Chapitre 27
PDV Saori
Je bâillai et on décida de se coucher, après que l'infirmière nous ait appelé pour nous prévenir qu'Aloïse pouvait passer la journée chez nous, du moment qu'on la ramenait pour dix-huit heures. On s'endormit rapidement, épuisés par notre activité plus que plaisante.
Après une nuit que je n'oublierai jamais (je touche du bois!), Nagisa et moi étions allés chercher Aloïse à l'hôpital. On s'était évidemment douchés avant, et nous avions rangé la bouffe et la vaisselle que nous avions laissé en plan la veille. On avait même eu droit à un petit sourire en coin de la part de l'autre couple de la baraque.
"P'tite sœur, ça en est où l'insonorisation des murs ? me demanda Karma lors du p'tit déjeuner.
- J'sais pas, faut que je demande à Sebastian. Pourquoi ?
- Parce que ça va pas l'faire si vous vous y mettez aussi. On pourra plus le faire spontanément, déjà qu'on pouvait pas trop... c'est valable pour nous comme pour vous, dit-il, faisant rougir Nagisa.
- T'as raison... je demanderai à Sebastian quand il viendra nous chercher pour aller récupérer Aloïse.
- Deal !"
Un peu plus tard, on était tous installés dans la pièce principale de ma chambre. Aloïse appuyait sur des touches du piano, curieuse.
"Nagisa, tu joues vraiment de cet instrument ? Cela a l'air vraiment très compliqué.
- Pas tant que ça en fait. Tu veux que je te montre ?"
Nagisa déposa un baiser sur mes lèvres avant de se lever pour rejoindre la fillette. Mon téléphone choisit ce moment pour biper, me signalent qu'il était à quinze pour cent. Je devais absolument le brancher, j'en avais besoin pour le soir !
Je me levai donc à mon tour, annonçant que j'allais mettre en charge mon téléphone, et m'éclipsai dans notre chambre. Je mis quelques minutes à trouver mon chargeur dans le foutoir qu'était le tiroir de ma table de nuit. Je mis mon portable en charge avant de rejoindre le groupe. Aloïse jouait lentement la partie simple de Twinkle Twinkle Little Star, de Mozart (je m'étais renseignée sur les morceaux classiques les plus célèbres et je les avais écouté avec Aloïse). Malgré l'aide de Nagisa, qui s'occupait d'ailleurs des pédales, le son rendait affreusement mauvais. Cela me fit indubitablement grimacer et Karma le remarqua.
"C'est si mauvais que ça ? voulut-il savoir.
- Vous entendez pas ?
- Bah, on sait que c'est mauvais, ça s'entend, mais tu es plus sensible que nous aux fausses notes, répondit Rio.
- C'est tellement mauvais que j'ai l'impression qu'on me martèle le crâne à coup de massue, soupirai-je en me tenant la tête.
- Riri, tu peux essayer ? me demanda Aloïse.
- Aloïse, je ne suis pas pianiste...
- Essaie quand même.", sourit Nagisa. "Je ne pense pas que cela puisse être pire qu'Aloïse. Euh... sans rancune hein ?
- Ne t'inquiète pas.", le rassura la brunette.
Je souris légèrement et les rejoignis. Je fis d'abord résonner le son de chaque touche, afin de savoir à quelle note se rapportait chacune d'elle. Je pris ensuite une profonde inspiration. J'avais écouté ce morceau il n'y avait pas si longtemps, je devrais théoriquement pouvoir le rejouer de tête, au moins la partie simple, même lentement.
"Tu veux que je m'occupe des pédales ? me demanda Nagisa.
- C'est un morceau que j'ai déjà joué ?
- Oui, quelquefois. Mais je ne sais pas si...
- Alors non. Ce morceau ne fait pas partie de ceux dont je me souviens, mais il est assez connu et je l'ai écouté cette semaine. Si je l'ai déjà joué auparavant, peut-être que mon corps s'en souviendra, comme avec mon violon l'autre jour."
PDV Nagisa
Je hochai la tête et lui laissai libre accès aux pédales. Elle ferma les yeux et commença alors à jouer, d'abord très lentement. Au bout de seulement quelques notes, ses doigts se mirent à voler sur les touches du piano, avec une agilité et une grâce qu'elle n'avait pas il y a trois ans, lorsqu'elle jouait ce morceau.
https://youtu.be/pIeFZaAeV_Q
Contrairement à la toute première fois où elle avait joué ce morceau, elle ne s'arrêta pas au niveau de la partie difficile. Au contraire, elle la joua d'une main de maître, sans s'arrêter. Sa technique était parfaite, fluide, aérienne. C'était son amnésie qui lui avait conféré une telle technique du piano ?
En tout cas, comme avec le morceau de violon qu'elle avait joué à l'hôpital, elle était plongée dans la musique, laissant le plein contrôle à son propre corps. Elle jouait sans aucune fausse note, à croire que le fait même de se plonger dans la musique faisait qu'elle se souvenait inconsciemment de comment jouer les morceaux.
