Chapitre 36
♫ « In my veins »- Andrew Belle ♫
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Ava
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J'adore le projet sur lequel je travaille en ce moment. Il s'agit d'un magazine culturel branché de Londres qui explore les facettes artistiques à travers l'art urbain, la mode et la musique. D'autant plus que je suis une lectrice de ce support depuis longtemps, donc être tombée sur l'agence qui s'occupe de son édition est un grand honneur.
Il me tarde d'avoir le prochain numéro entre les mains, car je l'ai géré du début à la fin. Vic, qui est chef de projet, était censée me superviser, mais finalement, je m'en suis occupée presque seule, allant même jusqu'à rencontrer les rédacteurs. Ce n'est d'ailleurs pas plus mal qu'elle m'ait laissé les commandes, car cela nous a évité de sérieuses prises de becs. Et je suis plutôt fière d'avoir accomplie cette mission avec succès sans l'avoir sur le dos. Cependant, je reste tout de même contrainte de la tenir au courant des moindres avancées. Et là, en l'occurrence, j'en suis à la phase de finalisation. Elle a le nez plongé dans son carnet de rendez-vous lorsque je me présente devant elle.
- Victoria ?
Elle n'a même pas la politesse de lever les yeux vers moi et se contente de me lancer un « Hum ? ».
- J'ai presque terminé, je contrôle le document et prépare le fichier haute définition.
Je patiente encore un moment, mais si elle fait la carpe, je me remets au boulot sans son approbation. Elle finit tout de même par me répondre, m'obligeant à revenir sur mes pas. En revanche, elle ne prend toujours pas la peine de me regarder.
- Tiens, ça tombe bien que tu m'en parles, ils viennent de me prévenir qu'ils réduisent la largeur des pages de deux centimètres.
Quoi ? C'est une blague j'espère.
- Attends, tu plaisantes ?
- Non, je les ai eu au téléphone il y a deux minutes. Continue-t-elle tout en gribouillant un coin de son agenda.
- Tu les as eu au téléphone ? À l'instant ?
- Oui, comme je te dis.
Impossible. Je n'ai pas entendu un seul téléphone sonner depuis le début de l'après-midi. Je jette un rapide coup d'œil à l'horloge du studio.
- Il est quinze heures ! Le fichier doit partir à l'impression dans trois heures !
- De toute façon, ce n'est pas grand-chose. Ajoute-t-elle, en me regardant finalement par-dessus ses lunettes de la façon la plus méprisante au monde. Ça va aller vite. Tu vas très bien t'en sortir, comme d'habitude.
Connasse. Son petit sourire en coin me donne envie de lui faire bouffer son précieux calepin. Ce n'est pas comme si j'avais deux cents pages à revoir... Je prends une grande inspiration pour me maîtriser, et retourne dépitée en direction de mon bureau. Je me laisse tomber lourdement sur ma chaise et encadre mon visage de mes mains pour me masser les tempes. La migraine me guette. J'ai besoin de mettre le nez dehors un moment, sinon je risque bien d'exploser. Je me dirige jusqu'au petit patio qui donne sur l'arrière de l'agence, où les fumeurs ont l'habitude de prendre leurs pauses. Jo termine d'ailleurs de griller l'unique cigarette qu'elle s'autorise par jour. Elle voit tout de suite, à mon besoin vital de prendre une grande bouffée d'air frais, que quelque chose cloche.
- Oula. Toi, ça ne va pas, je me trompe ?
J'essaie tout de même de lui sourire. Après tout, elle n'a rien à voir dans cette histoire. Et au moins, Jo est toujours d'humeur égale. Contrairement à l'autre peste.
- Je suis un peu sur la corde raide...
Mon regard se perd dans le vague. Ma collègue compatissante écrase son mégot, le jette dans le pot prévu à cet effet et s'assied un moment avec moi.
- Ça a quelque chose à voir avec Vic ?
Je lève furtivement les yeux vers elle et je sais qu'elle comprend immédiatement qu'elle a vu juste. Mais je viens à peine d'arriver dans l'équipe. Loin de moi l'envie de créer une mauvaise ambiance en critiquant quelqu'un. Seulement, j'imagine bien que si elle m'a posée cette question en première intention, c'est qu'elle a dû sentir que Vic n'est pas toujours tendre avec moi.
- Rien de très important.
- Tu n'es pas la seule avec qui elle a eu des soucis. M'explique-t-elle. Quand une nouvelle personne arrive, elle a tendance à vouloir montrer sa supériorité. Et quelque chose me dit qu'elle ne voit pas d'un très bon œil ta créativité à toute épreuve.
- C'est tout de même fou ! Je suis ici pour faire du bon boulot à la base, non ?
Jo se contente de me sourire tout en acquiesçant. Puis, elle finit par se lever après avoir regardé sa montre.
- Tout ce que je peux te dire, c'est de ne pas te laisser faire. Me conseille-t-elle. Une fois qu'on l'a un peu remise à sa place, elle n'ose plus ouvrir sa bouche.
Je prends note de son avis. Elle retourne à l'intérieur pour me laisser souffler seule. Je décide d'envoyer un message à Louis pour me décharger un peu. D'autant plus qu'il connaît mes différents avec ma collègue de boulot. Je suis surprise qu'il ne m'ait pas envoyé un seul message aujourd'hui. Même si je sais qu'il est très occupé ces temps-ci, je crois que je me suis habituée à ses petites attentions. J'ai longtemps cru que cela me déconcentrait, alors qu'en réalité, je suis devenue accro à ses messages tendres et possessifs.
Moi, 15:11 : « Vic a encore frappé... Tout un projet à remanier d'ici ce soir... Et j'ai eu la confirmation qu'elle ne m'aime pas du tout. Au moins, c'est réciproque. »
Le temps m'est trop précieux pour rester attendre sa réponse, je retourne donc au studio de création pour m'atteler à ma tache d'ajustement de format. Mes collègues ont dû comprendre qu'il ne fallait pas trop me perturber lorsque je me suis enfermée dans ma bulle avec des écouteurs sur les oreilles.
