Chapitre 33

♫ « Hold back the river » - James Bay ♫


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Ava
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Allez, dernière journée de la semaine. Je tente de me donner un peu de motivation en passant les portes de l'agence. Mon travail chez Bread Collective est vraiment très enrichissant, mais aussi très prenant. Même si ces derniers jours ont été plus calmes, je termine souvent avec un mal de crâne lorsque je rentre et je suis assimilable à une vraie loque humaine.

Comme très souvent, je suis une des premières à arriver après Luke, le patron, qui ouvre toujours les portes un bon quart d'heure en avance. J'ai vite compris qu'il n'était pas particulièrement bavard si tôt le matin, alors depuis, je me contente de le saluer de la main en passant devant son bureau. La petite routine quotidienne s'est rapidement installée et je commence toujours mes journées en faisant le tour des ordinateurs de l'open-space pour les mettre en marche, je me sers un café, puis j'allume la musique. Jo arrive la plupart du temps juste après moi, avec son grand sourire habituel, puis c'est au tour de Dan, Vic et Dav, qui s'accapare immédiatement la machine à expresso pour la matinée. Phil, quant à lui, est toujours en retard de plusieurs minutes et a constamment une bonne excuse à servir au boss, qui a fini par ne plus y prêter attention au fil du temps. J'aime beaucoup la petite équipe que nous sommes, tous très différents les uns des autres, ce qui enrichit beaucoup notre travail ici.

Une fois mon café avalé, je m'empare de mon petit carnet de notes dans lequel j'ai tous mes croquis et mes idées pour revoir ce que j'ai griffonné la veille. Je me sers un grand verre d'eau et la journée peut enfin commencer. Luke nous rejoint généralement quelques minutes après pour nous saluer et faire un rapide point sur les demandes qu'il reçoit afin de nous les répartir. Mais ce matin, au lieu de retourner à ses occupations, il passe devant moi pour me demander quelque chose.

- Tu pourras venir me voir dans la matinée quand tu auras le temps ?

Surprise, je m'apprête à me lever immédiatement pour savoir ce dont il veut me parler, mais il m'arrête dans mon élan.

- Finis d'abord ce que tu as commencé. Me dit-il. J'ai quelques coups de fil à passer en attendant.

- D'accord.

La façon dont il a formulé sa requête ne m'inspire rien de bon. Je suis déjà en train de retourner la question dans tous les sens pour tenter de deviner où j'aurai bien pu faire quelque chose de travers, cependant rien ne me vient à l'esprit. J'essaie tant bien que mal de continuer ce que je fais avec un minimum de concentration, mais c'est fichu, je n'y arrive plus. Je saisis mon téléphone portable que j'ai retourné écran face au bureau. À peine une demi-heure que je suis ici et j'ai déjà quatre messages.

Joy, 09:13 : « Tu rentres à la maison ce soir après ton taf, ou tu vas directement chez Louis ? »

Joy, 09:13 : « Histoire que je sache si je t'attends, ou si je sors... »

Joy, 09:14 : « Je crois que je manque à Josh et Owen :) »

Quel phénomène celle-ci. Je compte effectivement rentrer directement chez Louis après ma journée. Je lui répondrais après avoir ouvert l'autre message.

Louis, 09:21 : « Hâte d'être à ce soir. »

Je trouve ça fou qu'une phrase si innocente soit capable de me faire un tel effet. Je lui renvoie un simple « Moi aussi :) », puis répond à Joy quant à mes projets. Ses réponses ne tardent pas. D'ailleurs pourquoi fractionne-t-elle autant ses explications ? Comme si elle était extrêmement pressée de me faire part de choses aussi banales que l'organisation de notre week-end. Ça ne lui ressemble tellement pas.

