Chapitre 25

♫ « Happy »- C2C ♫


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Ava
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Voilà quasiment une heure que je ne parviens plus à fermer l'œil. Je crois que la perspective de me lancer dans la vie active pour de bon m'angoisse quelque peu. L'équilibre bancal entre mon stress et mon excitation fait que je me sens dans un état très particulier. Mais cela me motive davantage à me surpasser pour mon premier jour chez Bread Collective. D'ailleurs, trouver la tenue appropriée n'a pas été aussi compliqué que je ne l'aurais pensé. Et pour une fois, je suis confiante dans mon choix.

Sachant très bien que je ne me rendormirai pas, je passe le temps en parcourant des blogs mode sur mon smartphone. Depuis quelques jours, je me suis découvert cette nouvelle manie. Elles sont tops ces petites bottines. C'est tout un art de savoir coordonner ses tenues. Il existe maintenant tellement de plate-formes pour s'inspirer. Moi qui étais loin d'être une accro au shopping, ma colocataire a su réveiller en moi une envie d'être aussi branchée qu'elle. Et je ne cache pas non plus que ma relation avec Louis y est sans doute pour quelque chose aussi.

Six heures trente pétantes. Comme une vieille habitude, un vacarme résonne depuis la pièce de vie quand Joy pousse la porte de sa chambre contre mon mur. C'est la même histoire à chaque fois qu'elle se lève pour aller travailler. Sauf que, quand elle ne la retient pas derrière elle, c'est qu'elle ne s'est pas levée du bon pied. Il ne manquerait plus qu'elle se cogne l'orteil dans...

- Aïe ! S'exclame ma colocataire, à peine cette pensée me traverse l'esprit.

Voilà, c'est fait. Elle va être d'une humeur massacrante ce matin. Tant pis, un peu de gaîté ne va pas la tuer. Et puis, j'aime bien la taquiner. Je sors de mon lit pour la rejoindre dans le salon qui est toujours plongé dans le noir complet. J'enclenche l'interrupteur, ce qui provoque chez Joy un mouvement de recul lorsque la lumière vient agresser ses yeux encore endormis. Elle finit par s'habituer à la luminosité et d'un geste de la main, me fait signe de reculer.

- Mais ! Retourne te coucher. T'as encore deux heures devant toi. Profite au moins ! Me chuchote-t-elle à voix basse en replaçant sa chevelure ébouriffée.

Je murmure à mon tour.

- Pourquoi tu parles tout bas ? Y a un mec dans ton lit ? Il n'est pas parti celui de samedi soir ?

- Hein ? T'es dingue ! Je ne fais pas garderie moi. Répond-t-elle avec la même intonation.

- Ben alors pourquoi on parle comme ça ?

- Je préserve mes oreilles c'est tout. Je vais entendre des sonnettes toute la journée au boulot.

- Ah c'est juste pour ça !

Je reprends une voix normale. Joy fronce les sourcils.

- Tu me fatigues Miller. Et tu sais que tu vas épuiser tes nouveaux collègues dès ton premier jour avec tant de dynamisme ?

Je sais très bien qu'elle ne me dit pas ça méchamment, d'où mon sourire niais au moment où je passe devant elle. Joy lève les yeux devant mon obstination à lui montrer que je suis déterminée à faire de cette journée une réussite dès le réveil, et de lui communiquer ma bonne humeur.

- Allez, un peu de motivation pour ta reprise !

- Tu as vu ma tête ? Me demande-t-elle en désignant son minois blasé de l'index.

L'expression de son visage suffit à traduire sa joie de reprendre son boulot après sa suspension de quelques jours pour absentéisme. Mais depuis qu'elle m'a tout avoué sur son passé difficile, j'ai comme une envie constante de la mener vers le haut. D'autant plus que j'ai remarqué que ça fonctionnait plutôt bien.

- Rends-toi utile au moins, allume la cafetière. Je vais prendre ma douche. Finit-elle par marmonner.

- C'est comme si c'était fait, madame.

Mon entrain matinal lui décroche tout de même un léger sourire. Je m'affaire à préparer un petit-déjeuner copieux. Une habitude que j'ai prise depuis que je travaille chez Muriel's.

Joy sort de la salle de bain, une serviette enroulée en turban dans les cheveux et sa tenue d'infirmière sur le dos. Elle semble enfin disposée à discuter.

