💜 𝙲𝙷𝙰𝙿. 𝟹 : Real, This Can't Be Real

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Première fois qu'il cédait à des pulsions.

Honnêtement, il n'était même pas sûr d'en avoir déjà éprouvées, tant il était habitué à tout contrôler. Aucun aspect de sa vie n'était laissé au hasard, par peur de l'inconnu : un seul instant d'inattention, et il dégringolerait de sa cabane tranquille aménagée sur les branches les plus hautes. Une seule fausse manœuvre, et il se noierait dans une mer sans fond.

Les pulsions ressenties par l'immense majorité de ses congénères n'étaient ainsi pour lui que de lointains échos lui murmurant des conneries de temps à autre. Il n'avait, jusque-là, jamais répondu à leurs appels vicelards.

« Qu'est-ce que tu penses de cette veste, Hitoshi? Les éclairs brodés sont classes, non? »

Merde.

Le lendemain de leur échange par messages, le mauve avait lamentablement craqué : il avait proposé au braqueur de son cœur de l'accompagner au centre commercial situé à quelques stations de métro du shop, prétextant une nouvelle leçonqui lui permettrait de préciser ses esquisses. Il s'était empourpré comme une héroïne de shôjo en appuyant sur "envoyer".

« Pas mal. T'adores ce motif, hein? »

« J'ai toujours été un grand fan de Pikachu. »

Denki en était à son sixième essayage. À chaque fois, il sortait de la cabine en défilant tel un mannequin, passant une main dans ses cheveux qu'il renvoyait en arrière d'un geste désinvolte. Il ne lui manquait plus que les flashs et les paillettes...

Très sincèrement, Hitoshi ne prêtait aucune attention aux vêtements choisis. Il profitait de son cinéma pour s'imprégner de ses traits, les graver dans sa mémoire. Il rêvait désormais de tatouer cette peau ambrée au grain si fin, d'y encrer son chef-d'œuvre – au point mort pour l'instant, certes.

Cette sortie improvisée semblait ravir son camarade, qui enchaînait les blagues pourries et les fous rires. Son attitude décontenançait un peu l'artiste, mais il se surprit à la trouver plutôt rafraîchissante. Ça lui changeait de son précieux silence, abandonné sans scrupule dès réception de la réponse positive.

« Tu prends que ça? » le questionna son accompagnant tandis qu'ils patientaient dans la file menant aux caisses.

« Je t'ai dit, j'avais juste besoin d'un jean. C'est toi qui t'es emballé. » se moqua-t-il gentiment.

Ils payèrent leurs articles, sortirent, et se mirent d'accord pour se poser dans le petit café placé à l'une des entrées du centre.

Celui-ci n'était pas particulièrement impressionnant, et ressemblait à tous les autres lieux de son espèce : deux étages partagés entre les magasins de fringues et de jeux vidéo, les bijouteries, les restaurants et, inévitablement, un géant de la grande distribution. Les lumières tape-à-l'œil qui en dévoilaient chaque minuscule recoin agressaient les rétines, associées aux odeurs entêtantes diffusées en continu par certaines enseignes emblématiques. Le tatoueur n'était pas adepte de cette ambiance, et ce malgré les denrées parfois nécessaires qu'elle dissimulait.

Une fois installés, les deux jeunes hommes reprirent leur discussion de la veille avec entrain. Hitoshi s'était à nouveau laissé embarquer par le plus petit, qui avait insisté pour lui faire découvrir son frappé préféré : le frappuccino au thé chaï. Il le questionna sur ses goûts douteux, peu rassuré par l'odeur épicée et sucrée qui se dégageait du breuvage.

« T'aimes ce qui est fade, en fait? » plaisanta Denki, son verre déjà bien entamé.

« J'aime ce qui risque pas de me crever le bide. » répliqua-t-il.