En état de stress tout le reste de la journée, je n'ai fait que surveiller l'heure et suis parvenue à livrer la maquette dans les temps. Mais je n'ai pas pu effectuer une dernière vérification, ce qui me frustre énormément. 17 h 56. Je souffle un bon coup et enregistre le fichier final, que je transferts directement sur le réseau de partage pour que le client l'envoie à l'imprimeur. Je laisse ensuite un message à Vic sur son bureau, puisqu'elle est en entretien avec des clients, pour l'avertir que tout est bouclé pour ce dossier. Si je pouvais éviter d'avoir à lui adresser la parole encore une bonne demi-heure avant de partir, ça m'irait très bien. De retour à mon bureau, j'ouvre les prochains travaux que je devrais réaliser dans la semaine pour voir si j'ai encore un peu d'inspiration, mais rien ne me vient à l'esprit. Je soulève une pile de papiers pour les ranger et vois que la diode de mon téléphone portable clignote. Trop prise dans mes modifications, je n'ai pas pensé à le regarder.
Louis, 15:53 : « Si tu as besoin de te défouler sur quelqu'un ce soir, je suis là :) Appelle-moi quand tu finis. »
Subtil comme toujours. C'est ce que j'aime avec lui. Je retrouve le sourire en un instant et m'impatiente déjà de l'appeler en sortant. En lisant mon post-it laissé à son intention, Vic s'est finalement décidée à me féliciter d'un bref « Bon travail », mais qui ne la fait pas pour autant remonter dans mon estime.
Je quitte l'agence à l'heure précise de la fermeture et m'empresse de rejoindre la rue pour passer le coup de fil que j'attendais tant. Au même moment, un message de Joy me parvient.
Joy, 18:32 : « Hola señorita :) J'ai invité Josh à l'appart' ce soir. Il nous paye les pizzas. On sera là vers 20 h 30. »
Cela fait un bon moment qu'elle n'a pas invité un de ses amis chez nous. Je suis contente qu'elle le fasse. Elle aura au moins quelqu'un à qui parler après sa journée de travail. Car généralement, passé vingt-deux heures, je suis proche de l'endormissement instantané. Quelques fois, je m'en veux d'être si fatiguée alors que mon boulot n'a rien de physique, contrairement au sien.
Moi, 18:33 : « Parfait :) À tout à l'heure. Bon courage pour ta fin de journée. »
Et en plus, pas besoin de cuisiner ce soir. Que demander de mieux ? Joy a probablement été très discrète en se levant ce matin, car je n'ai rien entendu. Je commence à réaliser que cumuler deux emplois, depuis près de trois mois, ne m'aide pas à me reposer. Il va falloir que je songe à mettre un terme à mon contrat chez Muriel's Kitchen pour au moins avoir de vrais week-ends récupérateurs. C'est une des autres différences notables avec ma vie d'avant. Je n'ai jamais été aussi épuisée que depuis que je suis à Londres. Le rythme de vie y est sans doute pour beaucoup. L'animation permanente, le bruit, le temps perdu dans les transports ou encore les nombreuses sorties ne doivent pas vraiment aider. C'est un tel chamboulement pour une fille de la campagne comme moi, qu'avec le recul, je prends conscience que le contraste est de taille. Mais ce n'est vraiment pas grand-chose comparé au positif que je retire de ma vie actuelle.
Je tente d'appeler Louis une première fois. Comme je sais que souvent, il lui faut du temps avant de décrocher s'il est dans une partie de jeu vidéo, je tente un deuxième coup de fil. Mais toujours rien. Immédiatement, mon inquiétude habituelle me fait douter, alors qu'il a probablement eu un empêchement de dernière minute. Tant pis. Je prends la direction du métro, avec le dernier album d'Augustana à fond dans les oreilles.
_____
Lorsque j'arrive enfin à Paddington, la nuit est tombée, il fait froid, Louis ne m'a toujours pas rappelée et je sais que je vais trouver un appartement vide si je continue ma route. Mon reflet défraîchit dans la vitrine d'une boutique du quartier provoque chez moi un déclic. Les londoniennes que j'aperçois à l'intérieur sont toutes débordantes de gaîté. J'ignore alors pour quelle raison, mais mes pas me guident vers elles. Je pousse alors la porte du salon de coiffure portant le nom de Hair London. J'étais plusieurs fois passée devant en me baladant et me souviens m'être dit que je viendrais sûrement ici si jamais je voulais me couper les cheveux un jour. J'aime beaucoup l'atmosphère très « salon de thé » et moderne qui s'en dégage.
- Bonsoir, je peux vous aider ?
Je reste un peu figée face à toutes ces personnes, beaucoup plus classes que moi, qui me scrutent d'un œil intrigué, mais finis tout de même par prendre la parole.
- Bonsoir. Il vous reste de la place ?
La plus âgée des employées se dirige vers la caisse et relève la tête de son carnet avec un grand sourire.
- Si vous avez un peu de temps devant vous, nous pouvons vous prendre maintenant. Me dit-elle.
- Parfait.
Elle me débarrasse de mes affaires et m'installe face à un miroir. Ça ne me ressemble absolument pas de faire ce genre de choses sur un coup de tête. Elle revient me voir, munie d'une cape de protection qu'elle passe sur moi.
- Alors, qu'est-ce qui vous ferait plaisir ? Me demande-t-elle en commençant à jouer avec ma longue chevelure sans vie.
- Quelque chose qui me donne un peu plus de peps.
Elle réfléchit un instant puis commence à me proposer ce qui, selon elle, mettrait davantage mon visage en valeur.
- Que diriez-vous d'un carré légèrement plongeant ? Ça peut paraître simple, mais c'est en réalité très glamour et cela vous donnerait un petit côté rétro qui vous irait parfaitement, je pense.
Je réfléchis tandis qu'elle mime la coupe en question en me montrant la longueur qu'il faudrait réduire pour arriver au résultat souhaité. L'idée me plaît beaucoup. Il me semble en plus que Joy m'avait déjà conseillé un jour de les couper de cette façon. Je donne donc mon feu vert à la coiffeuse.
- Je vous suis. Allons-y pour un carré.
- Vous ne le regretterez pas. Me dit-elle, ravie d'entreprendre mon relooking.
J'en connais une qui va pester en découvrant ma nouvelle tête tout à l'heure, surtout pour ne pas avoir partagé cette expérience avec elle.
