Chapitre 9 : Les Bois verts, en route vers la Tour 2/3
Fabiola
Un insecte maladroit escaladait la joue de l'étranger, ses petits pieds s'accrochaient aux poils courts qui dardaient au travers de sa peau claire. L'humain dormait paisiblement. Ses longs cils châtains semblaient danser sous les lumières fraîches des premiers matins hivernaux. L'unicorne de chitine violette continuait son chemin et entreprenait à présent l'ascension du nez. Son propriétaire retroussa les narines sous la chatouille. L'insecte déploya ses ailes, les trémoussa et prit son envol dans un ronron métallique.
Tim secoua une main devant son visage et sans se réveiller se tourna sur le dos. Fabiola esquissa un sourire. Installée tout proche de l'endormi, elle scrutait depuis quelques longues minutes celui qui chamboulait tout et qui, elle en avait l'intime conviction, apportait avec lui le sillon d'un changement profond.
Elle n'osait pas troubler le repos de son nouvel ami.
Elle s'était réveillée avec le chant des rouges-queues, les premiers à commencer le récital des oiseaux matinaux. Ces frêles moineaux achevaient leur migration annuelle, ils passaient le printemps et l'été dans les neiges éternelles du royaume de Dweorgg puis revenaient pour l'hiver doux des Terres plus chaudes d'Alfheim et d'Alfdarheim.
Le maréchal et le mage avaient quitté leurs couches dès les premières lueurs de l'aube. La Kréture avait d'abord observé autour d'elle, plissant les yeux et tendant les oreilles. Elle s'était rendue à l'évidence, elle se retrouvait seule avec l'humain.
Elle ne comprenait pas entièrement l'intérêt que tous lui portaient. Qu'il avait traversé l'Arche n'était pas une prouesse en soi, du moins le pensait-elle. Ce qui était étrange, c'était qu'elle se soit réanimée... Ce qui était encore plus préoccupant, de son avis, fut la façon dont la reine avait traité Tim. Elle l'avait bien cherché à l'étrangler. Que s'était-il passé ? Fabiola n'appréciait pas l'air de la souveraine lorsqu'elle les avait congédiés.
Tim plissa sa bouche et soupira d'aise. Quoi que ce dernier rêvait, Fabiola le supposa plutôt agréable. Elle gloussa comme une enfant.
— Que fais-tu Kréture ? Te savoir à nos côtés est déjà assez irritant sans que tu ne l'examines de la sorte ! Comptes-tu le manger ou t'acoquiner ? fusa la voix du mage.
La féline rousse releva la tête et toisa Toth, sorti d'une touffe d'arbrisseaux vert tendre, avec tout le mépris dont elle était capable. Ses lèvres fines se plissèrent et un long son de succion ponctua l'avanie dont elle le gratifiait. Cette pratique de communication corporelle, typique des Kréturs, insultait le mage plus qu'il ne pouvait l'imaginer. Derrière lui suivait Herr, la mine sombre et les joues crispées. L'officier raviva le feu et déposa les restes de la veille. Il y ajouta quelques feuilles fraîchement cueillies. Le mélange bullait. Fabiola grimaça.
Quelle drôle de pensée que de croire qu'elle voulut s'acoquiner avec une bête si vilaine, même si elle appréciait sa compagnie. Le mage déraillait. Quant à le manger, cette éventualité la fit saliver quelques secondes avant que son ventre ne lui rappelle, qu'elle mourrait de faim.
Elle reconsidéra Tim. Elle le trouvait trop repoussant pour le trouver appétissant. L'humain se frotta les yeux, toujours profondément endormi.
Toth secoua sans délicatesse sa couche et commença à la rouler.
— Chut, tu vas le réveiller, souffla la fée un doigt sur ses lèvres.
Le mage releva le menton, fourra la couverture dans ses fontes et tira fort sur la sangle autour de son sac de voyage.
— C'est exactement ce que je vais faire ! Il est temps pour nous de plier bagage. J'ai ramené de quoi nous remplir l'estomac avant de reprendre la route. Ne traînons pas d'avantage. Mage, je t'ai vu invoquer les démons de ton peuple. Je te demande de ne plus le faire, tu nous apporteras les mauvais esprits. À présent, laissez-moi secouer l'objet de nos inquiétudes, s'exclama le maréchal Herr en pointant un doigt sur l'humain endormi.
— Mais, que... Je priai. Je ne m'adonne pas à de vilains sortilèges, se justifia Toth, nous ne vénérons pas les démons.
Le maréchal grogna en réponse. Il s'approcha de l'humain, casserole à la main et la lui passa sous le nez de Tim.
L'effluve tiède percuta directement les sinus du jeune homme. L'amertume le frappa en premier. Le fumé âcre avait des relents d'herbes en putréfaction, avec un arrière-goût de soufre. Tim ouvrit grand ses yeux et crut rendre les restes de la veille. Il se maintint la bouche et fut saccadé par des hauts le cœur.