Joy, 09:38 : « Ok parfait ! »

Joy, 09:38 : « Je risque de rentrer tard demain du coup ! »

Joy, 09:38 : « Si l'un d'eux m'héberge pour la nuit bien sûr. »

Moi, 09:40 : « Aucun problème :) Au fait, Louis m'a demandé de te dire que samedi, Harry invite du monde chez lui l'après-midi avec Gemma. Je crois qu'ils veulent présenter le petit à tout le monde. Et il m'a demandé de te prévenir. »

Joy, 09:40 : « Ok. Je te dirais si je viens demain, selon mon état de fatigue. »

Eh oh Joy. Tu viens d'être de nouveau invitée chez Harry. J'aurai pensé qu'elle l'aurait pris avec un peu plus d'enthousiasme.

Le temps ne passe vraiment pas ce matin. Encore moins depuis que je sais que je suis convoquée. Vers onze heures, je décide qu'il est temps que j'aille éclaircir cette histoire. Je toque en douceur à la porte entre-ouverte du bureau de Luke. Il lève instantanément la tête de ses papiers et redresse ses lunettes sur son nez.

- Ava. Entre, je t'en pris.

Il me fait signe de m'asseoir face à lui, sur les chaises qu'il réserve habituellement aux clients qui viennent le voir à l'agence. Le fait de me retrouver dans cette posture m'angoisse un peu. Il ne m'a encore jamais convoquée ici auparavant. Même mon entretien d'embauche n'avait pas été aussi formel, puisqu'il s'était déroulé entour d'un café et de viennoiseries dans le studio de création.

- Tout se passe bien en ce moment ? Commence-t-il après avoir refermé un dossier. Je veux dire, tu te sens bien au boulot ?

Je déglutis bruyamment, ne voyant pas trop où il veut en venir.

- Euh, oui, tout va très bien.

- J'ai été très surpris que tu ne nous aies pas remis de documents à temps pour le projet sur lequel nous bossons pour le groupe financier Alliance & Leicester.

Je fronce les sourcils. Devant mon hésitation, Luke reprend.

- C'est un des plus gros contrat que nous ayons décroché depuis le début de l'année, et j'attendais vraiment tes travaux avec impatience.

- Mais, je n'ai jamais eu de dossier concernant leur brief.

- J'avais demandé à Vic de te le déposer sur ton bureau la semaine dernière lorsque j'étais en rendez-vous à l'extérieur. Elle ne l'a pas fait ?

Je hausse les épaules, ignorant si ma collègue a tout simplement oublié ou si c'est moi qui n'ai pas aperçu les documents sur mon bureau. Je suis pourtant bien organisée en général, et ce n'est pas le genre de détail qui m'échappe. Luke s'empare du téléphone qu'il utilise pour nous appeler quand il veut nous parler de quelque chose.

- Ouais Vic, tu peux venir une minute ?

Quelques secondes plus tard, elle apparaît derrière-moi.

- Tu voulais me voir ? Demande-t-elle à notre patron.

- Tu as bien remis le dossier Alliance & Leicester à Ava la semaine dernière ? L'interroge-t-il.

- Sur son bureau oui, comme tu me l'avais demandé.

Je me retourne vers lui, puis vers elle, qui ne me regarde même pas.

- Apparemment, elle n'a rien reçu. Ajoute Luke.

Je décide de me lever pour en avoir le cœur net et passe devant ma collègue, à qui j'en veux un peu de ne pas m'avoir tout simplement dit qu'elle avait laissé quelque chose à mon intention. Vic me suit.

- Je l'ai mis ici, dans la même bannette que d'habitude. Fait-elle, en me désignant une pile de feuilles dans une chemise jaune.

Je mettrai ma main à couper qu'elle n'était pas là cette semaine. Voir même avant que Luke ne me convoque. Une couleur aussi voyante m'aurait immédiatement sauté aux yeux. J'essaie de retourner la chose dans tous les sens, mais rien n'y fait. Pour moi, il n'y avait rien à cet endroit depuis lundi dernier. À moins que cela ait échappé à mon attention. Peut-être suis-je un peu moins concentrée ces derniers temps. Il faut que je dise à Louis de m'envoyer moins de messages sur mes heures de boulot. Ou que j'arrête de regarder mon téléphone tout simplement. Je reste observer ma collègue d'un air perplexe. Je n'en reviens pas, elle me fait douter de moi-même. Même s'ils me déconcentrent un peu, il m'est impossible de me passer des petits mots doux de mon petit-ami. Ils parviennent à me booster à leur manière.

