CHAPITRE 6 : Yggdrasil, la voie des Arches 4/8

Tim

— Ainsi, tu n'es pas le mage antipathique que tu t'efforces de nous montrer.

La voix de Tim sortit le mage de sa contemplation.

— Et toi tu n'es pas un simple humain qui se perd par les voies du Vaïo'ra...

Tim le rejoignit en quelques enjambées, il ne releva pas la remarque du mage. Trop de tension s'était accumulée ce soir et l'attitude de Toth envers Fabiola le confortait dans le fait, que le temps était au calme et à la tempérance.

— Ce que tu as fait pour Fabiola était...

— Ce que je pensais être juste. Je n'ai pas le don de me faire apprécier, mais je ne suis pas aussi exécrable qu'on le dit.

— Je ne te connais pas, qui suis-je pour te juger aussi facilement ?

Tim se colla à la balustrade, les yeux rivés sur la voûte céleste. Le voile nocturne pulsait d'une lueur bleutée. Tant de questions et de peur l'assaillaient, un poids sur sa poitrine l'empêchait de respirer à pleins poumons.

— Je suis perdu. Je ne sais plus ce qui est vrai de ce qui ne l'est pas. Je ne sais pas comment réagir, et à qui je dois faire confiance.

Toth le rejoignit, lui aussi scrutait le ciel qui se chargeait en mana.

— Je ne suis pas ton ennemi et je n'ai pas la prétention d'être ton ami non plus. Ma raison me dit de rester sur mes gardes, cependant je ne peux m'empêcher de vouloir te faire confiance. Qui es-tu vraiment, Tim ? Tu m'as l'air tombé de nulle part, ne comprenant rien à ce qui t'arrives et pourtant, tu agis comme si rien ne t'effraie, que tout t'est familier. Je sais que ce n'est pas le cas.

— Oh, si tu savais ! J'ai une boule d'acide qui me dévore l'estomac depuis que j'ai atterri ici. Je ne parviens pas à m'y faire. Tout est bien trop rapide et inattendu. Rien de tout ceci ne peut être la réalité. Je ne cherche pas à ce que tu me fasses confiance, il est normal que tu prennes tes gardes. Si tu savais, je me sens si seul et démuni.

— Je te comprends... Tu es loin de chez toi, dans l'inconnu. Si je peux, je t'aiderai à rentrer chez toi.

— Merci. Si ce lieu n'est pas un songe, je doute de vouloir revenir chez moi. Sauf pour aider mon ami..., murmura le jeune homme.

— Ce qui s'est passé tout à l'heure avec la reine, comment l'expliques-tu ?

— Je te retourne la question. Que s'est-il passé lors de notre absence ?

Tim ne souhaitait pas revenir sur l'atroce sensation de sa vision, qu'avaient vu et compris les spectateurs de cette scène ?

— Vous êtes tombés en transe, tous les deux. Puis elle t'a saisi à la gorge. J'ai bien cru qu'elle allait te tuer. Galindor et le maréchal étaient à deux doigts de te transpercer, bien que ce soit elle qui essayait de t'exécuter et non l'inverse, expliqua-t-il.

— Et je ne l'ai pas fait... Toth.

— Reine Alerina, souffla ce dernier en baissant le buste dans une révérence maladroite.

Il espérait qu'elle ne lui reprocherait pas ce qu'elle pouvait prendre pour de l'insolence ou de l'ingratitude, mais elle avait bel et bien tenté de tuer l'humain. Elle pouvait donner toutes les raisons possibles et simuler la normalité en congédiant les témoins, mais à un instant elle avait cédé à la folie. Toth en était persuadé.

La reine se posta aux côtés de Tim et ignorant parfaitement son mage elle lui ordonna :

— Disposez, mage. Je dois m'entretenir avec notre visiteur.

Il accentua sa révérence et ajouta avant de disparaître :

— Tim, je suis là si tu as besoin de parler. Je sais ce que c'est d'être un étranger et de ne pas savoir où est sa place, lâcha-t-il en toisant la reine.

