Se battre pour ses couleurs
Un chapitre un peu plus long cette semaine, mais il restait beaucoup de choses à dire pour la bataille finale. Ne restera plus que l'épilogue la semaine prochaine.
Merci à tous pour vos retours et reviews, et encore de très bonnes fêtes de fin d'année.
Chapitre 9
Se battre pour ses couleurs
Derek n'avait jamais été du genre à s'embarrasser de subtilités. Aussi dirigea-t-il Versipelle droit à travers l'épaisse couche de nuages qui auréolait en permanence le sommet de Forteresse. Les Basses-Terres ne l'intéressaient pas et cela aurait été une perte de temps que de commencer son ascension depuis le pied de la tour.
À la place, il incita Versipelle à grimper plus haut dans le ciel. Là où le coton glacial des nuages est si dense qu'on ne peut plus distinguer le haut du bas, dut-on voler la tête à l'envers. Derek laissa l'animal les guider vers la volière située presque au sommet de la tour, juste en dessous de la grande salle perdue dans ce toit du monde qu'affectionnait tant Peter.
Derek, lui, avait toujours haï cette salle du trône, et ce en dépit de sa magnificence. La vue sur le monde s'y trouvait bouchée par la masse opaque des nuages, rendue aveuglante par le miroitement d'un soleil relativement proche et qui persistait pourtant à se dérober. Même lorsqu'il n'était qu'un louveteau, cet horizon perdu dans une clarté infinie avait toujours été le reflet de l'étroitesse d'esprit de son oncle. Peter n'avait jamais vu que la pureté, pureté de sa race, pureté de sa lignée. Dévoyant le terme immaculé en des contours flous dont seul l'alpha cernait les limites.
Versipelle s'engagea dans le large tunnel ménagé dans le flanc de la tour, sortant par là même Derek de ses pensées. Ce dernier soupira de soulagement en sentant l'emprise glacée des nuages le relâcher. Sa nature de lycan le protégeait du froid, mais ça ne l'empêchait pas pour autant d'en ressentir la morsure. Surtout sous sa forme humaine.
Lorsque Versipelle prit un virage abrupt afin de regagner la luxueuse stalle où il avait l'habitude de se reposer lorsque Derek vivait encore à la tour, les palefreniers et les quelques gardes ouvrirent des yeux ronds. Sans bien comprendre, ils s'attardèrent sur le cavalier comme sur une apparition.
Derek se morigéna tout en se forçant à conserver un stoïcisme tout feint. Il carra les épaules et sauta à bas de sa monture. Leur tournant le dos, il récupéra sa lame et son fourreau avant d'ajuster ce dernier à sa taille.
Un garde plus téméraire que les autres osa un pas dans sa direction.
_Mon Seigneur...
Nonchalamment, le lycan se retourna vers celui qui l'avait interpellé. Sans doute un louveteau à peine stabilisé dans ses transformations. Face à lui, le bêta hésitait, partagé entre le statut de fuyard de Derek et sa propre nature qui le poussait à se soumettre à plus puissant que lui. Derek avait compté là-dessus.
Sans faillir, il toisa le garde et laissa rayonner son aura de commandement. L'autre se tassa en face de lui.
_J'ai retrouvé l'humain, annonça-t-il d'un ton sans réplique. Je dois parler à mon oncle.
Enfin le garde osa relever les yeux pour croiser ceux de Derek. L'instant se tendit entre eux, étirant presque jusqu'à la rupture l'hésitation que Derek sentait flotter tout autour de son vis-à-vis. Ce fut le second garde de la volière qui fit voler cette tension en éclats. S'avançant, il écarta son collègue.
_Votre oncle sera prévenu de votre retour. Par ici, mon Seigneur, dit-il avec une déférence obséquieuse.
Derek ne manqua pas l'avertissement sous-jacent contenu dans les propos du garde. Il choisit d'y répondre avec juste ce qu'il fallait de morgue. Toisant le lycan, il gronda :
_Je connais le chemin.
Puis, hélant un palefrenier humain qui, fort d'un sens aigu de l'auto-préservation, faisait mine de ne rien voir de ces conflits lupins :
_Toi, occupe-toi de Versipelle. Veille à ce qu'il soit nourri et abreuvé correctement. Si une seule de ses plumes rebique, je le laisse se tailler un casse-dalle dans tes cuisses. Compris ?
_Oui, mon Seigneur. Tout de suite, mon Seigneur.
.
Derek écouta le bruit de ses bottes résonner sous la voûte de briques de la Forteresse. Ses éperons émettaient un petit cliquetis qui tintait comme autant d'aiguilles jetées contre la terre cuite. Chaque pas le rapprochait de la salle du trône, lui donnant pourtant la folle envie de faire demi-tour.
Il se força à affermir ses gestes en dépit de l'angoisse qui lui nouait le ventre. Tout ce qu'il possédait de confiance était monopolisé pour feindre cette sérénité détachée qu'il affichait comme un défi. Contre sa cuisse, il sentait battre le fourreau de son cimeterre. Un fardeau aussi rassurant que funeste en ce qu'il lui rappelait à chaque butée ce pour quoi il remontait ce couloir.
Finalement, il se trouva comme aspiré par la sortie du couloir. La lueur des torches qui éclairaient la grande salle crépitait, trop claire pour la chaleur qui en émanait. Derek ferma les yeux et, une nouvelle fois, un flash d'une ardente précision lui fit presque saisir ce que pouvait être la couleur. Cette débauche de vie que lui avait décrite Stiles avec son habituel enthousiasme.
La vision s'évapora aussi vite qu'elle était née.
