CHAPITRE 4 : Yggdrasil, en route vers Albreid 5/6

Tim

Toth pénétra dans les appartements royaux avec toute la noblesse qui l'habitait, son port altier et sa démarche féline n'avaient rien à envier au roi et à la reine. Sa tunique de mage virevoltait dans son sillage. À sa suite, Fabiola avait fait l'effort d'apparaître sous la taille de ses hôtes, elle s'était changée et portait un sari de fine soie vert olive, qui tranchait à ravir sur sa peau brune. Elle perdit son regard dans le tumulte vaporeux de l'aube de Toth.

— Du blanc ! souffla-t-elle, assez fort pour que Tim l'entende. Ce fou porte du blanc.

Elle chercha l'attention de Tim en lui montrant le mage. Elle laissa échapper entre ces dents :

— C'est la couleur royale. Il n'a pas le droit.

Tim arrondit les yeux et la bouche en feignant comprendre l'impair de Toth. Concrètement, il n'en avait cure et ne saisissait pas l'attitude outrée de la fée d'autant, que personne ne semblait avoir remarqué ce qu'elle estimait un affront.

Tim demeura silencieux, curieux de rencontrer les dirigeants de la cité et sûrement trouver une issue à son problème. Tim écoutait à la lettre les conseils que ses nouveaux compagnons lui avaient prodigués. Ne pas regarder les seigneurs avant qu'ils ne l'aient fait en premier, répondre aux questions et n'en poser aucune. Sur ce point, il savait déjà qu'il y dérogerait ; des interrogations, il en avait et il les énoncerait. L'officier qui les avait accueillis n'était rien de moins que le chef des armées alfiques, le maréchal Herr. Son heaume intégral dissimulait son visage, mais la visière laissait luire des yeux outre-mer d'une fermeté infaillible. Il se posta à droite des souverains leur adressant un salut énergique.

— Toth, Fabiola. La Reine et moi vous félicitons. Vous avez ramené la source qui a troublé le repos de l'Arche. Dame Fabiola, vous pouvez disposer. Quant à vous, Toth, restez. Nous aurons besoin de vos précieux conseils, déclara Galindor sur un ton neutre.

Fabiola afficha une mine déconfite. Elle baissa son joli minois en éteignant progressivement son sourire. Résignée, elle s'inclina dans une révérence maladroite. Toth sembla compatissant, une expression triste fut balayée par de l'audace. Il attrapa la main de la fée et tint tête au souverain.

— Roi Galindor, si céleste Alfe. Dame Fabiola a montré un dévouement et une motivation étonnante lors notre courte quête. Étant gardienne de l'Arche, ne mérite-t-elle pas de connaître ce qui se dira ici et maintenant ? Elle est autant impliquée que nous tous, et sa présence est peut-être la volonté des dieux, anciens et nouveaux.

Le rouge monta aussitôt aux joues de la fée. Tim renforça son idée que Toth n'était pas ce qu'il s'évertuait à montrer.

Galindor fit mine de réfléchir. Il soutint le regard de l'Alfdarh, aucun ne semblait capituler.

— Ainsi soit-il, Toth, fils de Thuin. Tu ressembles tant à ton père.

Le roi laissa traîner la fin de sa phrase, tête dressée et torse gonflé, histoire de lui rappeler à qui il s'adressait.

La kréture tourna un visage empli de gratitude envers Toth. Il lui lâcha la main vivement, comme s'il avait été brûlé et la secoua plusieurs fois. Choquée Fabiola se rebuta : — je te trouvais exécrable. Non, tu es pire.

Galindor ignora le mage et la fée pour se concentrer sur ce qu'il considérait la source de bien des problèmes à venir. Il détailla Tim sans retenue, ce dernier devinait sans mal ce que pensait le roi : de corpulence tout à fait honorable. Musclé et élancé, il ne se présentait pas comme une grande menace. Le roi devait le trouver même ordinaire et sans attrait. Galindor sembla déçu, il s'attendait à autre chose. Dans sa simple tunique en lin écru, empruntée à Toth, le jeune homme que Galindor examinait silencieusement contemplait les yeux grands ouverts ce qui l'entourait. Balayant sa tête de gauche à droite, Tim était impressionné.

— Quel est le nom de celui qui a voyagé au travers de notre Arche ? Dois-je lui souhaiter la bienvenue ou le considérer comme un ennemi ? commença Galindor.

Tim se reprit et cessa son observation. Tout en ces lieux lui rappelait les vieilles histoires que lui contait sa grand-mère. Les boiseries et les tentures imitaient un entrelacs de végétation d'un faux désordre, calculé et graphique. Il s'attarda sur le maréchal Herr immobile, ses yeux rivés sur lui. Tel un oiseau de proie, il était prêt à fondre sur la moindre menace, les mains posées sur le pommeau de son sabre en demi-lune pendant contre sa hanche droite.