Un interminable silence dura entre la reine et l'humain. Tous les deux fixaient le mage qui traversait les jardins royaux. L'Alfdarh se débarrassa de sa tunique en un geste vigoureux et ramassa sa longue chevelure dans un désordre haut perché sur sa tête. Torse nu, il s'agenouilla en levant les mains comme une prière. Les reflets bleutés de la nuit jouaient sur sa peau bronzée, dessinant des lignes sombres et tortueuses qui soulignaient sa musculature aiguisée. Tim le trouvait fascinant, bien plus que la reine et le roi. Toth passait pour un tocard froid et égoïste, mais il était tout autre.

— Je ne comprendrai jamais leur culture. Méfie-toi de mes cousins. Pourtant, Toth n'est pas si mauvais. Il agit comme un enfant gâté qui n'assume pas ses responsabilités, mais il est d'un honneur infaillible. Voilà un trait que j'admire chez eux, commença la reine pour amorcer la conversation.

— Je pense qu'il se forge une carapace. Je ne connais pas vos cousins et ne porterais aucun jugement. Je vous trouve excessivement raciste, reine Alerina.

— Tu auras l'occasion de comprendre le fonctionnement de notre monde. Toth n'est pas mon ennemi, il est mon mage et un bon conseiller.

— Il n'a pas l'air de désirer être ici, cela nous fait un point commun, siffla Tim.

— Tu n'as pas voulu venir en Yggdrasil ? Tu es pourtant là. Que cherches-tu ?

— Je suis ici, mais c'est le hasard, répondit-il las de la suspicion de la reine.

— Le hasard n'existe pas, Tim. Dis-moi tout.

— Que souhaitez-vous que je vous dise ? Que je suis un bon à rien ! Que j'ai laissé la seule personne qui comptait pour moi mourir ! Je n'ai pas voulu de tout ça. Je n'ai pas voulu me retrouver à Svalbard à jouer le soldat de plomb, encore moins prisonnier. La Terre est une prison à elle toute seule. Je n'ai pas voulu me retrouver dans ce putain de glaçon et me faire aspirer par votre satanée Arche. Si ce n'est pas le hasard ou la malchance qu'est-ce ? Le destin ? De la merde, oui. Croyez-vous que j'aie voulu me retrouver face à vous, vos mains sur mon cou ? Je suis terrifié ! Ma vie n'a jamais eu de véritable sens, mais elle en a encore moins aujourd'hui. Je suis effrayé autant que vous l'êtes. Mais je n'ai pas tenté de vous nuire. Comment le pourrai-je ? Je ne suis rien, ici comme chez moi.

— Ne te méprends pas, je n'ai pas voulu te tuer. Tu sais très bien ce qui s'est passé. Tu prétends n'être personne. Mais je t'ai vu dans les flammes, je t'ai vu dominant une montagne de morts. Mon peuple, mort à tes pieds.

— Votre peuple ! Ne me faites pas rire. Vous êtes tous méfiants et belliqueux envers vos prochains. Les Krétures ceci, les Alfes cela et les Alfdarhs autres choses. Vous vous critiquez et insultez sans cesse, ressassant vos différences. Et vous l'appelez votre peuple. Je vous trouve faux jeton, Alerina.

La reine eut un mouvement de recul. Tim se souvint de la puissance de cette dernière, il s'était peut-être laisser emporter, mort de fatigue et de peur.

— Tu as raison, nous avons bien des griefs entre nous. Mais nous sommes le peuple d'Yggdrasil et je ne te laisserai pas lui nuire. Je t'ai vu, présage de mort.

— Mais c'est vous qui vous apprêtiez à la tuer. -Il revit le visage douloureux de Fabiola, eux seuls savaient qui la reine tentait vraiment de tuer- Vous m'avez nommé Hallinskidi. Qui est-ce ?

Alerina baissa la tête honteuse, tous avaient cru qu'elle étranglait Tim, mais dans le songe chimérique, c'était la gorge de la petite créature qu'elle avait tenue dans ses mains.