Derek s'y accrocha de toutes ses forces, même si ça n'était qu'une sensation fugitive et évanescente. Parce que c'était pour ça qu'il devait se battre. Pas uniquement pour Stiles. Il devait se battre pour protéger la couleur du pouvoir de Peter. En lui, quelque chose hurlait que si son oncle mettait la main sur un tel pouvoir, il ne saurait que le pervertir. Alors ces mots dont parlait Stiles, le bleu, le vert, le rouge et tant d'autres, mourraient. Absorbés et rongées par l'ombre acide de la folie. Seule la nuance de la suie la plus épaisse et la plus poisseuse demeurerait. Sous les scories de cette épaisse couche, le monde finirait d'étouffer.
Derek prit une grande inspiration, profonde et lente. La fumée âcre lui chatouilla les poumons, de même que l'odeur de la meute. Une pointe de nostalgie et de tristesse se glissa en lui. C'était l'effluve de ce qui avait été son foyer depuis que d'autres flammes avaient dévoré sa famille. Il chassa pourtant bien vite cette faiblesse. Une autre meute, une autre famille l'attendait ailleurs, perdue quelque part dans les montagnes. En sécurité.
Enfin il déboucha dans la salle du trône bondée. Toute la meute y avait été rassemblée. Une mer de corps suintant l'agressivité qui s'ouvrit néanmoins pour le laisser passer. La tête haute et son regard accrochant celui de Peter, Derek avança sans faillir. Quelques grognements discrets s'élevèrent sur son passage, mais furent vite muselés. Après tout, l'alpha n'avait pas encore parlé.
À mesure que Derek s'approchait du trône, une moue rusée se peignit sur la bouche de son oncle. D'abord un simple faisceau de ridules au coin de ses lèvres, puis le frémissement gagna la fossette de sa joue et enfin les pattes d'oie autour de ses yeux. D'un bond, Peter fut debout, les bras grands ouverts en une discordante invitation.
_Mon neveu nous honore de son retour ! Approche, petit loup.
L'ordre, pourtant prononcé d'un ton parfaitement égal, vint s'enrouler autour des jambes de Derek. Bien qu'il se soit arrêté en bas des marches, il fit un pas avant de pouvoir ne serait-ce que penser à refuser. Quand il parvint à se reprendre, il serra les dents et planta ses pieds dans le sol, droit dans ses bottes.
Le sourire de Peter se fendilla, ses yeux plissés en deux minces fentes révélant l'animal en lui.
_Derek.
Sa voix grondante roula tel le tonnerre dans la salle où s'était désormais établi un silence aussi oppressant qu'une chape de plomb. Derek, lui, sentit l'emprise de son alpha se resserrer sur ses membres, forçant ses muscles et sa volonté. Il refusa pourtant de céder. Repoussant les mots de Peter de son esprit, il convoqua une autre voix. Un babillage ininterrompu, parfois incohérent, souvent sans queue ni tête. Il le laissa prendre tout l'espace, remplir chaque parcelle de lui.
Derek autorisa Stiles à posséder jusqu'au plus infime fragment de son être. Pour la première fois de sa vie, il ressentit dans sa pleine acceptation la puissance et la magie du lien. En se laissant envahir par lui, le lycan repoussa sans plus de difficultés l'ordre de son alpha. Comme on balaye une suggestion ridicule d'un revers de la main.
Il saisit alors pourquoi Peter avait toujours eu si peur de ce fameux lien, avait toujours refusé de s'engager. Avec une clarté évidente, Derek comprit pourquoi Peter avait fait exécuter ce chasseur bien des décennies plus tôt. Chris Argent. Écartelé par la meute sous le regard vide de l'alpha alors que tout dans l'odeur de celui-ci hurlait son propre déchirement.
Peter avait refusé de se soumettre à cette autorité supérieure. À ce pouvoir qui aurait détruit le sien. Le lien n'était rien de plus que l'expression de la vieille magie, sous sa forme la plus primale. Plus forte que la bête, plus forte que la hiérarchie de la meute. Le lien, c'était ce qui avait transformé les loups en hommes. C'était ce qui avait tari la soif de sang des vampires. C'était ce qui autorisait un ange à tourner le dos aux Cieux pour un simple mortel.
Fort de cette certitude, Derek releva l'échine qu'il ne se souvenait même plus avoir courbée. Sans plus de doutes, il planta son regard dans celui de son oncle et se redressa de toute sa taille.
_Je te défie, alpha. De ces mots, je nie ton autorité sur cette meute. De ces mots, je réclame un combat singulier.
Un frémissement sauvage parcourut l'assistance attirée par l'odeur du sang. Derek décida donc de pousser son avantage jusqu'au bout.
_Je te défie au nom de mon union avec le Porteur de Lumière.
Cette fois, Peter en avait vraiment fini de feindre la nonchalance. Surplombant toujours son neveu de quelques marches, il accepta le défi, son visage défiguré déformé par une rage animale.
_Soit.
XxXxX
L'arène portait bien son nom. Un espace ovoïde long de plusieurs dizaines de mètres au sol tapissé de sable. Sauf que celui-ci était rarement changé. L'odeur du sang des multiples combats livrés ici montait du sol qui ne parvenait plus à l'absorber tant il était détrempé. Autour, s'élevaient de hauts gradins de pierre sombre sur lesquels s'entassaient les membres de la meute.
À la manière d'une série de sinistres trophées, tous les crânes de ceux qui étaient morts dans l'arène avaient été cloués sur la charpente de bois supportant les gradins. Dans ce macabre musée des horreurs, toutes les races ou presque étaient représentées. Des humains bien sûr, le plus souvent des esclaves assez fous pour défier leurs maîtres et réclamer leur liberté ; des loups, ceux qui prétendaient jeter l'alpha à bas de son trône, mais aussi des vampires, quelques faës, un troll et d'autres crânes que Derek n'était jamais parvenu à identifier.