Ma métamorphose se termine un peu avant vingt heures. Je suis bluffée du résultat. J'ai l'impression d'avoir radicalement gagné en maturité en l'espace d'une heure à peine. Je ne pensais pas qu'un changement si simple pourrait me faire entrevoir les choses sous un nouvel œil. À croire que c'était exactement ce qu'il me fallait pour me propulser en avant.
Je ressors du salon avec une tête aussi légère dans l'apparence que dans l'état d'esprit. Même mon portable désespérément vide de toute notification venant de mon petit-ami ne me perturbe plus comme tout à l'heure.
Comme prévu, Joy arrive à l'appartement, peu de temps après moi, en compagnie de Josh. Immédiatement, elle se rend compte que quelque chose a changé chez moi.
- Mais qui êtes-vous ? Me demande-t-elle avec une voix suave.
Je passe une main dans mes cheveux avant de rire face à son regard lourd de sens.
- Ça te va tellement bien ! S'exclame-t-elle en jetant son sac à main sur le fauteuil.
Elle s'avance vers moi pour m'examiner sous tous les angles telle une styliste professionnelle.
- J'y suis vraiment allée sans réfléchir. Mais je suis contente au final.
Joy reste m'observer encore un instant.
- Tu es devenue une vraie citadine, je te félicite. Ajoute-t-elle, avant de se retourner vers Josh, qui attend toujours dans l'entrée les bras chargés de boites à pizzas. Ne fais pas ton timide, voyons !
Puis elle pivote de nouveau vers moi avant qu'il ne soit trop proche pour entendre.
- Tu vois l'effet que tu lui fais, rien qu'à lui. Une nouvelle Ava est née.
Je n'irais pas jusque là, mais elle n'a pas entièrement tort. Josh pose notre repas sur le bar de la cuisine et prend l'initiative de sortir les couverts. Il ouvre le premier placard, celui où Joy rangeait ses assiettes avant, et où se trouvent désormais les casseroles.
- Vous avez fait quoi de votre vaisselle les filles ?
Joy lui vient en aide en soupirant excessivement.
- Ah non mais attends, Ava a tout réorganisé la semaine dernière. Même moi des fois quand je rentre, je ne sais plus où sont les affaires.
Elle ponctue sa phrase par un regard exagérément taquin en ma direction. Ça ne choque personne que les couverts soient en hauteur et les verres sous l'évier ? Je sais que je suis une maniaque de l'organisation, mais quand tout est à sa place, ça fait gagner un temps fou.
Nous prenons place autour de la table et chacun se sert selon ses envies. Joy, comme à chaque fois qu'elle rentre du travail, pourrait engloutir un lion. Je me demande encore comment elle fait pour garder la ligne quand je la vois manger ainsi. Surtout qu'elle ne pratique pas de sport à côté. Enfin... si jamais on ignore toutes ses séances avec son mystérieux inconnu, dont elle ne m'a toujours pas dévoilé l'identité.
La discussion dévie rapidement sur ma relation avec Louis. Josh, qui l'avait aperçu rapidement une fois, semble intrigué par l'aspect « vie pas vraiment privée » qu'elle implique.
- C'est pas trop perturbant de se retrouver fichée du jour au lendemain ? Me demande-t-il après avoir avoué m'avoir reconnu la semaine dernière dans un journal.
- Je n'en suis pas au stade où des gens me reconnaissent dans la rue, donc je le vis encore plutôt bien.
- Et il n'y aurait pas un autre célibataire dans le groupe pour cet énergumène ? Ajoute-t-il en donnant un coup de coude à Joy.
- Tsss... Réplique-t-elle. Pourquoi tu lui demandes ça ?
- Je me suis toujours dit que s'il y en a bien une qui finira avec une célébrité un jour, c'est toi. Lui dit-il.
- Justement, il y en a un... On a bien tenté de faire quelque chose mais... Ils n'ont pas l'air bien décidés.
Joy lève une main droit devant elle, comme pour m'avertir de stopper nos tentatives de la faire fréquenter Harry. Nous étions tombés d'accord Louis et moi, pour les faire tomber dans les bras l'un de l'autre en partant de la constatation qu'ils s'entendent plutôt bien. Mais apparemment, rien ne semble aller dans ce sens.
- Jamais je ne sortirais avec quelqu'un qui a des plus belles chaussures que moi. Finit-elle par dire.
Elle est incorrigible. Mais je lui ai déjà promis de ne plus insister. Cela ne sert à rien de vouloir jouer les cupidons. Les sentiments ne se contrôlent pas après tout. En revanche, plus le repas avance, plus sa complicité avec son ami me met la puce à l'oreille. Je n'avais pas encore eu l'occasion de la voir seule avec lui, car généralement Owen se joint toujours à l'équation et ils forment en quelque sorte un combo de choc avec Josh. Mais là, je trouve qu'il est relativement proche d'elle. Je viens même à penser que son allusion au célibat de la belle serait un moyen déguisé pour camoufler une toute autre chose.
La conversation dérive sur les tatouages. Joy semble soudainement très intriguée par cet Art qui est un des hobbies de son camarade.
- Et celui-là, sur l'épaule, ça fait mal ? Lui demande-t-elle en examinant ses bras.
- On n'a pas tous la même tolérance à la douleur. Lui dit-il. Et je ne peux pas dire avoir eu mal pour aucun d'entre eux en fait.
- Mais pourquoi tu poses toutes ces questions, tu veux te faire tatouer ?
- Non, non, je m'interroge, c'est tout... Me répond-t-elle.
J'ai du mal à comprendre si ce sont les tatouages qui l'intéressent à ce point, ou plutôt les hommes tatoués... Et Josh est loin d'être un simple amateur en la question. Une idée m'effleure alors l'esprit. Et si Josh était en réalité son mystérieux Apollon ? Je les observe, sans intervenir, soucieuse de tomber sur un autre détail me permettant de valider ma théorie. Je me surprends à poser mes yeux au niveau de son entre-jambe, car le seul indice que j'ai en ma possession est qu'il est bien équipé à cet endroit de son anatomie. Difficile de juger juste comme cela, mais ce n'est pas impossible. Je me rends compte que je le regarde avec peut-être un peu trop d'insistance. Il vaut mieux que je lève les yeux avant qu'il ne s'aperçoive que je l'observe, sinon je risquerai de piquer un fard. Le plus simple sera de questionner Joy quand nous serons seules.
