𝐕𝐈. SCISSOR
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Une légère sonnerie, ferme et claire, retentit dans la cabine de surveillance.
C'est l'horloge numérique, posée sur l'unique bureau de la pièce, qui en est à l'origine.
Elle affiche tout juste 3 heures du matin.
La lumière des chiffres de son cadran, d'une couleur écarlate, traverse la petite cabine obscure. Elle éclaire faiblement la main mécanisée d'Helphys et la mienne, habillée d'une mitaine en cuir.
Je les fixe silencieusement, la gorge nouée, en distinguant parfaitement la silhouette de mes doigts à travers les ténèbres ; l'index et le majeur sont levés.
J'ai fait ciseau.
Un énième crissement désagréable accompagne le mouvement d'Helphys, lorsqu'il releva la tête pour constater le résultat. Je crois l'entendre émettre un rire, à la fois enjoué et amer. L'ours métallique prononce ensuite, d'une voix artificielle parfaitement audible :
« - Égalité. »
J'arrive alors à apercevoir l'entièreté de sa main.
Deux doigts redressés, les trois autres repliés.
C'est un « ciseau » général.
Une partie sans gagnant, ni perdant.
« - Eh bien... La chance est de mon côté, on dirait. » je commente, avec surprise, en serrant le poing.
Je ramène ma main vers moi, en jetant un œil à mon interlocuteur.
« - Oi. Un deuxième round, ça te tente ? Un match nul ne nous- »
« - Non. »
La voix d'Helphys dérailla un peu, en prononçant ce simple mot... Sans doute à cause d'une défaillance au niveau de sa boîte vocale, qui l'aurait empêché de parler correctement.
Ses épais doigts violets se replient, les uns après les autres, dans un même claquement métallique peu agréable à entendre. Quelques spasmes mécanisés secouent son corps entier, sans qu'il ne puisse les retenir, avant qu'il ne parvienne à articuler :
« - T-Tu pensais─ que je n'allais rien remarquer ? Pas vrai ? »
« - Hein ? Que veux-tu dire ? »
Helphys me répond aussitôt, sans me quitter des yeux :
« - Tu as triché. »
Un silence. Je ravale ma salive, avec ce même air désappointé collé au visage.
Helphys bat des paupières, avec la même lenteur qu'un animatronic lambda, avant d'à nouveau ouvrir sa mâchoire.
Cette fois, le ton qu'il emprunte n'est troublé par aucune interférence sonore :
« - Jouer contre un tricheur, ce n'est pas drôle. Je ne vois pas l'intérêt de continuer. »
« - Très bien ? » je déclare, la mine défaitiste. « Tu as l'air si sûr de toi, Helphys... Pourtant, je suis un honnête homme. Qu'est-ce qui te fait dire que j'ai triché ? »
« - Ne fais pas semblant. »
De nouvelles secousses mécaniques font trembler son corps, avant qu'il ne rajoute d'un ton implacable :
« - La probabilité que tu survives en jouant à la loyale... Elle était trop faible. »
« - Oh. Combien ? »
« - 0,002 %. »
(J'en étais sûr...)
Encore heureux que je n'ai pas été assez cinglé pour parier avec lui sans préparer la moindre ruse. Je n'avais absolument aucune chance. En y repensant, c'était peut-être ça qui l'amusait dès le départ. Peuh...
J'ignore qui a pu concevoir un arnaqueur pareil, mais je ne le remercie pas d'avoir implanté dans ses systèmes un sens de la répartie aussi morbide.
« - Je vois, je vois... Les chiffres parlent d'eux-mêmes ! » j'admets alors, en m'affalant tranquillement sur mon siège. « Tu m'as démasqué, Helphys. Félicitations. »
« - Sale tricheur. »
« - Tu veux savoir comment j'ai fais ? »
Cette phrase a l'air d'interpeller Helphys : il incline sa lourde tête sur le côté, à la fois curieux et méfiant. L'ombre à ses côtés s'amplifie, comme pour assurer sa protection, avant de régresser d'elle-même lorsque l'animatronic lui indiqua discrètement de ne pas agir.
Je me contente de lui sourire, en prenant garde à ne pas le fixer trop longtemps :
« - Après tout, nous sommes amis. Ça ne me dérange pas de te révéler comment j'ai fais pour tromper ta vigilance... Ce sera notre « secret », rien de plus. »
« - Pourquoi devrais-je t'écouter ? Ton offre ne m'intéresse pas. »
« - C'est pourtant l'unique moyen pour qu'un humain triomphe d'un prodige comme toi à chaque jeu de hasard. Avec une chance de réussite de 100 %.
Tu veux retenter le coup ? Ma vie, ma maison, mon emploi...
J'aurais beau tout parier, tu ne gagneras jamais. Je te le garantis. »
« - Je t'ai dit que j'avais perdu l'envie de jouer contre t-toi─ tricheur. Et nous n'aurons pas le temps de jouer encore et encore, ici. Il ne te reste que deux heures, cinquante-six minutes et quinze secondes de travail. »
« - Alors, il te suffit d'accepter que je te dévoile ma technique ! Ça ne prendra qu'un instant. Je te laisse le choix. »
« - ... »
C'est déstabilisant de voir combien il ressemble à un enfant, parfois...
J'ai piqué sa curiosité ; suffisamment fort pour qu'il envisage une toute autre alternative à ses plans.