Descendu au milieu de cette fosse, seul et uniquement armé de son cimeterre, le lycan connaissait assez Peter pour savoir qu'il allait le laissait mariner. Profiter de l'angoisse de l'attente et de l'atmosphère saturée par les grognements de la meute pour prendre l'avantage. Derek, lui, entendait bien ne pas lui accorder ce plaisir.
Debout au milieu de l'arène, il ferma à demi les yeux et laissa le loup prendre le contrôle de ses sens. Au loin, derrière le bouquet âpre des fourrures humides, Derek sentit l'effluve plus douceâtre des esclaves humains. Sans doute pour ajouter la terreur à la brutalité, Peter avait insisté pour que l'arène soit construite sur les Basses Terres. Ainsi les esclaves ne pouvaient pas manquer les clameurs ardentes des loups lorsqu'elles se faisaient l'écho des hurlements suppliciés.
Derek ferma tous ses sens à ce qui n'était pas la fragrance humaine. Bien sûr ça n'était pas Stiles, mais cette petite pointe de sucre que portaient les humains demeurait familière et commune à tous. Il dut pourtant revenir au présent lorsque le cliquetis de multiples chaînes chargea l'air de nuances métalliques.
Derek fronça les sourcils en voyant les trois grilles au bout de l'arène s'ouvrir à la manière de ces amphithéâtres romains. Impossible de distinguer ce que dissimulait encore dans leur ombre. Un grondement bestial lui donna pourtant la réponse avant que sa vue ne se soit habituée à fouiller les ténèbres. Un formidable rugissement qui aurait fait passer le fracas de la meute pour de vulgaires glapissements.
Le sale fils de chienne !
Derek réalisa que son oncle s'était joué de lui. Que ce soit par crainte de ne pas réussir à prendre l'ascendant ou pour l'humilier, Peter ne comptait pas affronter son neveu lui-même. Du moins pas dans l'immédiat.
Le sol trembla et, face à Derek, apparurent ses adversaires. Car ce n'était pas un simple berserker que Peter lui envoyait, mais bien trois. Trois grizzlis à la fourrure hérissée de pointes métalliques incrustée dans l'animal par quelque sadique forgeron. Une armure de lames aussi mortelle qu'impénétrable. Couturée de cicatrices nées des combats dont ils formaient toujours l'avant-garde, la gueule des animaux s'ourlait de crocs ébréchés, jaunis et pourtant terriblement impressionnants.
Retenus par quelque barrière magique, les fauves stoppèrent leur progression faussement pataude à quelques mètres de leur proie. Ils exprimèrent leur frustration par des grondements déchaînés, mais ne purent cependant reprendre leur marche. Au-dessus d'eux, sur une plate-forme bien en surplomb de l'arène, Peter apparut. Sanglé dans son armure, l'alpha imposa le silence à l'assemblée par sa simple présence.
Derek leva les yeux vers lui.
_Aurais-tu peur de m'affronter à la loyale, mon oncle ? cracha-t-il en désignant les berserkers de son cimeterre dégainé.
Le visage de Peter se tordit en un rictus d'amusement sournois.
_Tu me parles de loyauté, mon neveu ? Toi qui entres en ma demeure pour la souiller de ton union contre nature avec un de ces singes grotesques ? Du bétail tout juste bon à nous servir, siffla-t-il.
_S'ils ne sont que du bétail, la prophétie n'a donc aucune importance, jeta Derek, goguenard.
C'était un drôle d'atout à ajouter à cette équation déjà tangente. Mais il savait tout de la noirceur des secrets. Autant rendre à la vérité ses couleurs.
_Loups, apostropha-t-il la meute, les bras écartés. Peter vous ment. Peter vous terrorise. Vous pensez que le monde se résume à cela ?
D'un geste, il désigna la crasse de l'arène et, par extension, celle des Basses Terres.
_Pensez-vous que nous valons mieux que ces humains que vous avez asservis ?
_Ces mêmes humains persécutaient nos frères avant le Cataclysme, hurla une voix revancharde.
Des clameurs d'approbation suivirent.
_Oui, comme nous les persécutons désormais. Sommes-nous meilleurs ? Qui se souvient du monde d'avant ? Qui à part quelques vampires bientôt réduits à l'état de parchemin se souvient de la couleur de l'aube ? De celle des arbres ? Qui se souvient du monde quand nous pouvions le voir ?
_Quelle importance ? railla Peter. Personne n'a besoin de peinture pour diriger un monde...
Voyant qu'il ne tirerait rien des loups par la parole, que le temps n'était pas encore venu, Derek se redressa.
_Laisse-nous en décider, rugit-il. Laisse-nous construire notre monde. Renonce à accomplir la prophétie.
_Qu'importe la prophétie, rétorqua Peter.
_Oh non ! Nous savons tous les deux que sans la prophétie, tu n'es rien de plus que... ça, cracha Derek avec un vague geste de la main. Un alpha parmi les autres. Planquant sa lâcheté derrière les murs de sa Forteresse. Tremblant pour son petit pouvoir...
_Suffit, rugit alors Peter. Tu parles trop, louveteau.
Une moue sarcastique plissa furtivement les lèvres de Derek. C'était bien la première fois qu'on lui adressait un tel reproche ! Ce sourire disparut aussi rapidement que son amusement lorsque Peter abaissa son bras.