J'active l'éclairage de mon écran de téléphone pour m'assurer que rien ne m'ait échappé, ou plutôt pour me faire davantage de mal, puisque Louis ne m'a toujours pas donné de signe de vie. Ne me demande pas de t'appeler dans ce cas. Je prends l'initiative d'épargner ma mauvaise humeur grandissante aux autres et décide d'aller me réfugier dans ma chambre.
- Je suis un peu fatiguée. Je crois que je ne vais pas tarder à me coucher.
- D'accord, pas de soucis. Me dit Joy. Mais laisse-moi la vaisselle, je n'aurai pas mieux à faire demain de toute façon.
Je débarrasse tout de même mon assiette dans l'évier, dépose un baiser sur la joue de mon amie et remercie de nouveau Josh de nous avoir payé le repas.
Lorsque je ressors de la salle de bain après ma douche, ils ne sont plus là. Joy m'a laissé un message sur le plan de travail.
« On est sortis boire un coup dans un bar. J'essaierai de faire le moins de bruit possible en rentrant. Bonne nuit princesse <3 »
Je regagne alors ma chambre dans la quiétude de l'appartement et me mets sous ma couette avec mon ordinateur portable sur les genoux. Pour la centième fois de la soirée, j'hésite à envoyer un message à Louis, mais je me persuade toute seule de devenir parano. Surtout depuis qu'il m'a avoué avoir repris contact avec son ex petite-amie. Le soucis, c'est qu'il s'en est tenu uniquement à ça, probablement pour ne pas épiloguer sur le sujet, mais il ne m'a en rien rassurée sur le fait que cela ne représentait rien pour lui. Je sais que je compte à ses yeux. En revanche, je ne connais rien de cette fille. Combien de temps sont-ils sortis ensemble ? Avaient-ils des projets d'avenir tous les deux ? Eleanor était-elle vraiment mieux que moi, comme avait l'air de le dire une de leurs fans ? Mon cerveau me crie que toutes mes réponses sont à portée de main, juste sous mes yeux si je le souhaite. Mais mes doigts refusent encore de taper sur le clavier ce que je meurs d'envie de connaître plus en détails.
Mon alerte Messenger s'ouvre sur mon Mac. Je l'ouvre immédiatement et vois qu'il s'agit de Alex.
Alex Gordon 22:24 : « Salut :) »
Mon ami est très peu porté sur les réseaux sociaux de manière générale. Un peu comme moi, même s'il m'arrive d'y avoir de plus en plus recours ces derniers temps sous la pression de Joy qui trouve cela bien plus pratique.
Ava Miller 22:25 : « Coucou :) »
Alex Gordon 22:25 : « Tu as passé une bonne journée ? »
Je n'ai pas vraiment envie de l'ennuyer avec mes problèmes à des années lumières de ses préoccupations. Mieux vaut prétendre que tout va bien à grand coup d'émoticônes ne reflétant pas une seule seconde mon état d'esprit actuel.
Ava Miller 22:26 : « Excellente, comme toujours :) et la tienne ? Parle-moi un peu de chez nous ! »
Alex Gordon 22:26 : « La nostalgie te gagne ? »
Je ne réponds pas à cette question puisqu'il se remet aussitôt à écrire. Mais si j'avais dû le faire, j'aurais avoué en toute honnêteté que oui, ce soir, j'ai le mal du pays.
Alex Gordon 22:27 : « Alors... Ah si ! La truie du père McGuigan a donné bas aujourd'hui. Une portée de douze, du jamais vu par chez nous ! »
J'explose de rire à la vue de son message. Il se fout de moi à coup sûr. Le père McGuigan ne donne jamais de nouvelles à personne dans le village. Il est aigri à souhait et n'aime pas les gens, encore moins les jeunes. Ce qui se passe chez lui reste entre ses murs. Nous nous filions des peurs bleues rien qu'en rodant devant sa maison quand nous étions enfants. Réussir à mettre un pied dans sa propriété avant qu'il ne sorte son fusil était un défi que nous adorions relever. Il en vient presque à me manquer lui aussi avec sa tête de vieux bougon.
Ava Miller 22:28 : « Abruti ! Tu n'as pas plus intéressant à me raconter ? »
Alex Gordon 22:28 : « Non désolé :/ Alston restera toujours Alston. Même si c'était beaucoup plus animé avec toi dans les parages. »
Ah non. Je suis trop sensible pour ce genre de choses.
Ava Miller 22:28 : « Alex... »
Alex Gordon 22:29 : « Ava... »
Ne craque pas. Ça ne sert à rien. Personne n'est là pour te consoler. Mon cerveau me joue des tours ce soir. La mélancolie provoquée par ma discussion avec Alex, les nerfs de ma journée qui retombent, additionné au silence de mon petit-ami... Je me mets soudainement à m'inquiéter plus qu'il n'en faut et tape « Louis Tomlinson » dans la barre de recherches. Et puis merde après tout. Tous mes proches ont probablement déjà dû faire des recherches sur lui. Je suis encore la seule qui résiste. Entrer.
Je suis tout de suite happée par les nombreuses photos de lui sur la droite de l'écran. Mon dieu, qu'il est beau. Mes yeux sont ensuite attirés par ce qui s'appellent les « recherches associées » et qui se rapportent sûrement aux personnes qui sont reliées à lui. Il est plus que temps qu'ils actualisent leurs images. Harry ne ressemble plus du tout à cela. Et soudain, mon souffle se coupe d'un seul coup lorsque mon regard s'arrête sur la dernière image de cette catégorie. Eleanor. Eleanor Calder. Ma main se met à trembler tout en refusant de continuer plus loin, mais il faut que j'en ai le cœur net. Ce n'est pas possible. Je finis, je ne sais par quelle volonté, par cliquer sur l'icône la représentant et là, l'incertitude ne radoucit pas mon esprit déjà bien malmené. C'est elle. Elle que j'ai croisée il y a un mois. Elle qui sortait de chez lui. Un haut-le-cœur soulève mon estomac lorsque je me remémore la scène avec les souvenirs qu'il me reste. Et tout ce qui me vient -après le fait qu'elle se soit retournée sur moi pour m'observer derrière ses lunettes de soleil- est ce que Louis faisait juste au moment où j'ai passé la porte de son appartement. Il enfilait un t-shirt. Il se rhabillait. Une vague de chaleur mêlée à un frisson s'empare de moi, m'obligeant à soulever mon épaisse couverture pour ne pas étouffer.
