Chapitre 12

♫ « How Long » - Charlie Puth ♫


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Ava
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En pleine conversation téléphonique avec ma mère, je ne cesse de regarder l'heure sur mon téléphone. Le haut-parleur résonne dans la salle de bains pendant que je m'affaire à me préparer pour partir travailler. Il ne faudrait pas que je me mette en retard. Brillante idée de m'appeler maintenant, maman. Visiblement l'info qu'elle avait à me donner ne pouvait pas attendre.

Mes parents sont continuellement sollicités par les médias, qui sont parvenus, par je ne sais quelle manière, à retrouver ma ville d'origine. Depuis les rumeurs autour de mon mariage avec Louis, chaque habitant d'Alston a dû avoir le droit à un interrogatoire. En un mois et demi, et vu que personne ne s'est exprimé sur le sujet, nous pensions qu'ils seraient passés à autre chose. Mais ce matin, ils ont de nouveau eu le droit à une visite de la part d'un journaliste particulièrement insistant.

- Déjà que papa a eu du mal à intégrer que vous êtes mariés, alors si en plus les journalistes nous harcèlent. Renchérit ma mère, tandis que je perçois les ronchonnements de mon père au loin.

Ses dires sonnent comme des reproches. Ce n'est pas la première fois qu'elle me passe un coup de fil à ce propos. J'ai conscience de les avoir déçus, mais je pensais avoir été suffisamment rassurante sur le fait que notre union express n'avait rien de vraiment sérieux. Si la presse people n'avait pas été mise sur le coup, ça aurait arrangé la vie de tout le monde. Louis et sa famille sont habitués à ignorer sans problème ce genre d'affaires surmédiatisées. Pour la mienne, c'est une nouveauté qui a un peu de mal à passer. Nous pensions qu'ignorer les médias serait la solution la plus radicale pour cesser de faire parler de nous. Visiblement, nous avions tort.

- Maman, je t'ai déjà dit que nous ne comptons pas officialiser...

Mon regard migre vers nos alliances, délaissées depuis notre retour de vacances sur le rebord du lavabo. Aucun de nous n'y a touché et pourtant, elles reposent sous nos yeux tous les jours.

- Je sais, je sais... Souffle ma mère, consciente que je n'ai pas de solution immédiate à lui adresser.

Un silence se pose dans notre conversation. Je n'ai aucune idée de comment procéder pour qu'ils retrouvent leur tranquillité.

- Je vais en parler à Louis. Peut-être qu'il a déjà eu affaire à une situation similaire.

- Vu la façon dont ton père les a fait fuir, ceux-ci ne sont pas prêts de remettre les pieds à Alston.

Je me mets à rire en imaginant ce qu'il a bien pu imaginer. Mon père n'est pas réputé pour être des plus tendres avec ceux qui marchent sur ses plates-bandes.

- J'en parlerai quand même à Louis.

J'attrape mon téléphone tout en descendant les marches du loft. Le soleil se lève à peine, laissant passer une fine lueur chaleureuse à travers les immenses verrières du salon. Louis est déjà levé et prend son petit déjeuner en parcourant les actualités du jour sur sa tablette. Vêtu d'un de ses survêtements fétiches, il lève les yeux instantanément lorsque j'arrive dans son champ de vision. J'acquiesce inlassablement à mon interlocutrice qui continue de s'étendre sur le sujet. En un an d'éloignement du domicile familial, j'en avais presque oublié qu'elle pouvait avoir un débit de parole aussi impressionnant. Percevant chez moi un certain agacement, Louis s'empare de mon portable au moment où j'arrive à sa hauteur.

- Eh Judy, comme allez-vous ?

Ma mère change instantanément d'intonation.

- Oh ! Bonjour Louis ! Je vais très bien, et toi ?

Il me sauve la mise. Je ne savais plus comment m'en sortir. Je les laisse quelques instants en aparté, le temps de me préparer une tasse de café bien corsée. Les lundis matins sont toujours les plus difficiles. L'appréhension de la semaine qui débute me met à chaque fois dans un drôle d'état, d'autant plus quand le week-end se place sous le signe des interrogations. Ce fut le cas de celui-ci.