Au final, il apprécia la texture et la saveur de la boisson, ce qui enchanta son invité – il avait en effet tenu à lui rendre la pareille, et avait même poussé le vice jusqu'à lui offrir une pâtisserie.

« Tu sais, j'pensais pas que tu voudrais me revoir si vite. » lui confia soudain le blond, manquant de le faire s'étouffer.

Il toussota, déstabilisé, avant d'avouer à mi-voix :

« J'ai besoin de plus... de détails. Pour le dessin. »

« Rien à voir avec une envie de te délecter de ma divine présence, alors? »

« T'es capable de sortir combien de débilités à la minute? »

« Je m'approche du record mondial, figure-toi. »

« Ça m'étonne pas. »

Denki reprit soudainement de l'aplomb, et planta ses iris solaires dans les siens :

« Sérieusement : tu veux qu'on se cale plus de rendez-vous? »

« Pour que tu puisses te délecter de ma divine présence? »

Il aurait juré apercevoir des rougeurs sur ses adorables pommettes.

« Ce serait dommage de pas... approfondir, euh... tes connaissances? »

Et dire que je pensais être le seul à ressentir un truc.

« OK. Apprends-moi tout ce que je dois savoir, Denki. » souffla-t-il en laissant s'échapper l'un de ses rares sourires.

Sans qu'ils s'en rendent compte, les semaines défilèrent, volant des moments plus ou moins longs à leurs quotidiens : au café, au restaurant, et même aux jardins du centre-ville.

Au final, Denki ne fut pas le seul à se dévoiler, la complicité qu'ils tissaient donnant confiance à Hitoshi. Il lui parla de son enfance en tant que fils unique, élevé par des parents aimants qui avaient accepté sans broncher son choix de carrière. Il lui détailla ses études, déprimantes à en mourir, qu'il avait terminées avec l'impression d'enfin respirer. Il en vint à sa passion profonde pour le monde du body art, lui expliqua ce qu'il ressentait en tenant fermement son dermographe : la sensation d'être à sa juste place dans l'univers, à créer, concrétiser des rêves de peau et de sang. Il lui avoua que ses propres pièces n'avaient pas de sens véritables, qu'ils les avaient réalisées pour la satisfaction de voir son corps se couvrir d'encre – pour se libérer de cette blancheur fragile qui ne lui correspondait pas.

Le doré se révéla être une oreille attentive, et l'écouta se livrer avec bienveillance, ne l'interrompant que quand il souhaitait éclaircir un point. Le mauve fut heureux de constater qu'il s'intéressait sincèrement à lui.

Denki était également enfant unique. Héritier d'une lignée d'entrepreneurs acharnés, il s'était fait virer de la maison familiale lorsqu'il avait refusé de reprendre les rênes de la compagnie de matos électronique. Bizarrement, il fut soulagé de ce bannissement forcé, qui lui permit de découvrir la fameuse liberté à laquelle il n'avait jamais eu droit. Avide de relations humaines, il se lança dans des études d'hôtellerie, les finançant grâce à de petits boulots. Ainsi, il décrocha son diplôme et, en quelques mois à peine, trouva sa perle rare en la personne de Katsuki Bakugo, gérant du King Bomberkill. Celui-ci l'embaucha sans tergiverser, ayant d'emblée décelé son énergie et ses capacités.

Depuis, il vivait heureux, oscillant entre l'euphorie de la lune et le repos du soleil. Il n'aurait abandonné cette vie-là pour rien au monde : son bar, ses cocktails, la musique électro qui vibrait dans ses tympans, les clients qui dansaient à s'en couper le souffle... C'était son cosmos à lui.

« Tu sais, tu pourras pas éviter le Bomber éternellement, Toshi. » annonça-t-il un jour.

Le froid de l'hiver s'étant abattu sur la ville, ils avaient reporté leur balade et s'étaient dirigés naturellement vers le Chargebolt. Rougissant en entendant son surnom, l'artiste maudit ce choix : comment pouvait-il justifier la teinte écarlate de ses joues sans l'air glacial du dehors?