- Je pensais qu'il ne t'aurait pas échappé. Dit Vic à voix haute, tandis que le patron nous rejoint.

Le dossier en mains, il me regarde d'un air un peu déçu, persuadé que mon manque d'organisation est responsable de cette erreur. Moi, mal organisée... C'est tout simplement une antiphrase. Joy serait la première à en témoigner.

- Tâche d'être davantage minutieuse à l'avenir Ava. Me dit-il en aparté avant de se retourner vers l'équipe au complet. On se pose dix/quinze minutes pour faire un point planning les amis ?

Comme si la scène qui venait de se passer lui volait au-dessus de la tête, Vic s'empresse de suivre Luke en direction de la table ronde où nous discutons ensemble des projets. J'ignore si c'est mon cerveau qui me joue des tours, mais j'ai comme l'impression qu'elle cherche à me mettre des bâtons dans les roues. J'en toucherai deux mots à Jo, avec qui je m'entends bien. Peut-être aura-t-elle une idée sur la question. Mais cette histoire ne me plaît pas. Si elle a un problème avec moi, qu'elle me le dise, plutôt que me faire des coups perfides de ce genre. J'ouvre rapidement le document pour y jeter un œil avant de rejoindre mes collègues. Apparemment, ils attendent nos propositions pour lundi. Je me surprends déjà à faire le tri dans ma tête pour chercher une ligne graphique qui pourrait correspondre à leurs attentes. Si Vic s'attend à ce que je ne rende rien sur ce projet, elle risque d'être surprise en arrivant au travail la semaine prochaine.

_____

Contrairement à ce que je pensais ce matin, j'ai terminé ma journée avec une nouvelle dose de motivation. Je prends le temps de déambuler dans le quartier de Carnaby Street, qui se trouve à deux pas de chez Louis. L'animation est souvent de mise dans cette rue, et c'est de nouveau le cas aujourd'hui. Un événement marketing a pris possession des ruelles afin de mettre en avant une célèbre marque de produits cosmétiques. Mes pas sont guidés au rythme de la musique, tandis que je slalome entre les passants. J'aimerais tellement partager des moments simples comme ceux-ci avec lui. En voyant les couples qui se baladent, je réalise que c'est quelque chose qui nous est inaccessible, même si nous sommes à deux pas de son appartement. Plus j'avance en direction de chez lui, plus je me rends compte que j'ai le sourire jusqu'aux oreilles à l'idée de me retrouver dans ses bras.

Comme d'habitude, je passe avec aisance sous la barrière bloquant l'accès de la résidence aux véhicules et me dirige d'un pas décidé en direction de l'entrée. Je suis aussitôt surprise et contrainte de reculer, lorsque la porte s'ouvre devant moi, chose qui n'arrive jamais puisque le voisin de Louis n'est jamais là. Une jeune femme, à l'allure élancée s'avance vers moi, le regard dissimulé derrière de larges lunettes de soleil. Je me décale pour la laisser passer et lui glisse un léger « Bonsoir », qu'elle ne me rend pas. Après une seconde d'hésitation, elle reprend sa route et ajustant ses longs cheveux bruns du bout des doigts. Il me semble ne jamais l'avoir croisée ici. Pendant un instant, je m'imagine qu'il peut s'agir d'une des sœurs de Louis, que je n'ai encore vues qu'en photo. Mais cela m'étonne, car il ne m'a absolument pas parlé d'une visite de leur part. Je salue Leeroy, le portier qui désormais me connaît bien et aperçois, dans le reflet du miroir du hall d'entrée, l'inconnue se retourner longuement vers moi. Cela me provoque aussitôt un réflexe de vérification pour voir ce qui a pu attirer autant son attention sur moi. Lorsque je me retourne de nouveau, plus aucune trace d'elle à l'horizon.

J'arrive devant la porte de l'appartement et l'ouvre après avoir frappé légèrement. Louis est dos à moi, dans son salon, en train d'enfiler un t-shirt. Il se retourne immédiatement, comme surpris de me voir.