— Ça pour un réveil, mon bon maréchal, c'est réussi ! Mais je ne suis pas sûre que la chose lui soit agréable. Pauvre bête qui dormait si paisiblement, déclara la fée.
Tim se ressaisit. Il poussa ses couvertures et s'assit en tailleur. À quelques centimètres de son visage, Fabiola le scrutait de son regard de poix et d'or. Elle approcha sa tête et lui confia :
— Je t'assure, cette infâme bouillie réveillerait les morts. Je t'ai bien observé lorsque tu dormais et je t'avoue que tu n'es pas si impressionnant que ce que raconte les légendes.
Elle se souvenait des histoires que lui racontait son grand-oncle, une vieille Kréture à la peau fripée et verte grenouille. Il les avait décrits géants et dépourvus de beauté. Selon le gnome plurimillénaire, les Humains possédaient des griffes empoisonnées, un cerveau pas plus grand qu'une noix et le cœur sec comme le désert du Kemenur. Elle se souvenait qu'enfant, ses camarades s'amusaient à lui faire peur, une vieille légende disait que les humains viendraient et celle qui anéantit avec. Ils étaient bien venus, la destruction aussi. Elle avait vécu ces années cachées dans les bois, elle n'avait jamais vu d'humains. Les Kréturs avaient préféré se terrer au lieu d'affronter la menace. Les Alfes et les Alfdarhs les avaient chassés pour leur couardise. Elles avaient réussi à faire la paix avec les Alfes, mais leurs cousins trop vaniteux refusèrent leurs excuses. Heureusement, les Arcanes réussirent à faire signer un traiter de sauf-conduit. Plus personne ne pouvait s'attaquer à elles, mais elles devaient payer leur dette à ceux qui avaient combattu à leur place.
Toutes ces histoires se mélangeaient et s'embrouillaient dans sa mémoire, mais ce dont elle était certaine, c'était que Tim ne ressemblait pas du tout à ce qu'on lui avait appris.
— Tu le matais, oui, enfonça Toth. Et que sais-tu des légendes sur les humains ? se moqua-t-il.
— Des choses qu'on raconte... s'embrouilla-t-elle. Et toi, que connais-tu vraiment des humains ? Que racontent vos fameux chamans ? Je parie qu'ils n'en savent pas plus que mon grand-oncle tout ridé. Et pour ta gouverne, je te signale que je le surveillais, se justifia-t-elle. Il parlait dans son sommeil.
Elle se grandit dans un claquement de doigts et défia le mage d'un regard accusateur.
— Du calme vous deux, tempéra Herr. Ma soupe n'est pas si mauvaise et en ce qui concerne les humains, seuls les Arcanes pourront nous répondre. Ils savent tout.
La Kréture se détendit et acquiesça outrageusement. Les Arcanes étaient les êtres les plus savants et sages de Yggdrasil. Elle se souvenait parfaitement du jour où le grand Gwendall lui avait confié la noble tâche de garder l'Arche, sa mare et ses petits habitants. Elle avait pris soin de tous ces petits êtres, et s'était assuré l'harmonie dans ce microcosme. Ce rôle la rendait fière et importante, même si au fil des siècles, la superbe de sa tâche s'était effritée, jusqu'à devenir une relique parmi les reliques. De son aspect de jeune fille, tous la prenaient pour une jeune Kréture, mais elle dépassait l'âge de bon nombre d'habitants de Yggdrasil. Elle avait vu naître son roi et sa reine, et ne se souvenait pas de sa propre naissance. Elle savait juste qu'elle fut une enfant, que son oncle n'était pas réellement de sa famille et qu'elle appartenait à la race originelle des Kréturs, premiers peuples d'Yggdrasil.
Tim dévisageait le militaire avec intérêt.
— J'ai hâte de rencontrer ces fameux Arcanes, déclara-t-il.
Toth hoqueta de désapprobation. Fabiola acquiesça sagement, elle ne les craignait pas et tout comme Herr, elle les respectait.
L'humain reposa son bol à moitié plein.
— Sont-ils des religieux ? Des sages ? persista-t-il.
Le mage lui jeta un fruit bleu, l'humain l'attrapa avec souplesse.
— Tiens, ce sera bien meilleur que ce potage. Tu y trouveras assez d'énergie pour la suite de notre périple.
— Merci.
Le jeune homme tourna entre ses mains ce qui ressemblait en tout point avec une orange. La peau ferme et granuleuse sentait bon les agrumes. Il regarda le maréchal s'éloignait vers les heidruns et jeta le contenu de son bol dans les braises éteintes. Le mage répondit enfin à la question.
— Les Arcanes sont des sages, ils se sont donné pour mission de protéger ce monde. Ils détiennent un grand savoir et de puissants pouvoirs. Même si les miens ne sont pas toujours d'accord avec eux, nous les respectons quand même, expliqua Toth en choisissant chacun de ses mots pour ne pas animer le maréchal.
— Tu penses qu'ils auront les réponses que vous cherchez ?
— Peut-être, souffla l'Alfdarh.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top