« Pourquoi tu veux tant m'y emmener? » s'étonna-t-il, alarmé.

Jusque-là, il s'en était sorti en esquivant scrupuleusement les heures du soir pendant lesquelles Denki était disponible. Il n'avait encore jamais été en boîte, mais n'y tenait pas vraiment – il détestait la foule et les contacts qu'elle occasionnait.

« Parce que c'est ça, la dernière leçon. Pour terminer mon dessin, tu dois t'imprégner de mon univers. »

Son palpitant s'affola. Il savait qu'il n'y échapperait pas.

« Je serai là. » lui rappela son camarade. « Promis, je prendrai soin de toi. »


Qu'est-ce que je fous?

Éclairée de centaines de spots multicolores, la salle lui semblait sans fin. Ses murs tapissés de miroirs reflétaient les êtres en mouvement se déhanchant sur la piste, portés par les basses assourdissantes que diffusaient des enceintes placées de façon à optimiser le surround. Hitoshi devait bien l'admettre, c'était impressionnant.

Il tenta d'avancer dans la cohue, grimaçant dès que quelqu'un le collait un peu trop. Il était censé retrouver Denki près de son bar, celui-ci lui ayant promis un savoureux spectacle.

« Salut! » hurla soudain une voix à proximité.

Mécaniquement, il se tourna vers elle et découvrit une jeune femme aux cheveux roses et aux courbes généreuses, qui se trémoussait en l'accostant. Elle le jaugeait d'un œil appréciateur, ce qui le dégoûta au plus haut point.

« J'adore tes piercings! » brailla-t-elle. « Tu veux bien me les montrer de plus près? »

Rien que de l'imaginer le toucher suffit à lui donner la force de décamper. Il avait déjà attiré la curiosité avec les nombreux bijoux qui ornaient son visage : bridge, labrets, cheeks, septum... Une vraie passoire. Et pourtant, l'intérêt que lui portait cette personne était différent, empreint d'une exigence de plus.

Et ça l'aurait presque incité à s'enfuir en sprintant.

Le volume sonore diminua peu à peu tandis qu'il sortait de cet enfer. Il situa enfin le lieu où officiait son ami, qui s'étendait sur quasi toute la longueur du local. Il y aperçut évidemment un étalage impressionnant de diverses bouteilles rangées avec précision en arrière-plan, ainsi qu'un large comptoir au style industriel s'accordant avec le reste. Il lui fallut quelques secondes pour y repérer son blond, occupé à servir des clients avec l'aide de ses collègues. Incertain, il osa finalement s'approcher.

« Toshi! » s'exclama alors Denki dès qu'il le vit.

« Salut. » dit simplement le dénommé en s'asseyant sur l'un des hauts tabourets.

« Pas trop compliqué? »

Il savait que le tatoueur ne se sentait pas à l'aise dans ce type d'environnement.

« Pas c'que j'aime le plus, mais ça va aller. »

« Attends-moi, j'en ai encore pour quinze minutes de service et j'suis à toi. »

Bordel, oui.

Il hocha distraitement la tête. Comment faisaient ces gens pour apprécier cette effervescence constante? Il venait à peine d'y entrer et le regret le tenaillait déjà.

« Me voilà! »

Toujours vêtu de sa tenue de barman, Denki lui tapota l'épaule afin de signaler sa présence. Hitoshi put l'admirer de plus près, sous le charme de cet uniforme noir et blanc qui révélait sa silhouette élancée. Ce tablier attaché nonchalamment autour de ses hanches, cette chemise au col lâche qui dévoilait la naissance de ses clavicules, le pantalon moulant parfaitement ses jambes musclées par les heures de labeur... Il avait envie de le dessiner, putain.

« T'es toujours derrière ton comptoir. » remarqua-t-il, paumé.

