💛 𝙲𝙷𝙰𝙿. 𝟸 : And Now I'm In Trouble

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« Je suis censé faire quoi, maintenant? » se lamentait Hitoshi en faisant les cent pas dans l'arrière-boutique.

Accaparé par ses tourments, il en oubliait d'être attentif au matériel de ses amis, qui l'empêchèrent à plusieurs reprises de renverser des bouteilles d'encres ou des coffrets de bijoux en acier chirurgical. Cette soudaine négligence venant du plus soigneux d'entre eux les préoccupait sérieusement.

« Il s'est barré tout de suite après? » répéta Eijiro.

« Puisque j'te le dis! »

« C'est la première fois que j'entends ça. » remarqua Kyoka, déboussolée. « Un client qui laisse carte blanche, sans aucune indication... »

« On s'en fout, de ça! » intervint un Neito carnassier. « L'important, c'est qu'il l'ait invité à le rejoindre! Il est mordu, c'est sûr. »

« Rhaa, ferme-la! » le tança le mauve en plaquant ses paumes sur ses oreilles. « Dis pas des trucs comme ça, c'est encore plus gênant! »

« Si tu veux mon avis, tu devrais y aller. »

L'intervention de Shota fit redescendre la pression et apaisa un peu la panique de son apprenti.

« Il n'a aucun tatouage. » poursuivit-il, dévoilant le contenu de leur conversation. « Ce serait une belle occasion de lui montrer nos compétences et de lui donner goût au body art. »

« Mais, et si je me foire? Ça détruirait ma réputation! » répliqua Hitoshi.

« Et si tu réussis, elle n'en serait que renforcée. »

Merde, il marque un point.

« Il a raison, Toshi. » le poussa son meilleur ami d'une intonation plus calme. « Tu vas lui créer une œuvre tellement fabuleuse qu'il voudra t'épouser. Fonce! »

Kyo et Eiji acquiescèrent vivement, enthousiasmés par les propos du blond.

« T'es super doué! » l'encouragea la brune en levant les pouces en l'air. « Impossible que tu te plantes! »

Vaincu, le concerné soupira. Il ne s'agissait que d'un petit rendez-vous, pas vrai? S'il ne le sentait pas, rien ne l'empêcherait de fuir...

« Bon, OK. »

À l'instar du Eraser Head, le Chargebolt était en vogue : attirant les jeunes consommateurs, il charmait de par son cadre lumineux et vintage, chargé d'accessoires farfelus et rythmé de sons modernes. Bien sûr, sa carte n'était pas en reste puisqu'elle proposait des plats chauds et des pâtisseries faites maison, ainsi qu'un large éventail de boissons. Les membres du shop adoraient s'y rendre.

Une fois sa journée terminée, Hitoshi se posta à quelques pas de la devanture, le visage éclairé de ses néons. La nuit était déjà tombée, ce qui l'inquiéta malgré lui : après tout, il avait fini tard... Et s'il n'était plus là?

Lorsqu'il osa enfin franchir la porte agrémentée d'un petit carillon au son cristallin, il fut soulagé : le doré, Denki, l'avait attendu. Aussi, en dépit de son envie contradictoire de rebrousser chemin, il prit son courage à deux mains et se faufila entre les tables pour le rejoindre.

« Content de te voir! J'étais sûr que tu finirais par te pointer. » le salua le jeune homme, ravi.

Son immense sourire contraignit le mauve à jouer nerveusement avec l'une de ses chevalières, incapable qu'il était de gérer la montée de sérotonine dans son organisme.

« Désolé de t'avoir fait poireauter. Tu peux remercier mes collègues, ce sont eux qui m'ont poussé à venir. » grommela-t-il en s'installant sur le fauteuil d'en face.

« T'as pas envie de me connaître. » constata simplement son interlocuteur.

« Disons plutôt que ton idée me... déstabilise. J'ai jamais expérimenté, normal que ça me foute les chocottes. »

« Je suis ton premier, alors. Ça me flatte. »

« H-hein? Qu'est-ce que tu vas t'imaginer? »

« Du calme, j'te fais marcher! »

Son rire communicatif le pétrifia, le transperça d'une nouvelle cartouche en plein cœur.

C'était de pire en pire.

« Bon, et si on venait à ton... truc? » reprit-il en fuyant son regard topaze.

« Tu veux pas commander d'abord? Je t'invite. »

« J'ai pas besoin que tu... »

Avant qu'il n'ait le temps de refuser, Denki s'éclipsa et se dirigea vers le comptoir bondé. Frustré, le tatoueur s'en détourna – il était trop stressé pour s'opposer fermement à celui qui le mettait dans cet état.

Dans quoi je me suis embarqué?