Je n'écoute que d'une oreille ce que peuvent bien se raconter ma mère et Louis lorsqu'il décide de couper court à leur discussion.

- D'ailleurs, ce n'est pas pour paraître impoli, mais je vais devoir conduire votre fille au boulot.

- Ah bon ? S'inquiète-t-elle. Sa voiture est en panne ?

- Non, nous faisons la route ensemble. C'est sur mon chemin.

Heureusement, ma mère n'a aucune idée de la géographie londonienne. Shoreditch est bien plus au nord des bureaux de Saatchi & Saatchi. Je me penche en sa direction pour embrasser ma mère et lui permettre de raccrocher. Il en profite pour attraper mes hanches et me capturer près de lui.

- Bisous, maman. Passe une bonne journée !

- Vous aussi les enfants, travaillez bien. Bisous.

Je me défais des mains baladeuses de mon chéri et m'installe face à lui autour du bar.

- J'ai bien cru qu'elle ne s'arrêterait jamais.

- Je me suis souvent demandé d'où te venait cette capacité à parler autant dès le matin. Exagère-t-il en souriant. J'ai ma réponse.

Son air malicieux est vraiment particulier en ce début de semaine.

- Tu me sembles de bien bonne composition aujourd'hui.

- On se voit avec les gars tout à l'heure pour commencer à relancer le groupe.

Il frotte ses mains entre elles rien qu'à l'idée que sa carrière musicale reprenne vie.

- En espérant que Harry soit plus loquace que samedi soir... Ajoute-t-il, me ramenant à notre dernière soirée.

Dès leur arrivée chez Niall, j'avais flairé que quelque chose clochait entre eux. Joy avait les yeux gonflés. Au début, j'ai cru qu'elle avait dormi avant de venir, mais j'ai rapidement compris qu'elle venait en réalité de pleurer. Nous avons pris le temps de nous écarter des autres pour discuter sur le balcon. Elle venait tout juste de découvrir ce qui se tramait dans son dos concernant la vidéo et la demande de rançon d'Andrew. Harry ne cessait de jeter des coups d'œil en notre direction et je pense qu'il a saisi mon énervement. Je n'étais pas de son avis lorsqu'il m'a ordonné de cacher l'existence de cette vidéo à ma meilleure amie. Voilà ce qui arrive lorsque l'on tente d'avoir des secrets. À peine revenue de son voyage, Joy m'en veut déjà pour quelque chose.

- Sa manière de réagir à cette histoire m'exaspère. Lâche Louis avec un ton agacé.

- Je crois que c'est à lui de désamorcer la bombe à présent, pas à nous.

Je termine mon café et me lève. Nous sommes reliés à cette histoire d'une certaine manière, mais l'issue ne tient qu'à la décision de Harry. Je préfère couper court, car je ne souhaite pas que cela devienne une source de conflit entre nous.

- Profite de ta journée et essaie de ne pas tout gâcher en lui reparlant de ça.

Louis me suit du regard pendant que je me prépare à partir. Son silence m'indique qu'il prend note de mes conseils. Je viens l'embrasser en attrapant mes clés de voiture.

- N'oublie pas que je rentre ici ce soir.

- Mince, je comptais inviter ma deuxième femme. Rétorque-t-il d'un air boudeur.

Rebondir à sa blague serait trop tentant, mais je n'ai pas le temps. Par esprit de vengeance, je descends volontairement mon décolleté sous son nez, pour que cette image le suive toute la journée.

- Amuse-toi bien ! À ce soir.

Avant de refermer la porte derrière moi, je l'aperçois se mordre le poing de frustration. C'est exactement ce genre de réaction que j'attendais. Son long soupir vient confirmer ma victoire lorsque je tourne les talons.

_____

- Bonjour Ava.

Je relève la tête de mon ordinateur.

- Oh, bonjour Matt !

C'est au moins la troisième personne qui passe me saluer en prenant son poste ce matin, preuve que l'équipe commence visiblement à m'apprécier. Je sens que cette journée va être idéale pour mettre en place un des nouveaux modes de travail que j'aimerais instaurer ici.