- Un des points positifs de ton boulot au resto, c'est que depuis je mange équilibré le matin. Me dit-elle en s'asseyant au comptoir de la cuisine. Dommage que tu ne continues pas à bosser là-bas.

- Et bien, figure-toi que si ! Ils me gardent en renfort au service du midi le samedi si nécessaire.

Joy me regarde, les lèvres pincées.

- Donc en gros, tu vas pouvoir dire à Louis que vous ne vous verrez plus aussi souvent maintenant...

J'ai comme l'impression que mon cœur fait demi-tour dans ma poitrine lorsqu'elle me fait voir cette vérité en face. Je n'avais effectivement pas encore pris conscience de cet aspect que va m'imposer de travailler à temps-plein toute la semaine, et parfois le week-end. Jusqu'ici, nous pouvions nous voir au grès de nos envies, sans aucune contrainte. Cette semaine va d'ailleurs être assez difficile puisque Louis part quelques jours dans sa famille à Doncaster. Mais je crois qu'il a compris que j'avais besoin de cet éloignement pour me concentrer totalement sur ma semaine d'essai dans cette nouvelle agence. Et de son côté, il a besoin de retrouver ses proches qu'il n'a pas vus depuis des mois. Je suis certaine que nos plannings ne seront pas une gêne très longtemps.

- Il en a conscience. On continuera de se voir le plus souvent possible. Ça demande juste une organisation différente.

J'ai l'impression d'essayer de me rassurer moi-même. Ça me fiche un peu le cafard d'y penser. Je préfère changer de sujet.

- Et toi, tu vas le revoir le petit jeune que tu as rencontré à The Box ?

- « Petit jeune »... Bon ok... Il n'avait que dix-neuf ans, mais je t'assure qu'au pieu, il assurait comme un mec de vingt-cinq ans.

- Je suis bien contente d'être restée dormir chez Louis samedi...

- Ne joue pas les fausses « saintes-ni-touche » ! J'imagine très bien ce que tu as fait de ton côté.

Ok, je n'aurais pas dû lui tendre de perche à ce sujet. Elle est beaucoup plus maligne que moi. Les yeux de mon amie s'arrondissent à la vue de l'horloge qui se trouve derrière moi.

- Il est déjà sept heures et demi ! Faut que je file.

Elle envoie valser sa serviette sur le canapé en un tour de main, puis rejoint le miroir de l'entrée.

- Hop, ça va sécher au boulot. Impeccable. Dit-elle en domptant sa crinière blonde.

Elle prend l'élastique qu'elle garde toujours autour du poignet pour attacher ses cheveux encore humides.

- Un petit coup de rouge à lèvres... Et Joy Benett est dans la place !

Telle une rock star, elle accentue son exaltation en claquant des doigts, désignant son propre reflet. Elle passe son énorme sac à main à son épaule, et s'empresse de venir m'embrasser.

- Eh Miller... Passe une bonne journée ! Me dit-elle en me tapant amicalement dans le dos.

- Toi aussi, à ce soir ! Hâte de tout te raconter.

- Tu vas déchirer !

Elle certifie son exclamation par un énorme sourire, qui contraste avec le zombie qui sortait de son lit tout à l'heure. Je préfère nettement cette Joy là. J'ai la patate pour aller me préparer maintenant.

J'ai largement le temps devant moi, mais je préfère m'y prendre bien en avance. Ça m'évitera de stresser une fois dans le métro en direction du travail. Alors que je retire mon haut de pyjama, je tombe nez-à-nez avec un poisson en papier, subtilement scotché dans mon dos. Sérieusement, il y a encore des gens qui pensent au 1er avril ? Je comprends donc mieux l'attitude de Joy avant de partir. Elle devait préparer son coup depuis un moment et c'est sans doute cela qui la rendait si joyeuse. Je pouffe de rire devant cette farce digne d'une enfant, mais digne d'une grande enfant comme elle aussi. C'était donc ça qu'elle manigançait hier soir en gloussant derrière sa porte. Lorsque je déplie mon linge pour l'étendre avant d'aller me doucher, je constate qu'elle a aussi pensé à m'en coller un autre derrière la veste que j'ai prévue de porter. Cette fille m'épate.