- Tu es déjà là Trésor ?

Il se frotte le visage et ajuste son haut correctement sur ses hanches. J'ai comme l'impression qu'il est nerveux. Il vient vers moi et son état de surprise laisse instantanément place à un réel plaisir de me voir. Il pose franchement sa bouche sur la mienne et me regarde droit dans les yeux.

- Tu as oublié que je finissais plus tôt le vendredi ?

- Je n'ai juste pas vu le temps passer. J'ai fait un peu de sport.

Je ne pensais pas qu'il aurait passé toute sa journée seul ici, sachant qu'il commence de plus en plus à réfléchir à des projets qui lui tiennent à cœur. Il est d'ailleurs de plus en plus sollicité et passe beaucoup de temps sur son téléphone à répondre à des messages. Il reste plutôt discret pour le moment, par peur sans doute que tout tombe à l'eau. J'espère vraiment qu'il les concrétisera un jour sans que cela ne blesse ses amis par rapport à leur groupe. Du coup, j'ose à peine lui parler de mes journées par peur qu'il se sente inactif par rapport à moi. Mais la plupart du temps, les questions viennent de lui et il a ce besoin de s'intéresser constamment à mon quotidien, comme s'il se nourrissait lui aussi des toutes ces nouvelles expériences que je fais.

- Ça te dit un resto ce soir ? Me demande-t-il. Harry m'a parlé d'un endroit où on peut manger sur le toit et avoir une super vue sur la ville.

- Ah bon ? On ne commande pas des pizzas ?

Ma répartie accompagnée de mon regard en coin lui déclenche un éclat de rire. Pour une fois que c'est dans ce sens...

- Je serai ravie d'y aller.

- En plus à ce qu'il paraît, ça en met tellement plein les yeux que l'on emballe à tous les coups.

- Et tu penses vraiment avoir besoin de ça pour m'avoir dans ton lit ce soir ?

Un sourire coquin étire ses lèvres tandis que je me noie de nouveau dans son regard. Je vois tout de suite ses pupilles se dilater provoquant une montée de désir dans mon ventre. Louis colle son corps au mien et ses mains se baladent tendrement dans mon dos. Jamais je ne m'habituerai à recevoir des caresses de sa part.

_____

Par chance, je n'ai pas eu besoin d'être en renfort ce week-end chez Muriel's Kitchen. Cela nous a permis de rester traîner au lit après la sacrée nuit que nous venons de passer. Bon j'avoue, le Coq d'Argent en met plein les yeux.

Lorsque nous quittons l'appartement pour nous rendre chez Harry, en ce magnifique samedi après-midi ensoleillé, il est quinze heures passées. J'ai envoyé un message à Joy pour savoir si elle compte venir, mais je n'ai pas reçu de réponse. Elle doit probablement comater devant la télévision. Preston nous y conduit directement en voiture. Comme si la nouvelle s'était propagée, une poignée de jeunes femmes se tiennent devant l'entrée de la maison à Hampstead. Le portail s'ouvre sur notre passage, ce qui nous assure une sortie en toute discrétion, étant donnée la hauteur des murs qui encerclent la cour. Harry sort de chez lui et s'approche de nous, une télécommande à la main.

- Désolé, on est un peu en avance. Lui dit Louis en le saluant.

- Ce n'est rien, ça change de d'habitude. Rétorque Harry. Vous pouvez rentrer si vous voulez. Je vais juste mettre les choses au clair avec la petite troupe devant, avant que Gemma n'arrive.

Il actionne l'ouverture automatique de son portail et aussitôt, il se fait interpeller dans tous les sens. Louis, qui se tient toujours près de moi, me fait comprendre après m'avoir déposé un baiser sur le front, qu'il ne peut pas se permettre d'ignorer les fans. L'une d'elle, particulièrement à son avantage, lui saute littéralement au cou lorsqu'il approche pour se faire prendre en photo avec elle. Je déteste ce que je suis en train de faire. J'examine minutieusement l'allure bien trop provocante de cette fille qui se pavane sans retenue devant mon petit-ami. Je ne suis pas d'une nature jalouse, mais là, je crois n'avoir encore jamais vu quelqu'un l'approcher de si près juste sous mes yeux. En vérité, je n'ai aucun point de comparaison en la matière, puisque c'est la première fois que cela arrive en ma présence.