À neuf heures passées, je scrute depuis mon bureau si les graphistes sont au complet afin de mettre mon plan à exécution. Andy étant en rendez-vous professionnel avec Monsieur Djaba, je pense qu'ils seront moins réticents à ce que je vais leur proposer. Je n'en ai parlé à aucun membre de la haute hiérarchie et espère qu'ils ne verront pas d'un mauvais œil que je change un peu les choses sans leurs avis.

Munie de mes petits dépliants, je rejoins mes collègues pour leur expliquer mes intentions. Je me poste au milieu du studio et attends d'avoir l'attention de chacun.

- Que diriez-vous de vous accorder un peu plus de liberté ?

Les derniers yeux qui m'ignoraient se lèvent alors vers moi.

- Je m'explique.

Je tends la pile de prospectus à mon premier interlocuteur et l'incite à la faire circuler entre eux. Tour à tour, ils commencent à prendre connaissance du sujet que je souhaite aborder. Des messes basses ne tardent pas à effleurer mes oreilles.

- Non, je vous rassure, je n'ai pas fumé la moquette.

- Le nomadisme ? Relève Carla avec une pointe d'ironie.

Elle qui est toujours une des premières à proposer des choses innovantes dans ses créations, je ne pensais pas qu'elle se montrerait réticente.

- Absolument, le nomadisme ! Nous allons nous inspirer de nos voisins les Danois dans leur façon d'aborder le travail.

D'un geste ample, je leur laisse imaginer ce qui représente désormais les limites de leurs postes.

- Dès aujourd'hui, tout l'étage vous appartient. Si vous vous sentez plus à l'aise de travailler à même le sol, dans le couloir, dans la salle de réunion... Faites-le ! Je vous incite à ramener des poufs, des plaids, des coussins... Bref, tout ce qui peut vous permettre de vous sentir à l'aise.

Des sourires prennent forme sur leurs visages. Je continue mon exposé.

- Ne craignez pas non plus de venir habillés comme bon vous semble. Fini les tailleurs et les costumes/cravate.

Suite à mes mots, un des membres de l'équipe se débarrasse de son accessoire de bienséance en le faisant voler à l'autre bout de la pièce, emportant l'hilarité générale.

- Bien évidemment, cela ne doit aucunement impacter sur la qualité de votre travail.

Tous très enjoués, ils acquiescent à ma réplique en se lançant des regards complices. Je ne m'attendais pas à une telle adhésion immédiate. Cependant, voyant que personne n'ose se lancer, je retourne dans mon bureau pour attraper mon calepin et rejoins l'endroit le plus ensoleillé du studio de création. Je déplace un bureau inoccupé vers la fenêtre pour m'y installer et commence à fignoler les dernières vignettes du storyboard sur lequel je bosse. Petit à petit, les membres de l'équipe s'éparpillent dans la pièce, prenant place où bon leur semble, et étrangement, le climat paraît plus propice à l'échange et à la créativité. Ils donnent l'impression de ne plus se sentir enfermés dans leurs bureaux cloisonnés et viennent facilement les uns vers les autres.

Vers la fin de la matinée, je me surprends à lever pour la première fois les yeux sur l'horloge. Les heures se sont écoulées beaucoup plus rapidement que d'habitude. Ma présence parmi l'équipe n'est pas du tout perçue comme intrusive, à tel point qu'ils ne m'ont jamais autant demandé mon point de vue sur leurs projets respectifs.

Un peu avant midi, des pas sourds dans le couloir attirent subitement mon attention. Tout juste sortis de l'ascenseur, Andy et Monsieur Djaba arpentent le pôle avec questionnement. J'imagine qu'ils ne s'attendaient pas à ce qu'ils ont sous les yeux. Ça semble bordélique vu comme ça, mais pourtant, tout le monde œuvre assidûment. Mon collaborateur rejoint rapidement son bureau en souriant, tandis que le patron, contraint d'enjamber un de ses employés, semble me chercher avec insistance. Ses sourcils froncés ne m'incitent pas à me présenter à lui. Je pense qu'il est du genre septique à ce genre de méthodes. Il passe la tête dans la petite pièce sombre qui porte mon nom, mais n'y trouvant personne, repart dans la direction opposée. Ce n'est que lorsque l'ascenseur se referme sur lui que je m'autorise à bouger de nouveau. Je viens de remarquer que je me suis faite toute petite par peur qu'il ne fasse preuve d'autorité devant tout le monde. Il faut vraiment que j'apprenne à ne plus le craindre à ce point.