Plutôt solitaire, il ne sortait que rarement de son antre aux murs sombres surchargés d'illustrations. Le petit appartement, situé à deux pas du Eraser Head, représentait pour lui une cachette sûre dans laquelle il pouvait être lui-même sans craindre le jugement affligeant des autres. Oh, bien sûr, il se sentait en sécurité au salon, apaisé par la musique des aiguilles et les conneries de ses camarades – cependant, il avait aussi besoin d'un endroit où savourer le silence qu'il affectionnait en fin de journée.

Le Chargebolt était donc loin de cette quiétude qu'il recherchait en temps normal... Sans compter le bouleversement occasionné par ce client fêlé.

« Leçon numéro une : j'adore les agrumes. »

Hitoshi sursauta quand le fêlé en question posa deux grands verres sur la table, remplis de liquides sucrés.

« Merci mais... j'aime pas trop ça. » avoua-t-il, penaud.

« Pas grave, personne n'est parfait. Tu vas apprendre à aimer, crois-moi. » lui glissa le blond en s'asseyant.

Il s'empara d'un des récipients et le porta sans plus attendre à sa bouche, se délectant visiblement du jus orangé aux discrètes touches de rouge. Il le reposa après en avoir savouré la moitié, puis s'attaqua à l'œillade suspicieuse de son voisin.

« À toi! »

« Y'a quoi dedans? »

« Orange, citron et une pointe de fraise pour adoucir. »

Le mauve n'osait pas suivre le mouvement, guère rassuré par la pulpe qu'il discernait. Il n'arrivait pas à déterminer si elle le dégoûtait ou non.

« Arrête de le mater et lance-toi! Tous leurs cocktails et smoothies sont frais du jour, y'a pas mieux. » tenta de le tranquilliser Denki, amusé.

Il se lança donc et commença à boire, prêt à retenir sa respiration si nécessaire pour ne pas trop sentir le goût... Il fut plutôt surpris : la saveur sucrée des fraises cassait l'acidité des agrumes. L'ensemble lui procura une sensation légèrement pétillante et assez agréable.

« Alors? »

« C'est bon. »

« Tu vois, j'avais raison! »

Il se contenta de hocher la tête, forcé de l'admettre.

« C'est quoi la prochaine leçon, du coup? » s'enquit-il, revenant à leur sujet principal.

« T'en redemandes déjà? »

« Arrête avec tes phrases tendancieuses! »

Nouveau rire, nouvelle claque dans la gueule.

« Désolé, j'suis insupportable. » lui accorda Denki en retrouvant un semblant de zèle. « Excuse-moi si je t'ai mis mal à l'aise. »

« P-pas de souci. »

Il n'était quand même pas en train de rougir comme un ado en proie aux hormones, là?

« T'es mignon, tu sais? » reprit le doré en le détaillant avec bienveillance.

Il veut me tuer, en fait.

« Tu t'attendais à ce que j'sois un métalleux hardcore du Hellfest? »

« Moi, non. Mais d'autres pourraient. Les clichés ont la dent dure. »

« C'est plutôt... cool. Que t'aies pas ce point de vue pourri, j'veux dire. »

« Je suis pas tatoué, mais j'admire vraiment l'acte. C'est super de marquer son corps pour le faire sien. »

« Si c'est si important, tu devrais pas confier une telle mission à quelqu'un que tu viens à peine de croiser. »

« On va devenir amis avant que tu me massacres la viande, voyons! On n'est pas des animaux. »

« Amis? »

« C'est bien pour ça que t'es là, non? »

« Je pensais que c'était juste pour faire connaissance. »

« Mes félicitations pour l'éclosion de ta vie sociale. »

« Je connais même pas ton nom de famille! Ni ton âge, ta profession – rien! »

Denki lui tendit alors sa main droite, ouverte en un signe incitatif. Hitoshi savait que, s'il la serrait, c'en serait fini. Aucun retour en arrière possible.

Il ne put s'en empêcher.

Sa paume était douce, encore fraîche d'avoir tenu son verre. Ils échangèrent une poignée assurée, qui ne fit que perturber un peu plus les battements de son pauvre cœur indécis.

« Je recommence : enchanté, je suis Denki Kaminari. »

« E-enchanté. Hitoshi Shinso. »

Denki était un barman très apprécié d'une petite vingtaine d'années. Il bossait dans une boîte de nuit branchée du coin depuis la fin de ses études en hôtellerie, appelée King Bomberkill. Salarié et ami du diabolique Katsuki Bakugo, un client régulier du shop, il bénéficiait d'un aménagement conciliant de ses horaires, lui permettant notamment d'être auprès du Mindbreaker ce soir-là.

Bizarrement, ils se découvrirent très peu de points communs, ce qui désespéra Hitoshi au début. Comment était-il censé travailler pour quelqu'un qu'il était infichu de comprendre? Puis, tout compte fait, ces différences s'avérèrent particulièrement intéressantes, puisqu'elles révélèrent une complémentarité quasi parfaite entre eux.

