PDV Saori

En rentrant du club, je pris une bonne douche avant de m'attaquer à mes devoirs, ce qui me prit une bonne heure et demi (bah oui, je n'avais plus l'avance du début d'année). Je m'allongeai ensuite sur mon lit, songeant à tout et rien à la fois.

"Saori, prévoie rien pour le samedi 3 décembre au soir ! annonça Karma en passant sa tête dans l'encadrement de la porte.

- Pourquoi ?

- Tu verras !"

Il repartit aussitôt et je soupirai, avant de prendre mon téléphone pour le noter dans mon agenda électronique. Quand Karma faisait ça, c'était qu'il préparait quelque chose.

Je me réinstallai ensuite sur le lit. Ce n'était pas la première fois que je le faisais, pour réfléchir. Je me demandais si c'était normal que je me sente si en confiance avec Nagisa. Je veux dire, je connais Elisabeth et Gabriel depuis bien plus longtemps et je conservais toujours avec eux quelques barrières, comme celle de ne pas paraître faible devant eux. Alors, c'était normal que j'avais l'impression que le bleu pouvait lire en moi comme dans un livre ouvert, qu'il arrivait à faire tomber toutes mes barrières avec un simple sourire ? C'était normal ou juste une particularité du bleu ?

Mon portable vibra alors. C'était le groupe "Classe 3°E".

Isoso
Coucou tout le monde ! Je viens de voir qu'une fête foraine s'installe en ville peu avant qu'on parte en vacances de Noël.

SaoriLaQueen
Oui, j'ai vu ça en rentrant tout à l'heure.

Meg
Tu voudrais qu'on y aille tous Isogai ?

Isoso
Oui, ce serait sympa, non ?

KarmaLeSadique
Perso, ça me tente. On s'était bien amusés au festival d'été. Ce sera encore plus cool. Tu viendras cette fois Saori, hein ?

SaoriLaQueen
Je ne sais pas...

NagiLeSchtroumpf
Je viens aussi, ça va être amusant ! La fête foraine est un classique des jeunes de notre âge, tu dois venir Saori.

Une fête foraine... l'envie d'y aller ne manquait pas, mais j'étais cuite si quelqu'un me reconnaissait. Surtout que vu que ce sera avec la classe, je devrai avoir l'apparence que j'ai à l'école, donc m'identifier sera facile. Je n'étais pas censée aller à ces "réunions de rustres et de fêtards sans avenir", comme les qualifiaient mes parents. C'était beaucoup trop risqué d'y aller, déjà que je commençais à avoir peur des conséquences que pourrait avoir mon comportement de la veille au bal. Le costume de Mérida me servait de couverture, mais cette excuse ne marcherait que sur les plus idiots. Quelqu'un ayant un minimum d'intelligence savait parfaitement que, même en se mettant dans la peau de quelqu'un, c'était impossible qu'il y ait un tel écart entre mon vrai caractère et celui qui était soi-disant simulé. 

Je n'avais pas réfléchi la veille, j'avais juste voulu profiter de ma première fête d'ado normal. Et bon sang, j'aurais dû réfléchir davantage...

Donc, cette fois-ci, je devais réfléchir. La décision était rapidement prise, je ne devais pas y aller. Même si j'en avais plus qu'envie, même si c'était ce que n'importe quel ado faisait. Je n'en avais pas le droit et les chances que quelqu'un me reconnaisse et me dénonce (même involontairement, avec les réseaux sociaux, mes parents en entendraient rapidement parler, même s'ils n'avaient pas Instagram) étaient beaucoup trop grandes.

SaoriLaQueen
Désolée mais non, je ne viendrais pas. Ce n'est pas trop mon truc ce genre de choses.

TerasakaLeCon
Pourquoi ?! C'est pas assez distingué pour mademoiselle la future princesse ?! Tss !

SaoriLaQueen
Je n'ai pas dit ça. C'est juste trop bruyant pour moi.

Quelques secondes seulement après, mon frère débarqua dans ma chambre et agita son téléphone.

"Trop bruyant ? Sérieux ? T'as pas trouvé mieux ? Nan parce que y'avait beaucoup de bruit hier au bal, et ça ne t'a pas dérangé. Tu ne peux berner personne à part Terasaka avec cette excuse...

- Je sais, j'avais juste pas d'autres idées.", soupirai-je. "Je ne peux pas y aller. Le risque est trop grand, surtout que je devrais y aller avec mon apparence "distinguée". On me reconnaîtra beaucoup trop facilement."

Karma s'installa à côté de moi et posa sa main sur mon épaule.