L'icône en bas de mon écran me rappelle que j'ai quelque peu oublié mon ami.
Alex Gordon 22:33 : « Ava ? Tu es toujours là ? »
Je continue de faire dérouler presque frénétiquement les centaines d'images de cette fille devant mes yeux, tout en tentant de me persuader que tout cela n'est qu'une pure coïncidence. Du sport. C'est ce qu'il avait dit avoir fait avant que je n'arrive. Bon sang. Est-ce que c'est de nouveau la raison de son silence ce soir ? Est-il avec elle en ce moment ? J'éprouve immédiatement une forte envie de sortir d'ici pour me pointer chez lui histoire d'en avoir le cœur net. Au moins je pourrais faire exploser la rage qui dort en moi et ce serait mille fois plus supportable que cette déception qui m'anime en ce moment. Pour la première fois depuis notre rencontre, je doute de lui en réalisant que le Louis que je crois connaître n'existe peut-être que dans mon esprit aveuglé par l'amour.
Alex Gordon 22:35 : « Eh oh ? Il y a toujours quelqu'un ? »
Merde. Alex.
Ava Miller 22:35 : « Excuse-moi. Je pique du nez devant l'écran. Je crois que je vais dormir »
Ava Miller 22:35 : « :) »
Il met une éternité à m'envoyer une réponse.
Alex Gordon 22:36 : « Tu es sûre que ça va ? »
Ava Miller 22:37 : « Oui, pourquoi ça n'irait pas ? :) »
Peut-être qu'à trop vouloir masquer mon humeur, il a fini par lire entre les lignes.
Alex Gordon 22:37 : « Ok. Dans ce cas, passe une bonne nuit. À bientôt ! »
Si j'avais le pouvoir de me téléporter, je le ferais sans hésitation pour pouvoir profiter des bras rassurants de mon meilleur ami. Mais cette pensée m'enfonce encore plus.
Ava Miller 22:38 : « Tu me manques Alex. »
Je sais qu'il a lu mon message. La mention « Vu à 22:38 » me le prouve. Cependant, aucune réponse ne fait suite. Je crois que s'en est trop pour aujourd'hui. Je fais de mon mieux pour ne pas pleurer, seule au fond de mon lit, mais réalise que ce serait absurde de m'effondrer sur de simples suppositions. J'éteins mon ordinateur et me roule en boule sur le côté, en posant mon téléphone à plat sur l'oreiller à ma droite. Je me décide tout de même à envoyer un dernier message à Louis.
Moi, 22:42 : « Bon. Je me couche. Toujours pas de nouvelles de toi. Je dois m'inquiéter ? »
J'essaie ensuite de trouver le sommeil, en me persuadant que toute cette histoire ne m'atteint pas, mais je recommence aussitôt à cogiter. Je reste bloquée sur une seule et même pensée : Que peut-il être en train de faire qui l'empêche de me répondre ?
_____
J'ouvre les yeux au son de mon réveil. 07h15. J'ai dû finir par m'endormir malgré tout. Ma position identique à hier soir m'indique que je n'ai d'ailleurs pas bougé d'un pouce. Mon premier réflexe est de regarder mon portable. Il m'a répondu. Mon doigt hésite un instant avant de déverrouiller le message.
Louis, 23:29 : « T'inquiéter ? Je m'excuse trésor, mais je ne voulais pas t'appeler à la va-vite. Simon m'a fait rencontrer certains de ses contacts et ça s'est éternisé. Je te raconterai tout ce soir. »
J'avais oublié ce détail. Il est vrai que nous avions prévu que j'aille chez lui après le boulot. Sa réponse, toute en simplicité, aurait pu ôter mes doutes, mais rien n'y fait. La visite de son ex me reste en travers de la gorge. J'en viens même à me persuader que si je ne lui réponds pas et qu'il me renvoie un message dans la journée, c'est qu'il a quelque chose à se reprocher. J'ignore totalement sur quoi je fonde cette théorie, car je ne réfléchis jamais de la sorte habituellement. Ça ne me ressemble pas d'être rongée à ce point par la jalousie. Je ne sais pas comment je vais m'en sortir à l'agence aujourd'hui pour ne pas être paralysée par mes pensées. Je redoute déjà la fin de journée qui me rapproche d'une éventuelle dispute avec lui.
Le temps me paraît interminable. Au boulot, je ne fais que regarder mon téléphone dans l'espoir de valider mon idée, ce qui me prouverait que je ne suis pas folle. Mais rien. Aucune nouvelle de sa part. Est-ce dont la preuve que toute cette histoire est le fruit de mon imagination ?
Étonnement, Vic fait la morte face à moi. Je n'ai eu le droit à aucune pique de sa part. Elle n'a même pas cherché à mettre son grain de sel pendant ma prise de parole lors d'un brief ce matin. En revanche, je patauge totalement. J'ai l'impression de n'être pas plus productive qu'une débutante et d'avoir laissé ma créativité au fond de mon lit. J'ai dû emporter ma monotonie à la place. Je tourne en rond, proposant des lignes graphiques vues et revues. Jo semble constater mon manque d'efficacité et me demande de la suivre en direction du patio pour sa pause. Après s'être assurée que la porte nous isole des autres employés, elle finit par prendre la parole.
- J'ai parlé à Luke hier soir.
Le début de sa phrase provoque un vent de panique en moi.
- Ne t'en fais pas, rien de préjudiciable, ni pour toi, ni pour Vic. Continue-t-elle. Nous sommes une équipe et en tant que telle, il faut savoir préserver ses coéquipiers lorsqu'on les sent prêts à craquer.
J'acquiesce légèrement. Elle poursuit.
- Nous nous demandons si quelques jours de repos ne te feraient pas du bien. Ajoute-t-elle en cherchant une approbation dans mon regard. Tu es indispensable ici, et nous voudrions que tu reviennes reposée et en pleine forme.