Visiblement, Harry a su faire passer le message, car une fois leurs autographes et photos obtenus, les filles s'écartent de l'entrée. L'une d'elle laisse échapper un « Eleanor était bien mieux », au moment où le portail se referme. Je pense être la seule à avoir discernée cette phrase qui, apparemment, m'était destinée. Parlaient-elles d'une de ses ex ? Louis et Harry n'ont visiblement rien entendu de leur côté, bien trop occupés à discuter entre eux. Je tente de faire bonne figure lorsqu'ils reviennent vers moi, mais Louis comprend qu'il y a une légère contrariété dans mon regard.

- Ça ne va pas ? Me demande-t-il en enroulant ses bras autour de ma taille. Ça t'as dérangé que j'aille les voir ?

- Non pas du tout, c'est juste que c'est étrange de te voir enlacer des inconnues, qui plus est, aussi sexy...

Mes joues s'empourprent à peine les mots ont franchis ma bouche.

- Qui t'a dit que je les trouvais sexy ? Ajoute-t-il en fronçant les sourcils.

Je tente de me justifier, mais j'ai peur de m'enfoncer encore plus.

- Non, mais en même temps ça sautait aux yeux.

- Je rêve où tu es en train de devenir jalouse ?

Louis se met à rire tout en m'empêchant de reculer en me tenant par les épaules.

- Moi ? Non !

- Si, tu es jalouse.

- Bon peut-être un peu. Il faut dire qu'elle te draguait littéralement sous mon nez...

Il encercle mon visage de ses mains.

- Mince alors, je vais devoir me faire à l'idée que tu es humaine... C'est dommage, ce n'est pas du tout comme ça que je te voyais.

L'alchimie entre nous gagne à chaque fois et dissipe tous les doutes qui s'immiscent dans ma tête. Je prends note de cette constatation au même instant où Louis vient se coller à moi et je perds instantanément le fil de mes pensées. Je suis envahie par une sensation de gravité qui m'attire vers lui. Il m'embrasse tendrement.

- Tu vois, c'est toi qui me fais cet effet là. Pas elle. Uniquement toi.

Une vague de chaleur passe dans tout mon corps et j'étire ma bouche sur les côtés, rassurée par ses propos.

- Tu dois apprendre à avoir confiance en moi, Ava.

Louis accentue son affirmation en plongeant son regard bleu dans le mien. Je fonds littéralement lorsque ses yeux se posent comme cela sur moi, comme si je n'étais que son seul et unique centre d'intérêt.

J'ai longtemps cherché à tomber sur la bonne personne. Qui ne le fait pas ? Mais maintenant que Louis est présent dans ma vie, je me rends compte qu'il ne ressemble pas exactement à l'image que je me faisais de mon idéal. Il est parfois grincheux, un peu cynique et son caractère n'est pas toujours simple à cerner. Mais je m'en fiche. J'adore l'intonation de sa voix, à la fois douce et cassée, ses yeux bleus que j'ai remarqués en premier, son parfum, sa mâchoire marquée, ses cheveux indisciplinés qui donnent parfois l'impression qu'il sort de son lit, son humour maladif qui me fait tomber à chaque fois dans le panneau. Bref, j'aime tout chez lui. C'est lui que je veux, avec ses manies, ses défauts, lui, rien que lui.

Je n'ai jamais vraiment cru en l'amour, comme si je n'arrivais pas à comprendre ce que signifie d'être en symbiose avec quelqu'un. Avec Louis, il suffit qu'il soit à mes côtés pour me faire ressentir toutes ces choses que je pensais ne jamais connaître. Est-ce que c'est ce que l'on ressent lorsque la bonne personne croise notre route ? Cette âme-sœur que nous dictent les contes de fées depuis notre enfance ? Si je devais être franche avec moi-même, je dirais qu'il est la meilleure chose qu'il me soit arrivé dans ma vie. Je remercie le destin de l'avoir mis sur mon chemin. Et je crois qu'il y a de très fortes chances pour que je sois tombée amoureuse de lui.