Cela me fit d'ailleurs réfléchir. Ok, je pouvais éventuellement concevoir que ce soit possible pour les bribes de morceaux dont elle se souvenait, mais pour un morceau dont elle ne connaissait, à ma connaissance, que la partie facile avant son amnésie ? Je commençais sincèrement à douter.
Saori termina le morceau et se tourna vers moi après avoir rouvert les yeux.
"Alors ?
- C'était magnifique !! s'exclama Aloïse, approuvée par Karma et Rio.
- Et d'une technique parfaite d'ailleurs, même avant tu ne jouais pas comme ça, ajoutai-je.
- C'est normal, Mademoiselle jouait beaucoup du piano ces trois dernières années.", intervint Sebastian. "Sinon, je venais vous avertir qu'il ne reste plus que votre chambre à insonoriser, les spécialistes viennent de terminer celle de Monsieur Karma et Mademoiselle Rio.
- C'était rapide, fit Karma en consultant l'heure (il était à peu près onze heures et demi).
- J'ai engagé les meilleures afin que ce soit fait rapidement. Le reste de la maison a été fait cette semaine.
- Merci Sebastian, sourit Saori.
- De rien Mademoiselle. Quand souhaitez-vous que votre chambre soit faite ?"
La violoniste me regarda pour avoir mon avis, puisque nous partagions la même chambre. Je me souvins alors que j'avais un après-midi de libre mardi et que, en plus, je terminais à onze heures. Parfait.
"Mardi après-midi ? Je n'ai pas cours et je finis relativement tôt, on pourra aller quelque part.
- Bonne idée !", approuva Aloïse.
Saori la regarda, étonnée qu'elle réponde à sa place.
"Tu aurais dit non parce que tu ne voulais pas me laisser seule. Or, je ne veux pas que tu délaisses ton couple pour moi. Penses à toi parce que je suis prête à parier que c'est parce que tu pensais trop aux autres que tu as fini amnésique."
Un silence polaire répondit à ses paroles. Karma, Rio, Sebastian et moi nous étions figés devant la fermeté des paroles de la fillette (comment une enfant si jeune peut parler aussi durement ?). Jusqu'à présent, Aloïse avait toujours eu des paroles sages, réfléchies, toujours véridiques mais jamais aussi tranchées. Comment allait réagir Saori ?
"Tu as sans doute raison, mais je fais ce que je veux Aloïse. Tu es peut-être une fillette pleine de sagesse, mais tu restes une fillette.
- Justement ! Je sais que tu veux passer du temps avec Nagisa.
- Si tu m'avais laissé le temps de répondre, j'aurais dit "pas de problème".
- J'aurais pensé la même chose qu'Aloïse pour être honnête, avoua Rio.
- Mon quotidien est trop répétitif. Non pas que j'aime pas passer du temps avec Aloïse, juste qu'on fait la même chose, au même endroit. J'ai besoin de rebondissements, d'actions pour casser cette "routine".
- Alors c'est réglé, affirma la fillette.
- Ouais ! Sebastian, tu pourras faire insonoriser la pièce mardi. Nagisa viendra me chercher à l'hôpital et on partira directement de là-bas. On rentrera par nos propres moyens.
- Comme vous voudrez."
Le majordome sortit, nous laissant seuls.
"Riri, tu joues quel autre morceau ? demanda Aloïse.
- Euh... aucune idée. Ah, si ! Je sais. Si j'arrive à jouer une mélodie dont je me souviens sur mon violon, je devrais pouvoir le faire sur le piano aussi, si Sebastian dit que je faisais beaucoup de piano avant.
- Tu vas jouer le morceau que tu as joué à l'hôpital ? voulus-je savoir.
- C'est le seul morceau que j'ai joué au violon. J'y ai pas vraiment touché depuis donc... oui !"
- Hum... tu peux jouer autre chose ? Je voudrais vérifier un truc, demandai-je.
- Euh... si tu veux. Mais quoi ?"
Je pris mon téléphone et allai sur Internet pour trouver un morceau de classique assez connu, Liebesleid. Je lançai la vidéo et elle reconnut le morceau dès les premières notes.
"Oh oui, je l'ai écouté avec Aloïse il y a quelques jours. Ce n'est pas un morceau dont je me souviens mais je peux essayer. Il est assez connu donc il était naturellement dans la liste des morceaux qu'on a écouté toutes les deux. Puisque j'étais censée être une musicienne, je voulais me renseigner sur les morceaux... enfin bref. Je vais jouer ça, si tu veux, me dit-elle à la fin de la vidéo.
- Oui, je veux bien.
- D'accord."
Elle se plaça face au piano et laissa courir ses doigts dessus pour trouver les premières notes. Une fois trouvées, elle inspira profondément, ferma les yeux et commença à jouer.
https://youtu.be/so7huKug8fw
Comme pour le morceau de Mozart, sa technique était parfaite. Elle le jouait encore plus facilement que l'autre, comme si elle l'avait joué des dizaines et des dizaines de fois. Et pourtant, ce n'était pas un morceau dont elle se souvenait.