_____

Mon sens de l'organisation à toute épreuve fait que j'ai pris le temps de noter les lignes de métro qu'il me faut prendre pour me rendre chez Bread. L'agence se trouve au nord-est de la capitale et il ne me faut pas moins de quarante minutes de trajet pour m'y rendre. C'est le prix à payer pour décrocher ce boulot qui me fait tant rêver.

Histoire de passer le temps, je décide d'appeler chez moi à Alston et de prendre des nouvelles de mes chers parents. Et puis ça me permettra de canaliser un peu mon stress. Un message que je n'ai pas entendu arriver m'attend sur mon smartphone. Louis. Il doit probablement être en route pour Doncaster à l'heure qu'il est. Sa petite attention me touche.

Louis, 08:04 : « Bonne chance pour ton premier jour. Je pense fort à toi :) »

Je lui réponds d'un petit merci, accompagné d'un smiley content. Il me tarde déjà d'être samedi pour le retrouver. D'autant plus que Joy a décrété qu'elle voulait que l'on fête ma première semaine de boulot comme il se doit au nightclub Cirque le Soir. Je la soupçonne de commencer à apprécier la compagnie de Louis et ses amis.

Je compose de tête le numéro de mon domicile. Il est bien évidemment dans mon répertoire, mais je vais bien plus vite de la sorte. Ma mère décroche immédiatement.

- Bonjour notre petite londonienne.

- Bonjour maman. Ça me fait trop plaisir de t'entendre.

J'en oublie parfois à quel point ma mère est extraordinaire. Mon père prend le combiné pour m'adresser ses encouragements.

- En route pour le début de la gloire ?

- J'espère en tout cas. J'ai tellement peur de ne pas faire l'affaire.

- Ta mère et moi croyons totalement en toi.

- Merci papa.

Ils commencent vraiment à me manquer. Je sais que leur soutien aurait été très appréciable aujourd'hui. Mais Joy a très bien su me faire oublier mes angoisses avec sa petite blague de tout à l'heure.

- Je te repasse ta mère. Donne-nous de tes nouvelles au plus vite.

- Je n'y manquerais pas. Bisous.

Mon père n'a jamais aimé parler au téléphone, alors je sais que ces simples mots sont un effort surhumain de sa part.

- Maman, est-ce que tu as vu Alex ces derniers temps ?

Mon meilleur-ami continue de se comporter de façon plutôt étrange avec moi.

- Tu veux dire, depuis votre dispute ? Me demande ma mère.

- Notre dispute ? C'est lui qui t'a parlé de dispute ?

- Non, mais j'imagine que c'est ce qu'il s'est passé, vu qu'il nous évite moi et ton père depuis son retour. C'est à peine s'il sort de derrière ses fours quand nous passons à la boulangerie.

Son comportement m'échappe complètement.

- On ne s'est pas disputés. Il agit juste bizarrement depuis. C'est à peine s'il répond à mes messages.

- Quelque chose l'aurait froissé ?

- Je ne pense pas.

La façon dont il agit restera un vrai mystère tant qu'il ne se sera pas décidé à me dire franchement ce qui lui a déplu quand il est venu me voir à Londres. Même si j'ai ma petite idée, qui pour moi ne se tient absolument pas puisque Louis s'est montré très accueillant envers lui durant sa soirée.

Je change de rame de métro et attrape la deuxième dans un timing parfait. Ma mère continue ses hypothèses concernant Alex. J'ai l'impression qu'elle est attristée autant que moi que nous ne soyons plus aussi proches lui et moi. Même si elle reste persuadée que tout rentrera dans l'ordre. Nous ne restons jamais bien longtemps en froid. Mais cette fois-ci, je pense que la distance est une ennemie persuasive. 

Je n'ai pas encore évoqué ma relation avec Louis à ma mère par crainte qu'elle ne s'imagine que je ne me sois concentrée que là-dessus depuis un mois. Encore quelques jours et je lui en ferai part. D'autant plus que j'imagine bien Louis se faire cuisiner par sa mère de son côté.

J'approche enfin de ma destination, les éloges de ma mère me propulsant vers l'avant.

- Reste fidèle à toi-même et tout se passera bien.

- Tu en es sûre ?