Nous rejoignons Harry à l'intérieur, qui s'affaire à accrocher une guirlande fanions bleue à pois blancs. Il s'est donné du mal pour préparer la pièce afin d'accueillir son neveu comme il se doit. Je trouve ça adorable. À son image tout simplement.

- Tu as besoin d'aide ?

Au même moment où je lui pose cette question, mon regard est attiré vers le fond de la pièce. Une blonde, qui est loin de m'être inconnue, fait son entrée par la porte-fenêtre de la véranda.

- Joy ?

Mon amie se stoppe net lorsqu'elle nous voit, Louis et moi, en compagnie de Harry.

- Mais, tu es là depuis quand ?

Elle me répond du tac-au-tac.

- Moi ? Ben, je viens d'arriver.

Je remarque qu'elle est pieds nus.

- Où sont tes chaussures ?

Elle dirige son regard vers le bas, comme si elle avait oublié ce détail.

- J'ai vu un bain de soleil au fond du jardin, alors je me suis arrêtée deux minutes. On n'a pas de terrasse à l'appart', alors je profite.

Harry relève à peine sa présence, mais sourit face à l'attitude détachée de Joy. Au moins, elle est à l'aise. Et ça n'a pas l'air de le déranger. Les yeux rivés sur son moniteur de surveillance, il s'aperçoit qu'une voiture est arrivée devant chez lui.

- Voilà la star qui arrive. Nous dit-il en s'élançant en direction de l'entrée.

- Ah bon ? Ce n'est pas moi la star ? S'écrie Joy.

- Tu as vu ton nom sur les cupcakes ? Réplique-t-il avant de sortir.

Il revient quelques minutes plus tard, un sac à langer sur le bras, suivi de Gemma qui tient son fils d'une semaine dans ses bras et de Lucas qui amène la poussette. D'ici, j'aperçois juste une chevelure brune dépasser du lange qui l'entoure. Il paraît tellement minuscule. La jeune maman rayonnante vient nous dire bonjour et finit par demander à son frère s'il veut nous présenter son neveu. Un peu hésitant, Harry prend délicatement le bébé et nous le montre de plus près.

- Je vous présente Noa Harry Lacroix.

Un grand sourire de fierté se lit sur son visage. On sent bien que cette petite attention de la part de sa sœur a dû particulièrement le toucher, rien qu'à la façon dont il insiste sur son deuxième prénom. Pour moi qui n'est pratiquement jamais vu de nouveau-né dans ma vie, je dois avouer qu'il est particulièrement beau.

- Vous l'avez vraiment bien réussi.

- Ouais, c'est vrai qu'il est pas mal. Me répond Gemma. On a hésité à le ramener au magasin, mais finalement on le garde.

Tout en rigolant, Gemma s'installe dans le canapé et attend que Harry lui rende son fils, mais celui-ci n'a pas l'air décidé à le faire. Il est littéralement en admiration et paraît si à l'aise. C'est assez bluffant venant d'un mec. Moi, je serai incapable de le tenir par peur de lui faire mal.

- Vous avez géré la déco les filles ! Nous lance Gemma en admirant les petits détails autour de nous.

- On n'y est pour rien nous !

Je désigne Harry du doigt.

- De toute façon, moi je viens d'arriver. Souligne Joy comme pour insister sur le fait qu'elle n'aurait jamais fait ce genre de choses.

D'autres personnes finissent par se joindre à nous. Je ne connais pas l'intégralité des gens présents, mais tous savent déjà que je suis la petite-amie de Louis. Rapidement, le groupe se scinde en deux clans : les femmes d'un côté autour des friandises et les hommes de l'autre, autour de Noa.

- Regardez-les ! Nous dit Sophia. Ils sont littéralement en train de fondre.