Les chaînes magiques qui retenaient encore les berserkers enragés furent soudain rompues. Les fauves grondèrent en se dressant sur leurs pattes arrière. Derek, lui, serra ses mains sur la garde de son cimeterre en plantant ses pieds dans le sol, les jambes légèrement écartées. Il savait qu'il devait sortir victorieux de ce premier combat s'il voulait affronter son oncle.
Il se prépara donc à l'impact. Le martèlement des énormes pattes griffues souleva un étouffant nuage de poussière tout autour de Derek lorsque les grizzlis se lancèrent à l'assaut. Mais au moment où l'haleine fétide de l'animal de tête le frappait avec la violence d'un morceau de viande faisandée, le temps se figea.
La seconde suivante s'étira tel un filet de sucre impossible à rompre alors qu'il refroidit en même temps qu'on l'allonge. De plus en plus fin, mais toujours en équilibre, le moment pétrifia toute l'arène dans une brume cotonneuse dont les sons filtraient atténués. Puis l'ours qui se jetait sur Derek, crocs et pointes de fer en avant, fut brusquement projeté à l'autre bout de l'arène comme une simple poussière, bientôt rejoints par les deux autres. Le craquement des vertèbres résonna nettement dans le silence artificiel.
Stupéfait, Derek vit quatre silhouettes se matérialiser à ses côtés. Castiel débarqua le premier, ses ailes intangibles et pourtant indubitablement réelles déployées derrière lui. D'un geste de la main, l'ange venait de repousser les trois créatures. À ses côtés, Dean était armé de son éternelle pétoire. Une très légère fumée s'échappait du canon et Derek comprit que le chasseur avait tiré au moment où Castiel envoyait valdinguer les berserkers. L'odeur fauve du sang se répandit dans l'air comme une brume rampante.
De chaque côté de Derek, V et Butch s'étaient également matérialisés. Les pieds écartés, en position de combat, ils tenaient une dague noire dans chaque main. Le rictus qui barrait le visage de V était terrifiant de férocité. Désormais le guerrier vampire ne retenait rien de la sauvagerie de son aura.
_Bah alors, on n'appelle même pas les copains quand ça commence à devenir marrant ? railla Butch.
_Tu parles, Charles ! renchérit Dean. Cet enfoiré voulait se les garder pour lui tout seul !
Derek les observa tour à tour, estomaqué. Où est-ce que ces deux crétins d'humains trouvaient encore le cran de blaguer, ainsi cernés d'une meute de Surnats qui n'allaient plus rêver que d'une chose : se faire les dents sur leurs fémurs ?
_Qu'est-ce que c'est que ce bordel ? tonna Peter du haut de son estrade.
_La cavalerie, connard, répondit Butch du tac-au-tac.
Peter considéra avec attention cet humain qui le défiait, presque trois mètres en dessous de lui. Il darda sur lui le poids de son regard d'alpha. Ce à quoi Butch répondit par un grand rire goguenard.
_Laisse tomber les yeux de merlan fris, caniche. Même cet enfoiré de barbu perd quand on joue tous les deux à celui qui sera le plus con, dit-il en désignant V du pouce.
Cette fois, Peter dévisagea V. L'alpha n'eut aucun mal à reconnaître les symboles tatoués à même la tempe du vampire pour ce qu'ils étaient. Ensuite, son attention se fixa sur Castiel, épaulé par Dean, qui ne pipait mot. Ce fut également à ce moment que Derek remarqua la manière dont les jambes de l'ange tremblaient tandis qu'un fin mouchetage de sueur couvrait son front. Soudain le soldat du Seigneur avait l'air terriblement humain, terriblement vulnérable.
Dean suivit le regard de Derek. Se plantant solidement contre Castiel pour lui offrir son soutien, le chasseur adressa un hochement de menton déterminé au lycan.
_Ça va le faire. Tous nous transporter ici et repousser les ours l'a épuisé, chuchota-t-il.
Derek retint un froncement de sourcils en se disant que le moment était tout de même mal choisi pour se rendre compte de la vulnérabilité de l'ange. Surtout que du haut de sa tribune, Peter venait de basculer la tête en arrière. Offrant son visage à une lune depuis longtemps perdue dans l'épaisseur des nuages, il relâcha un long hurlement.
Cri de ralliement pour la meute. Signal que les hostilités étaient lancées.
La plupart des lycans présents bondirent dans l'arène comme un seul loup, répondant à l'ordre de leur alpha. Ils n'avaient pas touché terre que déjà tous avaient adopté leur forme animale. Seuls Derek et Peter demeuraient humains.
L'alpha daigna pourtant se joindre à sa meute. D'un bond souple et gracieux, il s'élança dans la marée sauvage des fourrures et des crocs aiguisés. Telle une ombre noire, Peter retomba souplement sur le sol. Quelques secondes plus tard, son arme chantait dans l'air, libérée de son fourreau.
Le temps qui s'était jusque-là emmêlé les pinceaux au point de ralentir sa course, tel un liquide visqueux, retrouva soudain toute sa fluidité. Derek crut sentir l'enfer se déchaîner autour de lui alors que claquaient les mâchoires, que sifflaient les lames et que crachait la pétoire de Dean. Lui-même repoussait tout à coup ses anciens compagnons de meute à grands coups de cimeterre, son bras semblant avoir automatiquement pris le relais de son système nerveux défaillant.
À côté de lui, Dean et Castiel se battaient dos à dos. Le chasseur distribuait de larges rasades de plomb à qui se trouvait en face de lui. De l'autre côté, l'ange avait fait naître de sa chair une longue lame contre laquelle venaient se briser les vagues de loups enragés.