- Fais-toi confiance Ava. Tu analyses toujours tout à la perfection. Tes sentiments sont les seules choses qui ne te trahiront jamais.

À la sortie du métro, je suis confiante comme jamais. Je tente de me remémorer le chemin que j'avais emprunté lors de mon entretien, il y a de cela quinze jours. Je me souviens que le quartier m'avait paru calme et chaleureux. Nous sommes toujours en ville, mais en périphérie du centre actif de Londres. Comme je suis en avance d'un bon quart d'heure, je prends tout mon temps pour observer les environs. Au détour de la rue où se trouve l'agence, je remarque qu'une petite ruelle porte mon nom, « Miller's Avenue ». C'est un détail tout ce qu'il y a de plus banal, surtout lorsque l'on porte un nom aussi répandu que le mien, mais je ne peux m'empêcher de trouver cela marrant.

Une légère appréhension fait son apparition lorsque je me retrouve devant les grilles de Bread Collective. J'inspire un grand coup et entrouvre ce qui sera peut-être mon nouvel endroit de prédilection pour les mois à venir. Dès mon arrivée, je suis accueillie par le directeur, Mr James, qui m'avait fait passer mon entretien d'embauche.

- Ava ! Sois la bienvenue chez Bread !

- Merci beaucoup Monsieur James.

- Je t'en prie, appelle-moi Luke. « Monsieur » c'est bon pour les vieux ronchons.

Je lui souris. Il est vrai qu'il n'a rien de quelqu'un qu'on appelle de la sorte, mais comme c'est la première fois que je me lance dans la vie active, je n'ai pas vraiment idée de la distance à mettre avec celui qui vous embauche. Je m'avance vers lui tandis qu'il me tend la main pour me saluer.

- Fais comme chez toi, si tu as apporté quelque chose à manger pour ce midi, il y a un réfrigérateur à l'office sur ta droite.

Mince. Je n'ai même pas pensé à apporter quoi que ce soit. Il semble remarquer mon embarra.

- Si tu n'as rien, ne t'en fais pas. La rue regorge de petits restaurants très sympas. Ajoute-t-il.

- Oui, c'est ce que j'ai cru voir en arrivant.

- Bien. Je m'excuse de te faire déjà faux bon, mais j'ai un rendez-vous avec des clients dans dix minutes. Je vais demander à Jo de te faire visiter les locaux.

- Pas de problème.

Je le suis en direction de l'open-space où se trouve le reste de l'équipe.

- Votre attention les amis ! S'exclame Luke. Je vous présente Ava. Elle fera partie de l'équipe dans quelques jours si tout se passe bien, et dieu sait que nous avons besoin de sa précieuse collaboration, alors surtout, soyez gentils avec elle.

- Luke ! Depuis quand tu nous prends pour des requins ? Lui demande une jeune femme brune.

Elle s'avance vers nous et me tend la main à son tour.

- Moi c'est Joséphine, mais surtout n'utilise jamais mon prénom entier. Contente-toi de Jo tout court.

- Enchantée Jo.

Elle semble être quelqu'un de très sociable. Approchant certainement de la trentaine, elle impressionne par son charisme et sa grande taille. Son teint hâlé donne à penser qu'elle est issue d'un joli métissage.

- Je suis en quelque sorte l'atout mode de cette agence. Mais j'imagine que tu l'auras compris au premier coup d'œil vers mes chers collègues.

Je comprends rapidement qu'elle charrie ceux qui se trouvent en face d'elle.

- En tout cas, j'ai de sacrés soucis à me faire. Ajoute-t-elle en regardant de plus près la tenue que je porte. Où as-tu dégoté ce joli ensemble ?

- Euh, je...

Avant que je n'ai le temps de répondre, un deuxième employé vient se présenter.

- Eh, « Jo-tout-court », veux-tu bien laisser la demoiselle respirer ?

Il la pousse gentiment pour se mettre bien face à moi.

- Moi, c'est Dan ! Le binoclard là-bas, c'est Phil, la petite aux faux airs de Julia Roberts, c'est Vic, et celui dans le fond qui en est déjà à son cinquième expresso, c'est Dav.

Il s'approche de moi pour me glisser quelque chose à l'oreille.

- Un conseil, n'accapare jamais la machine à café, sous peine de ne recevoir ses foudres.

- D'accord, merci de m'avoir prévenue.