Joy accoure aussitôt autour d'eux. Qu'est-ce qu'elle va encore leur sortir ?

- Putain les gars, vous étiez passés où lors de la distribution des testicules ?

Un éclat de rire général prend place face à sa réplique bien pensée et le petit Noa se met aussitôt à pleurer à cause du bruit.

- Bravo Joy. Lui fait Harry en tapant dans ses mains. Tu t'en occupes maintenant ?

- Je n'y peux rien si vous ne résistez pas à mon humour. Scande-t-elle en tournant les talons.

_____

Lorsque nous sommes sortis de chez Harry hier soir, la nuit avait repris ses droits, et nous étions relativement fatigués, si bien que pour une fois, nous avons passé la nuit à dormir. Lorsque je me réveille, Louis est déjà levé. Le son de la télévision me parvient d'en bas, ponctué par des gloussements significatifs. Je rêve ou est-ce qu'il est vraiment en train de se bidonner devant des dessins animés ? Pour en avoir le cœur net, je me lève, enroulée dans un drap. Je prends au passage mon carnet de croquis au cas où des idées me viendraient en tête concernant le projet pour Alliance & Leicester. Je compte bien rendre quelque chose demain à Luke. Je descends les marches avec précaution pour ne pas me prendre les pieds dans les couvertures et me retrouver en bas plus vite que prévu et rejoint Louis sur le canapé. Il est probablement debout depuis quelques minutes à peine, en témoignent ses petits yeux encore endormis.

- Bonjour.

Il étire ses bras vers le haut faisant remonter son t-shirt. Je ne résiste pas à passer ma main sur son ventre, lui provoquant des frissons, puis me rapproche de lui.

- Les aventures de Bob l'éponge ont l'air particulièrement drôles aujourd'hui dis-moi...

Louis me tape doucement sur le dessus de la tête avec la télécommande.

- On peut toujours zapper sur « Le jour du Seigneur » si tu préfères. Me dit-il en ironisant.

- Non, ça ira merci. Et puis, je vais probablement gratter quelques idées pour demain.

J'ouvre mon carnet de notes. Mes meilleures idées me viennent généralement le matin au réveil.

- Au fait, ton portable a vibré il y a quelques minutes sur la table. M'indique-t-il en se penchant en avant pour me le passer.

J'ai la fâcheuse tendance à toujours l'oublier n'importe où quand je suis chez lui. Alors qu'à la maison, il ne me quitte pas, par peur de ne pas recevoir à temps un de ses messages. J'ouvre la petite enveloppe clignotante sur l'écran. Le nom du destinataire me fait rater un battement.

Alex, 10:54 : « Coucou toi. Je sais que ça fait un bail que je n'ai pas pris de tes nouvelles, je tiens à m'en excuser. J'ai été con, et j'ai conscience de n'avoir pensé qu'à moi sur ce coup. Tu mérites tellement la vie que tu mènes désormais. Je m'en voudrais d'être responsable de la fin de notre amitié. »

Ces derniers mots me tordent littéralement les boyaux. Pour moi, il est tout simplement impensable qu'une chose pareille arrive un jour. Et rien que le fait de penser qu'il ruminait là-dessus à l'autre bout du pays depuis plus qu'un mois et demi me fend le cœur. Jamais ma vie ne sera concevable sans Alex. Pour moi, Londres est une transition dans mon existence. Une manière de lancer ma carrière et de me faire de l'expérience dans le graphisme. Seulement, il est évident que Louis est venu perturber tous mes codes en entrant dans ma vie, et l'avenir n'a jamais été aussi emprunt à des questions fondamentales depuis. Je garde secrètement à l'esprit l'espoir qu'un jour Alex prenne conscience lui aussi que la vie à Alston nous étouffe, et qu'il fasse le grand saut pour venir ici. Mais plus le temps passe, plus je me rends compte que ces perspectives s'amoindrissent. On a beau parfois renier l'endroit d'où l'on vient, il y a toujours tout un tas de choses qui nous y rattachent. Je me sens soudainement nostalgique en repensant à ma ville d'origine et un nœud se forme dans ma gorge. Si je me trouvais seule, je pense bien que j'aurais laissé échapper quelques larmes. Je me blottie un peu plus contre Louis.

