Chapitre 2

♫ « Atlas hands »- Benjamin Francis Leftwich ♫


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Ava
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Depuis toute petite, on m'a appris qu'il était inutile d'avoir des regrets. Les fortes valeurs inculquées par mes parents m'avaient fait prendre conscience qu'à partir du moment où l'on fait les bons choix, on ne peut pas être déçu. J'avais rapidement compris qu'il fallait à tout prix que je m'autorise à choisir ma voie indépendamment du choix qu'ils avaient fait pour moi. Leur annoncer que je ne souhaitais pas concrétiser leur rêve de reprendre le cabinet familial a été pour moi très difficile, mais en même temps libérateur. Ils ont rapidement su me rassurer, m'enlevant ce poids énorme que j'avais en moi, en me disant qu'ils seraient fiers de moi peu importe les choix que je ferai.

J'ai alors décidé de suivre mes envies et je me suis dirigée dans les études qui me faisaient rêver : celles de designer graphique. J'ai toujours été curieuse par nature, créative et sensible au milieu artistique. Cet univers m'a permis de laisser libre cours à mon imagination, de m'exprimer d'une autre façon que par des mots, de mettre en avant mon inventivité débordante. Une fois mon diplôme en poche, les perspectives d'avenir professionnel étaient minces dans ma petite ville d'Alston. Certes, les sociétés environnantes, dont je connaissais la plupart des gérants, ont fait appel à mes services en free-lance, histoire de redonner un coup de jeune à leur image, mais j'en avais vite fait le tour.

Mon choix de quitter cet environnement à la fois rassurant mais peu épanouissant a été un second élan dans ma vie. Ma mère m'a très vite soutenu dans mon choix de partir à Londres. Mon père a eu plus de mal à avaler la pilule. Imaginer sa fille unique lancée dans la jungle urbaine qu'est la capitale n'était pas l'idée qu'il se faisait du meilleur choix d'avenir. Mais j'avais su le rassurer en lui disant que si je n'essayais pas, je le regretterai. Et que si les choses ne se présentaient pas bien, je reviendrais à la maison. La seule condition à mon départ était qu'il voulait que je trouve un pied-à-terre là-bas avant d'y foncer tête baissée. J'ai donc parcouru les annonces sur internet. Les prix à Londres étant relativement exorbitants, je me suis tournée vers les auberges de jeunesse. Elles proposent en général des prix imbattables ce qui me permettra de mettre un peu d'argent de côté en attendant de trouver mieux. J'en ai choisi une bien située dans le quartier de Kensington, à deux pas du centre-ville. Je pourrais me rendre à mes entretiens d'embauche facilement grâce à l'accès direct au métro et surtout, deuxième exigence de mon père, l'auberge propose des dortoirs séparés pour les hommes et les femmes. Je ne peux pas lui en vouloir d'être un minimum protecteur.

Ce matin de mon départ, il n'a pas souhaité venir m'accompagner à l'aéroport. Mon père a des apparences de grand costaud, mais derrière cette barrière qu'il s'est forgé se cache un homme très sensible. Sa pudeur l'a donc obligé à me faire ses au revoir en toute discrétion hier soir à la maison.

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Ma mère vient avec moi jusqu'au guichet de validation des billets.

- Bon ça y est, le grand départ.

Je sais bien que son sourire de convenance cache une réelle angoisse.

- Et oui, je t'appelle dès que j'arrive promis !

- Ava !

Une voix m'interpelle derrière mon dos.

- Alex ! Qu'est-ce que tu fais là ?

J'enlace mon meilleur ami dans mes bras.

- Je suis venu te dire au revoir, tout simplement.

- Oh, c'est vraiment adorable.

Ma mère s'écarte pour nous laisser discuter. Il porte son éternelle chemise en jean délavée, et ses cheveux ébouriffés m'indiquent qu'il a sauté de son lit pour venir ici.