V, lui, se battait avec une précision toute vampirique. Ses coups étaient incisifs, tous mortels et d'une rapidité telle qu'on ne distinguait presque plus les mouvements de ses dagues. Butch, plus lourd et plus solide, surveillait les flancs de son compagnon, brisant parfois une ou deux échines à mains nues. Dans ses larges pognes, les silhouettes pourtant trapues des lycans semblaient aussi frêles que de simples fétus de paille. Pas mal pour un humain...
Malgré l'habileté de la petite troupe de combattants, il devint rapidement évident qu'ils seraient submergés par le nombre des loups. Ce fut le moment que choisit Peter pour attaquer. Fendant souplement cette marée animale, il marcha sur son neveu avec une froide détermination. Passant le bras par-dessus son épaule, il tira sa lame de son fourreau. Comme le cimeterre de Derek, l'épée bâtarde chanta sa liberté retrouvée. Un son aussi sinistre et cruel que le sourire de Peter.
Derek ne sentit même pas son bras réagir lorsque la lame de Peter virevolta pour venir s'entrechoquer avec la sienne. Tout ce qu'il sut, c'était que son cimeterre s'était interposé entre la mort et lui, presque de sa propre initiative. Comme si la lame prenait soudain la direction des opérations pour le protéger.
Le lycan remit alors sa vie entre les mains de son instinct. Parade, feinte. Un pas chassé. Une volte sur la droite. Une pirouette à laquelle succéda une esquive. Derek avait presque l'impression d'exécuter une danse où le mouvement des épées serait si fluide qu'il en deviendrait un ruban ondoyant autour d'eux.
La violence des impacts et des coups portés lui rappelait sans cesse que cette danse n'avait rien d'un exercice. Le fracas de l'acier faisait parfois naître de petites gerbes d'étincelles tandis que l'odeur du métal échauffé emplissait leurs narines. Autour d'eux, le sable avait élevé une brume épaisse et étouffante, les soustrayant à la bataille qui se jouait.
Tout à coup, la botte de Derek dérapa et il sentit ployer son genou. Au même moment, Peter abattait un coup d'une redoutable puissance juste au-dessus de sa tête. Derek para comme il put tout en tentant de contrôler sa chute, mais la lame de l'épée ripa contre la courbe de son cimeterre. Ainsi dévié, le lycan vit le coup se rapprocher dangereusement de son bras exposé. Un instant, il imagina le membre tranché voler dans le sable. La terreur manqua de le paralyser.
Ce fut l'animal en lui qui réagit et le poussa à rouler sur le côté, abandonnant pour un instant toute velléité de combat. Peter, lui, ne manqua pas cette opportunité. Il savait désormais que Derek serait incapable de reprendre le rythme de leur échange et il ne comptait pas lui en laisser l'occasion.
Derek vit scintiller la lame de son oncle, entendit le métal hurler sa victoire en cinglant l'air. Pourtant cette morbide incantation fut brisée lorsqu'une voix qu'il ne connaissait que trop bien hurla à côté de lui.
_Jaune est le sable !
Et sous les yeux ébahis de Derek, la mince poussière qui jusque-là l'avait étouffé forma un mur aussi rigide et impénétrable que le granit entre lui et l'épée de son oncle. Le métal vint rebondir contre la pierre en un « glong » sonore. Les vibrations remontèrent avec tant de force dans le bras de Peter que ce dernier lâcha son épée, sonné.
Derek en profita pour se remettre sur ses pieds et raffermir sa prise sur son cimeterre. À deux pas de lui, se tenait Stiles, la bouche encore grande ouverte, l'air aussi abasourdi que lui. L'ombre imposante de Versipelle se détachait à peine derrière lui tant la poussière était épaisse. Derek remarqua alors que seul l'air à proximité immédiate avait perdu sa consistance brumeuse.
Stiles offrit un regard déboussolé à son compagnon.
_Je ne sais pas comment j'ai fait ça, bafouilla-t-il. J'ai vu le sable, la couleur... J'ai pensé au mur...
_Ton pouvoir se réveille, Porteur de Lumière.
Derek ne reconnut pas aussitôt cette voix. Il ne réalisa que c'était Versipelle qui avait parlé que lorsque le griffon s'approcha pour fixer Stiles de ses yeux pénétrants. Un million de questions se bousculèrent en un instant dans la tête de Derek, mais ça n'était pas le moment. Se reprenant, Peter se jetait déjà sur son épée en hurlant.
Stiles, déconcentré par sa stupéfaction, avait laissé le mur de sable se dissoudre jusqu'à ce qu'il se fracasse au sol.
_Utilise ton pouvoir, Porteur.
Une fois encore, les mots de Versipelle se déployèrent avec légèreté, faisant tout juste vibrer l'air que respiraient Derek et Stiles. Entendu d'eux seuls. En une fraction de seconde, Stiles se retourna.
_Verte est la forêt, hurla-t-il.
Peter fut repoussé par une boule d'énergie où vie et couleur ne faisaient soudain plus qu'un. L'onde de choc fit trembler le sol et se propagea, si forte que personne n'aurait pu savoir jusqu'où. Elle les toucha tous, manquant de renverser les plus solides, balayant les autres pour porter la puissance de ce cri jusqu'aux confins de la terre.
Quelques secondes de silence absolu s'égrainèrent. Puis Versipelle s'effondra soudain à leurs pieds. Comme terrassé par la puissance de ce cri. Par ses nuances.
Stiles se précipita, le visage déformé par la culpabilité. Persuadé d'être responsable de la chute du griffon. Lui aussi fut projeté au loin lorsque le cri du majestueux animal déchira l'air en réponse, venu du plus profond de sa substance. Le combat déjà ralenti par l'onde de choc prit brutalement fin. Tous les êtres présents se couvrirent les oreilles de leurs mains, assourdis.