N'ayant pas consulté mes mails de toute la matinée, je rejoins mon poste afin d'y remédier. Andy m'interpelle lorsque je passe dans le couloir.

- Je ne me suis absenté que trois heures. Dit-il en s'approchant de la porte. Que s'est-il passé ici ?

Je craignais qu'il ne réagisse mal, mais au contraire, il semble s'en amuser en jetant un nouveau coup d'œil à l'équipe éparpillée un peu partout.

- Tu sais, je t'en avais parlé...

Son kit mains libres ne le quittant jamais, j'ignore s'il avait prêté attention à mon argumentaire ce jour-là. Sur le coup, il n'avait trop rien dit, mais il semble remettre les choses dans leur contexte.

- Ah oui, le nomadisme ? Suppose-t-il en croisant les bras.

- C'est ça.

- Ça m'a l'air d'être une excellente idée.

Il se penche davantage vers moi pour me chuchoter un conseil.

- Fais en sorte de toujours avoir en tête que c'est toi qui les diriges. S'ils se sentent libres de tout faire, ça peut vite déraper.

- J'en ai conscience et ça n'arrivera pas. Je compte bien rendre le service aussi rentable qu'agréable.

Le tintement de l'horloge indique midi. Habituellement, l'équipe se rue vers l'ascenseur pour fuir le pôle, mais aujourd'hui, tout le monde prend le temps de se lever, s'étirer, attend tel ou tel collègue. Andy, quant à lui, ne traîne pas pour refermer son bureau et rejoindre le self de l'entreprise. Chaque midi, il a sa place attitrée à la table de Monsieur Djaba. Je n'ai encore jamais osé les rejoindre, mais il serait temps que je m'affirme sur ce point. Ce sera peut-être l'occasion d'avoir une discussion avec le patron au sujet de mes projets.

Je pars à la recherche de ma carte prépayée à l'intérieur de mon sac lorsque quelqu'un frappe discrètement à ma porte.

- Vous avez quelque chose de prévu ce midi ? Me demande timidement Matt, rapidement rejoint par deux autres collègues.

Un peu prise au dépourvu, je saisis mon pass pour leur indiquer que je n'avais que ce plan en tête.

- On a réservé une table chez Byron au coin de la rue pour les trente-cinq ans de Carla. M'explique-t-il en avançant d'un pas. On vient d'appeler, ils peuvent ajouter une chaise. Ça vous tente de nous suivre ?

J'étais à mille lieues d'imaginer que ma méthode porterait ses fruits si vite. Retenant un afflux d'émotion, je hoche la tête et leur réponds.

- Bien sûr, ce sera avec plaisir.

- Parfait, on vous attend en bas.

Ravie, je les rejoins aux portes de l'entreprise tout en tapant un message à Louis pour extérioriser la joie de me sentir enfin intégrée parmi eux.

_____

Travailler en musique me manque terriblement. Alors, dès que j'en ai l'occasion, je mets un casque sur mes oreilles et lance les titres qui stimulent le plus mon imagination. Seule dans le pôle suite au départ des employés, j'entonne mes chansons préférées sans me soucier de chanter juste ou non.

J'en ai encore pour des heures à fignoler cette fichue animation. Je me masse les tempes tout en tentant de me dépatouiller avec ce logiciel bien trop compliqué pour exister, quand soudain, une petite bulle apparaît au coin de mon écran.