« Je t'avais promis un divertissement, non? » lui rappela le doré avec un clin d'œil.

Tout se déroula très vite : il s'empara d'un verre, de multiples liquides colorés dont il n'eut pas le temps de lire les noms, d'un shaker noir et de fines tranches de citron. Il entama une danse hypnotique, mélangeant les saveurs entre elles, superposant les nuances, secouant son contenant avec cette aisance donnée par l'habitude. Il posa ensuite le cocktail devant son ami bouche bée, et termina sa prestation en piquant une petite ombrelle sur le rebord.

« Régale-toi. »


Une fois la création de Denki sirotée et ses vêtements professionnels rangés au vestiaire, ils se retrouvèrent à proximité du champ de bataille qui effrayait tant Hitoshi. Se voulant rassurant, le blond lui tendit la main, comme lors de cette première soirée où sa vie avait basculé.

« C'est la dernière étape. Après ça, tu sauras tout de moi. »

Le mauve l'attrapa sans réfléchir. Il aurait l'occasion d'avoir les jetons plus tard.

Ils pénétrèrent dans cette bulle électrisante.

« On y est. Ça va? » chuchota son partenaire à son oreille.

« J'crois. Ouais. »

« Est-ce que... Je peux te toucher? »

« O-oui. Vas-y. »

Quand le plus petit se saisit de ses hanches avec une douceur étonnante au vu du contexte, il en eut le souffle coupé. Personne ne l'avait touché comme ça. Jamais. Il ne l'aurait pas accepté.

Mais là, c'était lui. Et ça changeait tout.

En tremblant, il osa baisser son front contre le sien, détenu par une espèce d'ivresse folle qui lui conférait un courage qu'il n'avait pas. Il n'arrivait pas à le quitter, ses améthystes plantées dans ses topazes. Autour d'eux, le monde se déchaînait à n'en plus finir. La musique résonnait dans sa cage thoracique, elle s'insinuait dans ses veines et s'en prenait à ses organes, transformant son corps en une masse sans consistance totalement sous emprise.

Soudain, il comprit l'intérêt du Bomber.

S'évader du réel et rencontrer la part quasi animale enfouie en soi. Ce désir à jamais inassouvi de se laisser avaler par le temps, d'oublier les responsabilités et les barrières intangibles.

Ce n'était pas lui, cette perte de contrôle. Hitoshi le savait : il était si loin de lui-même que le retour serait rude.

« Tu comprends, maintenant? » lui glissa Denki en caressant le bas de son dos, sa bouche s'aventurant près de la sienne.

Leurs souffles flirtaient. Il ne maîtrisait plus rien.

« Lâche prise, Mindbreaker. »

Ne me lâche pas.

« Je peux t'embrasser? »

« O-ouais. »

Leurs lèvres se trouvèrent et son cerveau vrilla complètement : il adorait ça. Ce plaisir, cette évidence.

Et ça le terrifiait.

Celui qu'il était un instant plus tôt n'aurait pas dû désirer ce baiser. Ni ces doigts enfouis dans l'épaisseur de sa crinière.

Il n'était pas censé aimer ça.

Affolé, il recula brusquement, s'arrachant à l'étreinte de l'homme qui venait de fracasser le reflet si net de son miroir. Il l'avait changé. Il n'était pas sûr de le vouloir. Il devait partir.

Sans un mot, il se détourna et se fraya une route chaotique à base de coups et de jurons. Il s'imaginait bien le regard blessé de Denki, mais ça ne suffisait pas à calmer sa crise d'angoisse. Il avait besoin de respirer, de se retrouver.

Dès que ses poumons s'emplirent de la froideur nocturne, ses larmes, les premières d'une éternité, coulèrent librement. Des sanglots saccadés par l'anxiété s'échappèrent de sa gorge, et il sut qu'il venait de commettre une erreur.

Une erreur confortable, certes.

Mais aussi la pire.


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