Même s'il tente de rester sérieux, je sais que ces menaces n'ont rien de bien méchantes. Les prénoms sont courts et faciles à retenir, mais je vais certainement m'emmêler les pinceaux au début.

Jo me fait faire le tour de l'agence. Elle a été aménagée dans un grand hangar, auquel ils ont souhaité garder son aspect brut et industriel. Je trouve ça génial. Ils ont chacun un petit bureau à eux, qu'ils ont décoré selon leurs goûts. Celui de Jo est tout simplement sublime, dans un esprit ethnique et reposant. Elle me dit que si je fais l'affaire, j'aurai bientôt mon propre coin à personnaliser. La pièce principale est celle où ils passent le plus clair de leur temps. Sous forme de brainstorming, ils débattent régulièrement des directions à faire prendre à tel ou tel projet. On ressent vraiment un fort esprit d'équipe. C'est une notion qui m'est pour le moment inconnue puisque je n'ai jamais travaillé avec d'autres personnes. J'étais à mon compte en freelance à Alston et je ne comptais que sur moi-même. Un autre point positif à retirer de mes quelques semaines chez Muriel's Kitchen, c'est que j'aurai au moins appris à faire partie d'une vraie brigade et à tenir compte de l'avis des autres. Jo me garantit que je n'aurai aucun mal à m'intégrer, et je la crois sur parole tellement ils ont l'air sympathiques. L'ambiance très « à la cool » n'enlève pas le fond néanmoins studieux qui en découle. Ce qu'il y a de top, c'est qu'ici on touche vraiment à tout : aussi bien au design d'espace, qu'au design graphique, en passant par le design de produit. Je pense que je peux apprendre beaucoup de choses entre ces murs.

Après cette visite guidée qui m'en a mis plein les yeux, les choses sérieuses commencent. Luke rejoint l'équipe en milieu de matinée pour discuter avec eux des futurs contrats et appels d'offres qu'il a reçu au cours du week-end. L'agence tourne apparemment à plein régime. Pas étonnant qu'il leur faille du personnel supplémentaire. J'écoute tout avec attention et tente de déchiffrer au mieux ce jargon qui pour l'instant me laisse un peu à la traîne. Dan m'invite à regarder un dossier de panneau publicitaire sur lequel il travaille. Il me demande de lui apporter un avis critique sur différentes pistes et prend note de mes conseils. En un rien de temps, je me sens impliquée et concernée par ce nouveau travail. Même si cela fait presque deux mois que je n'ai pas touché à mes logiciels, mes doigts parcourent le clavier avec aisance et je retrouve rapidement mes raccourcis, à coup de « pomme C », « pomme V ».

L'heure de midi arrive, alors que j'ai à peine regardé l'horloge de la matinée. Avant de partir déjeuner, Luke confirme qu'il souhaite vraiment que tout se passe au mieux pour moi, et qu'il ne faut pas que j'hésite à lui faire part du moindre soucis.

- Au fait, je t'avais parlé de trois jours d'essais au téléphone vendredi. Ajoute-il. Il est évident que ce n'est que de la paperasse tout ça. Que dirais-tu d'un contrat de six mois, dans un premier temps ?

Je ravale ma salive. Je ne pensais pas décrocher autant, et je suis bien évidemment ravie.

- Bien-sûr. J'espère juste ne pas vous décevoir.

Comment se mettre la pression toute seule.

- D'après ce que j'ai vu, tu as déjà fait des merveilles rien que ce matin. Me dit-il avec sincérité. Il me tarde de voir ta créativité au sein de notre entreprise.

_____

Je quitte l'agence avec le cœur et la tête bien plus légers qu'en arrivant ce matin. Et je suis d'autant plus excitée à l'idée de me rendre ici tous les jours désormais. J'ai tellement soif d'apprendre de nouvelles choses, que toutes ces perspectives de créations qui vont s'ouvrir à moi me mettent l'eau à la bouche. Je me repère dans les rues bien plus facilement qu'il y a quelques heures et emprunte le métro pour rentrer à l'appartement sans difficulté. Une fois installée, je branche mes écouteurs sur mon portable et lance le dernier album de Matt Corby. Rien de tel pour que ses mélodies douces et envoûtantes pour se relaxer. Le trajet du retour passe en un rien de temps et je me sens détendue et reposée lorsque je rejoins les rues de Paddington. Les vibrations de mon téléphone m'avertissent d'un nouvel appel. Le prénom de Louis apparaît à l'écran et je ne peux réprimer une certaine fébrilité à lui répondre. Jusqu'ici, nous ne nous sommes encore jamais parlés au téléphone. Uniquement par message. À la fois troublée et impatiente, je déverrouille l'appel avant qu'il ne soit trop tard.