Andy Jex, directeur artistique 20:44 : « Je t'entends souffler jusqu'à mon bureau. Tu as besoin d'aide ? »

Mince. Il est tellement silencieux que je l'avais oublié. Souffler ? Il y a deux minutes j'étais en train de chanter « Shake it off » de Taylor Swift à pleins poumons. Je viens d'anéantir le peu de crédibilité que je pensais avoir à ses yeux. Je mets mon lecteur Spotify en pause.

Ava Miller, directrice artistique 20:44 : « Je me bats avec les clés de position sur After Effect... »

Jusqu'à présent, il ne m'a jamais contactée via la messagerie interne de l'entreprise. C'est un peu étrange de lui parler ainsi, alors qu'un simple mur nous sépare.

Andy Jex, directeur artistique 20:45 : « Tu bosses sur quel projet ? »

Ava Miller, directrice artistique 20:45 : « Le spot de présentation de la nouvelle filiale branchée de British Airways qui sera diffusé sur les réseaux sociaux. »

J'entends sa chaise grincer, m'indiquant qu'il vient à ma rescousse. J'abaisse mon casque autour de mon cou.

- Qu'est-ce qui te pose souci exactement ? Me demande-t-il en prenant appui sur son coude dans l'entrebâillement de la porte.

- J'ai pratiquement terminé, mais j'aimerais ajuster deux éléments pour que ce soit plus fluide.

Mon collègue s'approche afin d'avoir le sujet sous les yeux.

- Tu vois, ce sont ces clés que je voudrais déplacer, mais sans que cela impacte sur le reste de l'animation.

Il se penche et plisse les yeux.

- Attends, laisse-moi voir.

Je m'apprête à me lever pour lui laisser mon siège, mais Andy se poste dans mon dos, me contraignant à me tasser pour qu'il accède à la souris. Sans aucune gêne, il colle son buste contre moi et m'encercle de ses bras, tout en me guidant dans la tâche que je ne parvenais pas à accomplir.

- Il suffit d'appuyer sur shift et tu glisses ta composition...

Je tente de faire abstraction l'embarras que provoque cette proximité en suivant attentivement ses instructions. J'ignore pourquoi je suis si perturbée. Mes yeux suivent l'écran, mais mon esprit n'est pas focalisé sur ce qu'il faudrait. Andy a vraiment une haleine mentholée surprenante à cette heure de la journée. Craignant qu'il ne sente que ce n'est pas mon cas, je positionne ma main au-dessus de ma bouche pour lui parler.

- Ah, c'est juste ça... Je me sens un peu bête là d'un coup !

Il se détache de moi. Je reprends mon souffle presque aussitôt, comme si j'avais minimisé ma respiration en me comprimant de la sorte. J'ai l'impression que son parfum marqué me suit toujours.

- À cette heure-ci, on a tous le droit de l'être. Ajoute-t-il en souriant. Japonais, ça te dit ?

Je ne m'attendais tellement pas à ces derniers mots que je reste interloquée. Mon froncement de sourcils l'incite à me donner plus de détails.

- Pour manger. Ajoute-t-il alors en agrandissant son sourire.

- Ah !

Je regarde l'heure avant de lui répondre. Il est effectivement déjà très tard. J'acquiesce en hochant la tête.

- Ok, je m'en occupe. Conclut-il en repartant vers son bureau. Au fait, sympa ta playlist.

Je pique un fard. Heureusement, il l'a dit sans se retourner. J'étais sûre qu'il m'avait entendue. Je ressaisis mon téléphone. Aucune nouvelle de Louis depuis ce midi. Je lui envoie un autre message pour le prévenir, tout en omettant de préciser que je suis seule avec mon binôme masculin.

Moi, 20:57 : « Es-tu rentré ? Je pense finir assez tard. Ne m'attends pas. »

Je sais qu'il n'y a rien de mal à ce que je fais, mais Louis est capable d'arrêter tout ce qu'il est en train de faire rien que pour venir me chercher en sachant que je suis seule avec Andy. Nous n'avons pas échangé de message de tout l'après-midi, alors j'imagine qu'ils sont probablement très productifs.

Louis, 20:59 : « Ça tombe bien, je suis toujours à Shoreditch avec les gars. Bon courage et à tout à l'heure ! »

J'avais vu juste. Je poursuis mon travail en tâchant d'être concentrée, quand vingt minutes plus tard, Andy toque à ma porte en brandissant le sac contenant sa commande. D'un signe de tête, il m'incite à le suivre.