Elle ponctue sa tirade par son sourire toujours aussi communicatif. Cela ne m'était pas venu à l'esprit, mais maintenant qu'elle m'en parle, je pense que c'est la solution la plus adaptée.
- Merci.
C'est tout ce que je trouve à lui répondre.
- Ce n'est rien. Je te laisserai régler tout ça avec Luke. Tu fournis un travail tellement conséquent ici depuis près de trois mois qu'un peu de vacances ne sont pas chères payées. Profites-en pour te faire cajoler par ton beau chanteur.
La perspective de ce programme laisse rêveuse, à condition que tout aille pour le mieux tout à l'heure avec lui.
Suite à ma discussion avec Jo, mon patron m'a effectivement accordés trois jours de congés. Je serai donc en week-end à l'issue de la journée, et ce jusqu'à mardi prochain. Je délègue mes projets en cours à Dan, ce qui me fait sortir avec une bonne demi-heure de retard. Mon cœur s'emballe lorsque j'enfile mon manteau pour sortir. J'aperçois la voiture de Louis, garée devant l'agence. Il se tient juste à côté, accroupi en appui contre le bâtiment d'en face. Il porte la veste en jean du jour de notre rencontre dans le taxi. Je prends mon courage à deux mains et me fais promettre intérieurement de ne pas m'emporter une fois face à lui. Comment est-ce possible de toute façon ? Plus je progresse en sa direction, plus son sourire s'agrandit et plus je remarque que le mien aussi. Je capitule aussitôt en le serrant contre moi et son odeur me transporte loin de ma perplexité. Lorsque je relève la tête, il se livre à un baiser des plus assoiffé, m'ôtant toute méfiance.
- J'ai bien failli faire une descente pour voir s'ils ne te séquestraient pas. Me dit-il en m'embrassant de nouveau.
- Tu aurais dû me prévenir que tu étais ici. Je serai sortie à l'heure.
Je sais très bien qu'il ne l'aurait pas fait. Il aime trop l'effet de surprise qu'il provoque en faisant cela.
- On ne m'avait pas dit que j'allai avoir une nouvelle femme aujourd'hui.
Je ne saisis pas tout de suite le sens de sa phrase jusqu'à ce que ses yeux s'attardent sur ma nouvelle coupe de cheveux. Contente qu'il l'ait remarqué, je lui souris légèrement.
- Ça te change, j'aime beaucoup en tout cas. Ajoute-il en capturant mon regard.
Il m'agrippe la main en contournant sa Porsche pour m'ouvrir la portière passager.
- Dépêchez-vous mademoiselle, sinon je ne pourrais pas profiter de vous comme je le souhaite. Me dit-il.
Je prends place dans le véhicule et lui réponds lorsqu'il s'assied à son tour.
- Je suis en repos jusqu'à mardi.
Il lève les sourcils tout en attachant sa ceinture.
- C'est vrai ?
- Oui. Il faut croire que je n'arrive plus à dissimuler ma fatigue au boulot.
- Merde. J'ai encore des rendez-vous de prévus demain et vendredi. Si j'avais su je n'aurai rien planifié.
Est-ce vraiment à des rendez-vous professionnels que tu te rends ?
- Je ne le sais que depuis tout à l'heure.
- Ce n'est rien. Dit-il en déverrouillant son téléphone. Je peux essayer de m'arranger.
Je baisse aussitôt sa main pour l'empêcher de décommander quoi que ce soit.
- Non, ce n'est pas la peine. Maintenant que tu es lancé dans tes projets, je m'en voudrais de retarder les choses.
- Ils attendent dans un coin de ma tête depuis des années. Ajoute-t-il. Ils peuvent bien patienter quelques jours supplémentaires.
Il est tellement adorable. C'est improbable qu'il me cache des choses aussi grosses. Ou alors en plus d'être chanteur, il est aussi très bon acteur.
Sur le trajet, il me raconte en détails sa journée d'hier. Son ami Simon lui a présenté des connaissances à lui dans le métier et ils ont passé la soirée à discuter des démarches qu'il devra suivre pour monter son label. La fluidité avec laquelle il me décrit ce qu'ils se sont dit ne m'autorise pas à me méfier davantage. En tout cas, en ce qui concerne son planning de la veille. Son ex chez lui, ça reste une toute autre affaire.
Soucieuse d'éviter une explication entre quatre yeux dans un espace aussi réduit que l'habitacle de sa voiture, j'attends que nous soyons arrivés avant de l'assaillir de mes interrogations.
Tandis qu'il ramasse des papiers éparpillés sur son canapé pour me laisser m'y installer, je reste à distance raisonnable et il comprend vite que j'ai quelque chose à dire.
- Ava, qu'est-ce qu'il t'arrive ?
Je souffle avant de me lancer.
- Il faut que je sois honnête avec toi.
Je croise mes bras sur ma poitrine et commence à marcher de long en large dans son salon.
- J'ai voulu savoir à quoi ressemblait Eleanor.
Il me laisse continuer sans rien dire, même si je lis de l'inquiétude sur son visage.
- Et je sais que c'est elle que j'ai vue sortir de chez toi le mois dernier.
Je vois qu'il prend une grande inspiration à la façon dont son torse se gonfle. Il ne pensait sûrement que nous ne nous étions pas croisées.
- Je t'assure que ce n'était rien de plus qu'une visite express, c'est la raison pour laquelle je ne t'en ai pas parlé ce soir-là. M'explique-t-il en tentant de s'approcher de moi.
Je recule.
- Pourquoi étais-tu torse nu quand je suis entrée ?
Je me sens immédiatement idiote de lui avoir posée cette question. Mais je me serais asphyxiée moi-même si elle n'avait pas franchie ma bouche.
- Quoi ? Mon dieu, qu'est-ce que tu vas t'imaginer ?
Il tente de nouveau de me prendre dans ses bras, mais je résiste.
- Je changeais de t-shirt, rien de plus.
Et l'excuse du sport, tu l'as oubliée ? Je ne suis absolument pas convaincue par son explication. Je reste perplexe et le soutiens du regard en attendant qu'il s'enfonce encore plus.
