À côté, la mienne me fait passer pour quelqu'un qui fait attention à sa ligne, mais plus le moment fatidique approche, plus une boule me comprime l'estomac.
À peine assise face à moi, Joy m'adresse une question qui me laisse aphasique.
- Tu vas enfin te décider à m'annoncer ce qui justifie ce repas ?
Elle s'affaire à assaisonner ses raviolis frits et ne cherche pas à me regarder. Maintenant je comprends mieux son attitude étrange. Sa venue chez Saatchi&Saatchi n'était qu'un prétexte. Elle se doute d'un truc.
- Comment sais-tu que j'ai quelque chose à te dire ?
Joy me regarde enfin.
- Mis à part une soudaine envie de manger coréen, mais ton assiette me prouve que ce n'est pas ça, je pense que ce rendez-vous est clairement un prétexte. Explique-t-elle en me servant un verre d'eau. J'ai raison ?
Je pose ma fourchette et soupire longuement.
- Oui, tu as raison.
- Ne me dis pas que tu es enceinte... Suppose-t-elle en agrandissant son regard qui prend soudainement peur.
- Ça ne va pas ? Bien sûr que non !
Elle souffle à son tour.
- Oh Dieu, merci. Je crois que je n'y aurais pas survécu.
Son sourire s'envole presque immédiatement.
- Oh non... C'est Louis qui t'a demandé de lui faire un petit ?! Reprend-t-elle en redoublant d'horreur.
- Rien de tout cela, je t'assure.
Je réfléchis un instant.
- Enfin presque...
Joy joue à présent nerveusement avec un fil qui dépasse de son pull, soulevant chez moi une irrépressible envie de le lui couper. Je dévie mon regard et me lance enfin.
- Il m'a demandé de vivre avec lui...
Elle reste impassible.
- ... et j'ai dit oui.
Scotchée à mes lèvres, elle semble attendre la suite.
- Et ? C'est tout ?! S'exclame-t-elle.
- Comment ça, « c'est tout » ?
- J'ai cru que tu allais m'annoncer une nouvelle hyper grave, Ava ! Bordel ! Tu m'as fait peur !
Elle n'est pas sérieuse ? Pour moi, ce n'est pas une nouvelle à prendre à la légère.
- Je n'en ai presque pas dormi de tout le week-end !
- Ne me dis pas que tu avais peur de me le dire ? Me demande-t-elle, étonnée.
- Évidemment que je redoutais de te le dire ! Je ne veux pas te laisser maintenant. Tu viens à peine de rentrer.
Joy s'avance un peu plus sur sa chaise.
- Ava... C'est tout à fait normal que vous viviez ensemble. Je ne vais pas en faire tout un fromage sous prétexte que je vais me retrouver seule à Paddington.
Ses mots me percutent et j'ai le sentiment que c'est la même chose pour elle. Je veux qu'elle comprenne que je ne désire nullement la mettre au pied du mur.
- Je ne pars pas tout de suite. Pas avant le mois de septembre. La tournée va occuper les gars tout l'été. J'aurai le temps de trouver un appartement d'ici là.
- Ne te fais pas de souci pour moi. Je trouverai une solution de mon côté.
Nous savons parfaitement que cette issue implique qu'elle retrouve du travail dans les semaines à venir. Elle ne pourra pas vivre indéfiniment sur ses économies et je sais qu'elle a la même vision que moi concernant le fait de se faire aider par son petit ami. Elle ne s'y résoudra pas.
- Attends... Tu as bien dit « trouver un appartement » ? Répète-t-elle.
- Oui, et d'ailleurs, je compte sur toi pour m'aider à faire les visites.
Son regard s'illumine. Nous partons dans des affabulations sur ce que représenterait pour nous l'endroit idéal, tout en occultant le fait que notre appartement en commun regroupe déjà presque tous ces détails qui nous tiennent à cœur.
- Je ne savais pas comment te l'annoncer. Je me suis sentie à la fois tellement bien et tellement mal quand Louis me l'a proposé...
- Pense un peu à toi avant de penser aux autres. Me conseille-t-elle en souriant. Et n'oublie pas que je suis une grande fille, Tomlinson.
Plus détendue, je lui rends son sourire. Nous réfléchissons toutes les deux de notre côté et entamons notre repas, mais j'ai toujours le ventre noué.
- Ça va faire tellement... bizarre.
Joy me fixe.
- Partir de Paddington. Te laisser.
Je me trompe peut-être, mais j'ai l'impression que ses yeux sont légèrement brillants.
- Ainsi va la vie. Dit-elle d'un timbre de voix incertain.
Son téléphone vibre sur le dessus de la table, coupant court à notre échange. Joy roule des yeux en voyant de qui il s'agit.
- Tiens, comme c'est bizarre. Dit-elle avec ironie.
- Qui c'est ?
- Finn, un ancien collègue de St Mary.
- Il prend de tes nouvelles, c'est gentil.
- Oui, si on considère que s'informer de ma santé tous les jours reste dans les limites du raisonnable...
Elle commence à taper quelques mots, puis relève la tête.
- Est-ce que c'est considéré comme tromper de répondre à ses messages ? Me demande-t-elle en bougeant frénétiquement les jambes.
- Quoi ? Pourquoi dis-tu cela ?
- Je n'ai jamais été en couple avant ! J'ignore comment ça fonctionne ces choses-là.
Joy est tellement désireuse de tout faire dans les règles de l'art avec Harry que sa question me touche. Elle en oublie qu'il l'aime sûrement pour ce côté inachevé qui fait qu'elle ne ressemble à aucune autre.
- Dans la mesure où tu ne le fais pas en cachette et que Harry est au courant, je pense qu'il n'y a pas de problème.
Elle se pince les lèvres.
- Il ne sait rien justement. Finn m'a recontactée durant notre voyage. Je ne lui avais pas répondu, mais depuis notre retour, nous échangeons des messages presque tous les jours. Je n'ai rien dit à Harry.
Pour qu'elle m'en parle de cette manière, c'est que la situation la met visiblement dans l'inconfort.
- Pour quelle raison ?
- Finn en pince pour moi... M'avoue-t-elle.
- Et... et toi ?
- Non ! Jamais de la vie !
- Dans ce cas, je ne vois pas où est le mal.
- J'ai pourtant l'impression de faire les choses de travers.
- Parles-en avec Harry. Je ne pense pas qu'il soit du genre jaloux.
Joy relève les yeux dans l'attente de mes conseils.
- Et puis si tu penses que Finn dépasse les limites, mets-le en garde. Dis-lui que tu as un petit ami que tu aimes et que ce qu'il fait devient malsain.
La tête penchée sur le côté, elle acquiesce et me sourit de nouveau. La force de notre amitié réside dans cette capacité à toujours se relever mutuellement. Avec moi, le plus grand défi que Joy a eu à affronter est sans nul doute de me montrer ses peurs. Quand je repense à tout ce qu'elle a traversé ces dernières années, j'ai le cœur dissous en me disant qu'on ne lui a tout simplement pas donné les clés de la normalité d'une relation de couple. Au final, Joy avait juste besoin de quelqu'un pour accepter ses défauts et l'aimer malgré tout.
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