— Souverains d'Alfheim. Je me présente à vous sans intention de vous nuire. Je me nomme Tim Heltsen, répondit-il en cherchant l'approbation de Toth.

Le mage lui avait expliqué le protocole des Alfes, chaque mot devait être choisi pour plaire aux hauts d'Alfheim. L'Alfdar lui sourit imperceptiblement, Tim avait réussi. Il attendit que le roi ou la reine reprenne la conversation.

— Comment connais-tu le langage commun ? s'étonna le roi.

— Un mystère dont la réponse nous échappe encore, intervint Toth. Il me certifie qu'il pense et parle sa langue maternelle. Roi Galindor, Reine Alerina, je crois cet humain assez honnête pour ne pas me mentir. Sous ce calme apparent, je vous assure qu'il tremble comme une feuille.

Tim renforça son opinion sur le mage, décidément, il devenait un allié évident. Il prenait son parti devant ses souverains et évaluait avec justesse ce que traversait le jeune homme. Tim hocha la tête en guise de remerciement.

Les souverains pincèrent leurs lèvres, peu convaincus.

— Je suis Galindor et à mes côtés voici...

— Alerina, fille d'Alinrhor, descendante de Valandil, héritière de sa lumière et reine d'Alfheim.

Discrète depuis le début, Son Altesse Royale s'avança vers l'humain et tourna autour de lui le déshabillant de haut en bas. Le bord de ses lèvres se recourbait en un sourire enfantin, mais ses yeux perçaient le jeune homme comme du silex. Tim n'était pas dupe, l'expression de la reine était en réalité dure et soupçonneuse. Une main invisible remonta le long de son torse et entrava son cœur d'une chaleur étouffante, il rougit sans raison. Alerina se plaça face à lui et planta ses iris améthyste dans les siennes. Il baissa aussitôt la tête. Tim n'avait jamais vu une aussi belle créature. Sa peau de nacre et ses cheveux d'argent luisaient fébrilement et rappelaient la couleur des perles autour de son front. Elle portait une couronne démesurée d'or blanc et de pierres opalines. Aucun bijou n'agrémentait sa tenue, mais la délicatesse du tissu ne nécessitait pas de tels artifices. La soie moirée couvrait d'un fin voile la peau claire de la souveraine que la nudité ne dérangeait pas. Tim se demanda par quel miracle aucun de ses attributs n'était visible. Il se surprit à la détailler avidement. D'un coup, il la désira. Il en éprouva beaucoup de gêne, et lutta contre son esprit qui lui criait que toute sa vie il l'avait attendue, qu'elle était l'obsession de ses nuits. Quel sort lui lançait-elle ? Il se ferma et se coupa au flux imposé par la reine.

Alerina bâtit des cils et, de sa voix douce et chaude, elle reprit :

— Ainsi, tu es sensible à mes charmes. Ce que tu ressens, c'est l'effet de ma magie. Tous ici ont expérimenté ce que tu es en train de vivre. Cela va s'estomper avec le temps. Tu ne me désires pas vraiment, c'est mon aura qui te pousse à y croire. Mais sache que je peux à tout moment recommencer. Sache aussi que tu ne rêves pas comme tu peux le croire. Tu as bien voyagé jusqu'à nous, et nous trouverons ce qui t'a motivé à emprunter les flots entre les mondes. Avec moi, tu ne pourras nous mentir, tu me diras tout ce que je voudrai savoir.

Comme un serpent cruel, cette reine qui ressemblait à une divinité, recula langoureusement pour se poster aux côtés de son conjoint, comme une statue tyrannique et féroce de magnificence.

Galindor se remua sur ses jambes comme si la magie de son épouse l'atteignait aussi, il reporta son attention sur Tim.

— Les présentations sont faites. Dis-nous, Tim, que fais-tu ici ?

— Je ne sais pas, répondit-il, épuisé par l'assaut d'Alerina et enfin convaincu que tout était bien réel.

— Mais tu as bien déverrouillé le passage, l'Arche t'a emmené ici. Quelle en est la raison ? insista-t-il.

— Roi Galindor, je suis tout aussi surpris que vous. Je ne sais pas comment ce truc m'a fait voyager jusqu'ici. Je viens d'un monde que l'on nomme la Terre. Je me baladais dans une grotte et me voilà. Je n'ai pas cherché à ce que cela arrive, et croyez-moi... je suis perdu.

— Nous connaissons ta planète, nous la nommons Manheim. Tu nous caches quelque chose. Pourquoi te baladais-tu dans cette grotte ? continua de questionner Alerina.

— Cela ne vous intéresse pas.