"Saori, il te reste seulement quatre ou cinq mois au Japon, tu dois profiter à fond. Mais à cause de ta peur, tu rates plein d'occasions de vivre la vie d'une vraie adolescente. Il faut que tu fasses un choix. Tu veux continuer à faire semblant d'être quelqu'un d'autre ou tu veux vivre normalement ?

- Tu ne comprend pas... si jamais quelqu'un, n'importe qui, me dénonce, c'est foutu ! Il suffit d'une seule photo sur Facebook ou Twitter avec la mention "Saori Akabane" ou un truc comme ça pour que nos parents le sachent. J'ai peur Karma. Si je fais un faux pas, peu importe dans quelles circonstances... les conséquences seront désastreuses.

- Tu dois arrêter d'avoir peur ! Ça ne peut plus continuer Saori ! J'essaie de faire en sorte que tu sois heureuse, mais si tu te brides toujours parce que tu as peur, on avancera pas. Il faut au moins que tu puisses faire confiance à notre classe. Je ne te demande pas de leur dire que tu fais du judo et du tir à l'arc, mais juste d'être toi-même avec nous, pas juste avec Nagisa et moi ! Si on continue à cette allure, tu rentreras en Belgique avant même d'avoir été un tout petit peu heureuse.

- Qui te dit que je ne suis pas heureuse ?

- Saori, je suis pas con ! C'est pas parce que tu vis ta passion dans l'ombre que tu es heureuse pour autant ! Tu peux pas être heureuse si tu es incapable d'être toi-même. Bordel, toi qui es assez courageuse pour défier l'autorité parentale afin de faire du tir à l'arc, toi qui es assez casse-cou pour fuguer du château et escalader des murs pour sortir... toi qui aimes les défis et l'aventure, tu n'es pas assez courageuse pour te ficher de l'avis des autres et vivre comme tu l'entends ?! Vivre dans la peur, c'est pas une vie ! C'est à toi de prendre en main ton avenir, les parents ont pas à te l'imposer ! T'as le droit de choisir bon sang ! Le pire, c'est qu'ils t'ont tellement retourné le cerveau que tu crois ne pas avoir le droit de choisir pour toi-même !

- Mais bien sûr que si ducon !

- Si c'était le cas, tu aurais accepté direct de venir à la fête foraine ! Si c'était le cas, tu serais pas encore en train de jouer à la foutue dame de la cour avec la classe !! Si c'était le cas, tu aurais pas peur d'aller contre la volonté de nos parents pour être heureuse ! Des fois, je me demande si tu veux pas être une ado normale tout en restant dans ton cocon luxueux et royal à la con ! Mais c'est pas possible bordel !", hurla Karma.

Il se passa la main sur le visage, agacé, avant de quitter la chambre. Ses paroles m'avaient frappé aussi vivement que s'il m'avait donné une dizaine de claques et les larmes me montèrent aux yeux avant de dévaler mes joues. 

Ses mots avaient été blessants, pas parce qu'ils étaient méchants mais parce qu'ils étaient vrais. Je savais qu'il avait raison, que je devais m'affranchir de l'autorité parentale pour être heureuse. Et puis, bordel, j'avais jamais voulu de ces fiançailles avec Gabriel, alors pourquoi je faisais rien pour les empêcher ?! J'aimais pas jouer ce rôle à la con, alors pourquoi je continuais ?!

Probabilité d'être reconnue, probabilité de mon cul plutôt ! Je savais parfaitement que Sebastian était très attentif à ce qui circulait sur Internet à mon sujet, pour que ma double identité ne soit pas révélée d'une quelconque manière. J'étais juste lâche, je ne faisais que fuir au lieu de me battre à fond pour ce que je voulais.

Je sortis de ma chambre par la fenêtre et me hissai sur le toit après avoir mis une paire de chaussures. J'avais besoin de prendre l'air, et du free-running sur les toits me ferait du bien.

Je pris de l'élan et me mis ensuite à courir avant de sauter de toit en toit. Un sourire se dessina sur mes lèvres. L'adrénaline circulait dans mes veines et un sentiment de liberté s'emparait de moi à chaque fois que je sautais. Un sentiment que je voulais continuellement ressentir, mais pour lequel j'étais incapable de me battre dans cet objectif.

Mes boucles rouges en pétard claquaient dans mon dos, avec la vitesse et le vent. Inconsciemment, mes pas me menèrent vers notre bâtiment. Je sautai donc d'arbre en arbre pour revenir sur la terre ferme. Je m'approchai ensuite de notre terrain d'entraînement. Je souris légèrement en voyant que la cible trouée était toujours là, me rappelant ainsi ma séance avec Nagisa, ce qui me fit un peu rougir. Sur le coup, être aussi proche physiquement de lui ne m'avait pas gêné mais maintenant que j'y repensais...