D'abord, il ne se passa rien. Personne ne bougea. Et pourtant, tous demeuraient captivés sans bien savoir pourquoi. Et ce jusqu'à ce qu'un frémissement parcoure l'assemblée. Un écho qui paraissait se catalyser sur le griffon soudain écartelé sur le sable. Stiles voulut se relever, courir vers lui, soulager sa souffrance. La texture du sol sous ses pieds se modifia, jusqu'à devenir aussi poisseux que de la colle. La terre même semblait s'en mêler, les invitant à... attendre la suite.
Le spectacle de Versipelle en train d'éclore en un millier de bourgeons qui aussitôt se déployèrent en de terribles lianes hérissées d'épines fit lâcher son arme à Derek. Les ailes du griffon se muèrent en branches à mesure qu'il se trouvait écartelé par quelque force invisible. L'animal se dressa alors sur ses deux pattes, tel un pantin pendant au bout de ses fils, un peu grotesque et pourtant terriblement imposant. Une fois debout, ses griffes s'enracinèrent dans le sol, assez robustes pour résister à n'importe quelle tempête.
Puis la colère de Gaïa, terre mère, se déchaîna sur leurs ennemis.
Les loups qui avaient choisi de combattre pour Peter furent happés par les lianes en un concert de glapissements. Certains étouffés, d'autres broyés par la fureur implacable de la végétation, d'autres encore transpercés par les épines. Et alors que Versipelle continuait de répandre son pouvoir, grandissant, grandissant, et ce jusqu'à emplir toute l'arène, jusqu'à projeter son aura vers le ciel, les couleurs commencèrent à prendre vie sous les yeux de Derek.
Le noir du pelage des loups demeura le seul ancrage familier, mais le sable se révéla, lui, clair et scintillant. Le vert du feuillage de Versipelle, porteur de vie. Le bleu du ciel dont s'écartaient les nuages. La blancheur aveuglante de ceux-ci. Le brun chaud du cuir. Le rouge vermillon du sang.
Face à Derek, le monde gagnait en épaisseur, en consistance. Il retint son souffle, bouleversé par cette éclosion, par l'affirmation la plus primaire de la vie. Par cette planète qui s'éveillait et reprenait ses droits. Le vent qui se levait chassa la poussière, les nuages et l'odeur de la mort tout à la fois. Le dieu Zéphyr chanta son ardeur retrouvée, s'enroula dans les branches désormais déployées de Versipelle, joueur.
Du griffon lui-même, ne restait plus grand-chose à ce stade. Là où Derek n'avait vu qu'un foisonnement végétal, s'était en fait opérée la plus bouleversante des transformations. Face à eux, se tenait un arbre gigantesque, encore bien plus imposant que celui de la montagne. Bourdonnant de vie, frémissant d'intensité. Ses puissantes racines avaient couru dans toute l'arène pour en saper les fondations. Autour d'eux, l'édifice de brique et de métal vacilla soudain, sur le point de s'affaisser comme un château de cartes.
Plus haut, dans le tronc du roi sylvestre, se devinait encore la tête de Versipelle, son bec crochu calcifié en une saillie du bois, ses yeux d'ambre devenus deux profonds nœuds. Et ses ailes déployaient leur ramage en la plus épaisse et la plus puissante des frondaisons. Quelque part en haut des branches élancées, le corps de Peter se balançait au gré du vent, transpercé par une tige d'épines et d'échardes. Les yeux de l'alpha semblaient fixer la scène d'un air absent et aussi estomaqué que les autres spectateurs. Une poupée désarticulée portée par la brise.
_Versipelle, chuchota Stiles en se jetant au pied de l'arbre, ses mains éraflées par la rude écorce.
_Ne me pleure pas, Porteur de Lumière, chanta une voix dans le vent. Car c'est ainsi que renaissent les choses. Les corps retournent à la terre, porteurs de vie.
Stiles releva pourtant un visage tordu par le chagrin en direction du ciel. D'une douce brise, Zéphyr apaisa le poids de sa peine. Autour d'eux, les racines de Versipelle continuaient de s'étendre, encore et encore. Au loin, un craquement propre à défier le tonnerre lui-même se fit entendre.
_La forteresse, elle s'effondre ! cria V, abrité du soleil par un entrelacs de branches particulièrement impénétrable. Foutez le camp !
Piégé par les rayons de l'astre solaire que plus aucun nuage ne dissimulait, le vampire se savait d'ores et déjà condamné. Incapable de quitter le piège mortel de l'édifice disloqué.
_Rien à foutre, gronda Butch.
L'espace de quelques secondes, l'ombre de la gigantesque tour avala la lumière du soleil. Penchée au-dessus de l'arène, elle était sur le point de tous les broyer. V décocha à son hellren un coup de poing propre à assommer un buffle.
_Dégage, ordonna-t-il.
_Même pas dans tes rêves, connard, rétorqua le flic en crachant un mince filet de sang au sol.
Un éclair de la pure panique traversa le regard de diamant de V. Stiles, lui, se tourna vers la tour et tendit ses mains vers elle.
_La brique est rouge, cria-t-il.
Et soudain, tout le poids du monde s'abattit sur ses mains grandes ouvertes, tournées paumes vers le ciel. Stiles ploya sous ce fardeau, le front couvert de sueur.
_La brique est rouge. La brique est rouge, ânonna-t-il en une litanie ininterrompue.
Ses pieds s'enfoncèrent dans le sol, creusant le sable et le sang mélangés en une infâme bouillie. Au-dessus de leurs têtes, les craquements du bâtiment cessèrent petit à petit. La tour se stabilisa, à moitié disloquée. Un hideux squelette calcifié qui n'était pas sans rappeler les restes d'une gigantesque et effrayante créature préhistorique.