- Tout va bien ?

Comme s'il avait compris que mon rapprochement avait un rapport avec ce que je viens de lire, il passe son bras autour de moi pour me serrer davantage.

- Oui, ça va.

Alex me manque vraiment. Et je sais que son petit message n'a pas dû être simple à envoyer pour lui. Mais je suis tellement heureuse qu'il l'ait fait.

_____

*** Un an plus tôt. ***

Je pense n'avoir jamais été aussi fière de moi. J'ai tellement bataillé pour en arriver là, mais ça y est, j'ai enfin obtenue mon diplôme. Je supervise Alex tandis qu'il positionne le précieux papier à mon nom, soigneusement encadré, sur un des murs de ma chambre.

- Un peu plus à gauche... Stop. Là c'est parfait.

Il trace un repère au crayon à papier avant de saisir un marteau et une pointe sur le dessus de l'escabeau. Il installe rapidement le petit cadre avant de revenir à ma hauteur, pour l'admirer avec moi. La joie que je lis sur son visage lorsqu'il baisse les yeux vers moi, est teintée d'une touche d'inquiétude.

- Quoi ?

Je le pousse gentiment pour qu'il cesse de me dévisager de la sorte.

- Rien. Me répond-t-il tout sourire. Je suis juste heureux que tu aies enfin eu ce que tu souhaitais. Tu vas pouvoir te tirer d'ici au plus vite, avec ce précieux sésame en poche.

Je sens comme de l'ironie dans sa voix, comme s'il voulait tester ma réponse, qui est plus qu'évidente. Mon objectif premier est de faire le métier de mes rêves, mais le but est aussi de fuir ma vie routinière au fin fond de la campagne. Le mot « sésame » est donc pertinent, car il signifie pour moi un réel élan vers la liberté et l'inconnu.

- Pour l'instant, rien n'est encore décidé. Et puis ça ne s'organise pas sur un coup de tête ce genre de choses.

- Tu ne vas pas me faire croire que tu n'as pas déjà tout planifié depuis bien longtemps. Ajoute Alex.

J'ai effectivement beaucoup réfléchit à la question, mais je ne voudrais surtout pas lui faire ressentir le moindre désir de fuite de ma part car cela signifierait aussi de le laisser derrière moi. Depuis notre enfance, nous sommes habitués à nous voir tous les jours. Mon ami est tout comme moi fils unique ; nous sommes respectivement nos seuls repères. Seulement Alex à une vie toute tracée ici depuis qu'il a repris la boulangerie familiale. Il est loin de se plaindre de son quotidien, contrairement à moi. J'ai besoin de renouveau, de faire de nouvelles expériences, de rencontrer d'autres personnes, même si cela exige de nombreux sacrifices.

- Mais je ne suis pas encore partie.

- Mais ça ne saurait tarder. Termine-t-il sûr de ce qu'il avance.

Les mains dans les poches, il garde les yeux rivés sur mon diplôme, mais finit par sortir de son moment d'absence en regardant l'heure sur son portable.

- Bon, tu as très exactement vingt minutes pour te préparer, et on décolle. Me dit-il.

- On va où ?

- Prépares-toi, un point c'est tout. Ajoute-t-il en sortant pour me laisser un peu d'intimité.

- Pitié, dis-moi que tu ne m'as pas organisé une fête surprise...

Alex lève les yeux en l'air.

- Ava, contente-toi de faire ce que je te dis. Ce soir, c'est ta soirée.

Je n'aime pas particulièrement être au centre de l'attention. Mais pour une fois, je ferai un effort. Connaissant mon ami, il s'est probablement donné du mal pour préparer quelque chose qui marque la fin de mes études comme il se doit. Je sous-estime souvent sa capacité à me faire passer de vrais bons moments. Et pourtant, ce sont des occasions toutes simples comme celle-ci qui marquent les instants clés et en font des souvenirs pour toute une vie.


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