- Allô ?

- Bonsoir trésor.

Sa voix soulève rapidement un tas d'émotions. Il me faut quelques secondes avant de réaliser qu'il vient de me donner un petit surnom adorable. Surpris lui-même par ce qui vient de lui échapper, il enchaîne tout de suite sur une question.

- Comment s'est passée ta journée d'essai ?

- À merveille ! Je suis vraiment heureuse, tu ne peux pas imaginer !

Il glisse un léger rire avant de répondre.

- J'imagine très bien au contraire. J'arrive presque à voir ton sublime sourire d'où je suis.

Louis... Où as-tu appris à être si charmant ? Lui parler me fait un drôle d'effet. J'ai encore plus envie de le voir maintenant que j'entends sa voix familière à l'autre bout du fil. Je lui décris en quoi va consister mon nouveau boulot, il m'écoute avec attention et me questionne de temps en temps sur des termes que j'utilise qui lui échappent.

- Tu passes de bons moments en famille de ton côté ?

- Pour l'instant, je sers surtout de baby-sitter pour les deux derniers. Dit-il en rigolant. Ma mère et mes sœurs sont parties en virée shopping depuis le début de l'après-midi.

- Elles profitent de t'avoir sous la main pour souffler on dirait. Quel âge ont-ils ?

- Cinq ans. Et tu ne t'imagines même pas à quel point ils peuvent être créatifs en matière de bêtises à cet âge là.

- Je n'ai pas beaucoup eu d'exemples autour de moi.

Les seuls enfants qu'il m'était donné de fréquenter à Alston était les petits cousins d'Alex que l'on ne voyait qu'une à deux fois par an. Dans ma famille proche, je suis une des plus jeunes.

- Désolé, ce n'est pas ce que j'ai voulu dire. Se rattrape-t-il.

- Ne t'en fais pas.

- D'ailleurs, je ne les ai plus sous les yeux et ils sont bien trop silencieux à mon goût... Ajoute-t-il tandis que je l'entends monter ce qui semblent être des marches d'escaliers. Doris, où est ton frère ?

Une douce voix de petite fille résonne à travers le haut parleur. Entendre Louis rouspéter gentiment sur sa sœur me laisse entrevoir qu'il ne doit pas avoir beaucoup d'emprise sur sa jeune fratrie. Il donne plutôt l'impression d'avoir le rôle du grand frère qui autorise tout au moindre sourire.

- Je n'ai aucune autorité sur eux, c'est terrible. Finit-il par avouer. Je les vois trop peu pour les remettre à leur place.

- Ça se comprend.

- Je crois que je vais les amener prendre un peu l'air. Ils commencent à tourner en rond à la maison. Ils vont devenir dingues et moi aussi.

Je l'entends appeler les jumeaux et leur demander de mettre leurs chaussures. Les petits n'ont apparemment pas attendu d'être prévenus deux fois pour dévaler de l'étage.

- Tu vois, tu sais te faire entendre.

Je le laisse se dépatouiller avec eux, mais garde mon téléphone à l'oreille. Je suis interrompue dans mon élan par un stop-trottoir dont la Une retient mon attention. Au premier coup d'œil, je reconnais l'allure élancée de Harry. Peut-être parlent-ils du vernissage de la galerie ? Il me semble que Joy m'a déjà dit que The Sun est le parfait torchon de la presse britannique. Elle continue pourtant de le lire toutes les semaines. Je m'approche pour lire le titre : « Harry Styles et sa nouvelle petite-amie : la mannequin Carolin Loosen ». Ben merde. Lui qui était encore célibataire il y a deux jours. Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

- Tiens, tu es au courant que Harry a une copine ?

- Hein ? De quoi tu parles ? Me demande Louis, visiblement essoufflé d'avoir aidé son frère et sa sœur à s'habiller pour sortir.