Quand la Forteresse se solidifia en un angle improbable pour les siècles à venir, tous les regards se tournèrent vers Stiles. Ses compagnons. V et ses yeux de diamant qui voyaient tout. Butch et son filet de sang au coin de la bouche. Dean et son air de poisson sorti hors de l'eau. Castiel et ses ailes sacrifiées. La foule figée autour de l'arène alors que la panique se muait en adoration quasi divine.
Et Derek. Derek, son compagnon. Son âme liée. Son cimeterre tombé au sol qu'il ne pensait pas à ramasser. Ses bras ballants. Ses yeux vert d'eau aux sourcils qui ne se fronçaient pas. Derek et la traînée de sang, de sueur et de sable qui lui barrait le front. Derek qui, après avoir marché jusqu'à lui, tendit la main et la présenta, paume ouverte, les doigts écorchés et ensanglantés par le combat.
Stiles fut soudain traversé par le souvenir de ce premier moment. Quand les yeux de Derek avaient fait naître la vérité. Alors il oublia la sensation d'abandon qui l'avait fait hurler le matin même, lorsqu'il s'était réveillé seul sur la rive. Il oublia sa colère lorsque V et Castiel avaient débarqué pour lui expliquer ce que Derek était parti faire. Il oublia l'urgence qui l'avait saisi lorsque Versipelle s'était posé en lui disant que Derek avait besoin de lui. Que les couleurs et Gaïa elle-même réclamaient son assistance. Que le moment de révéler son vrai pouvoir était arrivé.
Stiles oublia tout et enroula ses doigts autour de ceux de Derek. Pour la première fois, le sourire qui naquit sur le visage du loup fut lumineux. Simple et débarrassé de toute appréhension. Autour d'eux, le bourdonnement enfla à tel point qu'ils levèrent la tête. Sur les gradins détruits et partiellement écroulés se tenaient des centaines et des centaines d'humains. Quelques loups aussi. Libres de leurs fers, chacun à leur manière.
La rumeur de la Forteresse vaincue courait déjà dans leurs rangs. La vérité se murmurait, filant à la vitesse d'un griffon en plein vol.
Tous regardaient les décombres de l'ordre qui les avait opprimés. Les lycans vaincus, d'autres blessés et gémissants. La Forteresse et l'arène écroulées. L'arbre porteur de vie. Et ce monde fait de couleurs, de sensations oubliées. La plupart clignaient des paupières, tels des aveugles à qui l'on viendrait de rendre la vue.
Puis ce demi silence chargé de murmures éclata en une clameur sans précédent.
Assourdi, Stiles se tassa sur lui-même avant de se raccrocher au sourire lumineux de Derek. D'un geste victorieux, celui-ci brandit leurs mains unies vers le ciel d'azur. Les vivats redoublèrent et les quelques lycans encore debout se relevèrent. Comme hypnotisés par l'aura du couple, tous approchèrent jusqu'à entourer Derek. Puis, sous leur forme de loup, ils se couchèrent à ses pieds avant d'offrir un cœur de hurlements sonores.
Après un instant d'hésitation et une chiquenaude de Stiles, Derek se joignit à eux. Un nouvel alpha était né.
.
Sous les épaisses frondaisons de Versipelle, V contemplait la scène, l'air aussi impénétrable que d'ordinaire. En apparence pas plus perturbé que cela d'avoir manqué d'y rester un peu plus tôt. Il ne cilla que lorsque Butch lui rendit son coup de poing. Statufié, V fixa son hellren.
_C'est pour avoir pensé une seule putain de seconde que j'allais te laisser crever tout seul, connard !
La bouche aux lèvres fines de V s'étira en un lent sourire goguenard qui cachait mal l'intensité de son regard.
_Moi qui pensais enfin me débarrasser de toi...
Interloqué, Butch se figea un instant avant de choper son vampire par le revers de son harnais. Il l'embrassa à pleine bouche, indifférent aux regards curieux ou aux mains de V qui agrippaient ses cheveux avec trop de brutalité pour vraiment cacher le soulagement de leur propriétaire.
_Tu me paieras ça, gronda Butch quand il le relâcha.
V se contenta d'un nouveau sourire, de ceux qu'il réservait exclusivement à son hellren.
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_Cas ? Cas, bordel, relève-toi, mec !
Inquiet, Dean secouait l'épaule de l'ange qui avait planté un genou à terre. D'un revers de la main, ce dernier fit signe à son compagnon de lui laisser un moment pour se reprendre. Sans trop savoir pourquoi, le regard de Dean accrocha les tatouages qui ornaient la peau de l'ange. Sous la lumière du soleil retrouvé, toute la subtilité des couleurs se révélait à son regard. Une infinité de détails dans lesquels il avait peur de plonger, peur de se perdre.
Castiel finit par relever la tête avant de se remettre péniblement debout. Dean se précipita pour enrouler un bras autour de sa taille.
_Tu vas bien ? demanda-t-il d'une voix hésitante.
Castiel lui dédia cette expression qui n'avait jamais été un sourire, mais que Dean considérait pourtant comme tel.
_Je vais bien, Dean. C'est la lumière, avoua l'ange. Je n'y suis plus habitué.
_Ça te fait du mal ?
Castiel partit d'un petit rire rauque avant de faire naître un feu follet dans sa paume. La boule de lumière courut un moment entre ses phalanges, épousant les contours de sa peau, joueuse.
_Non, Dean. La lumière me rend ce que j'ai perdu.
_Ce que tu as perdu ? bafouilla le chasseur.
Le chasseur comprit alors que ce frémissement cristallin qui résonnait à ses oreilles était le bruit du vent dans des plumes célestes. Ce son d'une infinie douceur lui serra les tripes d'un coup. Un nœud compact et douloureux.