- Tu n'as pas pu résister ! Je croyais que les adieux larmoyants n'étaient pas ton truc ?

- Qui a dit que j'allais pleurer ? Et ne parles pas d'adieux Ava, on dirait que ne tu comptes jamais revenir.

- Oui pardon. Je suis certaine que je n'aurais même pas le temps de te manquer que je serai déjà de retour.

- Tu me manquais déjà Ava.

Il me reprend dans ses bras, ce qui m'arrange, car comme cela il ne voit pas mes joues rosir suite à sa déclaration. Alex est mon ami le plus proche. Je le connais depuis tellement longtemps. Notre relation ne laisse pas beaucoup de place à l'improvisation, car il sait tout sur moi et je sais tout sur lui. Une profonde estime nous lie. Nous parvenons à nous comprendre par un simple regard. Il est le grand-frère que je n'ai jamais eu.

Une hôtesse m'invite à me rapprocher du guichet avec mon billet et mon passeport. Alex en vrai gentleman me porte mes deux valises et les dépose sur le tapis à bagages. Je dis une dernière fois au revoir à ma mère avec pudeur. Même si nous sommes très proches, les effusions de sentiments en public n'ont jamais fait partie de nos pratiques. Alex m'adresse quant à lui un léger baiser sur la joue. J'ai beau être persuadée que mon choix de partir est sensé, je n'en ai pas moins la gorge nouée de quitter Alston seule pour la première fois de ma vie. Je monte dans l'avion et me retourne une dernière fois vers le panorama sauvage de mon petit village.

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J'ai toujours cru que ma vie serait fade et linéaire, mais dès l'instant où j'ai posé le pied sur le sol londonien, j'ai compris qu'il en serait autrement. Tout ici est tellement différent. À commencer par l'aéroport. Déjà rien qu'à lui, il représente la surface totale du centre-ville d'Alston. Le contraste est saisissant. Les personnes qui voyageaient avec moi ont visiblement l'habitude, je me contente alors de les suivre. Un métro se charge de nous conduire de la piste d'atterrissage à l'intérieur du bâtiment. Un métro ! Chez nous, il nous suffit de faire quelques mètres pour y accéder. La vérification de la validité des passeports se fait également de façon très scrupuleuse.

Après avoir récupéré mes valises, je me dirige vers l'immense parking où transitent des dizaines de bus et taxis. Heureusement que je suis bien couverte car le froid hivernal est saisissant ici, bien plus que dans le nord du pays. Je choisis l'option du bus qui sera la moins coûteuse. Londres sous la neige est encore plus magique. Pendant le trajet, je m'émerveille de tout. Je reconnais bien sûr les lieux les plus prisés et les plus historiques de Londres. J'ai tellement hâte de tout découvrir. Je décide de descendre à deux pas de Hyde Park. Le quartier dans lequel je vais loger se trouve derrière. Il me suffit de traverser à pied cet immense espace de verdure. À croire que la végétation me manque déjà. Je fais vraiment touriste avec ma valise à roulettes, mon gros bagage à main et mon reflex autour du cou. Il règne une atmosphère très sereine dans le parc, ce qui contraste grandement avec l'agitation de la ville. C'est ce qui est plaisant à Londres. La quiétude peut prendre le pas sur l'animation au détour d'un endroit de sérénité comme celui-ci. Après une bonne vingtaine de minutes de marche, j'arrive à Kensington. Je me présente à l'accueil de l'auberge de jeunesse afin de pouvoir y déposer mes affaires qui commencent à peser leur poids. Je suis reçue par un jeune pakistanais avec un sourire chaleureux.

- Vous aurez la chambre n°16.

Il me tend un badge magnétique.

- C'est une chambre de quatre lits, mais seulement un est occupé pour le moment. Quand vous quittez l'auberge, il faut nous ramener le badge.

- Pas de problème.

- Je vais vous aider à monter vos bagages. Nous n'avons pas d'ascenseur et votre chambre est au quatrième étage.