La théorie d'un blocage mental se forma dans mon esprit. Lorsque Saori se plongeait dans la musique, elle lâchait complètement prise. Peut-être qu'elle retrouvait temporairement ses souvenirs dans ce genre de moment, où elle ne pensait plus qu'à la musique. Cela signifierait qu'il y aurait une sorte de blocage dans sa mémoire, comme si elle refusait de se souvenir pour une quelconque raison. Enfin, ce n'était qu'une théorie, je n'étais en aucun cas spécialiste en perte de mémoire.
"J'savais pas que tu jouais si bien du piano p'tite sœur, s'étonna Karma.
- Bah... moi non plus.", rétorqua Saori. "Mais c'est bizarre... j'ai l'impression que, quand je me concentre sur la musique, que je m'y plonge dedans, j'arrive de nouveau à jouer. Comme si ma mémoire se débloquait un instant. Mais c'est complètement idiot.
- Pas forcément. Il faut que tu en parles aux médecins.", fit Aloïse. "Eux seuls pourront te dire si c'est idiot ou non. Tu sais, l'histoire d'un blocage mental est véridique. C'est peut-être ce qui t'arrive. Peu après ton réveil, j'avais entendu les infirmiers parlaient de toi. Ils disaient qu'avec le coup que tu as reçu sur la tête, tu n'aurais pas dû avoir une telle amnésie. Elle aurait été, au pire, partielle mais pas complète. Peut-être que ton subconscient a choisi de tout bloquer pour ne pas souffrir. Mais ça, tu ne pourras le savoir qu'en en parlant aux médecins, ou en retrouvant ta mémoire.
- Tu as vu trop de films Aloïse... soupira Saori.
- En fait, je suis assez d'accord avec elle.", me risquai-je à dire. "C'est même exactement ce que je me disais. Ta technique sur des morceaux dont tu ne te souviens pas est trop parfaite et trop fluide pour que ce soit juste ton corps qui s'en souvienne. Le dernière morceau que tu as joué, on aurait dit que tu l'avais joué tellement de fois que tu le connaissais par coeur. Je suis tombé sur la même théorie qu'Aloïse.
- Je m'y connais pas, mais c'est Nagisa le spécialiste du piano ici. Alors s'il le dit, c'est sûrement vrai, renchérit Rio.
- Ce serait logique, seconda Karma.
- Bon, alors j'irais en parler aux médecins dès que possible. En attendant, j'ai envie de savoir à quoi correspondent les morceaux dont je me souviens.
- Attends, tu es sûre ?", voulus-je savoir. "Si tu as effectivement un blocage mental, il vaut peut-être mieux que tu ne te souviennes pas...
- Ce n'est pas en fuyant ou en oubliant son passé qu'on grandira.", rétorqua Aloïse. "Il faut qu'elle se souvienne pour ne pas refaire les mêmes erreurs à l'avenir.
- Exactement.", approuva Saori. "Hum, je me demandais Karma, où sont nos parents ? Ils sont morts ?
- Non, mais c'est tout comme. C'est en grande partie à cause d'eux que tu en es là. Ils t'ont poussé dans tes derniers retranchements en croyant que tu n'oserais pas mettre en application ta menace. Sauf que c'est exactement ce que tu as fait. S'ils ne viennent pas, c'est pas plus mal. Et s'ils viennent pour te ramener, crois-moi que je ne les laisserai pas faire et Sebastian non plus, quitte à être renvoyé. Après ce qu'il t'est arrivé, il est encore plus loyal envers toi qu'avant et il n'hésitera pas à risquer son poste cette fois. En plus, tu es majeure donc tu n'auras aucune raison d'obéir."
Je voyais bien que la rouge ne comprenait rien du tout à ce que son frère racontait. En même temps, depuis le début, on ne voulait pas vraiment lui dire comment elle en était arrivée à être amnésique.
"Je suppose que je comprendrais tôt ou tard, mais je te fais confiance."
Karma lui sourit puis entraîna Rio hors de la chambre, sûrement pour faire ce qu'ils n'avaient pas pu faire la veille car il demanda à ce que personne n'ouvre la porte tant qu'il ne l'avait pas entrouverte. Maintenant que leur chambre était insonorisée, rien ne les en empêchait.
Rapidement, il ne resta donc plus qu'Aloïse, Saori et moi dans la pièce. Aloïse jeta un coup d'oeil à la bibliothèque de Saori, qui contenaient beaucoup de romans fantastiques comme Harry Potter, Percy Jackson, Les Chevaliers d'Émeraude et j'en passe. C'étaient des livres qu'on ne trouvait pas beaucoup au Japon.
"Wow, je n'avais jamais vu des livres comme ça ! Riri, je peux en lire ?
- Si tu veux, ils sont en japonais ceux-là. Sebastian a réussi à les trouver en japonais. Ceux de la bibliothèque à côté sont en anglais ou en français."
Elle indiqua les étagères qui étaient juste à côté et qui contenaient exactement les mêmes livres que celles durant lesquelles se tenaient la fillette, mais dans des langues étrangères.
Aloïse prit le premier tome en japonais de Harry Potter et s'installa sur le sofa pour lire. Saori me regarda ensuite.
"Je joue et tu me dis à quoi ça correspond ?
- Tu es vraiment certaine Kyukate ?
- Certaine.
- Alors, d'accord."
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