Les pouvoirs de Castiel qui se mourraient à petit feu dans ce monde lui étaient rendus. La lumière effaçait les choix, effaçait la chute.
_Tu as retrouvé toute ta grâce, bafouilla-t-il.
_C'est exact, répondit sobrement Castiel.
Pourtant, son regard ne lâchait pas le chasseur. Comme s'il attendait encore quelque chose. Un infime espoir. Ténu, presque éteint.
_Alors tu vas repartir... Là-haut. Avec les autres emplumés, compléta Dean d'une voix blanche.
Castiel ne dit rien pendant quelques instants puis, comme s'il venait de prendre une décision, hocha la tête. Sans plus un mot, il se détourna du chasseur. Dean, pétrifié, le vit rejoindre V et Butch. Le premier adressa quelques mots à l'ange tandis que le second lui tapait dans le dos, jovial. Ce geste de camaraderie toute simple manqua de terrasser Dean. Parce que c'était ainsi qu'étaient les choses entre lui et Castiel. Avant.
Quand tout était encore simple et évident. Quand le désir n'avait pas tout foutu en l'air. Avant que l'ange ne chute. Pour lui...
Ensuite Castiel rejoignit Stiles qui regardait son compagnon prendre ses marques en tant qu'alpha. Derek ordonnait déjà à ses loups de libérer les humains encore prisonniers. Stiles, lui, sourit à l'ange. Le visage mobile du jeune homme confirma à Dean que Castiel ne plaisantait pas. Lorsqu'il annonça à Stiles qu'il partait, la déception se peignit sur le visage du bavard.
Stiles chercha le regard de Dean, l'air de dire « bouge-toi, pauvre con ». Sauf que les bottes de Dean semblaient soudain faites de plomb. Castiel recula de deux pas sans même un dernier geste dans sa direction. Comme ça. Sans cérémonie ni adieu.
Dean sentit que l'ange déployait ses ailes à l'instant même où ce lien qu'il avait toujours nié se tendait comme un cordon ombilical au plus profond de son âme.
_Cas, hurla-t-il.
Quand il commença à bouger, le sable crissa sous ses pieds. Mais que pouvait espérer un humain se décidant soudain à courir après un ange ? Castiel s'élevait déjà. En une fraction de seconde, Dean sut ce qu'il devait faire. Il s'élança vers la première branche qu'il put saisir. Le premier barreau d'une échelle céleste creusée à même l'Arbre Monde qu'était devenu Versipelle.
Il grimpa aussi vite que le lui permettaient ses membres usés par la vigueur du combat. Une branche après l'autre dans l'épaisseur impénétrable de l'Arbre. Au début, il eut l'impression que chacun de ses mouvements était entravé par les épaisses lianes. Puis, alors qu'il affermissait sa résolution, le chemin lui apparut de plus en plus évident.
Il poursuivit son ascension sans regarder derrière lui, sans chercher le regard des autres, sans penser à rien si ce n'était au froissement des plumes qui s'éloignait. Soudain, il sut. Castiel était là. Juste à sa droite. Juste au bout de la branche.
Alors, sans plus de peur et de retenue, Dean se jeta dans le vide. Les bras grands ouverts, il se laissa porter dans les airs. Confiant en l'idée que son ange gardien lui sauverait encore une fois la mise. Et s'il ne le faisait pas ? Qu'importait de se battre pour un monde dont Castiel aurait disparu ?
L'odeur d'orage de Castiel l'enveloppa lorsqu'il se cogna contre lui et, aussitôt, les bras de l'ange entourèrent ses hanches. Un automatisme presque calculé. Un mouvement réflexe indépendant de sa volonté.
Le temps et l'espace se figèrent à nouveau. Dean se sentit flotter dans un entre-deux. Dans un lieu qui n'en était pas un. Porté par une décision à prendre.
_Dean, gronda Castiel d'une voix désincarnée.
Envolés les tatouages, et même l'enveloppe humaine. Ne demeurait qu'un être de pur esprit. Une grâce limpide et chatoyante. De lumière et de plumes.
_Reste, supplia Dean.
Il pria comme plus jamais il n'avait prié depuis la mort de son frère. Depuis les reproches de son père. Il sentit l'hésitation de l'ange résonner en lui et chassa cette idée sournoise qui n'avait cessé de le détruire. Cette certitude de ne pas être à la hauteur, de ne pas mériter ce qu'il désirait.
Alors pour se convaincre et pour convaincre Castiel, il l'entoura dans le filament indestructible du lien. Il l'emmaillota comme le ferait une araignée avec sa proie.
_Reste, répéta-t-il en écho.
_Pourquoi ? tonna Castiel.
Dean n'hésita pas. Devant cette grâce dénudée, nulle pudeur n'était nécessaire.
_Pour que j'ai le temps d'apprendre. Pour qu'un jour je puisse te dire pourquoi...
Un battement de cœur. Une pulsation du monde et de l'univers.
Il ferma les yeux. Si fort qu'ils auraient pu demeurer scellés.
Puis Dean sentit la terre ferme sous ses pieds. Le crissement du sable. Une étreinte qui se desserre. L'espace d'un instant, il eut peur qu'il soit définitivement trop tard. Il se prépara au déchirement de la douleur.
Mais il n'y eut que la main de Castiel sur sa joue, enveloppant sa mâchoire. Il n'y eut que l'ange alors qu'il réintégrait son corps humain. Dean agrippa ses doigts, bafouilla des mots incohérents et renonça à parler lorsque Castiel se pencha pour lui voler son tout premier baiser.
à suivre
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