Je passe la porte de son bureau. Il est en train de tout installer sur la table basse. Il y en a pour un régiment.

- Comme je ne connais pas tes goûts, j'ai pris un peu de tout. M'annonce-t-il face à mon air étonné.

Il m'indique de ne pas rester plantée là où je suis et de m'asseoir. Ce que j'apprécie avec Andy, c'est qu'il est bienveillant et avenant.

- On va enfin pouvoir parler d'autre chose que du boulot. Ajoute-t-il en s'installant dans le canapé.

Je suis ravie de m'entretenir avec lui en dehors d'une finalité professionnelle, mais je me sens étrangement fébrile à l'idée d'avoir à évoquer ma vie privée.

- Ton copain ne risque pas d'être jaloux que l'on mange ensemble ? Me demande-t-il en se servant un assortiment de makis.

Mes mains deviennent encore plus moites qu'elles ne l'étaient déjà. Pourquoi faut-il que je réagisse bizarrement à ses questions ? Il ne cherche qu'à entamer la conversation.

- Non, pas du tout. Il termine tard lui aussi.

Son regard me transperce et je vois bien qu'il soupçonne mon embarras.

- Je ne voulais surtout pas paraître indiscret.

Il ne me laisse pas le temps de répliquer quoi que ce soit -et je lui en suis mentalement reconnaissante- en me mettant sous le nez un des mets qu'il vient de goûter.

- Ceux-ci sont particulièrement délicieux ! S'exclame-t-il avec des yeux pétillants. Prends un peu de cette sauce avec...

- Merci...

Maintenant que j'ai l'occasion de le faire, je me permets de laisser divaguer mon regard sur les petits objets présents dans son bureau. On peut apprendre pas mal de choses sur quelqu'un en observant ce genre de détails. Cela ne fait qu'accroître mon envie de personnaliser le mien. Celui d'Andy est tapissé dans des tons bleu nuit. Différents diplômes trônent sur le mur principal, ainsi que des photos encadrées de ses proches.

- Je trouve ça super que tu oses bousculer les habitudes de l'entreprise. Évoque-t-il une nouvelle fois en référence à mon audace de ce matin.

- Monsieur Djaba ne semble pas de ton avis.

Comme ils ont déjeuné ensemble, peut-être lui a-t-il parlé de son mécontentement.

- Magnus n'a jamais su comment diriger une boîte. Les gens le craignent parce qu'il a du charisme, c'est tout.

Loupé. Ou bien cherche-t-il peut-être à m'éviter le sarcasme du patron.

- Je ne compte pas m'arrêter en si bon chemin. Il y a encore pas mal de méthodes que j'aimerais instaurer au sein de l'équipe.

- Je ne vais plus reconnaître le pôle quand je reviendrai de vacances. Lance-t-il en riant.

- Tu pars quelque part durant ta semaine de congés ?

- Au ski, comme tous les ans. Répond-t-il en m'indiquant d'un mouvement de tête une photo de famille accrochée plus loin. Les petits n'attendent que ça.

Sa femme est vraiment rayonnante. Avec leurs deux enfants, ils forment une très jolie famille. J'imagine qu'avec ses horaires extensibles, il ne doit pas passer beaucoup de temps avec eux. C'est certainement le calvaire qui m'attend moi aussi en suivant une telle carrière. J'ai pourtant une chance incroyable de pouvoir vivre de ma passion, mais je prends conscience à quel point mon implication pourrait nuire à ma vie personnelle. À ma vie future avec Louis.

Comme s'il avait capté mes pensées, Andy vient confirmer ces réflexions.

- La carrière c'est une chose, Ava. Commence-t-il en marquant une pause. Construire une famille épanouie en est une autre qu'il ne faut pas négliger.

Ce qui d'extérieur pourrait paraître comme une doctrine, sonne en réalité comme une vraie mise en garde. Un conseil que je garde précieusement dans un coin de ma tête.

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