- Merci, c'est gentil.

Nous arrivons à mon étage à bout de souffle. Les escaliers sont très escarpés et avec des valises, c'est une vraie épreuve. Le jeune homme m'ouvre la porte et m'invite à entrer.

- Il y a des cadenas à disposition sur les vestiaires. Pensez toujours à bien tout fermer quand vous quittez la chambre. Nous ne nous portons pas responsables en cas de vol.

- Pas de soucis.

- Bon, je vous souhaite une bonne installation, et un bon séjour à Londres.

- Merci.

- Au fait, vous n'avez pas donné de date de départ lors de votre réservation ?

- Euh non, je suis ici pour une période indéterminée.

- Très bien. N'hésitez pas à venir à l'accueil si vous avez la moindre question.

La chambre est très petite, mais tout y est. Il y a deux lits superposés. Je vois que la fille qui l'occupe déjà s'est installée sur celui de droite, je prends donc instinctivement celui de gauche. La vue n'est pas extraordinaire. Elle donne sur un immeuble en rénovation. De toute façon, je ne suis ici que provisoirement et je ne pense pas passer énormément de temps entre ces murs, hormis pour y dormir.

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Les premiers jours passent à vive allure. Après avoir écumé les quartiers commerçants et touristiques, je commence activement ma recherche d'emploi. J'organise mes journées de façon très carrées. J'emporte avec moi la liste des boites qui recherchent des graphistes et l'itinéraire exact pour m'y rendre. La veille de mes rendez-vous, je prépare une lettre de motivation personnalisée à chaque entreprise, histoire de montrer mon implication. Je suis toujours très bien reçue, mais je ressens bien que mon manque d'expérience dans le domaine bloque la plupart des employeurs. Mais je ne manque pas de détermination et les nombreux entretiens n'entachent pas ma bonne humeur. Je perçois également que le fait de ne pas avoir de réelle adresse à Londres est un léger problème. Les recruteurs ne doivent pas voir en moi quelqu'un de stable du fait de dormir à l'hôtel. Il est donc grand temps que je recherche quelque chose à louer.

Les petites annonces ne manquent pas. Je fais rapidement le constat que louer un appartement seule est inaccessible. La colocation se trouve être la meilleure solution à mes yeux. À condition bien sûr de tomber sur quelqu'un de stable et ordonné comme moi. Je ne supporterai pas de vivre avec quelqu'un qui est tout mon opposé. J'envoie quelques e-mails en prenant soin de sélectionner les quartiers qui me plaisent en premier, puis en ne choisissant que des appartements loués par des femmes. Je ne tiens pas à faire faire une attaque cardiaque à mon cher père en lui annonçant qu'à peine une semaine après mon arrivée, je vis déjà avec un étranger.

Une annonce retient mon attention. Elle est rédigée par une jeune femme qui a pris soin de mettre une photo d'elle. Une jolie blonde aux yeux azurs qui donne l'impression d'être extrêmement sympathique. Elle est un peu plus âgée que moi, ce qui ne peut être qu'un signe de stabilité, dit être célibataire, ce qui est très bien aussi. Je ne tiens pas forcément à m'immiscer dans une vie de couple. Et elle exerce le métier d'infirmière, ce qui est pour moi le métier le plus altruiste au monde. Je lui rédige un e-mail en espérant avoir une réponse positive de sa part. Visiblement, elle devait être devant sa boite mails, car sa réponse ne tarde pas.

« De : Joy Benett

À : Ava Miller

Objet : Re : Demande de rendez-vous pour la colocation

Bonjour,Oui la location est toujours disponible.

Je suis libre dimanche après-midi à 15h, si ça vous va pour qu'on se rencontre à l'appartement.

Voici l'adresse : 48 St Michael's Street, quartier de Paddington. J'attends votre réponse. Cordialement, Joy. »

Je suis très contente et m'empresse de lui renvoyer un e-mail pour confirmer le rendez-vous.


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