- J'aurai probablement dû être honnête avec toi dès ce soir-là, mais ça me paraissait tellement insignifiant. Eleanor n'est pas restée plus de cinq minutes. Elle ne représente plus rien pour moi.
Il s'approche de moi et plaque sa main sur ma joue en exerçant une légère pression avec son pouce, comme s'il pressentait qu'une larme allait bientôt déferler le long de celle-ci. Et soudain, mon menton se met à trembler sans que je l'y autorise. Mes yeux se voilent et ma vision devient de plus en plus floue. Je n'ai pas envie de craquer. Pas maintenant. Mais c'est trop tard. Louis rapproche mon visage de son torse et je m'abandonne complètement sous le poids de l'émotion que j'accumule depuis hier.
- Eh... Murmure-t-il en me serrant davantage dans ses bras. Ne t'en fais pas. Je suis là.
Il se détache un instant et ancre ses yeux aux miens.
- De quoi as-tu peur exactement ?
C'est pourtant tellement évident, mais il a besoin de l'entendre. Ma voix se brise et des larmes affluent à vive allure sur mes joues.
- J'ai peur de te perdre.
Je ne doute plus de mon amour pour lui. Mes sentiments sont bel et bien là et c'est un supplice d'imaginer une seule seconde que tout pourrait prendre fin.
- Je suis sincèrement désolé si quelque chose dans mon comportement ait pu te faire douter de moi. Je suis bien avec toi, et il n'y a aucune autre personne avec qui j'ai envie d'être.
Mon cœur se serre en l'entendant m'avouer ce qu'il ressent. Le fait d'avoir envisagé qu'il ait pu faire des choses aussi graves doit probablement me faire descendre dans son estime. Qu'est-ce qu'il m'a pris de tout gâcher de la sorte ? Je crois que je n'ai pas l'esprit très clair, et je n'ai surtout jamais composé avec des sentiments si intenses auparavant. Jamais je ne me suis retrouvée dans la position de la petite-amie jalouse et tourmentée.
- Je suis désolée.
- Non, ne t'excuse surtout pas. Je préfère que tu me dises quand quelque chose te tracasse.
Je sèche mes larmes d'un geste franc.
- Tout s'embrouille dans ma tête ces derniers jours.
- Que dirais-tu si demain, on partait voir ta famille ? Me propose-t-il en caressant mon bras. C'est la première chose que je fais dans ces moments-là.
L'idée m'a effleurée l'esprit hier soir lorsque j'ai avoué à Alex qu'il me manquait. Seulement, je crois que j'ai besoin de faire le vide. Et cela implique qu'il ne vienne pas avec moi.
- J'aimerai autant m'y rendre seule.
Il ne perd pas une seconde pour me répondre, preuve qu'il n'est pas froissé par ce que je viens de déclarer.
- D'accord. Mais laisse-moi au moins te payer ton billet d'avion.
- J'ai assez d'argent de côté...
Louis appose un doigt sur ma bouche.
- Ava... Je peux au moins faire ça pour toi.
Sa voix est vibrante de diverses émotions et je peux lire de l'incompréhension dans la lueur qui brille dans ses yeux face à tant de résistance de ma part. Je finis par lâcher prise, et accepte sa dernière requête.
Une fois mon billet d'avion aller/retour réservé et imprimé, je trouve refuge dans son canapé. La voix de Louis me parvient de la cuisine, tandis qu'il s'apprête à nous réchauffer de quoi manger. Mais rapidement, je sens la fatigue s'emparer de moi, tel un lourd brouillard s'insinuant sous chaque pore de ma peau, engourdissant mes muscles, mon cerveau, mes pensées.
_____
Je me réveille dans le grand lit aux draps blancs, que j'affectionne tant. Je me souviens m'être endormie très tôt hier soir et avoir senti la présence de Louis près de moi jusqu'au moment où il m'a légèrement tirée de mon sommeil pour que j'aille dormir avec lui à l'étage. Mon premier réflexe, avant que mon petit-ami n'ouvre les yeux à son tour, est d'envoyer un message à Joy pour la prévenir que je m'en vais tout à l'heure.
Puis, avant même de prévenir mes parents, je décide d'avertir Alex de ma venue. Il me répond en quelques secondes.
Alex, 08:42 : « À quelle heure tu atterris ? »
Il faut à peine une heure de vol entre Londres et l'aéroport de Newcastle, qui est la ville la plus proche de mon village natal. Je sais qu'en me demandant cela, il a dans l'idée de venir me chercher là-bas. Je préviendrai mes parents en leur donnant un coup de fil en allant vers Paddington.
Après avoir récupéré mes affaires à l'appartement, Preston me conduit à Stansted, l'aéroport le plus au Nord de la capitale. Louis a tenu à faire la route avec moi. Depuis ce matin, il ne cesse de me montrer son affection, comme s'il voulait me rassurer au maximum. Et dans la voiture, sa main ne quitte pas ma cuisse. Dès que nos regards se croisent, il me sourit. J'ai l'habitude qu'il soit affectueux, mais depuis notre mise au point, il attache encore plus d'importance à me prouver qu'il tient à moi.
En me déposant, il se contente de me dire de profiter et de passer le bonjour à mes parents. En temps normal, je sais qu'il n'aurait pas perdu une seconde pour me sortir une de ses plaisanteries bien pensées. Ce qui prouve tout de même que la situation est loin d'être ordinaire. Ou en tout cas, qu'il n'est pas dans son état habituel. Il me sert un long moment dans ses bras et j'ai du mal à me détacher de lui.
- Vas-y avant que je ne regrette de t'avoir proposé de partir. Me dit-il en plaquant ses lèvres sur les miennes.
- Et moi que je regrette de t'avoir dit de rester.
Même si j'ai conscience d'en avoir besoin, ces cinq prochains jours sans lui vont me sembler interminables.
En montant dans cet avion qui m'a déposé à Londres il y a plus de quatre mois, tout à un tas d'émotions déferlent dans ma tête et durant tout le trajet, seules mes pensées désordonnées me tiennent compagnie.
Il est quinze heures lorsque j'arrive à Newcastle. J'en avais presque oublié à quel point tout ici paraît ridiculement petit à côté de la démesure londonienne.