Négocier avec lui n'est pas si difficile, en fin de compte. Il m'a suffit de lui parler calmement, sans précipiter les choses. De façon plausible et sérieuse.
J'aurais probablement procédé d'une façon similaire face à mes propres enfants, si l'un d'entre eux se montrait capricieux ou renfrogné.
(en supposant que j'ai la patience de mener une telle négociation...)
Fascinant...
Ce robot est fascinant.
Le programme qui lui a été implanté EST fascinant.
Qui a bien pu créer un tel bijou de technologie ?
Et surtout... comment ?
« - Si j'accepte ton offre, William... » commence Helphys, visiblement indécis. « Tu ne me parleras pas de Vincent. C'est ça ? »
(...Tss... il est tenace.)
« - Très juste. C'est un échange de bons procédés, donc je garderais le silence sur cet homme. »
« - Mais je voulais entendre parler de lui ! »
« - Tu n'es pas perdant pour autant. Au contraire... Ce que je te propose est plus amusant qu'une anecdote longue et ennuyeuse, tu ne penses pas ? »
L'automate disjoncte, dans une secousse provoquée par ses spasmes mécaniques, avant de reprendre aussitôt contact avec la réalité en redressant sa structure métallique ; une curieuse façon de réfléchir avant sa prise de décision.
Un robot autonome ?
Une IA capable de réfléchir par elle-même ?
Ici, enfermée dans une pizzeria pour enfants aux US ?
C'est l'impression que donne Helphys en communiquant ainsi au service de nuit, avec autant de naturel et d'aisance qu'un humain.
À priori, Henry ignore depuis le début combien cette capacité de réflexion dépasse l'entendement.
Le connaissant... s'il découvrait cela, il aurait probablement pris des mesures adéquates pour éloigner Helphys du grand public, afin de plus facilement résoudre son mystère.
Sans pour autant le jeter dehors et le laisser tomber entre de mauvaises mains.
...Peut-être en l'affectant au service de nuit, en tant « qu'assistant » ?
Sans en parler à qui que ce soit.
Quitte à mettre sous silence quelques dommages collatéraux... des « accidents » morbides...
Qui sait.
Qui sait ce dont tu serais capable pour protéger les tiens et résoudre cette terrible énigme...
Henry Emily.
« - C'est d'accord. Je veux bien t'écouter, William. » m'annonce Helphys en me faisant, par la même occasion, sortir de mes pensées tortueuses.
Mon attention se focalise non pas sur mon interlocuteur, mais sur cette ombre si proche de lui. Ce sinistre personnage qui ne cesse de nous surveiller depuis tout à l'heure. J'ignore s'il est réel, ou le fruit de mon imagination.
Un bienfaiteur lugubre dont la présence n'interroge absolument pas Helphys...
Il a même l'air au courant de sa présence, avec une indifférence qui me laisse perplexe.
Que sait-il de cette chose ?
Je ferai mieux de l'ignorer, le temps que cette veillée se termine...
« - Entendu, Helphys. » je lui réponds, en renchérissant d'un air plus théâtral. « Place aux révélations ! »
« - J'irai droit au but. » ajoute-t-il, captivé, en se penchant légèrement vers moi. « Qui t'a soufflé la réponse, en te disant que j'allais faire « ciseau » ? »
À ses paroles, je ne peux m'empêcher de rire :
« - Quelle perspicacité ! Tu m'impressionnes, mon ami... Sérieusement, je suis bouche bée. »
L'animatronic violet ne cherche ni à me répondre, ni à m'interrompre. Il m'écoute simplement, sans prononcer le moindre mot. Cela me donne l'occasion de continuer mon discours, avec davantage d'aisance :
« - En effet, c'est grâce à quelqu'un si j'ai pu m'offrir la victoire... »
Je lève les yeux vers Helphys, sans craindre de croiser son regard écarlate.
« - Quelqu'un que je connais depuis longtemps. Très longtemps.
Je dirais même que... lui et moi ne sommes devenus qu'un. »
Le regard d'Helphys se détourne du mien, attiré par une soudaine lueur violette. Elle provient de cette partie du mur juste derrière moi...
Celle en train de se distordre, de se reformer et de se détruire à l'infini, pour laisser place à notre fameux invité-surprise.
L'horloge numérique s'éteint.
« - Tu es le premier, l'ami.
Le premier à découvrir ce à quoi il ressemble. En temps normal, il n'y a que moi qui puisse le voir ou l'entendre...
Il m'est impossible de le faire venir autant que je le souhaite. Mais... un marché reste un marché, n'est-ce pas ? »
Je le devine à mes côtés, silencieux et souriant, en train d'agiter sa main jaunie pour saluer Helphys et son étrange protecteur.
Telle une illusion, son aura colorée trouble l'image de ce masque repoussant qu'il ne cesse de porter depuis notre rencontre.
Celle d'un lapin au sourire atroce, semblable aux mascottes dont l'on concevait autrefois les costumes chatoyants...
« - Ce n'est ni une personne. Ni un fantôme, ou toutes ces idioties de science-fiction...
Il est bien puissant plus que ça. »
Il l'attendait, cette unique apparition dans le monde réel.
Cela fait plus de 20 ans qu'il la languissait.
« - Dis bonjour à nos chers camarades de nuit... »
Je peux l'entendre rire, rire encore et encore dans un coin de mon crâne.
« - Glitchtrap. »
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