Il ne voulait pas avouer qu'il n'était qu'un prisonnier parti à l'exploration d'un lieu qui lui était interdit. Sa crédibilité serait réduite à néant, les souverains le prendraient pour un minable et un retors. Il ne craignait pas le roi, qui semblait de bonne intention, alors que la reine. Il ne pouvait faire confiance en celle qui avait sciemment modulé son esprit, sans consentement.

— Ou plutôt, tu ne veux pas nous dire pourquoi, insista la reine.

Possédait-elle des dons de télépathie ? Savait-elle qui lui cachait une petite partie de la vérité ? Il ne pouvait plus tricher.

— Je n'étais pas censé m'y trouver. Vous ne comprendrez pas ce que je tenterai de vous expliquer. Je visitais un lieu gardé secret avec mon ami. Un grenier planétaire, c'est là que se situait ce que vous appelez l'Arche. Je fuyais des méchants, si l'on peut les appeler ainsi, et me voilà. Je n'ai jamais cherché à venir. C'est le fruit du hasard, expliqua Tim.

Il était satisfait, il avait dit la vérité en omettant la partie fâcheuse.

— Il dit la vérité, mon roi ! s'exclama la reine. Mais pourquoi cacher que tu es un prisonnier ?

— Comment ? ...

Tim était abasourdi. La reine avait deviné ce qu'il tentait de dissimuler, elle le savait depuis le début. Elle lui avait donné, à plusieurs reprises, l'occasion de tout dire. Elle le testait. Il observa la réaction du mage et de la fée. Fabiola plaqua une main sur sa bouche et Toth acquiesça gravement, mais il lui adressa un subtil clin d'œil en réconfort. Tim se rassura qu'aussi rabat-joie pouvait être Toth, il pouvait lui faire confiance.

Alerina ricana de façon théâtrale, elle ouvrit les bras pour accentuer son effet.

— Je sens tes pensées, je les vois. Personne ne peut me mentir. Il y a autre chose, je vois autre chose, continua Alerina en s'avançant vers Tim.

Elle souriait à peine. Tim frissonna, ce n'était pas la magie de la reine, mais de la peur. Il ne cachait rien, elle avait deviné ce qu'il était ; alors pourquoi pensait-elle qu'il lui masquait autre chose ?

Alerina se planta devant lui. Elle tendit la main vers le front de l'humain, plaqua sa paume avec force et chuchota :

— Dis-le-moi.

Leurs têtes se penchèrent subitement en arrière. Leurs yeux se révulsèrent. Le blanc dans leurs orbites trembla. Fabiola entendit un son aigu lui lacérer les tympans. Elle se boucha les oreilles avec ses index. Le maréchal et Galindor dégainèrent et pointèrent leur lame sur Tim. Le mage les stoppa.

— Laissez-la faire ! Elle ne craint rien. Elle sait ce qu'elle fait.

*

Flammes. Cendres. Chaos.

Tim se tenait dans un brasier qui ne le brûlait pas. À ses pieds, des torrents écarlates. Soufre et Ammoniac lui irritaient les yeux.

Cadavres. Sang. Mort.

Tim dominait un charnier. Les hurlements des victimes lui soulevaient l'estomac. Dans le ciel, des ailes enflammées tournoyaient. Depuis les cieux, ils chutaient.

Au fond de lui, tristesse et colère. Une perte sans précédent. Son cœur brisé, sa gorge brûlante et ses yeux humides.

Horreur. Douleur. Enfer.

Tim chassa les volutes âcres. La reine. Son regard était noir. Ses lèvres hurlaient des mots qu'il n'entendait pas. La reine. Démoniaque et démente. Sa lance brandie. Sa lance, une menace. Sa lance, en promesse de la destruction.

*

Flamme. Cendres. Chaos.

Alerina reconnut l'homme de Manheim. Debout, vainqueur, dressé sur son charnier.

Soufre. Ammoniac. Charbon.

Elle l'admirait. Dominant. Impérial. Dans son dos des ailes qui ne craignaient aucune flamme.

Et dans le ciel, les puissants tombaient.

Et dans le ciel, les ténèbres.

Celles qui l'envahissaient. Celles qui nourrissaient la haine. La haine, son alliée.

Présage. Mort. Néant.

Alerina hurla :

« Meurs ! Meurs ! Hallinskidi, tu les as trahis ! Meurs ! »

Des larmes de rages. Déluge est son visage.

Elle jeta sa lance en visant la poitrine. Promesse à l'homme de Manheim. Destruction.

*

Flamme. Brasier. Espoir.

Magie oubliée, flamme par la flamme.

La lance devint poussière.

Nuée volatile, carbone.

« Non ! Il n'a pas trahi... Elle cherche la source. Elle te manipule. Ma reine, ressaisis-toi, et comprends ! »

Alerina, aveuglée. Sa folie étouffa la fée. Elle serra fort. Trachée broyée. La fée étouffa, la fée souffla :

« Ouvre les yeux, ma reine. »

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