Louis, 15:08 : « J'espère que ton vol s'est bien passé. Tu me manques déjà. »
Moi, 15:09 : « Je viens tout juste d'atterrir. Je crois que tu me manques aussi. »
Le ciel ici est voilé par rapport à la météo clémente de tout à l'heure. J'ai même l'impression qu'il va se mettre à pleuvoir. Lorsque je sors du bâtiment, j'aperçois directement Alex, appuyé contre la voiture de ses parents. Contrairement à toutes les personnes que j'ai désormais l'habitude de croiser à Londres, lui ne tue pas son temps en pianotant sans cesse sur son téléphone. Et je me rends compte que maintenant, j'ai constamment le mien à portée de mains.
Mon ami me tend chaleureusement les bras pour m'enlacer. En un instant, il me transmet sa quiétude. Je réalise que cela fait deux mois et demi que je ne l'ai pas vu et ça provoque une étrange impression en moi, comme s'il me paraissait différent.
- Ça fait du bien de revenir dans la région.
Alex ne répond rien, mais je comprends qu'il est heureux de me revoir. Il me prend mon sac des mains et le met dans le coffre.
La pluie commence à tomber à fines gouttes lorsque nous prenons la route.
- Tu as prévenu les autres que je rentrais ?
- Oui, attends-toi d'ailleurs à ce que tout le monde veuille te voir ce week-end. Me répond-t-il.
Le ton détaché avec lequel il s'exprime m'étonne. Un silence s'installe quelques instants et j'en profite pour perdre mon regard sur les grandes étendues qui défilent devant nous. Je sors de ma rêverie lorsque Alex reprend soudainement la parole.
- Comment va Louis ?
Je ne m'attendais pas à ce qu'il évoque mon petit-ami si rapidement.
- Il va bien. Il te passe le bonjour.
Il ne m'a pas précisé de le faire pour lui, mais je le fais à sa place.
- Je suis surpris qu'il ne t'accompagne pas.
- Je lui ai demandé de ne pas le faire. Il serait venu avec plaisir sinon.
- Donc, tout va bien entre vous ? Ta visite ici n'a rien à voir avec lui ?
Un éclair de curiosité transparaît sur mon visage. Ces questions sont vraiment étranges.
- Tu as quelque chose contre Louis ?
Il laisse échapper un rire nerveux, mais qui me semble intentionnel. C'est le genre d'attitude qui m'insupporte. Je l'incite à développer, puisqu'après tout, c'est lui qui a amené le sujet.
- Vas-y, explique-toi.
Alex secoue la tête. Il se fout de moi ? Je suis partagée entre l'incompréhension de son comportement et la curiosité qu'il soulève en étant comme cela.
- Le truc, c'est que tu ne vois rien. Commence-t-il.
Son discours me désarçonne. Je fronce les sourcils et me tourne davantage vers lui.
- Voir quoi ?
Alex garde les yeux rivés sur la route et je remarque que ses mains se crispent autour du volant.
- Alex ?
Ma voix résonne encore dans le véhicule tandis qu'il actionne le clignotant. Il se gare brusquement sur le bas-côté de la route, provoquant la surprise de la voiture derrière nous qui klaxonne en continu. Cela ne semble pas perturber Alex, qui sort en trombe sous la bruine. Les battements de mon cœur prennent un rythme démesuré et ma respiration s'accélère. Sa réaction m'échappe. Je prends mon courage à deux mains et sors à mon tour en claquant fortement la portière, pour lui montrer l'énervement qu'il provoque en moi.
- Mais, qu'est-ce qu'il te prend ?
Il ne tient pas en place et marche énergiquement, en tentant de se contenir.
- Je ne comprends pas que tu n'aies pas encore saisi... Me répond-t-il enfin.
- Saisi quoi ?
- Ava enfin, ouvre les yeux !
La contrariété que je discerne dans la voix de mon meilleur ami me déstabilise totalement. Jamais auparavant il ne s'était montré si virulent au sujet de mes relations amoureuses.
- Justement, j'ai les yeux bien ouverts, contrairement à ce que tu penses !
Alex se tourne alors vers moi, et donne de l'impact à ses mots par des gestes francs.
- C'est typiquement le genre de mec qui n'a qu'à dégainer un sourire pour faire craquer n'importe quelle fille ! Je n'arrive pas à comprendre comment tu aies pu tomber dans le panneau si facilement !
La déception m'envahit dès l'instant où il prononce cette phrase.
- Comment peux-tu affirmer une chose pareille ? Tu ne le connais même pas !
- Tu as fini à ses pieds, comme toutes celles à qui il dessert son discours de pseudo chanteur connu !
Ses arguments ne tiennent pas la route. Il pense vraiment que c'est cela qui m'a séduit ? Certes, Louis ne m'a pas caché longtemps son métier, mais jamais il n'en a joué avec moi. Je suis assez douée pour cerner les gens en général, et il n'a jamais mis l'ombre d'un doute dans mon esprit concernant ses intentions. Et en tout cas, sa célébrité n'a rien à voir là-dedans.
- Je n'ai su qu'il était célèbre que plusieurs jours après l'avoir rencontré, si tu veux tout savoir !
- Peu importe ! Il a fini par te le dire et toi tu as succombé, évidemment !
J'ai l'impression de faire face à un inconnu.
- Comment ça « évidemment » ? Pour qui tu me prends ?
- Justement, je ne sais plus qui j'ai en face de moi.
J'ignore s'il se rend compte des propos blessants qu'il me dessert sans me ménager. L'émotion ne tarde pas à faire surface et mon estomac se noue tandis que ses mots se répètent sans cesse dans ma tête.
- Je n'ai pas changé. Je suis toujours la même.
Alex passe nerveusement une main dans ses cheveux et inspire un grand coup.
- J'aurai dû t'empêcher de partir.
Je peine à déglutir après ses paroles. Il commence à partir dans la direction opposée à la mienne, m'obligeant à le rattraper.
- Pourquoi tu me dis ça ?
- Mais parce que je t'aime Ava !
Sa déclaration me laisse sans voix. Il l'a dit avec une telle intensité et une sincérité bouleversante dans le regard, que je ne peux qu'être déstabilisée face à lui. Immobilisée par mon mutisme, Alex finit par partir à pieds, me laissant plantée là, seule dans ce silence troublant que j'avais presque oublié.
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