Là où Denki adorait la musique électro, les ambiances exaltées et les danses interminables, Hitoshi préférait le rock américain, les réclusions propices à la créativité et les balades tranquilles. Quand le premier rêvait de voyage et de nouveaux horizons, le second se contentait aisément d'un endroit modeste, non loin des boutiques de fournitures artistiques essentielles à son épanouissement.

Le doré aimait l'idée de l'amour. Il était au fond un grand romantique qui se visualisait dans les rues pavées de Paris avec sa moitié, ses doigts entremêlés aux siens et des baisers volés au bord des lèvres. Il en parla avec une éloquence qui fascina le mauve, qui ne s'était jamais vraiment intéressé à la chose.

Il y croyait peut-être aussi, l'imaginait parfois. Il n'avait pas de critères physiques ou éthiques définis, puisqu'il ne tentait pas de combler le vide sentimental auquel il était habitué. Pour lui, seuls comptaient son dermographe et ses croquis...

Jusqu'à ce qu'il débarque.

Le Chargebolt fermant à vingt-deux heures, ils furent obligés de sortir dans le froid automnal alourdi par la bruine. Ils n'avaient pas cessé une seule seconde de bavarder, listant tour à tour leurs parcours, leurs centres d'intérêt, leurs envies. Le plus grand en était choqué : lui qui détestait s'éterniser...

« Merci d'être venu, Hitoshi. »

Sous les lumières des lampadaires, l'invité prit le temps de le graver dans son esprit – juste pour booster son inspiration. Il l'admira, profita encore un peu de lui : son adorable visage rond, ses lèvres ornées de snake bites, ses iris ambrés, sa chevelure folle frappée d'un éclair...

Sa profonde gentillesse, la gaieté fermement accrochée à ses Doc Martens.

Ce mec était un putain de soleil.

« Merci à toi pour, euh... tout, je suppose. » marmonna-t-il en réajustant son écharpe.

Souris-moi pour toujours, d'accord?

« Alors, tu as envie de travailler avec moi? Je t'ai convaincu? »

« Ouais, c'est OK. Je dessinerai ton premier tattoo. »

Denki le remercia chaleureusement, allant même jusqu'à lui offrir une brève étreinte. Dans quel traquenard s'était-il engagé?

« Ce serait bien qu'on se... revoie. » lança-t-il soudain en envoyant bouler sa réserve. « Histoire que j'aie une vision plus précise de toi. »

« Carrément! On pourrait faire ça au Bomber, si ça te tente? »

Hitoshi fut heureux de constater que la perspective de passer un autre moment en sa compagnie ne semblait pas le déranger. Au contraire, il avait l'air enchanté.

« Dis-moi juste quand et je m'arrangerai pour t'y rejoindre. » accepta-t-il. « Par contre, j'te préviens : l'électro et moi, ça fait deux. »

« T'inquiète, va! Si j'ai réussi à te réconcilier avec les agrumes, ça devrait pas être un problème. »

« Tu m'as l'air bien sûr de toi. »

« J'te ferai même danser, tiens! »

« Tu t'engages sur un terrain glissant. T'as pas envie de voir ça. »

« J'ai envie de te revoir, toi. »

« P-pour parler du tatouage? »

Il n'eut droit à aucune réponse claire. À la place, Denki le contempla quelques instants sans un mot, avant de lui tendre un bout de papier froissé.

« Mon numéro. Envoie-moi un message, OK? »

Puis il le quitta en traversant la route jusqu'au trottoir opposé, l'abandonnant aux mille questions accumulées qui lui vrillaient le crâne.

Confortablement installé dans son lit, Hitoshi effaça son calque pour la énième fois. Tablette sur les genoux et armé de son stylet, il s'escrimait sur son esquisse depuis des heures. Il avait essayé de réaliser plusieurs éléments qui lui paraissaient représentatifs de la personnalité du doré, mais aucun ne rendait justice à l'image flamboyante qu'il en avait. À croire qu'il n'était plus capable de bosser, toute objectivité évaporée...

Il faudra que j'en parle à Neito.

Claqué, déçu de ses maigres idées, il lâcha un soupir interminable et se résolut à verrouiller son écran. Il espérait sincèrement qu'elles se préciseraient au fil des tête-à-tête.

Il finit par chopper son portable posé sur la table de chevet, le pouce levé au-dessus du contact créé sitôt la porte de son studio fermée. Il avait besoin de lui écrire, même s'il ne savait pas comment s'y prendre. Devait-il garder une certaine distance? Après tout, ce mec était désormais l'un de ses clients...

La réponse, qu'il n'attendait pas si tôt, lui parvint dans la minute. Cette rapidité réveilla les papillons agressifs qui créchaient maintenant dans sa poitrine.

Ils se reverraient donc dans sept longs jours.


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