— Je n'avais jamais entendu ce nom. Notre vision n'est peut-être pas ce qu'elle prétend être ? Quoiqu'il en soit, tu es important. Ta venue est importante. Quelle qu'en soit la raison, elle n'est pas le fruit du hasard.

La reine ne le lâchait pas, elle le soupçonnait vraiment de ne pas être ce qu'il prétendait.

— Vous supposez que je mens ?

Elle s'approcha de lui, prudente et adopta une expression avenante.

— Non, tu dis la vérité. Personne ne peut me leurrer. Je te crois. Ecoute, nous avons mal commencé, je ne te veux pas de mal et perçois de la bonté en toi. Tu me réponds ce que tu penses être vrai, cependant tu ne sais pas qui tu es. Ta place est ici et tu dois en trouver la raison. Le maréchal Herr t'escortera à la tour des Arcanes, ils sauront nous aider.

Il la toisa du coin de l'œil, sur ses gardes.

— Et si je n'accepte pas ?

Elle avait peut-être tout droit sur ses sujets, mais Tim n'en était pas un et il ne se laisserait pas conduire de la sorte. La reine se ferma.

— Tu n'as pas le choix. Personne ne te fera de mal tant que je l'ordonnerai. C'est pourquoi tout à l'heure on t'a laissé partir sans t'occire. Mon jugement est d'or, déclara-t-elle sèchement.

— Est-ce une menace ? Finalement, vous rêverez me tuer.

Alerina incarnait la beauté et la douceur. Tim découvrait qu'il n'en était rien, elle était retorse et déterminée à s'assurer qu'il ne causerait aucun mal. Elle modifia son ton, se voulant paisible et amicale.

— Non, prends-le comme un conseil avisé. Le choix t'appartient, mais ton devoir est de trouver nos réponses. Repense à notre vision. Est-ce que tu souhaites qu'elle se produise ?

— Non, je ne dis pas ça. Mais je me sens... prisonnier. Comme quoi rien ne change, se désola-t-il.

— Nous sommes tous prisonniers du destin. À nous de nous en affranchir. Sincèrement, je devine en toi quelque chose de grand. Sois sage, humain et prends le bon chemin.

« Le destin est un monstre qui vous écrase. », Ada lui manquait tant.

Une vive étincelle marqua le ciel une fraction de seconde attirant l'attention des deux interlocuteurs. Puis des millions de gouttes lumineuses déferlèrent langoureusement du ciel. Tim, émerveillé, oublia un instant la désagréable discussion qu'il venait de terminer.

Son regard dériva sur Toth qui priait toujours, lorsque la pluie l'atteignit une aura l'entoura subtilement. Chaque larme aspirée par la peau du mage. Tout absorbait l'averse enchantée, puis rayonnait de leur aura améthyste. L'herbe, les arbres, les murs du château, tout se gorgeait du divin événement. La reine tendit la main hors du balcon et capta quelques perles de mana. Le phénomène était extraordinaire, Tim voulut lui aussi toucher la douce énergie qui tombait du ciel. Il déploya son bras en écartant les doigts pour saisir l'impalpable. Une sensation de bien-être le parcourut, un picotement qui lui murmurait que tout était normal.

— C'est beau et chaud, commenta-t-il, un sourire d'enfant sur son visage.

Alerina le regarda d'abord emphatique, puis l'étonnement prit place. Le mana touchait Tim d'une façon dont elle n'avait jamais eu connaissance. La pluie le pénétrait d'une teinte bleutée et en ressortait multipliée. Des particules jaunes et or s'élevaient de l'humain dans des tourbillons frénétiques pour s'amasser dans son dos, formant deux ailes oniriques et imposantes. Entre émerveillement et crainte, sa voix trembla :

— Comment fais-tu cela ?

— Faire quoi ?

Tim ne comprenait pas, il s'examina les bras, mais rien ne lui semblait étrange, la reine voyait quelque chose que lui ne pouvait pas.

— Tu es bien plus important que tu ne penses, lui confia la reine en posant délicatement sa main sur l'avant-bras de Tim.

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