- La Une d'un journal que j'ai sous les yeux en parle. Il y a même des photos. Elle est sacrément jolie.

- Je n'étais pas au courant. Mais Harry est comme ça, il a son jardin secret. Il ne nous parle pas très souvent de ses nouvelles conquêtes... Ernest, laisse ta sœur prendre le ballon, c'est son tour on a dit !

- Je vais vous laisser. J'arrive pratiquement chez moi et il commence à pleuvoir en plus.

- D'accord trésor...

Louis marque de nouveau une pause en employant ce qualificatif me concernant.

- On dirait que ça fait deux fois que je t'appelle comme ça...

- On dirait oui.

Je ne vais pas m'en plaindre. Et je trouve ses réactions encore plus touchantes que le mot lui-même. Il semble tellement gêné de se montrer si démonstratif alors que notre relation a débutée il y a à peine un mois.

- Je te dis à très bientôt. Dit-il.

- À bientôt Louis.

J'aimerais tellement lui avouer que son absence me fait déjà défaut. Mais par peur d'en faire trop, je me tais et attends qu'il coupe l'appel de son côté.

- Bye ma belle.

Puis il raccroche. J'ai de nouveau un sourire permanent greffé sur la figure. Je reprends mes esprits et entre dans le kiosque à journaux pour me procurer un exemplaire de The Sun. Il faut que je montre ça à Joy quand elle rentrera.

_____

J'ai réfléchi toute la journée à une riposte à la petite blague de ma colocataire ce matin avec ses poissons d'avril. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que j'ai fait preuve d'une inventivité sans égal. Je vais tenter de lui faire croire que ça s'est très mal passé chez Bread. Je suis sûre de mon coup. Elle va tomber dans le panneau.

Je me mets dans mon rôle en attendant qu'elle rentre du boulot. J'ai même travaillé mes expressions les plus tristes devant un miroir. Des pas rapides se font entendre depuis la cour. Les oignons que je suis en train de découper en lamelles vont m'être d'une grande aide pour entrer dans mon rôle. Joy passe enfin la porte d'entrée en soupirant lourdement.

- Fiou... Je suis exténuée. Souffle-t-elle en s'étalant sur le canapé.

Je fais exprès de ne pas relever son attitude pour qu'elle m'interroge sur ma journée.

- Ça a été aujourd'hui ? Pas trop bizutée pour ton premier jour ?

À moi de jouer maintenant. Je me mets à sangloter tout en continuant de maltraiter l'oignon que j'ai entre les mains.

- Ça ne s'est pas super bien passé...

Je fais en sorte d'avoir une voix suraiguë et renifle péniblement. Voyant qu'elle ne réagit pas dans mon dos, je continue de jouer la comédie.

- ... Et puis, ils sont loin d'être sympa là-bas...

Toujours aucune réaction derrière-moi. J'ai dû lui clouer le bec. Je pensais bien que j'avais un talent caché pour la comédie. Mais lorsque je me retourne, je saisis rapidement qu'en réalité, c'est tout le contraire. Joy me regarde droit dans les yeux, les bras croisés sur la poitrine.

- On ne me la fait pas ! Impossible de tromper une comédienne comme moi.

- Oh ! T'es nulle ! Je prépare ça depuis une heure. Tu aurais au moins pu rentrer dans mon jeu.

- Désolé, mais c'était terriblement pathétique ma chérie.

Nous éclatons d'un rire tellement franc en même temps que je mets un temps fou à reprendre mon souffle.

- Tiens, regarde sur la table basse. J'ai acheté le dernier exemplaire de The Sun. Harry est encore en couverture cette semaine... Avec une nouvelle blonde, mais qui n'est pas toi cette fois-ci.

- Fini les blagues Ava ! On sait toutes que Harry n'a d'yeux que pour moi maintenant ! S'exclame-t-elle ironiquement.

Joy se penche vers le journal en question et le saisit pour le voir de plus près. Une légère grimace se dessine sur son visage. Elle ne prend même pas la peine de parcourir l'article en question et le repose en prenant soin de le retourner.

- Qu'est-ce qu'on mange ?

Bizarre cette réaction... Se serait-il passé quelque chose entre eux vendredi dernier ? Impossible. Elle m'en aurait tout de suite parlé.


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