Je secouai la tête pour chasser mes pensées et ramassai une branche qui était par terre. J'étais à quarante mètres de la cible. Je me positionnai, pris moins d'une seconde pour viser et lancer la branche, telle une fléchette. Le bâton traversa le trou causé par les multiples flèches qui y étaient passées tout en l'agrandissant. 

Quelqu'un applaudit derrière moi et je sursautai en me retournant vivement. Je pâlis en voyant que c'était le poulpe. Bordel ! J'avais oublié qu'il vivait ici !

"Ton lancer était très précis, bien joué. Je me demandais qui avait pu faire ce trou dans la cible ainsi que les traces plus loin, dans la terre. J'en déduis que c'était toi, sourit Koro.

- Vous vous trompez, marmonnai-je en lui tournant le dos.

- Pourtant, ton tir était d'une précision remarquable.

- C'était un coup de chance."

L'air se déplaça et une seconde après, Koro avait le bâton que j'avais lancé entre les tentacules.

"Dans ce cas, tu pourrais tirer à nouveau cette branche. L'entraînement est la clé de tout, y compris en assassinat."

Je ne répondis pas et il me força à prendre la branche. Si je la lançais, j'étais foutue. Autant, c'était pas compliqué de faire croire que j'étais nulle pour viser lorsqu'on tirait avec pistolet, autant même quand je ne visais pas, les flèches que je décochais ou les projectiles que je lançai atteignaient toujours leur cible, pas forcément dans le mille mais ils les atteignaient quand même.

"Tu ne veux pas ?

- Non.

- Et pourquoi ?

- Je n'en ai pas envie, c'est tout.

- Dommage, j'aurais bien aimé savoir qui savait tirer aussi précisément...

- Eh bien ce n'est certainement pas moi qui ai fait ce trou cette nuit."

Et bordel ! J'aurais mieux fait de la fermer. Le sourire de Koro s'élargit.

"Mais je n'ai jamais dit que le trou avait été fait cette nuit. Donc, si tu es au courant, c'est que c'est toi qui l'as fait, je me trompe ?"

Je croisai les bras sur ma poitrine. Je devais avoir l'air de tout sauf d'une dame de la cour présentement, mais j'en avais rien à faire. Ce poulpe était trop envahissant, j'avais envie de le buter. Mais vraiment. Sauf que ce n'était clairement pas une simple branche qui pourrait le tuer...

De rage, je lançai la branche sans même prendre le temps de viser. Cette dernière traversa une nouvelle fois le trou. De toute manière, Koro savait déjà que c'était moi qui avais fait ce trou.

"Tu sais Saori, se cacher n'a rien de bon. Hier soir, j'ai remarqué que tu étais différente de d'habitude. Tu semblais plus détendue, plus libre.

- Je jouais la comédie, c'est tout. Je me mettais à la place de mon personnage, mentis-je sans le regarder.

- Quelque chose me dit que c'est faux, et que c'était juste ta vraie personnalité qui s'exprimait. Je ne prétend pas connaître ton passif Saori, mais je vois bien que cacher ta manière d'être ne te rend pas heureuse.

- Qu'est-ce-que ça peut vous faire sale poulpe ?!

- Je m'inquiète pour toi Saori. Tu fais croire que tu es nulle en tir, et pourtant tu atteins ta cible dans le mille avec un simple bâton, sans même viser. Je sais parfaitement que ce n'est pas grâce aux cours de Karasuma. Tu savais déjà tirer pour atteindre ta cible, n'est-ce-pas ? Et je suis certain que ce n'est pas la seule chose que tu caches."

Je ne répondis pas une nouvelle fois, m'asseyant simplement sur le sol. Qu'est-ce-que j'aimerais pouvoir me libérer de cette épée de Damoclès que j'avais au-dessus de la tête...

"Vous ne pouvez pas comprendre.

- Si on ne me dit rien, c'est sûr que je ne le pourrais pas. Tu veux en parler ?

- Mais j'vous ai pas demandé votre avis sale poulpe !", m'énervai-je.

Je me relevai rapidement et partis, en colère. Cependant, sa voix m'arrêta un instant.

"Saori, sache qu'un mois de véritable bonheur suffit à compenser toute une vie de malheur."

J'ignorai le poulpe et accélérai le pas. Mais en quoi ça le concernait en fait ?! En rien du tout ! C'était mon problème, et éventuellement celui de Karma. Mais d'où ce poulpe se mêlait de mes affaires ?!